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Le comportement du consommateur et les films d'horreur

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par Delphine Rouchon
ESC Saint-Etienne - Master 2 Grande Ecole 2011
  

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PARTIE 1 : CADRE GENERAL

Dans Marketing (Mayrhofer, Marketing, 2002) explique le cycle de vie d'un produit (lancement, croissance, maturité, déclin). Il annonce également que tout produit a une durée de vie limitée : on peut se demander si cela est vrai dans le cas de films qui traversent et marquent plusieurs génération (la nuit des morts-vivants (Romero, La nuit des morts vivants, 1968), mais dans la majeure partie des films, cela semble exact : de nouvelles éditions ne sortent plus. Le film s'éteint et devient de plus en plus méconnu de génération en génération.

Par contre, si on parle de genre, c'est différent, un genre meurt, devient démodé, puis se réactualise : les films de vampires trouvent de nouveaux adeptes environ tous les dix ans.

D'où vient cet attrait pour le cinéma d'horreur ? Dans pouvoir de l'horreur, essai sur l'abjection (Kristeva, 1980), l'auteure raisonne en terme de religion (interdits sociaux, morale...). Le cinéma d'épouvante serait un exutoire de notre mal être. C'est en tout cas ce que pense Thomas Michaud lorsqu'il évoque les films de zombie, en 2009, dans Zombification du monde (Michaud, 2009) : il raisonne, quant à lui, en terme de sociologie et dit que les films de zombies connaissent du succès dans différents cas : pendant et après la guerre, le génocide des juifs a laissé des traces sur les écrans de cinéma, les zombies reflétaient le monstre, le corps sans âme, que la population ne voulait pas (re)devenir. Pendant la guerre froide, les zombies représentaient les communistes, l'ennemi qui s'infiltre et qui infecte. Dans les années 1980, les zombies évoquaient la propagation du sida. Aujourd'hui, c'est la peur des islamistes, mais également celle du vieillissement de la population.

En 1993, David Skal avait déjà soulevé une problématique similaire dans the monster show: A Cultural History of Horror (Skal, 1993). Pour lui, les spectateurs prennent plaisir à regarder un film d'épouvante, car cela exorcise leurs peurs face aux conditions économiques et sociales parfois délicates. L'intérêt d'un monstre, serait de déplacer ses angoisses concernant le chômage, l'inconnu, ou encore la mort. En effet, après les guerres, quand les vétérans reviennent mutilés, défigurés ou fous, les films de monstres pullulent sur les écrans, mettant en scène des personnages estropiés et repoussants. La peur de la bombe atomique a également été source d'inspiration chez les cinéastes qui ont pris plaisir à imaginer les pires tests de bombes (et les

conséquences qui en ont découlé). Pour David Skal, les bébés monstrueux et les grossesses insoutenables montrées à l'écran (Rosemary's baby (Polanski, 1968) ne reflétaient que la peur des américains face à la libération sexuelle. Malheureusement publié en 1993, l'étude de David Skal ne couvre pas les vingt dernières années, mais son raisonnement tient toujours et on peut aisément supposer que :

- L'ère des remakes des films des années 1980, au début des années 2000, auraient pu avoir pour rôle de sécuriser les spectateurs en leur rappelant le « bon vieux temps ».

- On peut également imaginer que les films comme stay alive (Bell, 2005), sur les jeux vidéo, The ring (Verbinski, 2002), ou tout simplement le roman Cellular de Stephen King (2006), traduisent la peur de l'inconnu face à la montée en puissance de nouvelles technologies toujours plus intelligentes.

Nos recherches sur le comportement du consommateur face aux films d'horreur nous ont conduits à découvrir que les premiers consommateurs du genre sont les adolescents. Ils ont tout du moins leur propre façon de les consommer. L'analyse faite dans Conseiller un film d'horreur... justifications et jugements de valeur dans quelques copies de seconde (Masseron, 2003) montre que chez les adolescents, l'attrait pour les films d'horreur est justifié par un gout commun de la peur. Leur comportement est influencé par leur besoin d'être en groupe, mais également par leur recherche d'identification. Enfin, les films d'horreur donnent une identité aux serials killers, ainsi que des explications sur leurs motivations, il y a donc une question d'éthique : une recherche d'explication.

