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Le BIR et la GP dans la politique de défense et de sécurité du Cameroun. Socioanalyse du rôle présidentiel, des concepts stratégiques et d'emploi des forces

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par Hans de Marie HEUNGOUP
Université catholique d'Afrique centrale - Master en gouvernance et politiques publiques 2011
  

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II. Le palais d'Étoudi et le cortège présidentiel dans le sillage de l'ostentation

sécuritaire

Depuis avril 1984, le coeur du système bat d'abord pour la sécurité de son chef. Il est question ici d'étudier les lieux privilégiés de la manifestation de la puissance sécuritaire du président de la République. Il s'agit du cortège présidentiel et du palais d'Étoudi. Mais avant, il est sied d'évoquer une marque particulière du dispositif de sécurité présidentiel : l'ostentation.

II.A- L'ostentation sécuritaire : entre dissuasion et autoreprésentation du pouvoir

L'ostentation est une marque de fabrique du dispositif de sécurité présidentiel au Cameroun. L'ostentation se définit ici en termes de nombre d'appareils et de moyens logistiques, humains et de guerre qui sont mobilisés pour la défense du palais ou les sorties du président, et qui tendent à être montrés aux populations. Tout se passe comme s'il était question d'envoyer un message aux populations. Cette «starisation» du cortège et de la sécurité présidentiels peut se lire sous les prismes multiples. La dissuasion semble être le premier effet recherché.

En ce moment, la première menace et le premier danger qui guette la sécurité du président n'est pas un éventuel sniper ou une tentative de déstabilisation depuis l'extérieur, mais la population camerounaise. Si cette population ne peut s'exprimer par la voie des urnes, un acte déferlement massif des populations sur le convoie présidentiel ou un acte de lynchage comme cela s'est produit en République Centrafricaine sous le régime de Jean BEDEL BOKASSA, n'est pas à exclure. La musculation du dispositif de sécurité du président et son exposition participent indubitablement d'une stratégie de dissuasion, afin de créer un sentiment d'« indétronabilité » : c'est la construction fantasmée de l'invincibilité du président.

Cet étalage sécuritaire peut également être compris comme une autoreprésentation du pouvoir présidentiel, productrice d'hégémonie symbolique. Le temps et les activités s'arrêtent au passage du cortège du président. Ceci est particulièrement sensible à Yaoundé, dans la mesure où il n'y a pas suffisamment de routes. L'axe central qui va de la Poste centrale à MVAN est cardinal pour la circulation des biens et des personnes. Et une fois qu'il est bloqué, ce sont les activités et le temps qui sont suspendus. L'effet recherché, c'est la réaffirmation de la prééminence présidentielle. Fortement militarisée, la sécurité du président mobilise tous les appareils de sécurité et de défense, et particulièrement la GP et le BIR depuis février 2008. Il se pose alors la question de l'efficacité du dispositif sécuritaire présidentiel.

II.B- Attaquabilité et inattaquabilité du cortège présidentiel et du palais d'ÉtoudiPeut-on mener avec succès une attaque contre le cortège du président ou la présidence
de la République au Cameroun? D'entrée de jeu, la réponse est positive. Tout dépend des moyens que l'on serait capable de mobiliser et de la coordination de ses moyens.

Attaquabilité et inattaquabilité de la présidence de la République

Parler d'attaquabilité et d'inattaquabilité de la présidence de la République du Cameroun relève en quelque sorte de la science fiction. Mais en fonction des données disponibles, l'on peut tout de même dégager quatre scénarios d'attaquabilité ou d'inattaquabilité.

Scénario 1 : l'hypothèse du 06 avril 1984

Une répétition du 06 avril 1984 peut-elle avoir raison de la présidence et du président ? Il ne peut y avoir de réponse définitive, sauf à avoir accès à toutes les informations de défense et de sécurité du palais d'une part ; et toutes les informations sur le nombre, la logistique, la chaine de commandement et la manoeuvre tactique et opérationnelle des assaillants, d'autre part. Toutefois, à partir de ce qui ce donne à observer, on peut faire des simulations.

