SECTION II LA NOUVELLE INGENIERIE DE LA PROPHYLAXIE
POLITIQUE
Dans le système bureaucratico-présidentiel, la
présidentialisation, des forces de défense et de
sécurité constitue la condition sine qua non de la
perpétuité du gouvernement. Cette présidentialisation se
définit en termes de contrôle du chef de l'État des
appareils sécuritaires et militaires, mais aussi en termes de
monopolisation des moyens de défense et de sécurité au
profit du chef de l'État et du collectif
bureaucratico-présidentiel, la sécurité et la
défense apparaissant en ce moment comme une ressource politique, un bien
dont ne peuvent avoir droit que les membres du clergé d'État.
I- La technologie sécuritaire du gouvernement
perpétuel
La technologie politico-sécuritaire du gouvernement
perpétuel se décline en deux volets : la gestion
présidentialiste des forces de défense et la gestion
présidentialiste des forces de sécurité.
I.A- La gestion présidentialiste des forces de
défense
La gestion présidentialiste des forces de défense
est identifiable à la fois dans l'organigramme des états-majors
interarmées et le fonctionnement des organes de la défense.
La présidence de la République est le centre de
force et de gravité en matière de défense au Cameroun. Le
MINDEF ne dispose que des pouvoirs qu'on veut bien lui accorder. La
création en 1983 d'un état-major particulier du président
de la République marque la primauté de la personne du
président dans la conduite de la défense. D'après un
enquêté, « les vraies décisions se prennent à
ce niveau, nous on se charge juste d'appliquer ».131 Ces
paroles d'un haut gradé de l'armée camerounaise témoignent
que tout se noue et se dénoue au niveau de l'état-major
particulier du président de la République. C'est donc à
juste titre qu'au Cameroun on n'a pas un Ministre de la Défense, mais un
ministre délégué à la présidence,
chargé de la défense. Cette situation est particulièrement
aggravée avec la prolifération des unités
spéciales, comme nouvelle doctrine opérationnelle d'emploi des
forces du Cameroun.
D'après Elie MVIE MEKA,
L'armée régulière a marquée
son inefficacité à assurer la défense et la
sécurité du pays. Face aux nouvelles menaces et aux nouvelles
criminalités, il était important de doter le pays des forces
spécialement entraînées et équipées, capables
de défendre la souveraineté du pays. Tout ceci est du au fait que
l'armée est une institution sociale dans notre pays. J'avais dit au
président d'arrêter le recrutement militaire, que nous ne pouvons
pas entretenir une armée de 40 000 hommes. Mais comme il faut trouver du
boulot aux gens.132
L'analyse que l'on peut faire de ces propos est que les forces
spéciales constituent une réponse présidentielle face aux
défis de la défense et de la sécurité et à
l'incapacité de l'armée régulière d'assumer ce
rôle. L'armée régulière qui apparaît
pléthorique pour les 180 milliards de Francs CFA de budget de
l'armée camerounaise, il faut les substituer par des forces
spéciales. Et ces forces spéciales sont directement
contrôlées par le président. Le cas du BIR
131 Interview avec un Colonel de l'armée de Terre du
Cameroun, 23 mai 2011.
132 Entretien le 19 avril 2011 à 11 heures avec le Dr.
Elie MVIE MEKA, ancien directeur des études à l'EMIA.
que nous venons d'évoquer, qui compte tout de
même 4000 hommes sur une armée qui ne compte que 40 000, est
patent. Le MINDEF ici n'a aucun mot à dire, ce d'autant que l'ex colonel
du BIR était lié à un contrat « privé »
à la présidence de la République. Les autres forces telles
que le BSA, le BTAP, le FAI, les FMC sont liées pour leur
déplacement ou leur engagement à l'approbation du
président. De même, le matériel de guerre aéronaval
est contrôlé par le président.
I.B- La gestion présidentialiste des forces de
sécuritéLa gestion présidentialiste des forces de
défense a comme corolaire la gestion
présidentialiste des forces de sécurité.
Une distinction qui est en réalité factice, dans un environnement
d'imbroglio entre le champ de la défense et celui de la
sécurité. La gestion présidentialiste des forces de
sécurité est caractérisée par le contrôle des
forces de police à travers la DGSN et des forces de la Gendarmerie
à travers le SED, la monopolisation des services de renseignement et de
services secrets, et le contrôle des unités spéciales de la
gendarmerie (GPIGN) et de la police (ESIR, GSO) par le président de la
République.
Comme pour le secteur de la défense, le patron de la
police camerounaise est le président de la République, le DGSN
n'étant effectivement comme son nom y fait référence un
délégué. Nommé par le président, ainsi que
tous ses collaborateurs, il exécute les missions définies par
celui-ci. L'étude du décret de 2001, portant organisation de la
DGSN, permet de concevoir l'atrophie des pouvoirs du
délégué au profit de celui qui l'a nommé : le chef
de l'État. Ici, la présidence apparait également comme le
centre de force de la sécurité au Cameroun. L'ESIR,
financé par les États-Unis et le GSO, financé par la
France sont directement liés à la présidence, et ne
dépendent pas de la DGSN.
Le SED obéit à la même configuration et au
même principe de fonctionnement : celui de la prééminence
présidentielle. La coexistence du MINDEF et du SED est par ailleurs
problématique. Pourquoi créer un SED alors qu'il y a
déjà un MINDEF ? La réponse réside dans le fait que
le SED effectue surtout des missions de police. Même si le SEMIL et le
CRM sont rattachés au MINDEF, dans les faits le renseignement militaire
camerounais provient du SED. La gestion des forces de sécurité se
caractérise par la monopolisation et la confiscation des services de
renseignement aux fins de prévention de la déstabilisation et de
la sécurité intérieure, qui dans le contexte camerounais
signifie la prévention d'un coup d'état ou d'un assassinat conte
la personne du président. Les services secrets et les services de
renseignement du Cameroun sont le lieu par excellence où la
sécurité présidentielle
surplombe la sécurité de la nation. Ils sont
également le lieu d'expérimentation de l'obsession
sécuritaire. Tandis que les services secrets chinois tentent de «
voler » les savoirs technologiques des firmes occidentales, tandis que les
services secrets américains participent à la guerre
économique, à la lutte contre le terrorisme ou à
consolider les régimes qui leur sont favorables ; au Cameroun, le
rôle prépondérant des services secrets est la survie
présidentielle.133
Enfin, le dernier né en date de la
présidentialisation sécuritaire est le Conseil National de
sécurité, créé par décret n° 2009/004
du 8 janvier 2009, portant création et organisation d'un Conseil
national de sécurité. Ce décret abroge le décret de
1986, portant organisation du comité interministériel du
renseignement. Le Conseil est appelé à : « faire
périodiquement la synthèse des renseignements intéressant
la sécurité intérieure et extérieure de la nation;
formuler des propositions d'orientation de renseignement prévisionnel;
donner son avis sur tout dossier à lui soumis par le président de
la République ».134
Le Conseil national de sécurité est
administrativement rattaché au secrétariat général
de la présidence de la République. Sont membres du CNS
camerounais:
> le Secrétaire Général de la
Présidence de la République;
> le Ministre chargé de l'Administration territoriale
et de la Décentralisation > le Ministre chargé de la
Défense;
> le Ministre chargé des Relations extérieures
;
> le Directeur du Cabinet civil du Président de la
République;
> le Délégué général
à la Sûreté nationale;
> le Secrétaire d'État à la
Défense ;
> le chef d'état-major des armées;
> le chef d'état-major particulier du Président
de la République ;
> le Directeur de la sécurité
présidentielle;
> le Directeur général de la Recherche
extérieure;
> le Directeur central de la coordination à la
gendarmerie nationale;
> le commandant de la garde présidentielle.
133 France 24, Émission Intelligence économique,
les services secrets français et américains, mai 2011.
134 Décret n° 2009/004 du 8 janvier 2009, portant
création et organisation d'un Conseil national de
sécurité.
|