Le choix du consommateur adolescent relève en partie de l'effet d'imitation (Duesenberry, 1949), ainsi, ils ont comme idée commune qu'un bon film d'horreur doit forcément faire peur, mais il faut également qu'il ait du succès auprès des autres adolescents. Enfin, ils en sont moins conscients, mais les films d'horreur qui les attirent le plus, sont également ceux qui ne sont pas dépourvus d'humour (on citera Scream (Craven, Scream, 1996) ou encore Chucky : jeu d'enfant (Holland, 1988)).

Si les films pour adolescents se ressemblent tous, quand un réalisateur vise un public plus âgé, le genre change. Il devient au choix, plus noir, plus psychologique ou plus froid. « Par définition, une expérience trop souvent renouvelée cesse d'en être une. Il faut donc rechercher de nouveaux leviers pour continuer à surprendre le consommateur, innover en permanence et rentrer dans une logique de surenchère pour maintenir ce vécu d'expérience. » (Brée, 2007).

Suivant de nombreux auteurs, en particulier des chercheurs et des passionnés qui ont beaucoup travaillé sur le sujet, regarder un film d'horreur est une forme d'exutoire, il n'y a rien de pervers, et pas d'effet négatif (si tant est qu'on ait l'age conseillé par la censure). Pourtant, dans un monde où elle est omniprésente, la violence n'a jamais été autant montrée du doigt, et de nombreux auteurs en ont fait leur sujet d'étude comme Brad Bushman et Graig Anderson dans Media violence and The american public : scientific facts VS media misinformation in american psychologist, en 2001. Les français sont terres à terres et catégoriques sur le sujet, deux rapports dénoncent la violence : Claire Brisset s'inquiète au sujet des enfants dans Les enfants faces aux images diffusés par les différents supports de communication (2002), et Blandine Kriegel dénonce la même chose dans La violence à La télévision : mission d'évaluation, d'analyse et de proposition relative aux représentations violents à la télévision, (2002).

Parallèlement, et de façon plutôt cocasse, cette peur presque panique d'une montée de violence, est réutilisée de manière suggestive dans certains films récents qui mettent en scènes les peurs modernes (violence à outrance, sexualité débridée, enlèvement, trahison des nouvelles technologies...). Ces films utilisent et véhiculent des légendes urbaines traditionnelles ou modernes.

On comprend que le genre « horreur » est dans la démonstration. Le but est de montrer, de tout voir. Ainsi, les films d'horreur personnalisent ce qui n'était qu'angoisse au départ. Prenons un exemple, après la deuxième guerre mondiale, les américains n'ont eu de cesse d'explorer le nucléaire. L'accident de Tchernobyl n'avait pas encore eu lieu que les populations angoissaient à ce sujet. En 1977, Wes Craven a réalisé la colline à des yeux, un film dans lequel une famille a un accident de voiture dans le Nouveau-

Mexique, dans une zone d'essais nucléaires. Ils finissent par être attaqués par des mutants, victimes de ces essais.

Chapitre 1 Films d'horreur : popularisation du genre

Introduction-

Nous allons dans un premier temps, nous attacher à définir ce qu'est l'horreur. Ensuite, nous mettrons en parallèle la sociologie, l'économie et l'industrie du cinéma d'horreur pour voir en quoi les chocs sociaux boostent cette industrie. Pour terminer, nous décrypterons le public des films d'horreur : ses peurs et ses attentes.

1 Indéfinition du genre

Le genre « horreur » est difficilement définissable. Dans l'absolu, chacun a sa propre définition du genre « horreur », aussi, un film peut glisser d'un genre à l'autre dans le temps. Par exemple, King Kong (Cooper & Schoedsack, 1933) était qualifié de film d'horreur à sa sortie. Aujourd'hui, il est communément rangé dans le fantastique. D'ailleurs, Henry Franck soutient que « c'est en 1950 que fantastique et horreur se sont différenciés » (Franck, 2009, p. 2).

Ainsi, « Le cinéma d'horreur - ou « cinéma fantastique » dont les sous-genre « épouvante » et « horreur » sont des ramification - plonge ses racines dans les romans « gothiques » de la littérature fantastique anglaise des XVIIIème et XIXème siècles (...) Leur trame se déroule sous fond de mystère, de damnation, de décrépitude et de vieilles demeures remplies de fantômes, de fous, de malédictions héréditaires, autant d'ingrédients qui trouveront une large expression dans le cinéma d'horreur. » (Penner & Schneider, 2008, p. p.9). Les auteurs sont d'accord sur un point, le cinéma d'horreur est un tentacule du cinéma fantastique et « Le cinéma fantastique plonge ses racines dans les origines du cinématographe et se développe selon quatre grands axes : la science-fiction, l'horreur, la féerie, et le bizarre. » (Grim, 2004, p. 75).

slasher

survival

horreur

vampires

bizarre

fantastique

zombies

féérie

...

