II. Le palais d'Étoudi et le cortège
présidentiel dans le sillage de l'ostentation
sécuritaire
Depuis avril 1984, le coeur du système bat d'abord pour
la sécurité de son chef. Il est question ici d'étudier les
lieux privilégiés de la manifestation de la puissance
sécuritaire du président de la République. Il s'agit du
cortège présidentiel et du palais d'Étoudi. Mais avant, il
est sied d'évoquer une marque particulière du dispositif de
sécurité présidentiel : l'ostentation.
II.A- L'ostentation sécuritaire : entre dissuasion et
autoreprésentation du pouvoir
L'ostentation est une marque de fabrique du dispositif de
sécurité présidentiel au Cameroun. L'ostentation se
définit ici en termes de nombre d'appareils et de moyens logistiques,
humains et de guerre qui sont mobilisés pour la défense du palais
ou les sorties du président, et qui tendent à être
montrés aux populations. Tout se passe comme s'il était question
d'envoyer un message aux populations. Cette «starisation» du
cortège et de la sécurité présidentiels peut se
lire sous les prismes multiples. La dissuasion semble être le premier
effet recherché.
En ce moment, la première menace et le premier danger
qui guette la sécurité du président n'est pas un
éventuel sniper ou une tentative de déstabilisation depuis
l'extérieur, mais la population camerounaise. Si cette population ne
peut s'exprimer par la voie des urnes, un acte déferlement massif des
populations sur le convoie présidentiel ou un acte de lynchage comme
cela s'est produit en République Centrafricaine sous le régime de
Jean BEDEL BOKASSA, n'est pas à exclure. La musculation du dispositif de
sécurité du président et son exposition participent
indubitablement d'une stratégie de dissuasion, afin de créer un
sentiment d'« indétronabilité » : c'est la construction
fantasmée de l'invincibilité du président.
Cet étalage sécuritaire peut également
être compris comme une autoreprésentation du pouvoir
présidentiel, productrice d'hégémonie symbolique. Le temps
et les activités s'arrêtent au passage du cortège du
président. Ceci est particulièrement sensible à
Yaoundé, dans la mesure où il n'y a pas suffisamment de routes.
L'axe central qui va de la Poste centrale à MVAN est cardinal pour la
circulation des biens et des personnes. Et une fois qu'il est bloqué, ce
sont les activités et le temps qui sont suspendus. L'effet
recherché, c'est la réaffirmation de la prééminence
présidentielle. Fortement militarisée, la sécurité
du président mobilise tous les appareils de sécurité et de
défense, et particulièrement la GP et le BIR depuis
février 2008. Il se pose alors la question de l'efficacité du
dispositif sécuritaire présidentiel.
II.B- Attaquabilité et inattaquabilité du
cortège présidentiel et du palais
d'ÉtoudiPeut-on mener avec succès une attaque
contre le cortège du président ou la présidence de la
République au Cameroun? D'entrée de jeu, la réponse est
positive. Tout dépend des moyens que l'on serait capable de mobiliser et
de la coordination de ses moyens.
Attaquabilité et inattaquabilité de la
présidence de la République
Parler d'attaquabilité et d'inattaquabilité de
la présidence de la République du Cameroun relève en
quelque sorte de la science fiction. Mais en fonction des données
disponibles, l'on peut tout de même dégager quatre
scénarios d'attaquabilité ou d'inattaquabilité.
Scénario 1 : l'hypothèse du 06 avril
1984
Une répétition du 06 avril 1984 peut-elle avoir
raison de la présidence et du président ? Il ne peut y avoir de
réponse définitive, sauf à avoir accès à
toutes les informations de défense et de sécurité du
palais d'une part ; et toutes les informations sur le nombre, la logistique, la
chaine de commandement et la manoeuvre tactique et opérationnelle des
assaillants, d'autre part. Toutefois, à partir de ce qui ce donne
à observer, on peut faire des simulations.