L'hypothèse d'une révolution de palais, c'est-à-dire au sein du clan présidentiel et précisément du groupe Béti, est fort peu envisageable ; étant donné que la solution de rechange ne satisferait pas forcément l'opinion nationale et internationale, qui espère que le pouvoir revienne à une autre région. Les risques d'un embrasement du pays sont donc réels. Mais si jamais par surprise, les éléments de la GP, sous la houlette du commandant AMOUGOU Noël, décidaient d'évincer le président actuel, celui-ci aurait très peu de chance d'échapper à une destitution. Ceci pour trois raisons. Primo, en 1984, le président Paul BIYA avait bénéficié du soutien général de l'armée, parce que celle-ci, dirigée par un Béti, voyait dans le coup d'état, une tentative de prise de pouvoir par le Nord, soit un rétablissement de l'ancien président AHIDJO au pouvoir. Ce qui n'allait pas forcément dans le sens de leurs intérêts. Non seulement pour des raisons claniques, mais aussi parce qu'AHIDJO n'aurait pas manqué de sanctionner ceux qui l'avaient raillé quand il n'avait plus le pouvoir. L'armée dirigée par un Pierre SEMENGUE qui vient à la rescousse du président n'a presque pas le choix. En le faisant, les militaires consolidaient certes la dimension régionale du pouvoir politique, mais ils sauvaient aussi leur tête, notamment les officiers généraux. Or, si la révolution venait de l'Inside, c'est-à-dire de l'armée et du clan Béti matérialisé par la GP, les

chances d'un soutien massif de l'armée au président seraient minces. On l'a vue en février 2008, il a fallu déplacer le BIR et Koutaba pour sécuriser la présidence, alors que les éléments des forces de défense et de sécurité présents avaient toute la logistique pour faire ce travail. C'est dire qu'il pourrait avoir une entente tacite entre la soldatesque et les putschistes, dans la mesure où le marasme économique affecte aussi l'armée. L'embourgeoisement dont il est souvent fait question concerne les officiers généraux et les officiers supérieurs. Quid du reste de l'armée ? Deuxio, le président Paul BIYA bénéficiait en 1984 d'un certain état de grâce. La propagande contre l'ex président marchait bien, et les camerounais dans leur large majorité avait accueilli très bien l'homme du renouveau, de la rigueur et de la moralisation. Un coup d'état même réussi aurait été impopulaire. Il n'est pas certain que ce soit le cas aujourd'hui. L'impopularité et l'illégitimité chronique dont jouissent le président et l'équipe gouvernementale fait qu'un coup d'état pourrait être apprécié come une délivrance par les populations. Tertio, la GP d'aujourd'hui aurait un avantage opérationnel que n'eût pas la GR d'hier : elle ajusterait son coup en tenant compte du déroulement de la tentative du 06 avril. En fonction de celle-ci, elle pourrait anticiper la réaction du reste de l'armée et corriger les erreurs que furent les putschistes de la GR en 1984.

Scénario 2 : le 06 avril 1984 inversé

Que se passerait-il si l'armée tentait de prendre le pouvoir, sans la complicité de la GP ? Il est difficile d'envisager une révolution de palais, sans une complicité de la GP en raison des arguments sus-évoqués. Dans ce cas, la GP peut-elle faire échec à une tentative de prise de pouvoir par l'armée ? Et quelles en seraient les conséquences ?

Déjà l'armée au Cameroun n'est pas un groupe homogène, et c'est véritablement à juste titre que l'on parle des forces armées du Cameroun. Non seulement cette homogénéité n'est pas acquise, mais elle l'est encore moins si l'on tient compte des forces spéciales, qui ne dépendent pas du MINDEF, mais directement de la présidence. De surcroit, le positionnement stratégique des membres de l'ethnie présidentielle et des fidèles du président depuis 1984 comme Yvo DESCANCIO anéantit cette possibilité. En effet, l'hypothèse d'une armée en corps qui foncerait droit sur le palais d'Étoudi ou le cortège présidentiel est réduite à néant, en raison des choix d'alliance et des contraintes opérationnelles. Mais si jamais, il advenait une « crise hégémonique »135, marquée par la rupture du contrat d'alliance entre l'armée et le pouvoir en place, même dans ce cas, les chances d'une destitution du président ne seraient pas