Science-
fiction

Ainsi, pour résumer les propos précédents, nous pouvons proposer le schéma suivant :

Figure 1: définition de l'horreur

L'horreur a ses spécificités, « L'horreur est la manifestation du réel, son actualisation, la réalité à laquelle nous ne pouvons échapper. L'horreur, c'est le regard glacé de l'assassin qui brandit un couteau, toutes dents dehors, c'est la femme gisant dans une mare de sang sur le sol de la cuisine, c'est la vue de lambeaux de chair dans le miroir, c'est l'enfant qui court après son ballon sans voir le camion qui arrive. C'est l'insecte qui surgit du fond de l'oreille en grimpant. » (Penner & Schneider, 2008, p. 9). L'horreur provoque des sensations physiques et viscérales chez le spectateur : l'accélération du rythme cardiaque, par exemple. D'ailleurs, nous pouvons illustrer cette définition avec la bande annonce du film Paranormal Activity (Oren, 2009) : on peut voir les réactions du public filmé pendant une projection, il est effrayé, se cache les yeux, sursaute. Vous pouvez voir la bande annonce française en cliquant sur ce lien : http://www.youtube.com/watch?v=F_cUNvD6BJQ.

Dans les bonus du DVD de Destination finale (Wong, 2000), on trouve un reportage sur les réactions physiques. Vous trouverez un compte rendu de ce reportage en annexe 1.

Selon certains auteurs, ces sensations physiques provoquées par les films d'horreur et recherchées par les spectateurs sont non seulement bien réelles mais aussi utiles : « Le cinéma d'horreur a une double fonction : cathartique et lénifiante. C'est un

cinéma qui permet d'évacuer un certain nombre d'angoisse et de les apaiser » (Franck, 2009, p. 6)

Enfin, quand on tape « genre cinématographique » sur Wikipédia1, le classement proposé différencie film d'horreur, film fantastique, film de zombies, science-fiction, slasher et vampirisme. La source n'est pas scientifique, mais c'est un site populaire et un accès facile au spectateur lambda, on réalise donc que les amateurs n'ont pas la même définition du genre que les scientifiques. En annexe 2, vous trouverez une copie d'écran de la page en question.

Dans ce mémoire, pour faciliter la compréhension et parce que nous devons limiter le champ de recherche, nous considérerons que « Le cinéma d'horreur constitue en luimême un genre complexe qui s'est élaboré à partir d'une tradition orale et écrite d'histoires de peur. » (Roberge, 2004, p. 4/5)

Nous ne définirons pas tous les sous-genres de l'horreur (gore, snuff movie, survival, final girl...) mais juste le slasher, sous-genre que nous jugeons le plus présent et le plus représentatif du cinéma d'horreur.

Le slasher est inspiré de la légende urbaine. Bien que Psychose (Hitchcock, 1960) soit considéré comme le pionnier du genre, il a connu son age d'or dans les années 1970/1980 avec comme chef de fil Halloween (Carpenter, Halloween, 1978), et une recrudescence du genre a eu lieu à la fin des années 1990 avec la réalisation de Scream (Craven, Scream, 1996).

« Slasher est un néologisme tiré du verbe « to slash » qui peut signifier entailler, trancher, couper. Cette dénomination fut inventée dans les années 1970 par des critiques de cinéma pour décrire des films d'horreur où des jeunes gens (de 15 à 25 ans) se font assassiner par un maniaque, avec des objets longs et tranchants (couteaux, machettes...). (...) Si le slasher en tant que tel apparaît au cinéma à la fin des années 70 avec le séminal Halloween de John Carpenter, il semble trouver sa source dans les

1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_cin%C3%A9matographique

traditions populaires de la sous-culture, dans les légendes urbaines, dans ces figures punitives inventées pour effrayer les «mauvais» enfants. » (Courty, 2004, p. 630)

Ainsi, vu la complexité du genre, nous considérerons la définition suivante : l'horreur est un dérivé du fantastique, il provoque des réactions physiques et se complait dans la démonstration. L'horreur caricature les sociétés, en particulier dans le sous-genre slasher, très présent sur les écrans. Le slasher met en scène la jeunesse et les rites initiatiques : il s'agit d'un sous-genre très moralisateur mais également très représentatif du genre horreur.