L'hypothèse d'une révolution de palais,
c'est-à-dire au sein du clan présidentiel et
précisément du groupe Béti, est fort peu envisageable ;
étant donné que la solution de rechange ne satisferait pas
forcément l'opinion nationale et internationale, qui espère que
le pouvoir revienne à une autre région. Les risques d'un
embrasement du pays sont donc réels. Mais si jamais par surprise, les
éléments de la GP, sous la houlette du commandant AMOUGOU
Noël, décidaient d'évincer le président actuel,
celui-ci aurait très peu de chance d'échapper à une
destitution. Ceci pour trois raisons. Primo, en 1984, le président Paul
BIYA avait bénéficié du soutien général de
l'armée, parce que celle-ci, dirigée par un Béti, voyait
dans le coup d'état, une tentative de prise de pouvoir par le Nord, soit
un rétablissement de l'ancien président AHIDJO au pouvoir. Ce qui
n'allait pas forcément dans le sens de leurs intérêts. Non
seulement pour des raisons claniques, mais aussi parce qu'AHIDJO n'aurait pas
manqué de sanctionner ceux qui l'avaient raillé quand il n'avait
plus le pouvoir. L'armée dirigée par un Pierre SEMENGUE qui vient
à la rescousse du président n'a presque pas le choix. En le
faisant, les militaires consolidaient certes la dimension régionale du
pouvoir politique, mais ils sauvaient aussi leur tête, notamment les
officiers généraux. Or, si la révolution venait de
l'Inside, c'est-à-dire de l'armée et du clan Béti
matérialisé par la GP, les
chances d'un soutien massif de l'armée au
président seraient minces. On l'a vue en février 2008, il a fallu
déplacer le BIR et Koutaba pour sécuriser la présidence,
alors que les éléments des forces de défense et de
sécurité présents avaient toute la logistique pour faire
ce travail. C'est dire qu'il pourrait avoir une entente tacite entre la
soldatesque et les putschistes, dans la mesure où le marasme
économique affecte aussi l'armée. L'embourgeoisement dont il est
souvent fait question concerne les officiers généraux et les
officiers supérieurs. Quid du reste de l'armée ? Deuxio, le
président Paul BIYA bénéficiait en 1984 d'un certain
état de grâce. La propagande contre l'ex président marchait
bien, et les camerounais dans leur large majorité avait accueilli
très bien l'homme du renouveau, de la rigueur et de la moralisation. Un
coup d'état même réussi aurait été
impopulaire. Il n'est pas certain que ce soit le cas aujourd'hui.
L'impopularité et l'illégitimité chronique dont jouissent
le président et l'équipe gouvernementale fait qu'un coup
d'état pourrait être apprécié come une
délivrance par les populations. Tertio, la GP d'aujourd'hui aurait un
avantage opérationnel que n'eût pas la GR d'hier : elle ajusterait
son coup en tenant compte du déroulement de la tentative du 06 avril. En
fonction de celle-ci, elle pourrait anticiper la réaction du reste de
l'armée et corriger les erreurs que furent les putschistes de la GR en
1984.
Scénario 2 : le 06 avril 1984
inversé
Que se passerait-il si l'armée tentait de prendre le
pouvoir, sans la complicité de la GP ? Il est difficile d'envisager une
révolution de palais, sans une complicité de la GP en raison des
arguments sus-évoqués. Dans ce cas, la GP peut-elle faire
échec à une tentative de prise de pouvoir par l'armée ? Et
quelles en seraient les conséquences ?
Déjà l'armée au Cameroun n'est pas un
groupe homogène, et c'est véritablement à juste titre que
l'on parle des forces armées du Cameroun. Non seulement cette
homogénéité n'est pas acquise, mais elle l'est encore
moins si l'on tient compte des forces spéciales, qui ne dépendent
pas du MINDEF, mais directement de la présidence. De surcroit, le
positionnement stratégique des membres de l'ethnie présidentielle
et des fidèles du président depuis 1984 comme Yvo DESCANCIO
anéantit cette possibilité. En effet, l'hypothèse d'une
armée en corps qui foncerait droit sur le palais d'Étoudi ou le
cortège présidentiel est réduite à néant, en
raison des choix d'alliance et des contraintes opérationnelles. Mais si
jamais, il advenait une « crise hégémonique
»135, marquée par la rupture du contrat d'alliance entre
l'armée et le pouvoir en place, même dans ce cas, les chances
d'une destitution du président ne seraient pas
135 Au sens de BAYART Jean-François, L'État au
Cameroun, Paris, PFNSP, 1985.
acquises. Tout dépendrait alors du comportement du BIR
qui, pour l'instant, est acquis au président de la République. Si
le BIR se range du côté des putschistes, le président
pourrait tomber. Les 2000 hommes que constitue la GP peuvent certes prendre le
maquis, mais on imagine mal un Paul BIYA, l'homme de la bourgeoisie, entrain de
prendre les costumes du rebelle. Si en revanche le BIR se range du
côté du pouvoir en place, la donne sera plus complexe pour les
putschistes. Ils auraient alors à faire à une armée de
6000 hommes mieux entrainée et mieux équipée qu'eux. Le
pays pourrait alors en ce moment durablement se diviser et deux facteurs
pourraient faire pencher la balance du côté des putschistes : le
soutien de la population et le soutien des puissances étrangères
aux putschistes.
Scénario 3 : une révolution du type
printemps arabe
C'est le scénario d'une révolution globale des
populations qui se décideraient par exemple à en découdre
avec le locataire d'Étoudi. Une telle action peu difficilement aboutir,
étant donné le niveau élevé du renseignement
camerounais; du moins en ce qui concerne les actions de déstabilisation
interne. L'hypothèse du peuple en corps convergeant vers Étoudi
est peu vraisemblable pour deux raisons. D'une part, l'armée et la
police feraient l'effort de circonscrire les populations de chaque
région de manière à ce qu'elles n'atteignent pas
Yaoundé. D'autre part, un dispositif spécial GP et BIR,
ajouté au BQG et aux forces de sécurité de la capitale a
toutes les chances de contenir la population de la ville ; ce d'autant que les
forces armées n'hésitent souvent pas à tirer à
balles réelles sur les populations. De surcroit, historiquement
Yaoundé n'a pas souvent été le foyer de la contestation au
Cameroun. C'est plutôt à Douala que revient ce titre. Les
émeutes de février 2008 sont le seul cas de l'histoire
récente du Cameroun où Yaoundé a été
associé aux manifestations et revendications populaires. Par ailleurs le
système néopatrimonial a pénétré la plupart
des corps sociaux ; de sorte que dans le cadre d'une action collective il est
fort probable que chacun cherche à profiter des bénéfices
de la mobilisation sans pour autant supporter le coût : c'est la logique
du free rider qui pourrait dominer.136 Autre handicap, le
système néopatrimonial fait qu'il n'est pas exclut que quelques
figures éminentes de la protestation se laissent
corrompre137, ou à défaut que prévale à
un certain moment la logique du chacun pour soi. De fait, l'histoire de
mobilisations sociales au Cameroun, montre que les entrepreneurs de l'action
citoyenne n'ont
136 Voir OLSON MANCUR, La logique d'action
collective.
137 La corruption des entrepreneurs de la mobilisation
constitue une des ressources du gouvernement perpétuel camerounais.
Cette corruption peut s'effectuer sous la forme monétaire, comme avec
les leaders de mobilisations estudiantines ou les chefs de file de
l'opposition. Elle peut aussi prendre la forme des avantages en nature, comme
une proposition de nomination ministérielle pour un entrepreneur
politique contestataire ou encore une proposition de bourse d'étude
à l'étranger pour un chef de fil d'une mobilisation
estudiantine.
pas souvent su régler les problèmes qui naissent
à l'occasion de l'action collective, et surtout la fameuse question de
l'usure du mouvement sur laquelle le pouvoir en place s'appuie toujours.
Février 2008 est l'exemple même d'une mobilisation qui aurait pu
aboutir à une conjoncture fluide si elle était suffisamment
encadrée et manoeuvrée. Enfin, l'autre aspect est celui de la
liquidation ou de l'emprisonnement d'éventuels leaders d'un tel
mouvement. En février 2008, dès le début des
manifestations, le pouvoir a tôt fait d'arrêter et d'emprisonner
MBOUA MASSOCK. De telles manoeuvres sont de nature à saupoudrer l'action
déstabilisatrice, dans la mesure où les populations se
retrouveraient sans leader et expert pour conduire la révolution
à son terme. Cependant, le pouvoir peut vaciller si trois situations
cumulatives se produisent. Il peut s'agir du soutien tacite ou actif d'une
frange de l'armée ; de la militarisation comme en Lybie de la
révolution et d'un soutien international, qui dans le cas camerounais
sera sans doute acquis étant donné que le régime BIYA
n'est pas en odeur de sainteté auprès du bloc occidental.
Scénario 4 : une action commando
C'est le scénario d'une action commando du type de
celle qui a été menée en 2009 en Guinée Bissau
contre la présidence de la République et qui s'est soldée
par un échec. C'est également le scénario de ces types
d'action auxquelles nous avaient habitué dans les années 80-90
les mercenaires des grandes puissances qui installaient et délogeaient
tel ou tel chef d'État ne servant pas leurs intérêts. C'est
aussi le scénario de multiples coups d'état fomentés en
Amérique latine par la CIA.
Au Cameroun, une telle action si elle est dirigée
contre la présidence peut difficilement réussir. Non seulement en
raison du positionnement géographique du palais présidentiel.
Mais aussi par le fait que Yaoundé est un hearthland. Les
commandos seront probablement aperçus avant d'arriver au lieu du combat.
Or la GP et la DSP étant alertées à l'avance, ils n'auront
aucune chance de succès. Le seul moyen de réussir une telle
action dans le contexte géopolitique et militaire de la
présidence du Cameroun est de bénéficier de l'effet de
surprise. Or les assaillants ne pourront pas bénéficier de cet
effet.
Tableau1 : Probabilité d'attaque de la
présidence de la République
|
TRES IMPROBABLE
|
IMPROBABLE
|
PLUTeT IMPROBABLE
|
PLrrer PROBABLE
|
PROBABLE
|
TRES PROBABLE
|
SCENARIO I
|
X
|
|
|
|
|
|
SCENARIO
2
|
|
|
|
|
X
|
|
SCENARIO
3
|
|
|
|
X
|
|
|
SCENARIO
4
|
|
|
X
|
|
|
X
|
TOTAL
|
X
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
Au vu de ce tableau, la conclusion que l'on peut en tirer,
c'est que la présidence de la République du Cameroun n'est pas
à l'abri d'une déstabilisation et pourrait ne pas résister
en cas d'attaque dans trois hypothèses. Qu'en est-il du cortège
présidentiel ?
Attaquabilité et inattaquabilité du
cortège présidentiel
Si l'attaque la présidence s'avère une
opération périlleuse, celle du cortège est comparativement
facile. Comme pour le précédent tableau, nous avons
dégagé quatre hypothèses correspondant à des
scénarios.
Scénario 1 : un déferlement
populaire
Que se passerait-il si la population de Yaoundé se
décidait à lyncher le cortège du président ? La
conclusion immédiate est que le président ne serait pas atteint.
D'abord parce que les passages présidentiels font l'objet d'un tel
filtrage des populations qui font la haie qu'en général ce sont
les partisans du pouvoir en place (RDPC) qui sont autorisés à
être présents. Et même si une telle action devait se
produire, la population se retrouverait dans les premiers moments de la
contestation en effectif numérique inférieur par rapport aux
forces de l'ordre qui de surcroit sont armées. Ce qui laisserait assez
de temps pour procéder à l'extraction du président et de
sa suite et les mettre à l'abri. Une telle initiative nous semble
à tous points de vue irrémédiablement vouée
à l'échec.
Scénario 2 : révolution de
palais
Le cortège du président peut-il résister
à une mutinerie de l'armée ou de la GP ? La réponse n'est
pas évidente et dépend de plusieurs facteurs. Dans un premier
temps, si le collectif hégémonique Béti-RDPC se
décidait à éliminer son « champion », via la
complicité de la DSP ou de la GP, c'est absolument certain, le
président serait déchu. En revanche, si l'armée se
décide à procéder à un coup d'état via
l'attaque du cortège présidentiel, il n'est pas absolument
certain qu'elle réussie sans la complicité de la GP et de la DSP.
Il est même fort possible qu'une telle action soit vouée à
l'échec. Les putschistes devront faire face en ce moment à une GP
bien entraînée et dévouée. L'issue de la bataille ne
sera pas décisive dans la mesure où même s'ils vainquent,
cela leur prendre beaucoup de temps. Lequel temps est assez suffisant pour
procéder à une extirpation du président. Les putschistes
ne pourront pas bénéficier des véhicules lourds
(Blindés, avions, hélicoptères), étant donné
que pendant les déplacements du président sur le territoire
national, la SEMIL veille à ce que tous les véhicules lourds de
la capitale soit neutralisés. Ce n'est donc que par la complicité
des éléments de la sécurité présidentielle
(DSP, GP) qu'une manoeuvre militaire contre le cortège a toutes ses
chances de réussir.
Scénario 3 : action d'un sniper
Un sniper peut-il dénicher le président durant
son déplacement dans la capitale ? Aucune réponse
définitive n'est possible. Et le fait que ce ne se soit jamais
passé ne signifie pas que ce ne soit pas possible. Même dans des
pays aux compétences sécuritaires avérées, il
arrive toujours que l'on puisse atteindre un chef d'état par le moyen
d'un tir à distance d'un sniper. Au Cameroun, l'utilisation des
limousines blindées annihile une telle hypothèse, sauf à
utiliser des moyens lourds comme les lance-roquettes. Du coup, le seul moyen de
réussir un tel coup est d'attendre le moment où le
président sort de son véhicule.
Scénario 4 : action commando
Enfin, une action commando peut-elle réussir contre le
cortège du président ? Ici également, comme dans le
précédent scénario, aucune réponse n'est
définitive. Toutefois, le dispositif policier et militaire du
cortège, de même que la surveillance de l'espace aérien de
la capitale accroit les contraintes opérationnelles d'une telle action.
Mais rien n'est jamais sûr dans cette matière. Ces derniers mois
ont vu un commando américain venir à bout de Ben Laden, sans que
le Pakistan ne soit au courant que son espace aérien était
entrain d'être violé.
Or, le Pakistan dispose de meilleurs radars et engins de
détection spatiaux que la Cameroun. Il semble qu'ici tout
dépendra de celui qui fera le coup.
Tableau2 : Probabilité d'attaque du
cortège présidentiel
|
TRES IMPROBABLE
|
IMPROBABLE
|
PLrror IMPROBABLE
|
PLrror PROBABLE
|
PROBABLE
|
TRES PROBABLE
|
SCENARIO I
|
X
|
|
|
|
|
|
SCENARIO
2
|
|
|
|
|
X
|
|
SCENARIO
3
|
|
|
|
X
|
|
|
SCENARIO
4
|
|
|
X
|
|
|
X
|
TOTAL
|
X
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO
Ce chapitre a évalué la place et le rôle
du BIR et de la GP dans la configuration sécuritaire
présidentielle. Depuis 1986, la gendarmerie nationale qui constituait la
force d'élite du Cameroun est tombée en disgrâce au profit
de l'armée. Le président a créé le SED qui remplace
la SEI. Aujourd'hui, c'est l'armée qui a le vent en pourpre, puisqu'elle
est venue à la rescousse du pouvoir à plusieurs reprises. Parmi
les militaires, le BIR et la GP se situent au coeur de la configuration du
pouvoir présidentiel. La GP comme le BIR sont des forces
spéciales parmi les mieux entraînées du Cameroun et de
l'Afrique. Si la GP a pour rôle exclusif la protection du
président, le BIR en revanche constitue une vraie force de
défense camerounaise. Il ressort de ce chapitre qu'à ce jour il
est l'atout majeur du Cameroun contre une agression éventuelle ou une
guerre civile intérieure.
CHAPITRE 4 LE BIR ET LA GP, HISTOIRE D'UNE FRAGILITE
DE LA DEFENSE DU CAMEROUN: RETROSPECTIVE ET PROSPECTIVE
« Toutes les armées étant les
premières du monde, seule l'épreuve du combat rétablir la
hiérarchie authentique entre elles ».138
Raymond ARON
Le précédent chapitre a fait état de
place du BIR et de la GP dans la configuration sécuritaire
présidentielle. Il a démontré que le BIR et la GP sont des
dispositifs essentiels dans la défense de la présidence de la
République et la pérennité de l'exécutif
gouvernant. Il a montré également que la GP joue à ce jour
un rôle névralgique dans la défense nationale ; que le BIR
constitue l'atout stratégique majeur du Cameroun. Présenté
ainsi, ce tableau occulte les nombreux actes d'indiscipline du BIR, les
clivages accentués entre ce corps et les forces
régulières. Présenté ainsi, ce tableau occulte la
symbolique préto-présidentielle de la GP qui accroit la fracture
entre l'armée et le peuple. Présenté ainsi, ce tableau
oublie de faire savoir qu'une fracture entre l'armée et le peuple serait
suicidaire pour un pays qui a adopté comme concept stratégique :
la défense populaire.
Cela nous conduit à réinterroger les motifs
officieux de la politique de défense du Cameroun et à
démêler l'écheveau de la totalisation sécuritaire du
président de la République. L'obsession sécuritaire
présidentielle et la philosophie politique du gouvernement
perpétuel expliquent la création et l'engraissement de ces corps
de défense. Toute chose étant égale par ailleurs, la
monopolisation présidentielle des FAC en général et du BIR
et la GP en particulier entraine la fragilité de la défense du
territoire. Le BIR et la GP deviennent à ce moment le talon d'Achille du
dispositif de défense et de sécurité camerounais.
Ce chapitre va présenter quelques
éléments de prospective sociopolitique, sociogéopolitique
et sociostratégique de la défense camerounaise (Section 2). Mais
avant, une rétrospective sociologique et historique est
nécessaire (Section 1).
138 ARON Raymond, Paix et guerre entre les
nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984, p. 64.
SECTION I ENDOSCOPIE ET ARCHEOLOGIE DE LA DEFENSE
ET LA SECURITE AU CAMEROUN
L'étude archéologique de la défense et
sécurité du Cameroun croise deux moments : la défense du
Cameroun précolonial et colonial ; et la défense du Cameroun
postcolonial, notamment durant le conflit de BAKASSI. Cette étude permet
de faire aisément la chirurgie endoscopique des capacités
camerounaises de défense et de sécurité.
I- Une lecture archéologique de la défense
et de la sécurité du Cameroun
La littérature sur la défense du Cameroun
pendant la période précoloniale et coloniale est maigre. En
revanche, lorsqu'il s'agit de parler d'une question plus récente comme
le conflit BAKASSI, il ne manque pas quoi lire et qui interviewé.
I.A- La défense du Kamerun précolonial et
colonial
Il n'existe quasiment aucun document sur la défense du
Cameroun précolonial et colonial. Cela peut s'expliquer aisément,
vu que l'armée camerounaise est née en 1959. Avant cette date, il
n'existait pas d'armée camerounaise. Le Cameroun de cette époque
étant alors sous mandat des Nations Unies. L'histoire du nationalisme,
du protonationalisme, de la résistance à la
pénétration allemande dans le Nord du Cameroun est fort utile en
ce moment d'errance et de cécité stratégique. L'objectif
ici est de s'interroger sur les arts de faire la défense en Afrique et
au Cameroun avant la modernité occidentale. Cela revient à
s'inspirer des victoires militaires africaines et camerounaises face à
l'occident.
Parmi les faits marquants de la proto-défense
camerounaise, c'est-à-dire de 1474 à 1919, l'histoire de la
résistance armée BAKWERI (1891-1894) au colonialisme allemand est
fort instructive. L'histoire de la résistance militaire des BAKWERI
contre les Allemands est également l'histoire du chef KUVA LIKENYE de
Buea. La défaite épique des forces Allemandes en 1891 demeure
l'un des chapitres les plus glorieux de l'histoire militaire du Cameroun. La
première guerre Bakweri-allemande de 1891 a ses origines dans le
désir du gouvernement colonial allemand d'occuper le territoire autour
du Mont Cameroun. Ce territoire est stratégique par la richesse du sol
et du sous-sol. Le casus bellus BakweriAllemagne est d'ordre
géoéconomique.
En novembre 1891 une force expéditionnaire allemande,
menée par le Commandant Karl FREIHER GRAVENREUTH, est envoyée
pour combattre les poches de résistance et
faire une démonstration de force. Le contingent
allemand a également inclus les soldats du Dahomey, du Togo et de la
Sierra Leone qui avaient débarqué quelques jours plus tôt
au port de Victoria (Limbe). Quand le chef KUVA LIKENYE s'est rendu compte de
l'attaque imminente des forces allemandes, il a disposé ses hommes
(environ 400, tous des paysans locaux). Un accrochage mémorable eut lieu
au ravin de NAMONGE. Malgré les forces allemandes supérieures,
les hommes de KUVA LIKENYE ont tenu leur terre et stoppé
l'avancée allemande à Buea. Le commandant allemand, Karl FREIHER
GRANVENREUTH, fut tué. Pendant les trois années à venir,
les BAKWERI ont tenu les Allemands en échec, les empêchant de
s'implanter sérieusement dans la région. Cette défaite eut
des répercussions importantes pour la suite de la colonisation
Allemande, en effet les troupes auraient du s'implanter plus loin à
l'intérieur du pays, afin de contrecarrer les mouvements
Français. En mars 1894, l'Allemagne signe un accord, avec la France, qui
fixe la frontière orientale du Cameroun bien plus étroitement que
prévu. Grâce à leur victoire sur les forces
impérialistes Allemandes, les BAKWERI ont, avec succès, ralenti
l'avance des Allemands dans l'intérieur du pays camerounais.
Dans l'histoire de la pénétration allemande, le
14 juillet 1884 correspond à la signature du traité
germano-camerounais. Le drapeau Allemand est planté sur le plateau JOSS.
Jusqu'en 1907, les Allemands vont explorer le Cameroun et délimiter ses
frontières en passant des accords avec la France et l'Angleterre.
Cependant, les militaires allemands ont fait face à plusieurs
résistances. Parmi elles ont peut citer :
- Les DOUALA avec l'exécution de DOUALA MANGA BELL ;
- Au sud avec les exécutions de MADOLLA et Martin Paul
SAMBA ; - Les BASSA et les BAKOKO ;
- Les LAMIDO de TIBATI, de NGAOUNDERE et de REY BOUBA.
Au Cameroun récent, c'est-à-dire
franco-britannique, la défense a été essentiellement
assurée par les empires coloniaux. L'entreprise coloniale a
été une entreprise de fabrication du Cameroun actuel. La tutelle
et le mandat des Nations Unies ont contribué à la fabrication de
ce pays. Toutefois, l'histoire des nationalismes africains et camerounais
représente une école pour la construction de la défense
nationale camerounaise. Lorsque Pierre SEMENGUE raconte sa lutte contre l'UPC
dans le maquis, un détail retient l'attention. Pour lui, la
troisième période rebelle était mal organisée et
n'as pas fait d'escarmouche. Il n'a pas eu du mal à la mater. Or cette
période était conduite par des nationalistes modernes,
c'est-à-dire
ayant appris la science du blanc. Ils disposaient de plus de
moyens financiers, de plus de logistique et matériel de guerre que les
deux premières rébellions, mais ils n'ont pas pu inquiéter
l'armée. Pourtant, SEMENGUE reconnait qu'il a eu le plus grand mal
à venir à bout des deux premières rébellions, qui
étaient certes beaucoup moins armées et équipées
que la troisième, mais ont énormément
inquiété le pouvoir colonial. A cet effet, de YETNA LEBA et du
Commandant KISSAMBA, il affirme : « ces paysans étaient très
rustiques. Ils étaient peu nombreux et avaient très peu de
moyens, mais ils réussissaient toujours à nous échapper.
C'était vraiment difficile de comprendre leur stratégie
».139 Rappelons que ces propos sont ceux d'un officier
général camerounais qui a fait l'une des meilleures écoles
de formation militaire occidentale, à savoir Saint Cyr. Il reconnait
avoir déjoué aisément la troisième rébellion
plus encline aux techniques occidentales de la guerre. Mais avoir eu beaucoup
de peine à venir à bout d'une rébellion de paysans peu
équipés et peu nombreux.
139 ATEBA EYENE Charles, Op. cit., 2006.
I.B- La défense du Kamerun postcolonial : affaire
Bakassi
La frontière camerouno-nigériane longue de 1690 Km
a fait l'objet d'un conflit
juridico-politique et militaire entre le Cameroun et le
Nigéria. Le conflit qui a débuté le 16 mai 1981 connait
son apogée en 1996 avec la riposte camerounaise à l'agression
nigériane. Ce conflit s'est achevé le 14 août 2008 par la
décision de la CIJ de rétrocéder la péninsule
querellée au Cameroun. Le tableau ci-dessous fait un état des
lieux des forces en présence.
Tableau3 : Les effectifs des forces camerounaises
et nigérianes en 1994.
DEFENSE
|
CAMEROUN
|
NIGERIA
|
EFFECTIF TOTAL
|
28 000
|
85 000
|
ARMEE DE TERRE
|
14 000
|
62 000
|
ARMEE DE L'AIR
|
1500
|
7300
|
GARDE NATI ONALE
|
/
|
7000
|
GENDARMERIE
|
11 000
|
/
|
MARINE NATIONALE
|
EFFECTIF TOTAL
|
1600
|
9500
|
FREGATES
|
/
|
2
|
CORVETTES
|
/
|
2
|
VEDETTES LANCE MISSILES
|
/
|
6
|
GARDES coTES
|
2
|
53
|
NAVIRES PORTEURS DE MINES
|
/
|
2
|
PATROUILLEURS
|
1
|
/
|
PATROUILLEURS PORTEr MISSILES
|
1
|
/
|
Source : Emmanuel ELA ELA
Ce que l'on ignore, c'est que le Cameroun n'a pas que
gagné cette guerre sur le terrain juridique et politique. De fait, sans
l'action des forces armées camerounaises qui ont repoussé les
forces nigérianes, qui avaient déjà
pénétré à 10 Km du territoire, la décision
de la CIJ
140
ELA ELA Emmanuel, Op. cit., 2001, p. 68.
n'aurait pas été aussi facilement
acceptée. Le conflit de Bakassi met aux prises la
12ème puissance militaire africaine à la
7ème. Elle met aux prises la deuxième économie
africaine à la 21ème. Elle met aux prises 135 millions
d'habitants à 14 millions. Lorsque le Président SANI ABACHA du
Nigéria lance en 1993 l'opération HARMONY IV, il mobilise 3
bataillons d'infanterie mécanisée et 1 bataillon amphibie pour
l'armée de terre. Les forces aériennes sont dotées
d'hélicoptères de transport et d'assaut ;
d'hélicoptères de type Puma, Lynx ; Alpha Jets ; MIG 21. Ces
forces possédaient également des canons de 155 mm dont la
portée de tir en cas de tir atteignait la zone camerounaise. Le
Nigéria mobilise en somme 10 000 hommes, des moyens aériens, des
vedettes rapides, des bâtiments de guerre ; et surtout le JONATHAN.
La riposte camerounaise prend l'appellation d'opération
DELTA. Le Cameroun mobilise 3 groupements de combat, 1 compagnie du BBR, 1
compagnie du BTAP, 1 compagnie des FMC, 2 Batterie d'Artillerie Sol-Sol, 2
Sections du Génie Combat, 1 Batterie d'Artillerie Sol-Air, 1
Détachement Milan du 51ème Bataillon
Interarmées (BIA), 1 section Prévôté à Shell
Creek et 1 Division de 45 vedettes et embarcations rapides (DIVET). Au total,
les forces camerounaises mobilisent 5000 hommes, 3 avions de combat Alpha Jets,
7 hélicoptères Puma et Gazelle. La résistance de
l'armée camerounaise, malgré le déséquilibre du
rapport de force repose sur l'efficacité politique et
stratégique, l'efficacité opérative et l'efficacité
tactique des FAC, et sur les faiblesses nigérianes. En effet, les FAC
disposaient d'une meilleure soldatesque que les FAN. Si l'on observe le tableau
ci-dessous, on se rend compte que le Cameroun dépense deux fois plus
d'argent par militaire que le Nigéria. En dehors du plan financier, les
soldats Cameroun étaient beaucoup mieux formés que ceux du
Nigéria. Un Officier camerounais met en moyenne 2 ans pour sa formation
contre 6 mois pour le Nigéria. Un simple soldat met 9 mois contre 45
jours pour le Nigéria. La capacité tactique et
opérationnelle des officiers généraux camerounais a
pesé sur l'issu du conflit. Dans cette guerre, le Cameroun a perdu 200
à 300 hommes, dont 120 en décembre 1993. La guerre a fait
plusieurs disparus et près de 200 prisonniers de guerre. Le Cameroun a
également perdu 3 hélicoptères, 1 Sweep Ship, des
armes et des munitions. Du côté du Nigéria on
dénombre 3000 morts, dont 2000 lors de la contre-attaque camerounaise de
mars 1996, des centaines de prisonniers et disparus, le Jonathan, des armes et
munitions.
La souveraineté camerounaise ayant été
reconnue par l'arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 et par l'accord de
Greentree du 14 août 2008, BAKASSI a été
rétrocédé au Cameroun.
Tableau4 : État des défenses
nigériane et camerounaise en 2006.141
DEFENSE
|
CAMEROUN
|
|
NIGERIA
|
|
EFFECTIF TOTAL
|
14 000
|
|
78 500
|
|
BUDGET
|
197 MILLIONS
DOLLARS
|
DE
|
572 MILLIONS
DOLLARS
|
DE
|
DEPENSES MILITAIRES
|
1,63% DE PNB
|
|
1,92% DE PNB
|
|
EVOLUTION DU BUDGET DE LA
DEFENSE
|
+5%
|
|
+22, 58%
|
|
DEPENSES MILITAIRES PAR HABITANT
|
12 DOLLARS
|
|
4 DOLLARS
|
|
DEPENSES MILITAIRES PAR MILITAIRE
|
14 071 DOLLARS
|
|
7287 DOLLARS
|
|
ARMEE DE TERRE
|
EFFECTIFS
|
12 500
|
|
62 000
|
|
VEHICULES BLINDES
|
110
|
|
9500
|
|
FORCES AERIENNES
|
EFFECTIFS
|
300
|
|
9500
|
|
ANIONS DE
COMBAT
|
4
|
|
50
|
|
MARINE NATIONALE
|
EFFECTIFS
|
1300
|
|
7000
|
|
SOUS MARINS
|
2
|
|
/
|
|
CORVETTES
|
/
|
|
5
|
|
FREGATES
|
/
|
|
1
|
|
Source : Ernest Claude
MESSINGA142.
|