135 Au sens de BAYART Jean-François, L'État au Cameroun, Paris, PFNSP, 1985.

acquises. Tout dépendrait alors du comportement du BIR qui, pour l'instant, est acquis au président de la République. Si le BIR se range du côté des putschistes, le président pourrait tomber. Les 2000 hommes que constitue la GP peuvent certes prendre le maquis, mais on imagine mal un Paul BIYA, l'homme de la bourgeoisie, entrain de prendre les costumes du rebelle. Si en revanche le BIR se range du côté du pouvoir en place, la donne sera plus complexe pour les putschistes. Ils auraient alors à faire à une armée de 6000 hommes mieux entrainée et mieux équipée qu'eux. Le pays pourrait alors en ce moment durablement se diviser et deux facteurs pourraient faire pencher la balance du côté des putschistes : le soutien de la population et le soutien des puissances étrangères aux putschistes.

Scénario 3 : une révolution du type printemps arabe

C'est le scénario d'une révolution globale des populations qui se décideraient par exemple à en découdre avec le locataire d'Étoudi. Une telle action peu difficilement aboutir, étant donné le niveau élevé du renseignement camerounais; du moins en ce qui concerne les actions de déstabilisation interne. L'hypothèse du peuple en corps convergeant vers Étoudi est peu vraisemblable pour deux raisons. D'une part, l'armée et la police feraient l'effort de circonscrire les populations de chaque région de manière à ce qu'elles n'atteignent pas Yaoundé. D'autre part, un dispositif spécial GP et BIR, ajouté au BQG et aux forces de sécurité de la capitale a toutes les chances de contenir la population de la ville ; ce d'autant que les forces armées n'hésitent souvent pas à tirer à balles réelles sur les populations. De surcroit, historiquement Yaoundé n'a pas souvent été le foyer de la contestation au Cameroun. C'est plutôt à Douala que revient ce titre. Les émeutes de février 2008 sont le seul cas de l'histoire récente du Cameroun où Yaoundé a été associé aux manifestations et revendications populaires. Par ailleurs le système néopatrimonial a pénétré la plupart des corps sociaux ; de sorte que dans le cadre d'une action collective il est fort probable que chacun cherche à profiter des bénéfices de la mobilisation sans pour autant supporter le coût : c'est la logique du free rider qui pourrait dominer.136 Autre handicap, le système néopatrimonial fait qu'il n'est pas exclut que quelques figures éminentes de la protestation se laissent corrompre137, ou à défaut que prévale à un certain moment la logique du chacun pour soi. De fait, l'histoire de mobilisations sociales au Cameroun, montre que les entrepreneurs de l'action citoyenne n'ont

136 Voir OLSON MANCUR, La logique d'action collective.

137 La corruption des entrepreneurs de la mobilisation constitue une des ressources du gouvernement perpétuel camerounais. Cette corruption peut s'effectuer sous la forme monétaire, comme avec les leaders de mobilisations estudiantines ou les chefs de file de l'opposition. Elle peut aussi prendre la forme des avantages en nature, comme une proposition de nomination ministérielle pour un entrepreneur politique contestataire ou encore une proposition de bourse d'étude à l'étranger pour un chef de fil d'une mobilisation estudiantine.

pas souvent su régler les problèmes qui naissent à l'occasion de l'action collective, et surtout la fameuse question de l'usure du mouvement sur laquelle le pouvoir en place s'appuie toujours. Février 2008 est l'exemple même d'une mobilisation qui aurait pu aboutir à une conjoncture fluide si elle était suffisamment encadrée et manoeuvrée. Enfin, l'autre aspect est celui de la liquidation ou de l'emprisonnement d'éventuels leaders d'un tel mouvement. En février 2008, dès le début des manifestations, le pouvoir a tôt fait d'arrêter et d'emprisonner MBOUA MASSOCK. De telles manoeuvres sont de nature à saupoudrer l'action déstabilisatrice, dans la mesure où les populations se retrouveraient sans leader et expert pour conduire la révolution à son terme. Cependant, le pouvoir peut vaciller si trois situations cumulatives se produisent. Il peut s'agir du soutien tacite ou actif d'une frange de l'armée ; de la militarisation comme en Lybie de la révolution et d'un soutien international, qui dans le cas camerounais sera sans doute acquis étant donné que le régime BIYA n'est pas en odeur de sainteté auprès du bloc occidental.

Scénario 4 : une action commando

C'est le scénario d'une action commando du type de celle qui a été menée en 2009 en Guinée Bissau contre la présidence de la République et qui s'est soldée par un échec. C'est également le scénario de ces types d'action auxquelles nous avaient habitué dans les années 80-90 les mercenaires des grandes puissances qui installaient et délogeaient tel ou tel chef d'État ne servant pas leurs intérêts. C'est aussi le scénario de multiples coups d'état fomentés en Amérique latine par la CIA.

Au Cameroun, une telle action si elle est dirigée contre la présidence peut difficilement réussir. Non seulement en raison du positionnement géographique du palais présidentiel. Mais aussi par le fait que Yaoundé est un hearthland. Les commandos seront probablement aperçus avant d'arriver au lieu du combat. Or la GP et la DSP étant alertées à l'avance, ils n'auront aucune chance de succès. Le seul moyen de réussir une telle action dans le contexte géopolitique et militaire de la présidence du Cameroun est de bénéficier de l'effet de surprise. Or les assaillants ne pourront pas bénéficier de cet effet.

Tableau1 : Probabilité d'attaque de la présidence de la République

 

TRES
IMPROBABLE

IMPROBABLE

PLUTeT
IMPROBABLE

PLrrer
PROBABLE

PROBABLE

TRES
PROBABLE

SCENARIO
I

X

 
 
 
 
 

SCENARIO

2

 
 
 
 

X

 

SCENARIO

3

 
 
 

X

 
 

SCENARIO

4

 
 

X

 
 

X

TOTAL

X

 

X

X

X

X

Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO

Au vu de ce tableau, la conclusion que l'on peut en tirer, c'est que la présidence de la République du Cameroun n'est pas à l'abri d'une déstabilisation et pourrait ne pas résister en cas d'attaque dans trois hypothèses. Qu'en est-il du cortège présidentiel ?

Attaquabilité et inattaquabilité du cortège présidentiel

Si l'attaque la présidence s'avère une opération périlleuse, celle du cortège est comparativement facile. Comme pour le précédent tableau, nous avons dégagé quatre hypothèses correspondant à des scénarios.

Scénario 1 : un déferlement populaire

Que se passerait-il si la population de Yaoundé se décidait à lyncher le cortège du président ? La conclusion immédiate est que le président ne serait pas atteint. D'abord parce que les passages présidentiels font l'objet d'un tel filtrage des populations qui font la haie qu'en général ce sont les partisans du pouvoir en place (RDPC) qui sont autorisés à être présents. Et même si une telle action devait se produire, la population se retrouverait dans les premiers moments de la contestation en effectif numérique inférieur par rapport aux forces de l'ordre qui de surcroit sont armées. Ce qui laisserait assez de temps pour procéder à l'extraction du président et de sa suite et les mettre à l'abri. Une telle initiative nous semble à tous points de vue irrémédiablement vouée à l'échec.

Scénario 2 : révolution de palais

Le cortège du président peut-il résister à une mutinerie de l'armée ou de la GP ? La réponse n'est pas évidente et dépend de plusieurs facteurs. Dans un premier temps, si le collectif hégémonique Béti-RDPC se décidait à éliminer son « champion », via la complicité de la DSP ou de la GP, c'est absolument certain, le président serait déchu. En revanche, si l'armée se décide à procéder à un coup d'état via l'attaque du cortège présidentiel, il n'est pas absolument certain qu'elle réussie sans la complicité de la GP et de la DSP. Il est même fort possible qu'une telle action soit vouée à l'échec. Les putschistes devront faire face en ce moment à une GP bien entraînée et dévouée. L'issue de la bataille ne sera pas décisive dans la mesure où même s'ils vainquent, cela leur prendre beaucoup de temps. Lequel temps est assez suffisant pour procéder à une extirpation du président. Les putschistes ne pourront pas bénéficier des véhicules lourds (Blindés, avions, hélicoptères), étant donné que pendant les déplacements du président sur le territoire national, la SEMIL veille à ce que tous les véhicules lourds de la capitale soit neutralisés. Ce n'est donc que par la complicité des éléments de la sécurité présidentielle (DSP, GP) qu'une manoeuvre militaire contre le cortège a toutes ses chances de réussir.

Scénario 3 : action d'un sniper

Un sniper peut-il dénicher le président durant son déplacement dans la capitale ? Aucune réponse définitive n'est possible. Et le fait que ce ne se soit jamais passé ne signifie pas que ce ne soit pas possible. Même dans des pays aux compétences sécuritaires avérées, il arrive toujours que l'on puisse atteindre un chef d'état par le moyen d'un tir à distance d'un sniper. Au Cameroun, l'utilisation des limousines blindées annihile une telle hypothèse, sauf à utiliser des moyens lourds comme les lance-roquettes. Du coup, le seul moyen de réussir un tel coup est d'attendre le moment où le président sort de son véhicule.

Scénario 4 : action commando

Enfin, une action commando peut-elle réussir contre le cortège du président ? Ici également, comme dans le précédent scénario, aucune réponse n'est définitive. Toutefois, le dispositif policier et militaire du cortège, de même que la surveillance de l'espace aérien de la capitale accroit les contraintes opérationnelles d'une telle action. Mais rien n'est jamais sûr dans cette matière. Ces derniers mois ont vu un commando américain venir à bout de Ben Laden, sans que le Pakistan ne soit au courant que son espace aérien était entrain d'être violé.

Or, le Pakistan dispose de meilleurs radars et engins de détection spatiaux que la Cameroun. Il semble qu'ici tout dépendra de celui qui fera le coup.

Tableau2 : Probabilité d'attaque du cortège présidentiel

 

TRES
IMPROBABLE

IMPROBABLE

PLrror
IMPROBABLE

PLrror
PROBABLE

PROBABLE

TRES
PROBABLE

SCENARIO
I

X

 
 
 
 
 

SCENARIO

2

 
 
 
 

X

 

SCENARIO

3

 
 
 

X

 
 

SCENARIO

4

 
 

X

 
 

X

TOTAL

X

 

X

X

X

X

Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO

Ce chapitre a évalué la place et le rôle du BIR et de la GP dans la configuration sécuritaire présidentielle. Depuis 1986, la gendarmerie nationale qui constituait la force d'élite du Cameroun est tombée en disgrâce au profit de l'armée. Le président a créé le SED qui remplace la SEI. Aujourd'hui, c'est l'armée qui a le vent en pourpre, puisqu'elle est venue à la rescousse du pouvoir à plusieurs reprises. Parmi les militaires, le BIR et la GP se situent au coeur de la configuration du pouvoir présidentiel. La GP comme le BIR sont des forces spéciales parmi les mieux entraînées du Cameroun et de l'Afrique. Si la GP a pour rôle exclusif la protection du président, le BIR en revanche constitue une vraie force de défense camerounaise. Il ressort de ce chapitre qu'à ce jour il est l'atout majeur du Cameroun contre une agression éventuelle ou une guerre civile intérieure.

CHAPITRE 4
LE BIR ET LA GP, HISTOIRE D'UNE FRAGILITE DE LA DEFENSE DU
CAMEROUN: RETROSPECTIVE ET PROSPECTIVE

« Toutes les armées étant les premières du monde, seule l'épreuve du combat rétablir la hiérarchie authentique entre elles ».138

Raymond ARON

Le précédent chapitre a fait état de place du BIR et de la GP dans la configuration sécuritaire présidentielle. Il a démontré que le BIR et la GP sont des dispositifs essentiels dans la défense de la présidence de la République et la pérennité de l'exécutif gouvernant. Il a montré également que la GP joue à ce jour un rôle névralgique dans la défense nationale ; que le BIR constitue l'atout stratégique majeur du Cameroun. Présenté ainsi, ce tableau occulte les nombreux actes d'indiscipline du BIR, les clivages accentués entre ce corps et les forces régulières. Présenté ainsi, ce tableau occulte la symbolique préto-présidentielle de la GP qui accroit la fracture entre l'armée et le peuple. Présenté ainsi, ce tableau oublie de faire savoir qu'une fracture entre l'armée et le peuple serait suicidaire pour un pays qui a adopté comme concept stratégique : la défense populaire.

Cela nous conduit à réinterroger les motifs officieux de la politique de défense du Cameroun et à démêler l'écheveau de la totalisation sécuritaire du président de la République. L'obsession sécuritaire présidentielle et la philosophie politique du gouvernement perpétuel expliquent la création et l'engraissement de ces corps de défense. Toute chose étant égale par ailleurs, la monopolisation présidentielle des FAC en général et du BIR et la GP en particulier entraine la fragilité de la défense du territoire. Le BIR et la GP deviennent à ce moment le talon d'Achille du dispositif de défense et de sécurité camerounais.

Ce chapitre va présenter quelques éléments de prospective sociopolitique, sociogéopolitique et sociostratégique de la défense camerounaise (Section 2). Mais avant, une rétrospective sociologique et historique est nécessaire (Section 1).

138 ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984, p. 64.

SECTION I ENDOSCOPIE ET ARCHEOLOGIE DE LA DEFENSE ET LA SECURITE AU CAMEROUN

L'étude archéologique de la défense et sécurité du Cameroun croise deux moments : la défense du Cameroun précolonial et colonial ; et la défense du Cameroun postcolonial, notamment durant le conflit de BAKASSI. Cette étude permet de faire aisément la chirurgie endoscopique des capacités camerounaises de défense et de sécurité.

I- Une lecture archéologique de la défense et de la sécurité du Cameroun

La littérature sur la défense du Cameroun pendant la période précoloniale et coloniale est maigre. En revanche, lorsqu'il s'agit de parler d'une question plus récente comme le conflit BAKASSI, il ne manque pas quoi lire et qui interviewé.

I.A- La défense du Kamerun précolonial et colonial

Il n'existe quasiment aucun document sur la défense du Cameroun précolonial et colonial. Cela peut s'expliquer aisément, vu que l'armée camerounaise est née en 1959. Avant cette date, il n'existait pas d'armée camerounaise. Le Cameroun de cette époque étant alors sous mandat des Nations Unies. L'histoire du nationalisme, du protonationalisme, de la résistance à la pénétration allemande dans le Nord du Cameroun est fort utile en ce moment d'errance et de cécité stratégique. L'objectif ici est de s'interroger sur les arts de faire la défense en Afrique et au Cameroun avant la modernité occidentale. Cela revient à s'inspirer des victoires militaires africaines et camerounaises face à l'occident.

Parmi les faits marquants de la proto-défense camerounaise, c'est-à-dire de 1474 à 1919, l'histoire de la résistance armée BAKWERI (1891-1894) au colonialisme allemand est fort instructive. L'histoire de la résistance militaire des BAKWERI contre les Allemands est également l'histoire du chef KUVA LIKENYE de Buea. La défaite épique des forces Allemandes en 1891 demeure l'un des chapitres les plus glorieux de l'histoire militaire du Cameroun. La première guerre Bakweri-allemande de 1891 a ses origines dans le désir du gouvernement colonial allemand d'occuper le territoire autour du Mont Cameroun. Ce territoire est stratégique par la richesse du sol et du sous-sol. Le casus bellus BakweriAllemagne est d'ordre géoéconomique.

En novembre 1891 une force expéditionnaire allemande, menée par le Commandant Karl FREIHER GRAVENREUTH, est envoyée pour combattre les poches de résistance et

faire une démonstration de force. Le contingent allemand a également inclus les soldats du Dahomey, du Togo et de la Sierra Leone qui avaient débarqué quelques jours plus tôt au port de Victoria (Limbe). Quand le chef KUVA LIKENYE s'est rendu compte de l'attaque imminente des forces allemandes, il a disposé ses hommes (environ 400, tous des paysans locaux). Un accrochage mémorable eut lieu au ravin de NAMONGE. Malgré les forces allemandes supérieures, les hommes de KUVA LIKENYE ont tenu leur terre et stoppé l'avancée allemande à Buea. Le commandant allemand, Karl FREIHER GRANVENREUTH, fut tué. Pendant les trois années à venir, les BAKWERI ont tenu les Allemands en échec, les empêchant de s'implanter sérieusement dans la région. Cette défaite eut des répercussions importantes pour la suite de la colonisation Allemande, en effet les troupes auraient du s'implanter plus loin à l'intérieur du pays, afin de contrecarrer les mouvements Français. En mars 1894, l'Allemagne signe un accord, avec la France, qui fixe la frontière orientale du Cameroun bien plus étroitement que prévu. Grâce à leur victoire sur les forces impérialistes Allemandes, les BAKWERI ont, avec succès, ralenti l'avance des Allemands dans l'intérieur du pays camerounais.

Dans l'histoire de la pénétration allemande, le 14 juillet 1884 correspond à la signature du traité germano-camerounais. Le drapeau Allemand est planté sur le plateau JOSS. Jusqu'en 1907, les Allemands vont explorer le Cameroun et délimiter ses frontières en passant des accords avec la France et l'Angleterre. Cependant, les militaires allemands ont fait face à plusieurs résistances. Parmi elles ont peut citer :

- Les DOUALA avec l'exécution de DOUALA MANGA BELL ;

- Au sud avec les exécutions de MADOLLA et Martin Paul SAMBA ; - Les BASSA et les BAKOKO ;

- Les LAMIDO de TIBATI, de NGAOUNDERE et de REY BOUBA.

Au Cameroun récent, c'est-à-dire franco-britannique, la défense a été essentiellement assurée par les empires coloniaux. L'entreprise coloniale a été une entreprise de fabrication du Cameroun actuel. La tutelle et le mandat des Nations Unies ont contribué à la fabrication de ce pays. Toutefois, l'histoire des nationalismes africains et camerounais représente une école pour la construction de la défense nationale camerounaise. Lorsque Pierre SEMENGUE raconte sa lutte contre l'UPC dans le maquis, un détail retient l'attention. Pour lui, la troisième période rebelle était mal organisée et n'as pas fait d'escarmouche. Il n'a pas eu du mal à la mater. Or cette période était conduite par des nationalistes modernes, c'est-à-dire

ayant appris la science du blanc. Ils disposaient de plus de moyens financiers, de plus de logistique et matériel de guerre que les deux premières rébellions, mais ils n'ont pas pu inquiéter l'armée. Pourtant, SEMENGUE reconnait qu'il a eu le plus grand mal à venir à bout des deux premières rébellions, qui étaient certes beaucoup moins armées et équipées que la troisième, mais ont énormément inquiété le pouvoir colonial. A cet effet, de YETNA LEBA et du Commandant KISSAMBA, il affirme : « ces paysans étaient très rustiques. Ils étaient peu nombreux et avaient très peu de moyens, mais ils réussissaient toujours à nous échapper. C'était vraiment difficile de comprendre leur stratégie ».139 Rappelons que ces propos sont ceux d'un officier général camerounais qui a fait l'une des meilleures écoles de formation militaire occidentale, à savoir Saint Cyr. Il reconnait avoir déjoué aisément la troisième rébellion plus encline aux techniques occidentales de la guerre. Mais avoir eu beaucoup de peine à venir à bout d'une rébellion de paysans peu équipés et peu nombreux.

139 ATEBA EYENE Charles, Op. cit., 2006.

I.B- La défense du Kamerun postcolonial : affaire Bakassi

La frontière camerouno-nigériane longue de 1690 Km a fait l'objet d'un conflit

juridico-politique et militaire entre le Cameroun et le Nigéria. Le conflit qui a débuté le 16 mai 1981 connait son apogée en 1996 avec la riposte camerounaise à l'agression nigériane. Ce conflit s'est achevé le 14 août 2008 par la décision de la CIJ de rétrocéder la péninsule querellée au Cameroun. Le tableau ci-dessous fait un état des lieux des forces en présence.

Tableau3 : Les effectifs des forces camerounaises et nigérianes en 1994.

DEFENSE

CAMEROUN

NIGERIA

EFFECTIF TOTAL

28 000

85 000

ARMEE DE TERRE

14 000

62 000

ARMEE DE L'AIR

1500

7300

GARDE NATI ONALE

/

7000

GENDARMERIE

11 000

/

MARINE
NATIONALE

EFFECTIF TOTAL

1600

9500

FREGATES

/

2

CORVETTES

/

2

VEDETTES LANCE MISSILES

/

6

GARDES coTES

2

53

NAVIRES PORTEURS DE
MINES

/

2

PATROUILLEURS

1

/

PATROUILLEURS PORTEr
MISSILES

1

/

Source : Emmanuel ELA ELA

Ce que l'on ignore, c'est que le Cameroun n'a pas que gagné cette guerre sur le terrain juridique et politique. De fait, sans l'action des forces armées camerounaises qui ont repoussé les forces nigérianes, qui avaient déjà pénétré à 10 Km du territoire, la décision de la CIJ

140

ELA ELA Emmanuel, Op. cit., 2001, p. 68.

n'aurait pas été aussi facilement acceptée. Le conflit de Bakassi met aux prises la 12ème puissance militaire africaine à la 7ème. Elle met aux prises la deuxième économie africaine à la 21ème. Elle met aux prises 135 millions d'habitants à 14 millions. Lorsque le Président SANI ABACHA du Nigéria lance en 1993 l'opération HARMONY IV, il mobilise 3 bataillons d'infanterie mécanisée et 1 bataillon amphibie pour l'armée de terre. Les forces aériennes sont dotées d'hélicoptères de transport et d'assaut ; d'hélicoptères de type Puma, Lynx ; Alpha Jets ; MIG 21. Ces forces possédaient également des canons de 155 mm dont la portée de tir en cas de tir atteignait la zone camerounaise. Le Nigéria mobilise en somme 10 000 hommes, des moyens aériens, des vedettes rapides, des bâtiments de guerre ; et surtout le JONATHAN.

La riposte camerounaise prend l'appellation d'opération DELTA. Le Cameroun mobilise 3 groupements de combat, 1 compagnie du BBR, 1 compagnie du BTAP, 1 compagnie des FMC, 2 Batterie d'Artillerie Sol-Sol, 2 Sections du Génie Combat, 1 Batterie d'Artillerie Sol-Air, 1 Détachement Milan du 51ème Bataillon Interarmées (BIA), 1 section Prévôté à Shell Creek et 1 Division de 45 vedettes et embarcations rapides (DIVET). Au total, les forces camerounaises mobilisent 5000 hommes, 3 avions de combat Alpha Jets, 7 hélicoptères Puma et Gazelle. La résistance de l'armée camerounaise, malgré le déséquilibre du rapport de force repose sur l'efficacité politique et stratégique, l'efficacité opérative et l'efficacité tactique des FAC, et sur les faiblesses nigérianes. En effet, les FAC disposaient d'une meilleure soldatesque que les FAN. Si l'on observe le tableau ci-dessous, on se rend compte que le Cameroun dépense deux fois plus d'argent par militaire que le Nigéria. En dehors du plan financier, les soldats Cameroun étaient beaucoup mieux formés que ceux du Nigéria. Un Officier camerounais met en moyenne 2 ans pour sa formation contre 6 mois pour le Nigéria. Un simple soldat met 9 mois contre 45 jours pour le Nigéria. La capacité tactique et opérationnelle des officiers généraux camerounais a pesé sur l'issu du conflit. Dans cette guerre, le Cameroun a perdu 200 à 300 hommes, dont 120 en décembre 1993. La guerre a fait plusieurs disparus et près de 200 prisonniers de guerre. Le Cameroun a également perdu 3 hélicoptères, 1 Sweep Ship, des armes et des munitions. Du côté du Nigéria on dénombre 3000 morts, dont 2000 lors de la contre-attaque camerounaise de mars 1996, des centaines de prisonniers et disparus, le Jonathan, des armes et munitions.

La souveraineté camerounaise ayant été reconnue par l'arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 et par l'accord de Greentree du 14 août 2008, BAKASSI a été rétrocédé au Cameroun.

Tableau4 : État des défenses nigériane et camerounaise en 2006.141

DEFENSE

CAMEROUN

 

NIGERIA

 

EFFECTIF TOTAL

14 000

 

78 500

 

BUDGET

197 MILLIONS

DOLLARS

DE

572 MILLIONS

DOLLARS

DE

DEPENSES MILITAIRES

1,63% DE PNB

 

1,92% DE PNB

 

EVOLUTION DU BUDGET DE LA

DEFENSE

+5%

 

+22, 58%

 

DEPENSES MILITAIRES PAR HABITANT

12 DOLLARS

 

4 DOLLARS

 

DEPENSES MILITAIRES PAR MILITAIRE

14 071 DOLLARS

 

7287 DOLLARS

 

ARMEE DE TERRE

EFFECTIFS

12 500

 

62 000

 

VEHICULES BLINDES

110

 

9500

 

FORCES AERIENNES

EFFECTIFS

300

 

9500

 

ANIONS DE

COMBAT

4

 

50

 

MARINE NATIONALE

EFFECTIFS

1300

 

7000

 

SOUS MARINS

2

 

/

 

CORVETTES

/

 

5

 

FREGATES

/

 

1

 

Source : Ernest Claude MESSINGA142.

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