2 Les chocs sociaux : aperçu historique de l'horreur

Nous allons remonter le cours historique du cinéma d'horreur afin de le lier aux chocs sociaux. Notre hypothèse étant que l'industrie du cinéma d'horreur s'est largement inspirée de l'actualité, en particulier de ses aspects négatifs. Nous souhaitons mettre en relief l'idée que les films d'horreur seraient le miroir de la société, et surtout, le miroir de ses défauts.

D'ailleurs, « Le cinéma fantastique est par essence un cinéma de crise. Qu'elle soit économique, sociale, politique ou existentielle, elle est un terrain propice au développement de ce genre cinématographique. La crise majeure de 1929 en est une illustration. Dans un tel contexte, le cinéma fantastique connaîtra un extraordinaire développement. Son age d'or --selon la formule consacrée --, va recouvrir la décennie 1930-1940. Mais la période la plus génératrice d'oeuvres marquantes pour le genre se situe entre 1931 et 1935, période historique charnière où le monde bascule, l'horreur cinématographique préfigurant l'horreur historique. » (Grim, 2004, p. 76). En effet, l'entre-deux-guerres est une période sensible : elle représente la montée en puissance des dictateurs, le krach boursier de 1929 a conduit à une situation de stress. Le cinéma d'horreur s'est renforcé à cette période, profitant de la tension ambiante.

Les tensions politiques semblent titre souvent utilisées et généralement sous forme de métaphore par l'industrie du cinéma. La guerre froide a donné naissance à une multitude de films représentants des invasions : invasions d'insectes, d'extraterrestres,

d'épidémies... « Dans nombre de cas - en particulier durant les années 50 et au début des années 70 - les terreurs exprimées par [les films d'horreur] sont de nature socio politique, ce qui donne à des oeuvres aussi différentes que L'invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel et L'Exorciste de William Friedkin des allures de documentaires. Lorsque le film d'horreur porte une de ses casquettes sociopolitiques - de la série B considérée comme une forme d'éditorial -, il se comporte comme un baromètre permettant de mesurer avec une précision extraordinaire les cauchemars d'une société. » (King, 1981, p. 196).

La guerre froide est implicitement présente dans de nombreux films de science-fiction : l'extraterrestre qui s'infiltre incognito parmi les humains pour mieux les envahir et les piéger peut être le reflet de l'ennemi politique.

Cet intérét pour le film d'horreur ancré dans la réalité s'est vérifié lors de notre étude terrain, puisque durant les entretiens de groupe, les étudiants qui n'étaient pas familiers aux films d'horreur, n'ont pas hésité à affirmer que « un bon film d'horreur ressemble à notre vie, on doit pouvoir penser que ça peut arriver » et que « il doit nous faire réfléchir, ne pas être un simple produit de consommation ».

En réponse à la violence souvent décriée des films d'horreur trop réalistes, la citation qui suit est en anglais, les auteurs mettent en avant un argument de l'industrie du cinéma, soit que les films ne font que recréer à l'écran la violence déjà présente dans la société : « The entertainment industry often claims that violent media simply reflect the violence that already exists in society. Consider the following statements from representatives of the three major television networks. According to Leonard Goldenson of ABC, "We are presently reaping the harvest of having laid it on the line at a time when many Americans are reluctant to accept the images reflected by the mirror we have held up to our society" ("Fighting Violence," 1968, p. 59). Julian Goodman of NBC agreed, "The medium is being blamed for the message" ("Fighting Violence," 1968, p. 59). Howard Stringer of CBS claimed that the TV industry is "merely holding a mirror to American society" (West, 1993). Zev Braun, also of CBS, said, "We live in a violent society. Art imitates the modes of life, not the other way around: It would be

better for Congress to clean that society than to clean up the reflection of that society"
("Violence Bill Debated in Washington," 1990).
» (Bushman & Anderson, 2001, p. 479)

Nous n'aurons malheureusement pas le temps de remonter tous le vingtième siècle pour vérifier que chaque film d'horreur est bien ancré dans son époque et dans les traumatismes de sa société (ce qui est d'ailleurs sans doute faux. Les films d'horreur de série Z, considérés comme des navets, ne seraient-ils tout simplement pas sortis au mauvais moment ? Ne seraient-ils pas tout simplement trop éloignés des préoccupations des sociétés de leur époque ?). Nous allons néanmoins recenser quelques films à grand succès et les mettre en parallèle avec leur histoire.

Commençons par l'indémodable vampire, personnage gothique récurrent du film d'horreur : « La créature de Bram Stoker (1897), née sous sa plume à la période où naissaient de par le monde occidental les futurs dictateurs qui allaient ensanglanter le XXe siècle, fait son apparition sur les écrans hollywoodiens en 1931, au moment où ceux dont il est la métaphore tragique exercent - ou vont exercer -, leurs coupables industries : Mussolini (1883-1945) accède au pouvoir en 1922 à l'âge de 39 ans ; Staline (18791953) au pouvoir en 1924 est alors âgé de 45 ans ; Hitler (18891945) au pouvoir en 1933, 44 ans ; Franco (18921975) au pouvoir en 1936, 44 ans. L'interprète de Dracula : Bela Lugosi (1882-1956) est âgé de 49 ans au moment du tournage. Si le vampire est sans age, son apparence physique dans cette version de 1931 est celle d'un quadragénaire. » (Grim, 2004, p. p.78). Ainsi, Dracula, suceur de sang, serait le reflet, le portrait des dictateurs avides de pouvoirs qui mettent le monde à feu et à sang.2

A partir du milieu des années 80, les films de vampires recouvrent leur notoriété, peut-on faire coïncider ce retour avec l'arrivée du SIDA ? En effet, si le vampire type des années 30 est un homme cruel, bestiale et froid, celui des années 80 et surtout 90 est romantique, distant et aussi séduisant que séducteur comme en atteste des films comme Buffy, tueuse de vampires (KUSLLI, 1992) ou Dracula (COPPOLA, 1992).

Dans zombification du monde (Michaud, 2009), Thomas Michaud explique que les films de zombies sont le reflet d'une société inquiète. Notamment, page 156, il écrit

2 Dracula 1931, trailer : http://www.youtube.com/watch?v=UehobGtSnOk

que les zombies représentent « la perte d'humanité », la « peur de devenir un monstre ». Ce genre de films apparait à la suite de traumatisme comme l'holocauste, les guerres... White Zombie (Halperin, 1932) exprime la peur du retour de la guerre, la première guerre mondiale ayant été particulièrement violente et traumatisante. Pendant la guerre froide, les zombies dénoncent le nucléaire et l'utilisation des « biopouvoirs » : Down of the dead (Romero, Down of the dead, 1978). Depuis les années 1980, trois thèmes sont sous-jacents : d'abord la peur du SIDA, puis le vieillissement de la population et enfin (thème sans doute le plus récent), la peur des attaques terroristes. Tous ces thèmes tiennent aux deux mêmes fils : la peur de la contamination et celle de l'extermination de la race humaine.

L'avènement d'internet et le développement des nouvelles technologies (ordinateur, téléphone...) ont également drainé nombre de films capables de capter l'attention des spectateurs : les nouvelles technologies sont à la fois le plus gros problème des réalisateurs actuels (certains huis-clos ne sont plus crédibles, en effet, depuis les années 2000, tout le monde a un smartphone, un simple téléphone portable, un netbook...) et une source d'inspiration intarissable. A ce sujet, nous pouvons amorcer un thème qui sera développé dans la deuxième partie : celui de la légende urbaine. Les derniers films réalisés autour des nouvelles technologies sont empreints de légendes urbaines. L'exemple le plus explicite est le film Chain letter (Taylor, 2010), qui met en scène les personnages classiques d'un slasher : une jolie blonde, une brunette intelligente, un sportif narcissique, un geek à lunettes... l'un des protagonistes va recevoir par SMS une chaine. Il va la faire circuler à ses amis. Tous ceux qui ne transféreront pas le message seront assassinés.

Les crises économiques sont également un sujet d'inquiétude. Selon une étude menée par le romancier Stephen King, le film Amityville (Rosenberg, 1979), jugé fade et grossier au premier abord a rencontré un énorme succès auprès du public américain, car il abordait implicitement le sujet de la crise économique : « Tout ceci nous amène au principal ressort d'Amityville et nous permet d'expliquer son efficacité : le symbole de ce film n'est autre que le malaise économique, et c'est là un thème que son réalisateur, Stuart Rosenberg, travaille de façon constante. Vu le contexte de l'époque - le taux d'inflation a 18%, le coüt exorbitant du litre d'essence et des remboursements

de prêts immobiliers -, Amityville, tout comme l'Exorciste, tombait vraiment à pic. » (King, 1981, p. 211). Pour prouver ces faits, Stephen King met en avant plusieurs arguments : un personnage du film doit payer le traiteur en liquide, mais au moment de régler son dü, impossible de mettre la main sur l'argent retiré un peu plus tôt. Il fait donc un chèque au traiteur, mais continue à chercher désespérément l'argent « dont il a besoin pour honorer son chèque (...) nous avons devant nous un homme au bord de la ruine. Il ne parvient à ne trouver qu'un seul objet : une bande de caoutchouc sur laquelle est tamponné le chiffre $500. Elle gît sur le tapis mais aucun billet n'est visible autour d'elle. « Où est passé ce fric ? » hurle Brolin, et sa voix exprime la frustration, la colère et la peur. Et c'est là que nous entendons le tintement du cristal de Waterford - ou si vous préférez une phrase musicale sublime noyée dans une cacophonie mélodramatique. » (King, 1981, p. 212). La notion d'argent est omniprésente tout au long du film : au départ, on insiste sur le fait que la famille acquiert la maison pour une modique somme. La mère exprime sa fierté en disant qu'elle est la première de sa famille à devenir propriétaire. Pourtant, à la fin du film la maison est complètement détériorée : « les fenêtres implosent, une pâte noire coule des murs, les escaliers de la cave s'effondrent. » (King, 1981, p. 212). Stephen King avoue qu'il s'est interrogé sur l'assurance habitation de la famille Lutz avant de se demander s'ils allaient survivre. Et il témoigne : « « Imagine les factures », a dit à un moment donné la spectatrice assise derrière moi... moi je la soupçonne d'avoir plutôt pensé à ses propres factures. » (King, 1981, p. 212)

Cette phrase : « Ce film aurait tout aussi bien pu s'appeler le compte bancaire qui rétrécie » (King, 1981, p. 212) résume parfaitement le propos de Stephen King et illustre ce que la théorie cherche à prouver : un film a du succès s'il correspond à une société à un moment donné.

D'autres évènements ont marqué l'histoire du cinéma (l'incident de Tchernobyl, l'arrivée massive de la téléréalité, ou encore plus récemment, l'attentat 11 septembre), cependant nous ne donnerons pas plus d'exemple maintenant que le principe a été explicité.

Nous pouvons avancer une chose : depuis le manoir du diable (Méliès, 1896), premier film d'horreur, les choses ont évolué : « «Le cinéma d'horreur est appréhendénon plus comme un spectacle, mais comme une expérience, explique Aja3. Plus question

de regarder tranquillement l'écran; il faut vivre pleinement ce que les personnages éprouvent, comme au bon vieux de temps de Délivrance ou des Chiens de paille » (Carrière, 2006)

L'implication du spectateur est de plus en plus physique, le développement de la technologie 3D rend les films presque intrusifs. La violence domine, « Modern society is exposed to a massive dose of violent media. What effect, if any, does this exposure have on people? In the 2Oth century, two major explosions occurred: a mass media explosion and a violent crime explosion. After discussing both, we raise four questions. Does the level of violence in the «reel" world mirror the level of violence in the real world? Is there strong evidence linking exposure to media violence to aggression? How have news reports of the violent-media effect on aggression changed over time? Is there any correspondence between the cumulative scientific knowledge about media violence effects on aggression and news reports about this link? » (Bushman & Anderson, 2001, p. 477). Nous pouvons inverser cette citation en nous demandant : comment la violence mondiale (révoltes, guerres, danger du nucléaire, catastrophes naturelles...) est transposée dans les films récents ? Quel public ces films drainent-ils ?

Qui est ce spectateur ? Celui qui en veut toujours plus, qui veut toujours voir plus loin ? Comment l'industrie du cinéma d'horreur va-t-elle fidéliser ses spectateurs et en convaincre de nouveaux ? Nous développerons ces points dans le chapitre suivant et dans la deuxième partie.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault