I. A- La concurrence pour le contrôle des ressources
de l'État
Le 4 novembre 1982, tout juste revenu de sa visite
médicale en France, le président AHIDJO reçoit en audience
Paul BIYA (Premier ministre) à 9 heures du matin, puis le reste du
gouvernement et ses proches collaborateurs à 10 heures. Ils les
informent que son état de santé ne lui permet pas de continuer,
et que ses médecins lui ont conseillé un repos total d'un an. Il
leur annonce par la suite qu'il démissionne à la faveur du
premier ministre Paul BIYA. Sa démission avait semble-t-il pris de court
ses proches collaborateurs, qui se demandaient pourquoi quitter le pouvoir
à un moment où il était au zénith de sa domination
politique60. D'après les Mémoires de Samuel
EBOUA, les collaborateurs du chef de l'État aurait tenté de
l'en dissuader et l'aurait même supplié. Toujours est-il que la
soirée du 4 novembre, AHIDJO annonce sa démission à 20
heures à la nation, présente son successeur Paul BIYA en
affirmant que celui-ci mérite la confiance de tous les camerounais.
60 Il faut se rappeler qu'il y a juste deux ans, il
célébrait le vingtième anniversaire de son accession au
pouvoir.
Deux jours après l'annonce par le président
AHIDJO de sa démission, Paul BIYA prête serment le 06 novembre
à 10 heures à l'Assemblée nationale. Son message s'inscrit
dans l'hommage et la continuité de la politique du président
AHIDJO. On peut retenir :
En cette circonstance solennelle et émouvante,
l'heure est à l'hommage. En effet, à mon illustre
prédécesseur, mieux, à celui dont j'ai eu l'insigne
honneur d'être pendant des années le collaborateur, je dois un
grand et vibrant hommage emprunt de déférence et d'admiration.
Digne et prestigieux fils de ce pays, père de la nation camerounaise,
artisan de son unité et de son développement, le président
Ahidjo se sera révélé à nos yeux comme un
géant de l'histoire camerounaise, de l'histoire africaine et de
l'histoire tout court. (...) J'entends situer l'action des années
à venir sous le double signe de l'engagement et de la
fidélité. L'engagement d'ordre constitutionnel, la
fidélité d'ordre politique à un homme, S.E. Ahmadou
Ahidjo, à un peuple, le peuple camerounais.61
Ces paroles traduisent qu'il n'y avait pas de cacophonie en ce
moment entre la vision de l'État du nouveau président et celle
d'AHIDJO. Les termes « continuité » et «
fidélité » reviennent à plusieurs reprises dans le
discours du nouveau président. En étudiant ce discours, on y
retrouve le lexique politique du président sortant. Les termes tels que
« ordre », « sécurité », « paix »
et « unité » reviennent abondamment dans le vocabulaire
politique du nouveau président. L'exégèse des premiers
discours permet de constater qu'au départ, le président entrant
s'inscrit véritablement dans la continuité et la
fidélité à l'ancien régime. Il n'hésite
d'ailleurs pas à rendre hommage aux premières lignes de chacun de
ses discours à son «illustre prédécesseur».
Toutefois, soutenir que le nouveau président n'était pas mu d'une
mauvaise intention à l'endroit de son prédécesseur au
moment où il prend fonction, ne signifie pas que celui-ci ne travaillait
pas depuis à affiner sa posture de dauphin idéal.
La succession comme mode d'alternance au sommet de
l'État au Cameroun paraît « normale », si l'on
considère qu'il s'agit d'un système de gouvernement
autoreproducteur et perpétuel. Dans le cadre d'un système de
domination néopatrimonial, ce qui préoccupe le plus la classe
dirigeante, c'est la stabilité du système de domination.
L'éventualité d'une transition successorale était
très créditée par Jean-François BAYART et KONTCHOU
KOUOMEGNI. Cette éventualité était d'autant plus
créditée qu'elle était au coeur des alliances politiques
au sein de l'UNC. A cet effet, Samuel EBOUA affirme que depuis la
réforme constitutionnelle
61 Prestation de serment à l'assemblée
nationale le 06 novembre 1982, in Le message du renouveau national.
Discours et interviews du président Paul BIYA, An I,
éditions SOPECAM, 1984, p. 11.
de 1975, la succession présidentielle était
devenue un enjeu par rapport auquel s'opposaient ou s'alliaient les
élites dirigeantes. C'est dans ce sens que Luc SINDJOUN mentionne que
:
La succession présidentielle du 6 novembre 1982,
perçue comme un évènement a été soudaine;
par contre, entendue comme un mode de reproduction des élites
dirigeantes, comme une structure d'action politique, elle était
prévisible parce qu'inscrite dans l'horizon politique des attentes
politico-constitutionnelles. La succession présidentielle peut
être interprétée, comme relevant de la dynamique du
marché gouvernant dont la structuration avait envisagé
l'éventualité de la démission du président de la
République.62
En revanche, là où plusieurs analystes se sont
trompés, c'est sur l'identité du potentiel successeur. Pour la
plupart, et précisément pour BAYART, c'est Samuel EBOUA qui
succèderait. Les noms de NDAM NJOYA et AYISSI MVODO étaient aussi
avancés. Mais avec le recul, on se rend bien compte que c'est le premier
ministre de l'époque Paul BIYA qui avait usé de la meilleure
stratégie de positionnement. Tandis que ses rivaux dans le marché
gouvernant avaient développé une posture de futur
présidentiable; c'est la « stratégie du chat qui fait
semblant de ne pas s'intéresser à la souris » qu'a su mettre
en oeuvre le président Paul BIYA. Faignant de ne pas s'intéresser
au pouvoir, Paul BIYA, qui aux dires de MONGO BETI, est d'une
médiocrité à pleurer, a gravi, de sa sortie à l'IEP
de Paris à la primature, les échelons de la haute administration.
Pour le système et pour le président AHIDJO, Paul BIYA
présentait le meilleur profil : médiocre, d'une tribu peu
nombreuse, obéissant et donc contrôlable. De surcroît, ce
dernier doit toute sa carrière à AHIDJO. Il était le
candidat idéal qui puisse permettre au système de se
perpétuer tout en laissant au président AHIDJO une marge de
manoeuvre.
Bref, Paul BIYA succède à Ahmadou AHIDJO. La
courte idylle qui avait suivi la prestation de serment du nouveau
président ne dure pas six semaines. Commence alors une concurrence entre
le président Paul BIYA et le président AHIDJO. L'accession de
Paul BIYA à la magistrature suprême, dans une large mesure,
portait les germes d'un conflit politique. La concurrence qui se déroule
est avant tout une concurrence entre positions dans le champ politique
post-successoral.
62 SINDJOUN Luc, Op. cit., 1996, p. 6.
I.B- Du bicéphalisme à la rupture
Le bicéphalisme va de la période du 06 novembre
au 22 août 1983. A ce moment, survient la confrontation brutale, puis la
rupture. Cette rupture va être consommée avec la tentative de coup
d'état le 06 avril 1984.
Après la prestation de serment de Paul BIYA, AHIDJO
s'envole le même soir pour un séjour en France. Le 10
décembre, il rentre de son séjour, accueilli à
l'aéroport de Yaoundé par le président de la
République. Jusqu'à ce moment, les deux hommes n'ont pas encore
eu de différend notable. Le 11 décembre 1982, au cours de la
réunion du bureau politique de l'UNC, AHIDJO accorde une
délégation générale des pouvoirs à Paul
BIYA, qui devient par décision N° 8/PN/UNC/82 vice-président
du parti unique. La position de président de la République,
vice-président de l'UNC, loin d'être importante semble participer
d'une stratégie de «tutellisation» de Paul BIYA par Ahmadou
AHIDJO. C'est dans ce sens qu'il faut apprécier ces paroles d'AHIDJO
lors de sa communication de ce jour : « M. le président de la
République, vice-président du comité central,
chargé de diriger ou de veiller à la bonne tenue de ces assises
à pu le faire d'heureuse manière et m'en a rendu compte.
L'exercice de ce pouvoir d'appréciation emporte production des relations
verticales ».63
La manifestation la plus spectaculaire d'Ahmadou AHIDJO sur la
scène politique se traduit par l'exclusion de Moussa YAYA du parti
unique le 10 janvier 1983 et le lancement d'une tournée provinciale
à partir de Bafoussam du 23 au 29 janvier 1983. Quel qu'ait
été l'objet de cette tournée, au compte du nouveau
président, ou pour déstabiliser le nouveau président,
toujours est-il que l'inflation de l'image et de la parole; bref de
l'ex-président n'arrange pas le nouveau. L'économie de la mise en
scène simultanée des deux présidents ne pouvait qu'aller
dans le sens de la confrontation. Cette confrontation se manifeste en premier
lieu au niveau protocolaire. Le protocole, entendu comme mise en forme de
l'ordre politique, comme symbolisation de la distinction hiérarchique
est le premier lieu de la guerre froide. En janvier 1983, au cours d'une
réunion du parti UNC, AHIDJO avait bénéficié des
faveurs de la préséance face à Paul BIYA. En revanche, en
mars 1983, lors de la cérémonie publique de remise du prix Dag
HAMMARSKJOLD, le président Paul BIYA obtient la préséance
sur l'ancien. Le 31 janvier 1983, il affirme au Cameroon tribune :
« L'UNC définit les grandes orientations que le gouvernement doit
mettre en oeuvre ».64 Le vedettariat du parti unique, traduit
par la fréquence des réunions du comité central et
l'ouverture officielle de la campagne
63 SINDJOUN Luc, op. cit, 1996, p. 26.
64 Cameroon tribune, Interview de BIYA Paul,
31 janvier 1983.
électorale le 14 mai 1983 par Ahmadou AHIDJO et non par
le chef de l'État, met en péril la place du président
BIYA.
Cette concurrence tourne à la confrontation brutale et
à la rupture avec l'annonce le 22 août 1983 d'un complot contre la
sécurité de la République. Bien que le nom d'AHIDJO ne
soit pas mentionné, c'est clairement lui qui est visé. Certains
situent la rupture à partir du décret n° 83/276 du 18 juin
portant remaniement ministériel. Pris souverainement par le
président Paul BIYA, contrairement aux deux autres décrets, il
marque la volonté présidentielle de contrôle des
dispositifs de patronage politico-bureaucratique. Ce décret permet au
président de déstructurer les réseaux de soutien à
AHIDJO, notamment en évinçant Samuel EBOUA, Sadou DAOUDOU, AYISSI
MVODO, MAÏKANO Abdoulaye, HAMADOU Moustapha, BELLO BOUBA et Guillaume
BWELE. L'arme du décret permet au président Paul BIYA de
préparer les réseaux de l'instrumentalisation de l'armée,
notamment en nommant le 23 juin 1983 trois nouveaux généraux,
NGANSO SUNDJI, OUMAROUDJAM YAYA et TATAW James. C'est dans ce contexte de
rayonnement du décret qu'Ahmadou AHIDJO quitte le Cameroun le 19 juillet
de la même année pour ne plus y revenir.
Le 22 août 1983 le président de la
République annonce à la radio la découverte d'un complot
contre la sécurité de l'État. L'annonce d'un complot
contre la sécurité de la République dans lequel sont
impliqués Ahmadou AHIDJO, son intendant Ibrahim OUMAROU, et son aide de
camp SALATOU Adamou constitue un parricide symbolique et ouvre la voie à
la légitimation judiciaire du discrédit de l'ancien
président. Le procès qui s'ouvre le 23 février 1984
s'achève le 28 février par la condamnation à mort pour
avoir : « incité à la haine contre le gouvernement de la
République, participé à une entreprise de subversion en
propageant des rumeurs malveillantes sur le remaniement ministériel du
18 juin 1983 et enfin conspirer en vue d'assassiner le chef de l'État et
de renverser les autorités de la République
».65
En plus, Ahmadou AHIDJO est condamné à cinq ans
de détention et à une amende de vingt millions de FCFA. En ce
moment, AHIDJO qui a démissionné de la tête de l'UNC le 27
août 1983 est politiquement mort. La rupture qui a lieu entre les deux
présidents va être définitive et officialisée avec
la tentative de coup d'état du 06 avril 1984.
65 Procès verbaux des accusés du 06
avril 1984.
II- La tentative de déstabilisation du 06 avril
1984
L'étude de la tentative de déstabilisation
présidentielle dans la nuit du 6 au 7 avril par les
éléments de la garde républicaine soulève deux
préoccupations jusqu'à ce jour non entièrement
élucidées : quels ont été les instigateurs ?
Comment se sont déroulés les faits ?
II.A- La détermination des
responsabilités
Qui ou quels sont les responsables du coup d'état
manqué d'avril 1984 ? On peut répondre à cette question de
trois façons. Soit l'on adopte la version officielle, qui consiste
à dire que la tentative de putsch ne fut que le fait d'une
minorité de l'armée assoiffée de pouvoir. Soit l'on
considère qu'Ahmadou AHIDJO aurait été l'instigateur du
coup d'état manqué. Soit encore l'on situe la tentative dans le
sillage de la construction de l'hégémonie
présidentielle.
La première approche, celle officielle, est la moins
crédible. Elle tente de détribaliser le coup d'état, alors
même que la mutinerie serait survenue d'un texte signé du chef de
l'État le 4 avril qui mutait le gros des effectifs de la Garde
Républicaine, originaires du Nord, vers la gendarmerie. Indubitablement,
ceux qui ont perpétré le coup d'état étaient en
majorité ressortissants de la province du Nord. Mais, le pouvoir tente
de détribaliser le putsch afin d'éviter de perdre le
contrôle du pays. L'unité nationale et la détribalisation
des putschistes sont évoquées afin d'éviter de
cristalliser le débat identitaire. De fait, depuis le début du
bras de fer entre les deux présidents, la base ethno-régionale du
pouvoir de l'actuel président avait été affirmée.
Le texte signé le 04 avril s'inscrit dans le processus
déjà enclenché de « bétïsation » et
de déboulonnement des hauts cadres Nordistes de l'administration.
L'évocation de l'unité nationale ici ne sert que de
prétexte à la construction hégémonique du charisme
présidentiel. A cet effet, quatre jours après la tentative, le
président affirme ceci :
L'histoire retiendra que les formations ayant
participé au rétablissement de la situation comprenaient des
camerounais de toutes origines, sans distinction de leur appartenance ethnique,
régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'état
manqué est celle d'une minorité d'ambitieux assoiffés de
pouvoir et non celle de telle ou telle province ou de camerounais de telle ou
telle religion. 66
S'agissant de la deuxième approche de la tentative de
putsch, elle est la plus communément partagée par les
camerounais. Pourtant, elle non plus ne rassemble un faisceau
66 BIYA Paul, « Message à la nation
», 10 avril 1984.
d'indices suffisamment pertinent pour présumer de sa
vraisemblance. Ceux qui défendent cette version avancent deux
idées : d'une part, les acteurs de la tentative de putsch étaient
bien des militaires de la Garde Républicaine, ressortissants du Nord et
donc partisans du président Ahidjo; d'autre part, celui-ci n'avait plus
rien à perdre, vu que la rupture avait été
définitive depuis le 28 février avec sa condamnation à
cinq ans de détention et à une amende de 20 millions de FCFA pour
« Outrage au chef de l'État ». Pour eux, le coup d'état
manqué d'avril 1984 ne serait que le prolongement du complot contre la
sécurité de l'État fomenté en juin 1983. Il faut
dire que pour l'époque, il y avait de quoi persuader le citoyen lambda
de la véracité de cette version, tant AHIDJO n'y allait plus de
main molle dans ses interviews à l'encontre de son successeur. En effet,
le 05 mars 1984, après la condamnation à mort de son intendant
Ibrahim OUMAROU, son aide de camp SALATOU Adamou, et à sa propre
condamnation par contumace, l'ex président affirme lors d'une
conférence de presse donnée à Paris : « Trop, c'est
trop... A bon entendeur salut !».67 Le 06 avril 1984,
interrogé à Radio Monte-Carlo sur les évènements de
Yaoundé, sur le coup d'état qui a cours, il déclare :
« Je n'ai rien à voir avec ce qui se passe, on m'a trop
insulté et trop dénigré; qu'ils se débrouillent. Si
ce sont mes partisans, ils auront le dessus ».68
Cependant, Les révélations de Jean
FOCHIVE69 et l'analyse du déroulement du coup
d'état ne permettent pas d'accréditer qu'AHIDJO aurait pu
être le fomentateur du putsch. FOCHIVE affirme que l'un de ses agents
infiltré comme garde de corps du président AHIDJO en France avait
mis ce dernier sur écoute et surveillait tous ses faits et gestes
à l'étranger. Cet agent a assuré qu'Ahmadou AHIDJO avait
été lui-même surpris par les évènements du 06
avril. De surcroît, la nuit du 05 avril, l'un des acteurs de la tentative
ayant pris peur avait vidé son sac chez le Colonel Claude MEKA,
Directeur de la Sécurité Présidentielle. FOCHIVE souligne
à juste titre que la rapidité et la cohérence de la
riposte des forces armées loyalistes laissent subodorer que certains
d'entre eux étaient informés à l'avance du putsch. Il
affirme également que huit jours avant la tentative, il avait
envoyé un courrier à la présidence pour les informer de
l'imminence d'un coup d'état. Pour lui, le fait que l'enquête lui
ait été retirée par la présidence, alors que ses
services étaient proches de la vérité témoigne de
ce que le président de la République ait voulu protéger
certains militaires.
67 AHIDJO Ahmadou, « conférence de presse
donnée à Paris », 06 mars 1984.
68 Ibid., Interview à Radio
Monte-Carlo, 06 avril 1984.
69 FENKAM, Frédéric, op. cit.,
2003.
En fait, ce qui est à l'oeuvre dans cette tentative,
c'est la « fabrication autoritaire du nouveau président-pontife
».70 La déification du faisant-fonction actuel passe par
la réification de l'ancien faisant-fonction. Autant il serait naïf
de croire au fameux complot contre la sécurité de l'État
de juin 1983; autant, il serait encore plus ingénu de croire que le
président AHIDJO a suscité le coup d'état manqué
d'avril 1984. De toute évidence, la betïsation du pouvoir
et la reconstruction violente de l'hégémonie
présidentielle sont des hypothèses qui donnent le mieux sens
à la tentative de déstabilisation
présidentielle.71 En réalité, la tentative de
coup d'état est salvatrice pour Paul BIYA, en ce sens qu'elle lui a
permis de s'affirmer comme président à part entière, comme
maître d'oeuvre du partage des dépouilles. La tentative de coup
d'état vu comme une betïsation du pouvoir ou un
procédé d'expurgation des « nostalgiques »72
du système ancien est très plausible. Non seulement le texte
signé le 04 avril visait à écarté de la
sécurité présidentielle les ressortissants du Nord, mais
en plus, manifestement, certaines autorités militaires, notamment de la
sécurité présidentielle étaient au courant à
l'avance. Il est donc possible qu'il y ait eu instrumentation de la tentative
de coup d'état pour consolider la base ethno-régionale du pouvoir
présidentiel. Ceci ne peut être mieux compris qu'en
étudiant dans les faits le déroulement de la tentative de coup
d'état.
II.B- La tentative de coup d'état : entre conjoncture
critique et mobilisation politico-militaire
Le coup d'état commence le vendredi 06 avril 1984
à 3 heures du matin. Il est exécuté par les
éléments de la Garde Républicaine (GR). Les fers de lance
du putsch sont : le Colonel SALE Ibrahim (Commandant de la GR), le Capitaine
ABALELE (Commandant de l'escadron blindé de la GR), le Capitaine AWAL
ABASSI (Commandant du groupe d'artillerie de la GR), le Capitaine ABALI et le
Commissaire Amadou SADOU.
A 3 heures, seize véhiculent blindés de la GR
entreprennent de prendre d'assaut le palais de l'unité et de destituer
le président Paul BIYA. Celui-ci se réfugie avec sa femme au
Bunker. Il a avec lui l'aide de camp et sept éléments de la DSP
commandés par le colonel Ivo DESANCIO YENWO. Pendant ce temps, le
directeur de la DSP, le Colonel Claude MEKA appelle à 3h50 le chef
d'état-major de l'armée, le Général de brigade
Pierre SEMENGUE pour lui faire part de la situation. Pierre SEMENGUE qui vient
d'être prévenu de la tentative de coup d'état,
reçoit la nouvelle de sa femme que deux blindés de la GR tentent
de pénétrer au sein de sa concession. Simultanément, un
détachement des mutins conquérait le quartier
général, l'école nationale de police, l'aéroport de
Yaoundé, puis la radio nationale.
70 SINDJOUN, Op. cit., 1996.
71 Ibidem.
72 Ibidem.
De 3 heures à 5heures, les mutins ont pris le
contrôle des sites stratégiques de la défense. Ils ont
cerné le chef d'état major des armées ; ils ont pu
pénétrer au sein du palais mais progressent difficilement suite
à la résistance âpre des éléments de la DSP
au niveau de la seconde barrière. A ce moment, le rapport de force sur
le terrain leur ait très favorable. A 13h, les mutins annoncent le
communiqué suivant :
Camerounaises, Camerounais, l`armée nationale vient
de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de leur
tyrannie et de leur escroquerie et de leur rapine incalculable et
inqualifiable. Oui, l'armée a décidé de mettre fin
à la politique criminelle de cet individu contre l'unité
nationale de notre cher et beau pays. En fait, le Cameroun vient de vivre au
cours de ces quinze derniers mois qu'a duré le régime BIYA les
heures les plus noires de son histoire.73
L'armée camerounaise comptait environ 12 000 hommes en
avril 1984, dont 1 100 de la GR. Parmi les 1 100, presque 900 sont des
ressortissants du Nord et fidèles au Colonel SALE, le chef de fil de la
mutinerie. La GR disposait des équipements de combat suivants :
Pare-balles, fusils-mitrailleurs, grenades, lance-roquettes, véhicules
blindés, batteries sol-air et sol-sol. Durant les 3 premières
heures du coup d'état, elle a pu obtenir les armes et les munitions
entreposées au Quartier Général (QG), et contrôlait
l'accès aux dépôts d'armes et de munitions; ce qui privait
les forces loyalistes d'une riposte. L'armée régulière
quant à elle comptait 10 900 hommes, y compris la gendarmerie, dont 2
000 basés à Yaoundé, principalement au QG. Le QG occupe
une place essentielle dans le dispositif de défense camerounais,
puisqu'il a pour mission la défense de la capitale. Il regroupe les
meilleurs éléments de l'armée régulière et
dispose des meilleurs équipements. De ce fait, la prise du QG par les
mutins constituait une victoire stratégique importante. C'est dire
qu'avec un rapport de 1 100 contre 2 000, les mutins avaient effectué le
gros du travail : ils tenaient leur coup d'état. D'où la question
: comment expliquer leur échec, alors que ceux-ci contrôlaient la
quasitotalité des espaces stratégiques de défense de la
capitale ?
L'argument de la mauvaise formation soulevé par le
Général SEMENGUE ne nous semble pas pertinent pour expliquer les
causes de l'échec de la mutinerie. En effet, les unités de la GR
étaient recrutées parmi les meilleurs éléments de
la gendarmerie, et subissaient en plus un entraînement spécial. Or
les gendarmes suivent le même entraînement que les militaires. Par
conséquent, affirmer que l'échec des mutins est dû à
leur mauvaise formation,
73 ATEBA EYENE Charles, op. cit., 2002, p.
121.
c'est affirmer que l'armée camerounaise est mal
formée, puisque les soldats de la GR étaient choisis parmi les
meilleurs de l'armée. Il nous paraît donc que l'échec des
mutins est dû à l'impréparation et à la
précipitation de leur projet. En effet, les Procès verbaux du
tribunal militaire soulignent que les mutins avaient prévu effectuer
leur tentative au mois de juin 1984. Mais, constatant le 4 avril, que le chef
de l'État avait pris un décret qui les affectait à la
gendarmerie; laquelle affectation rendait désormais leur projet
impossible, ils ont dû anticiper la date du coup d'état.
D'où un certain dilettantisme qui a permis aux forces loyalistes
d'organiser la riposte.
Pour revenir au déroulement des faits, de 3h50 à
5h30 les mutins ont tenté en vain de mettre la main sur le chef
d'état-major Pierre SEMENGUE. Au cours de cette opération, ils
commettent trois erreurs. D'abord, ils oublient de couper le câble du
téléphone. Or, c'est grâce au téléphone que
Pierre SEMENGUE a pu de sa maison contacter le colonel MPAY à Douala, le
Colonel BENAE MPECKE à KRIBI, le Colonel WANGALI, le Colonel MAMBOU
DEFFO, le Colonel SAMOBO, puis KOUTABA, MBALMAYO et l'état-major pour
leur prescrire de conduire leurs troupes vers Yaoundé. Ensuite, les
mutins auraient dû organiser un commando pour tenter de capturer
SEMENGUE, cela aurait été plus facile et rapide que la tentative
de le déloger par des tirs depuis les véhicules blindés.
Celui-ci a pu les intimider grâce à un pistolet-militaire et
quatre grenades offensives/défensives. Au cours de cet échange,
SEMENGUE reçoit deux balles au bras droit; il parviendra à
s'échapper de son domicile à 6 heures. La troisième erreur
que commettent les mutins, c'est lors de la diffusion de leur message à
la nation. Ils ne prennent pas la peine de s'assurer que le message est
diffusé sur l'étendue du territoire nationale. Or, ce message n'a
été audible qu'à la station radio du Centre-sud.
A partir de 13 heures, la riposte va être
organisée par les forces loyalistes. L'étatmajor de crise est
supervisé par le ministre des forces armées ANDZE TSOUNGUI et le
chef d'état major des armées Pierre SEMENGUE. Peu à peu,
les points stratégiques tenus par les mutins vont être repris. A
15 heures, la radio nationale est reprise et commence à diffuser les
musiques consacrées au président: « Paul BIYA, nous te
disons, nous militants de l'UNC, tu es l'homme de la dynamique nouvelle, tu es
l'homme de la concorde et l'homme de la justice. Jamais, jamais, tu ne
failliras ».74 A 16 heures, l'École nationale de police
est reprise et permet aux forces loyalistes d'avoir accès aux armes et
aux munitions. A 19 heures, les
74 Source : Archives nationales du Cameroun et
SOPECAM.
parachutistes de Koutaba atterrissent à Nkolbisson ; et
à 21 heures ils reprennent l'aéroport grâce notamment aux
tirs Air-sol des avions foucades. Concomitamment, une bataille féroce se
déroule au QG qui est repris. Puis c'est le palais de l'unité. La
reconquête du palais était particulièrement laborieuse. Le
07 avril au matin, entre 08 et 09 heures, les hélicoptères
gazelles prenaient à partie les blindés de la GR à
l'intérieur et à l'extérieur du palais
présidentiel. Cette opération était combinée avec
une attaque terrestre du détachement du colonel BENAE MPECKE qui devait
s'emparer du palais de l'unité et délivrer le président de
la République. A 10 heures, le général Pierre SEMENGUE se
rend à la présidence pour remettre son arme au chef de
l'État et l'informer que la mutinerie a été matée.
Selon la version officielle, le putsch a fait 70 morts dont 10 loyalistes, 60
mutins. Il y a eu également 1300 prisonniers et une cinquantaine de
blessés. Pour la BBC, il y aurait 2000 tués. Radio France
Internationale parle de 500 personnes décédées et l'UPC de
6000 morts.
Suite à cette tentative de déstabilisation, le
système étatique camerounais va connaitre un recentrage autour de
la présidence de la République. Ce recentrage situe la
présidence de la République comme « centre de forces »
du système étatique.
SECTION II LA DYNAMIQUE DU RECENTRAGE ET LA
CONSECRATION DU ROLE PRESIDENTIEL
Après la crise de succession présidentielle
(1982-1984), l'exercice du pouvoir au Cameroun a connu un recentrage,
marqué par la prééminence du rôle
présidentiel. Le repositionnement présidentiel dans le
système étatique s'est effectué par le biais du collectif
bureaucratico-présidentiel. Ce collectif a lui-même
été instrumenté par le président de la
République; ce qui lui a permis de parfaire sa stature d'être au
dessus de la mêlée.
I- L'hégémonie du collectif
bureaucratico-présidentiel dans le système
étatique
Le collectif bureaucratico-présidentiel constitue la
catégorie sociale dominante dans le système étatique et
politique du Cameroun. Ce collectif constitue le patrimoine
hégémonique transmis au chef de l'État actuel. Ce
collectif est constamment composé et recomposé. La magie du
décret permet au président de la République d'ajuster le
collectif en fonction des inputs adressés au système. 1993, 1997
et février 2008 constituent des dates expérimentables de ce
procédé.
I.A- Architecture du collectif
bureaucratico-présidentiel
Le collectif bureaucratico-présidentiel ici, c'est la
cour, le principat. C'est tous ceux qui ont intérêt à voir
le règne présidentiel se pérenniser, tous ceux qui ont
intérêt à avoir un regard bienveillant à
l'égard du président de la République. Le collectif est la
catégorie sociale dominante. Il est constitué de la formation
dirigeante et des « boss »75 du système.
Le concept de collectif bureaucratico-présidentiel
permet de penser l'exercice du pouvoir au Cameroun en termes de formation
dirigeante, c'est-à-dire d'agents hégémoniques en
interdépendance76. La bureaucratie, entendue comme
catégorie sociale hégémonique monopolisant les marques
« État'' et «présidence'', est un ordre
stratifié qui se distingue du prolétariat et du
tiers-État. Le collectif bureaucratico-présidentiel est avant
tout une noblesse d'État, avec ses rites et ses
distinctions.77 Envisager dans ce sens, le pouvoir au Cameroun se
présente comme une dignité à la quelle on accède
par la grâce présidentielle. Dans son livre « Cameroun : qui
gouverne ? » Pierre Flambeau NGAYAP dresse le portrait de la formation
dirigeante camerounaise. Celle-ci est composée de l'équipe
gouvernementale, des autorités déconcentrées
nommées par le chef de l'État, des officiers
généraux des forces armées et de la police, des
autorités décentralisées, des membres de
l'assemblée nationale. La plupart des agents hégémoniques,
présentés par Pierre Flambeau NGAYAP sont fabriqués par le
décret présidentiel. Le décret présidentiel est la
clef de l'ascension sociale.
L'équipe gouvernementale incarne la noblesse
d'État. Les rites et liturgies politiques sont les moments d'ataraxie et
de catharsis. Dans l'orthodoxie gouvernante camerounaise, les anciens ministres
font toujours partie de l'équipe gouvernementale, puisque l'on
accède à la noblesse une fois pour toute. La seule disgrâce
n'intervient que lorsqu'un membre de la cour se met à convoiter la place
du prince.78 Les récits de Samuel EBOUA, Jean FOCHIVE et
plusieurs anciens ministres font état de ce que même après
avoir quitté le gouvernement, ceux-ci recevaient
régulièrement des «enveloppes du chef de
l'État''.79 L'image des anciens ministres qui se refusent
à quitter la capitale, traduit que le gouvernement au Cameroun est
perpétuel. Chaque ancien ministre sait qu'un jour ou l'autre il
retrouvera un strapontin
75 Appellation des personnalités importantes
au Cameroun. Nom d'origine américaine pour désigner les grands
patrons. Le boss system a été utilisé dans la science
politique américaine pour décrire l'alliance entre les milieux
d'affaires et la politique.
76 ELIAS Norbert, Op. cit., 1974, pp.
142-154.
77 BOURDIEU Pierre, « La représentation
politique. Éléments pour une théorie du champ politique
», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 36 /37,
1981, pp. 3-24.
78 Opération Épervier, affaire Titus
EDZOA, Opération Antilope, etc.
79 FENKAM Frédéric, Op. cit.,
2003.
ministériel; c'est justement pour cela qu'ils
reçoivent des enveloppes, parce qu'ils n'ont pas cessé de faire
partie du collectif et du gouvernement.
La noblesse d'État est une noblesse de tyrannie et du
pouvoir illimité. Paradoxalement, cette noblesse véhicule un
certain «idéal'' auprès des « sans importance
»80: l'idéal de pouvoir être un jour un
«Gomna''.81 C'est justement pour cela que c'est une noblesse,
puisqu'elle se présente aux yeux des cadets sociaux comme le
parachèvement de toute oeuvre humaine. La noblesse du pouvoir qui se
conjugue à la bourgeoisie accroît la séduction des
prolétaires. Ici, le prolétariat ne souhaite pas toujours la mort
du système. Quelque fois, il cherche tout simplement à devenir le
dominant du système ; tant les figures et rites de la domination
véhiculent une catharsis auprès des «rien
-rien''.82 Les faits-évènements de 1993 renvoient
à un conflit de cohabitation verticale entre professionnels et acteurs
politique en voie de professionnalisation; entre dominants en quête de
pérennité et dominés en quête de domination au sujet
de la représentation politique. Dans le même sens, la revanche des
cadets sociaux en février 2008 exprime la frustration du
tiers-État.
Par ailleurs, au-delà des figures officielles du
collectif bureaucratico-présidentiel. Celui-ci est en outre
composé des «boss'' du système. Ce n'est qu'en n'incluant la
catégorie des «boss'' qu'on peut rendre compte de l'exercice du
pouvoir au Cameroun. Quelle place accorder, par exemple, à la
première dame, à la belle mère du chef de l'État ou
à tel neveu du président qui ferait trembler un ministre ? La
catégorie du « boss » permet de dépasser la formation
dirigeante et restitue en partie la dimension personnelle du pouvoir
présidentiel camerounais. Finalement, le positionnement au sein du
marché gouvernant dépend certes de son rang officiel, mais aussi
et surtout de la proximité personnelle que l'on a avec le prince.
Par-delà l'officiel, le caché, l'occulte et l'invisible du
pouvoir sont à prendre en compte. Le collectif
bureaucratico-présidentiel ne s'entend plus à ce moment comme
l'ensemble des agents visibles du pouvoir, mais intègre aussi les «
agents invisibles ».83
80 BAYART Jean-François, Op. cit.,
1985.
81 Idem.
82 Propos d'un enquêté, 18 mai 2011.
83 Les agents invisibles sont les acteurs de l'ombre, les
multiples conseillés qui ont une influence notable sur les choix
présidentiels.
Figure1 : Ossature du collectif
bureaucratico-présidentiel au Cameroun
AMITIES PRESIDENTIE LLES
PARENTE PRESIDENTIE LLE
BOSS SYSTEM
PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
DU CAMEROUN
FORMATION DIRIGEANTE
PARLEMENT
GOUVERNE MENT
HOMMES DE L'OMBRE
HOMMES D'AFFAIRE
FORCES ARMEES DU CAMEROUN
COUR SUPREME
RDPC
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
ILLUSTRATION DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE C
OMME CENTRE DE FORCE DU SYSTEME ETATIQUE CAMER OUNAIS
FORCES ARMEES DU CAMEROUN
PRESIDENCE DE
LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN
B OSS SYSTEM
FORMATION DIRIGEANTE
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
I.B- L'instrumentation du collectif
bureaucratico-présidentiel au profit du président de la
République
Le collectif bureaucratico-présidentiel a pour but la
reproduction du système de domination politique. Il n'est pas
forcément attaché à la personne de Paul BIYA. Le Collectif
n'est donc attaché au prince, qu'en vertu de son statut et non de son
indivis. Toutefois, il serait naïf de croire que le collectif tient le
prince en l'état actuel des choses. En effet, face aux résultats
de la gouvernance au Cameroun, le sacrifice du collectif permet au prince de
s'affirmer comme le moindre mal. De même, l'instrumentation des couleurs
ethno-régionales et de la bipolarité Nord-Sud permet au prince de
se présenter à la nation comme le garant de l'unité
nationale.
La disqualification symbolique du collectif, entendu comme le
discrédit de la formation dirigeante, de l'opposition et de la
société civile, sert les intérêts du prince. Dans un
contexte où le camerounais moyen est persuadé que tous ceux qui
veulent accéder au principat feront la même chose que le prince,
celui-ci peut s'affirmer comme le moindre mal. En fait, l'image d'une classe
politique, économique et sociale totalement corrompue permet au prince
de jeter le discrédit sur ses concurrents et successeurs potentiels. Le
cas de l'opposition camerounaise est patent. Un discrédit entoure
d'emblée toute personne qui voudrait créer un parti politique,
accusée de chercher du « gombo ».84 Cela n'est pas
totalement faux, mais cela n'est pas totalement vrai non plus. En
vérité, l'image de la société camerounaise
pénétrée par la corruption est salutaire au
président de la République, qui peut ainsi apparaître comme
celui qui fait le mieux. Combien de fois n'a-t-on pas entendu des camerounais
dire : « le problème, ce n'est pas le président de la
République, mais ce sont les collaborateurs qui exécutent mal ses
instructions ».85 Combien de fois n'a-t-on pas entendu dire que
: « le président a les mains liés; qu'il n'est pas le
responsable ».86 L'autoinfantilisation et
l'auto-déresponsabilisation du président lui permettent de
déprésidentialiser les critiques de sa gestion du pouvoir. A
contrario, l'infantilisation qui est faite de l'opposition contribue à
la disqualification symbolique et morale de celle-ci.
Au Cameroun, le mécontentement social est permanent,
mais personne n'est crédible pour le capitaliser. La logique du «on
va faire comment ?» est symptomatologique de la résignation
sociale. L'étiologie de l'inertie au Cameroun permet de prendre la
mesure du degré de conscience que les camerounais ont du maillage
reproductif du système. La
84 Il s'agit de la corruption en « Camfranglais
», un langage parlé par les jeunes dans les milieux non
officiels.
85 Propos d'enquêtés, 22 mai 2011.
86 Propos d'enquêtés, 22 mai 2011.
suppression du statut de premier ministre-dauphin et la
disqualification qui a court des successeurs présidentiels potentiels
amoindrit la probabilité d'une transition à la 06 novembre. Face
à cette « conjoncture critique », l'hypothèse d'une
transition post-mortem du président de la République
constitue une « fenêtre d'opportunité » prise au
sérieux par les formations politiques. Au sein même du RDPC, les
acteurs en compétition au sein du marché gouvernant tentent
d'améliorer leurs « chances de puissance » post-BIYA. Dans ce
«bruit», le président Paul BIYA se place comme celui qui
combat l'inertie, le tribalisme et la gabegie. La figure de l'homme au dessus
du vice est construite et entretenue. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre
la protestation forte de la formation dirigeante lorsque le président a
été accusé de corruption par le Comité Catholique
contre la Faim et pour le Développement (CCFD-Terre solidaire). De
même, l'offrande en holocauste d'anciens membres de l'équipe
gouvernementale ne lui permet pas seulement d'anéantir le « bruit
successoral », mais aussi de faire des « cadeaux » au peuple.
Par ailleurs, le président échappe au contrôle du collectif
par le biais de l'ethno-régionalisation du jeu politique.
L'ethno-régionalisation déplace la compétition
hégémonique au niveau régional. En effet, les
échelles périphériques sont des « lieux vides de
pouvoir ».87 Le lieu du pouvoir central étant
partiellement hors-jeu, le jeu politique se déroule véritablement
au sein des périphéries. La périphérie est
attrayante parce qu'elle représente un espace fluide.88
Cependant, cette fluidité est contrôlée, dans la mesure
où le décret présidentiel dope les chances de puissance
périphérique.
Bref, si l'on peut envisager l'exercice du pouvoir au Cameroun
dans une perspective polyarchique; si le concept, de collectif
bureaucratico-présidentiel permet de rendre compte du schéma
gouvernant; il reste essentiel de considérer la dimension
personnifiée de l'exercice du pouvoir au Cameroun sous le second
régime.
II- La personnification du pouvoir, marqueur du
recentrage présidentiel
Peut-on penser le Cameroun sans Paul BIYA ? Cette question
pourrait résumer les débats sur la personnification du pouvoir au
Cameroun. La personnification constitue une ressource importante du recentrage
présidentiel. L'adoration présidentielle est un marqueur de la
personnification. La personnification se traduit aussi par le «
statomorphisme » et le « cannibalisme d'État ».
87 LEFORT Claude, L'invention
démocratique, Paris, Fayard, 1981.
88 La périphérie est
réalité le seul espace politique où les acteurs peuvent se
mouvoir à « égalité ». Mais même à
ce niveau, le pouvoir contribue encore à fabriquer les élites
périphériques.
II.A- La présidentolatrie dans le système
BIYA
La Présidentolatrie ou adoration de la personne du
président constitue à ce jour un trait spécifique de la
politique camerounaise. Le Cameroun sous le premier régime était
déjà un régime personnel et personnifié. Sous le
second régime, cette personnification s'est accrue et s'accroit à
mesure que la domination du président se fait totale. Il convient de
distinguer adoration présidentielle d'une part; et mystique du pouvoir
d'autre part.
Au Cameroun sous le second régime l'adoration
présidentielle se fait de manière douce. Ce qui est à
l'oeuvre, c'est le renforcement du charisme présidentiel. La
présence des effigies du président de la République dans
les locaux de l'assemblée nationale, dans les bureaux des entreprises
privées, et chose curieuse, dans les domiciles privés participe
de la production de l'omniprésence présidentielle. Le message
véhiculé est celui du président qui voit tout. La photo du
président qui est présentée est celle où il est
jeune (49 ans); c'est la construction de la dimension atemporelle du pouvoir
BIYA. Notons que les caractéristiques d'omniprésence,
d'omnipotence, d'atemporalité, conférées au
président de la République sont celles attribuées dans les
religions aux dieux. L'adoration, les louanges et les liturgies sont des
propriétés divines. La religion présidentielle a son
clergé, ses rites et croyances, ses sacrements et sa doctrine.
L'ordination ministérielle constitue un moment clé du
prosélytisme politique. L'évangile du «merci
présidentiel» est le commencement et la fin de tout discours
officiel. Cette adoration et cette religiosité font du président
un mi-homme mi-dieu. Comprendre le refrain « Paul BIYA ! Paul BIYA ! Notre
Président. Père de la nation, Paul BIYA toujours vainqueur
»89 permet de comprendre l'exercice du pouvoir au Cameroun.
La personnification peut également se lire sous le
prisme de la mystique politique. La mystique politique camerounaise s'inscrit
dans le cadre d'une structure pyramidale et monopolistique du pouvoir. Le
concept « zoo-politique »90 permet de replacer la figure
du lion dans l'univers mystique du politique africain. Le lion est le roi de la
forêt. D'ailleurs le lion camerounais se veut indomptable. La «
politique totémique »91 était parfaitement
observable lors des élections présidentielles de 1992. Au cours
de la campagne, les militants du RDPC marchaient avec l'image de Paul BIYA
à laquelle était ajoutée l'image du lion. Le
89 Chanson entonnée lors des
défilés et des manifestations politiques par les adhérents
du RDPC. A la conférence d'Africa 21, tenue en mai 2010 au Cameroun,
l'une des championnes politiques du RDPC, connu sous le nom de Françoise
FONNING a entonné cette chanson. Cette chanson est également
enseignée aux enfants dès leur plus jeune âge. Nous
mêmes en tant que camerounais avons été socialisé
à cette chanson, dès l'âge de six ans.
90 KIFON Émile, La politique
totémique, Yaoundé, inédit, 2011.
91 Ibidem.
totem lion traduit la puissance du candidat BIYA. Le slogan
qui accompagnait la campagne du président en 1992 était «
l'homme lion, l'homme courage ». A cet effet, Paul BIYA affirmait dans une
lettre ouverte au peuple camerounais, « il faut avoir the lion's fighting
spirit »92. L'homme-lion, l'homme-léopard sont des
représentations totémiques du pouvoir.
Par ailleurs, la personnification, voire la déification
du pouvoir présidentiel s'accompagne, d'un repositionnement au sein des
ordres ésotériques. La construction du pouvoir transcendantal du
président se nourrit également de la mystique traditionnelle. En
1997, lorsque l'ancien secrétaire général à la
présidence, Titus EDZOA, décide de briguer la magistrature
suprême, il est aussitôt évincé du champ politique.
Ce qui est le plus important, c'est que Titus EDZOA, était
l'aîné de Paul BIYA au sein de l'Ancien et Mystique Ordre de la
Rose-Croix. Or, le pouvoir présidentiel au Cameroun «exprime la
nécessité» d'être absolu. Il ne pouvait donc
être possible qu'un concurrent présidentiel soit supérieur
au président dans les ordres ésotériques. Pour ce faire,
le président va sortir de la Rose-croix où il occupait un
échelon inférieur pour être intronisé comme grand
maître dans la Franc-maçonnerie; ce qui lui permet de s'affirmer
comme maître du visible et de l'invisible. Dans le même sens,
après les élections de 1992, le président de la
République va faire le tour du Cameroun. Un élément
pertinent de cette tournée est que le président se fait
introniser à chaque fois au rang de grand maître dans chacune des
chefferies ethno-régionales. Il ne faut pas juste y voir la
promiscuité du pouvoir traditionnel au pouvoir légal-rationnel au
Cameroun. Car, ces sacres traduisent aussi une légitimation du
président de la République comme grand maître du monde
invisible.
II.B- « Statomorphisme » et « statophagie
» dans le système Biya
Le « statomorphisme », anthropomorphisme
étatique, ou la tendance à identifier le président de la
République à l'État ou l'État au président
de la République; et la statophagie ou cannibalisme d'État sont
inhérents à la personnification du pouvoir au Cameroun.
Que l'on soit en système démocratique ou non
démocratique, le chef de l'État reste le représentant de
l'État. En système démocratique, le président est
délégué par le peuple pour agir en son nom et pour son
compte; mais il n'est ni le peuple, ni l'État. L'exercice tyrannique ou
despotique du pouvoir ne relève pas automatiquement du statomorphisme;
mais d'une dérive excessive de l'exercice du pouvoir. La
démocratie implique la non occurrence du statomorphisme; mais la non
occurrence de la démocratie n'implique pas forcément le
statomorphisme.
92 BIYA Paul, « Lettre ouverte au peuple
camerounais », Cameroun Tribune, le 5 Novembre 2009.
Au Cameroun, la paternité de la nation et de
l'État qui est conférée au président de la
République frise le statomorphisme. Il y a une co-naturalité du
président Paul BIYA à l'État du Cameroun; une
consubstantialité du père (le président) au fils (la
nation). L'eucharistie politique camerounaise est réalisée au
cours de la transsubstantiation des espèces du « président
» et de l' « État ».93 Le dogme de la
transsubstantiation constitue le mystère le plus essentiel de la
métaphysique politique camerounaise. L'absorption de l'État, le
rabotage des institutions étatiques et de la loi fondamentale sont
symptomatiques du statomorphisme. Dans un cas, c'est l'État prend la
forme du président de la République; dans l'autre, c'est le
président qui prend la forme de l'État.
Dans le premier cas le statomorphisme est bottum-up;
cela se joue au niveau de l'imaginaire collectif camerounais. La
longévité au pouvoir du président y a contribué
pour beaucoup; étant donné que 70% des camerounais ayant moins de
30 ans n'ont connu qu'un seul président. A côté de la
longévité, la domination absolue du président sur le
système politique accroît le statomorphisme dans les
représentations populaires. Dans le second cas, le statomorphisme est
top-dawn. L'hyper centralité du président et
l'hypertrophie du pouvoir présidentiel entraînent l'absorption de
l'État. C'est à ce niveau que s'exprime la dissymétrie
entre le président et l'État au Cameroun. Le président
n'est pas comptable devant la nation, ni pour se faire élire, ni dans la
gestion du pouvoir. Il n'est pas non plus comptable devant les institutions de
l'État. A cet effet, le Sénat, le Conseil constitutionnel, la
Haute Cour de Justice, la Cour de sureté de l'État et l'article
66 de la constitution ne sont pas encore mis en place. Ce vide institutionnel
garantit la non-comptabilité du président de la
République. De même, l'adaptation régulière de la
constitution de manière favorable à la réélection
du président donne à lire la dissymétrie entre le
président et la constitution. Le monopole des « chances puissance
» et le monopole des « chances de développement »
contribuent à l'héroïsation de la personne
présidentielle. C'est dans ce sens qu'un enquêté nous
affirmait : « Si vous voulez une route bitumée dans votre village,
faites une marche en faveur du candidat naturel. Si vous voulez un ministre
dans votre tribu, apportez des motions de soutien ».94 Cette
héroïsation de la personne du président relève de la
science fiction : c'est le président-Prométhée. Le
président maitrisant les chances de développement, il peut les
accorder aux régions qui sont lui favorables.
93 La transsubstantiation est le dogme cardinal de
la catholicité. Jésus Christ est supposé dans cette
religion être le Dieu qui se transforme en espèce du pain et du
vain. Il en est de même avec la transsubstantiation dans le
système politique camerounais. On peut d'ailleurs faire le
parallèle avec la catholicité affichée du président
de la République, qui en 30 ans de règne fait venir 3 papes au
Cameroun.
94 Entretien avec un chauffeur de taxi, au cours du
trajet MOKOLO-NKOLBISSON, 10 avril 2011.
En vérité, l'absoluité
présidentielle ne serait pas possible sans le cannibalisme
d'État. Pour dominer, le hard power ne suffit pas. Il faut ajouter
à cela un soft power. Il faut que les positions de pouvoir que le prince
propose soient attrayantes. Pourquoi les camerounais se battraient-ils pour un
strapontin ministériel, si cela n'était accompagné d'une
possibilité d'enrichissement et de pouvoir absolu. Le principe est que
ceux qui sont dans la Cour doivent être enviés, d'où une
certaine noblesse d'État. Pour ce faire, l'embourgeoisement constitue un
appât irrésistible dans un contexte de pauvreté. A ce
moment, la manducation des ressources de l'État et même de
l'État est une composante nécessaire pour la reproduction du
système. Il faut que l'État soit mangé pour que le
collectif bureaucratico-présidentiel puisse avoir un train de vie
attrayant.
Ce chapitre a abordé la centralité du
président de la République dans le système étatique
camerounais. Il en ressort que le rôle présidentiel a connu un
décentrage partiel pendant la période post-transitoire
(1982-1984). Ce décentrage a été principalement
marqué par la cohabitation entre le président de la
République Paul BIYA et le président de l'UNC Ahmadou AHIDJO.
Cette cohabitation a débouché sur une guerre ouverte dès
le 22 août 1983, avec la mise en accusation de l'ex président pour
atteinte à la sécurité de l'État. Cette guerre
s'achève par la condamnation par contumace de l'ancien président
en février 1984 et la tentative de coup d'état d'avril 1984. Bien
que cet épisode ait déstabilisé le président de la
République, elle lui permet paradoxalement d'asseoir son
hégémonie et son charisme : c'est le début du recentrage
présidentiel.
Ce recentrage apparaît sous un double prisme :
l'hégémonie du collectif bureaucraticoprésidentiel dans le
système étatique et la personnification du pouvoir. Le premier
prisme permet d'envisager l'exercice du pouvoir au Cameroun en termes de
formation dirigeante et non d'individu. Elle permet de dépasser la
lecture présidentialiste et personnifiée de l'exercice du pouvoir
au Cameroun. Elle a rendu compte des chaines de dépendance dans
lesquelles s'inscrit le pouvoir du président. Dans le même temps,
elle reste muette à rendre compte du poids actuel de la personne du
président dans le système politique. C'est pourquoi l'approche
par la personnification rend compte de l'état réel de la
domination présidentielle dans le système étatique.
CHAPITRE II LA POLITIQUE PRETORIENNE DE DEFENSE ET
DE SECURITE DU CAMEROUN
« La politique de défense du Cameroun est
essentiellement conduite par le président de la République, chef
de l'État, chef suprême des forces armées
».95
Commandant Emmanuel ELA ELA
L'étude sociohistorique de la construction de
l'État au Cameroun nous apprend la connexité entre l'armée
et le pouvoir politique. L'État au Cameroun est né dans un
contexte de « tensions sécuritaires »; ce qui a permis
l'alliance de l'armée au pouvoir politique. Cette alliance est
hégémonique. Le politique qui fabrique l'armée s'appuie en
retour sur elle pour se reproduire. En accordant des bénéfices
symboliques à l'armée, le pouvoir garantit sa survie. Cette
alliance est à ce jour le coeur de la stabilité
hégémonique du système étatique post 06 avril 1984.
Le noyau de l'alliance est le président de la République, chef de
l'État et chef suprême des armées.
Il faut partir de cette idée pour étudier la
politique de défense et de sécurité du Cameroun. Tenir
cette assertion pour fil conducteur de l'analyse, annoncé ici en termes
d'élaboration d'une sociologie politique des forces armées du
Cameroun, amène à porter l'attention conjointement sur la
configuration officielle de la PDSC et sur le rôle présidentiel
dans la fabrication de la défense et la sécurité. Il est
question d'étudier ici la technologie institutionnelle et juridique de
l'organisation militaire, d'une part; le concept stratégique et l'emploi
des forces, d'autre part (Section I). Il s'agit ensuite de voir comment le
président exerce au concret son hégémonie sur les forces
armées; ce qui donne lieu à la «prétorisation»
des forces de défense et à la présidentialisation de la
PDSN (Section II).
95 Commandant ELA ELA Emmanuel, Op. cit.,
2001, p. 15.
SECTION I LA CONFIGURATION OFFICIELLE DE LA
POLITIQUE DE DEFENSE ET DE LA SECURITE NATIONALE
On entend par configuration de la PDSN, l'organisation
juridique et matérielle des forces de défense du Cameroun; les
concepts sur lesquels elles s'appuient et l'usage de ces forces. L'étude
de la configuration de la PDSN consiste à interroger l'adéquation
entre le concept stratégique et l'emploi des forces.
I- La configuration des forces de défense du
Cameroun
L'armée camerounaise a été
créée par l'ordonnance n° 59-57 du 11 novembre 1959 portant
création de l'armée camerounaise et organisation
générale de la défense. Les forces de défense
camerounaises sont constituées des forces régulières et
des forces spéciales. Ces derniers constituent une innovation majeure de
la PDSC.
I.A- Les forces armées régulières : la
suprématie logistique et numérique de l'armée de
terre
D'après le décret n° 2001/178 du 25 Juillet
2001 portant organisation générale de la Défense et des
États-Majors Centraux, les Forces de Défense ont pour mission :
« d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les
formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du
territoire; de pourvoir au respect des alliances, traités et accords
internationaux ».96 Les forces de défense camerounaises
se composent des formations d'active et de réserve. Les forces de
défense camerounaises sont placées sous l'autorité du
ministre délégué à la présidence,
chargé de la défense. Elles comprennent :
> les Forces de la Gendarmerie Nationale ; > les Forces de
l'Armée de Terre ;
> les Forces de l'Armée de l'Air ;
> les Forces de la Marine Nationale.
L'organisation des forces de l'armée de terre est
régie par le décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant
réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre.
D'après ce texte, « les formations de combat de l'armée de
Terre sont des unités professionnelles qui
96 Décret n° 2001/178 du 25 Juillet 2001 portant
organisation générale de la Défense et des
États-Majors Centraux
participent avec les autres Forces de Défense à
la défense des intérêts vitaux de la Nation
».97 Les formations de l'armée de terre sont
réparties au sein des trois régions militaires interarmées
du Cameroun (RMI). Elles comprennent : les formations de combat,
d'intervention, de soutien et d'appui, qui sont réparties dans les
unités suivantes : la Brigade du Quartier Général; la
Brigade d'Intervention Rapide; des Brigades d'Infanterie Motorisée; des
Bataillons d'Infanterie Motorisée; des Bataillons de Soutien; des
Bataillons d'Appui; des Bataillons d'Intervention Rapide; un Régiment de
Génie; un Régiment d'Artillerie Sol-Air; un Régiment
d'Artillerie Sol-Sol; les Forces de Réserve Spéciale.
L'armée de terre occupe au Cameroun la part la plus
importante du budget de la défense. Elle est la plus
équipée. Elle dispose d'un budget 80 milliards de FCFA, soit 40%
du budget de la défense du Cameroun. Ses effectifs sont en constante
augmentation. De 1990 à 2010, ses effectifs sont passés de 10 000
à 18 000 soit une augmentation de 80%; soit également 1/2 des
effectifs globaux des forces de défense camerounaises. S'agissant des
équipements, elle dispose d'hélicoptères, avions foucades,
Alpha Jets et Mig-21, environ 150 véhicules blindés, 250
véhicules légers.98 Cette suprématie de
l'armée de terre a une triple causalité. Dans un premier temps,
les menaces qui pèsent directement sur les frontières
camerounaises interpellent prioritairement l'armée de Terre; la
deuxième cause, c'est le coup élevé des équipements
au sein des autres forces armées, (Air, et Marine); enfin,
l'armée de terre au Cameroun est surtout une « force
prétorienne ».99 Le contexte sociopolitique camerounais
associe directement les formations de l'armée de terre au maintien de
l'ordre, sous-entendu, le maintien de l'ordre politique. En effet, lors des
manifestations de 1992, de 1993, de 1997, de février 2008, ce sont les
formations de l'armée de terre qui sont venues à la rescousse du
pouvoir d'Étoudi.
S'agissant de la Gendarmerie Nationale, elle fait l'objet du
décret n° 2001/181 du 25 Juillet 2001 portant organisation de la
Gendarmerie Nationale. Les Forces de la Gendarmerie Nationale sont une
composante des forces de défense. Leur action s'exerce sur toute
l'étendue du territoire national et plus particulièrement dans
les zones rurales et sur les voies de communication. Placée sous
l'autorité du Secrétaire d'État à la Défense
(SED), la gendarmerie nationale comprend : les Services Centraux, les
Commandements Territoriaux et
97 Décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001
portant réorganisation des formations de combat de l'Armée de
Terre
98 Source, entretien avec le responsable de la
communication du MINDEF.
99 L'armée de terre fut la première
à être créée au Cameroun. Elle a dès 1959
été essentiellement associée à mater le mouvement
Upéciste et les contestations de 1990, 1993, 2001 et 2008.
les Commandements et Formations spécialisés. La GN
effectue des missions générales et
particulières.100 Les missions générales sont
:
> L'exécution des missions au profit du Ministre de
l'Administration Territoriale et du Ministre de la Justice;
> L'exécution des missions de police administrative et
de police judiciaire;
> Elle se tient également à la disposition des
autres Chefs de départements ministériels dans le cadre des
missions qui lui sont dévolues.
Les missions particulières sont :
> La participation à la défense nationale;
> La participation au maintien de la sûreté
intérieure de l'État;
> Les missions de police militaire et de police judiciaire
militaire.
Les Forces de l'Armée de l'Air sont une composante des
Forces de Défense dont l'emploi requiert principalement l'utilisation de
l'espace aérien. Elles comprennent le personnel militaire en position
soit d'active, soit de disponibilité, soit de réserve.
D'après la loi n° 67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation
générale de la défense, les formations composant
l'Armée de l'Air sont réparties entre :
> l'État-major de l'Armée de l'Air;
> les Forces aériennes; > les Bases
aériennes; > le Centre de ravitaillement technique.
Les Forces Aériennes comprennent :
> les éléments aériens ;
> les éléments terrestres composés de
fusiliers de l'air ;
> les éléments de soutien notamment : des Bases,
des Organismes spécialisés, des Écoles.
100 Décret n° 2001/181 du 25 Juillet 2001 portant
organisation de la Gendarmerie Nationale.
Les commandements de ces formations sont organiques et
opérationnels. Les Bases aériennes sont les lieux de
stationnement des unités et formations et/ou des moyens de support et de
soutien de l'Armée de l'Air répartis éventuellement en
unités. Chaque Base aérienne est placée sous
l'autorité d'un Commandant de Base aérienne, responsable de
l'emploi des ressources et de l'administration du personnel.101
Enfin, les Forces de la Marine Nationale sont une composante
des Forces de Défense dont l'emploi requiert principalement
l'utilisation des milieux marin et maritime. La Marine Nationale se compose :
de forces de surface et de forces de fusiliers marins. Les formations de la
Marine Nationale sont réparties entre :
> l'État-major de la Marine ;
> les Commandements Militaires Territoriaux de la Marine ;
> les Forces de la Marine ;
> les Bases Navales.
Les Forces de la Marine comprennent :
> des éléments navals, notamment des
bâtiments et embarcations ; > des éléments terrestres
composés de fusiliers marins commandos ;
> des éléments de soutien, notamment des Bases,
des Organismes spécialisés, des Écoles;
> des éléments aériens.
Les Bases Navales sont les lieux de stationnement des forces
de la Marine et des moyens de soutien répartis éventuellement en
unités. Chaque Base Navale est placée sous l'autorité d'un
Commandant de Base Navale, responsable de l'emploi des ressources et de
l'administration du personnel.102
L'étude de l'organisation des forces de défense
régulières au Cameroun (active et de réserve) permet de
constater la suprématie numérique et logistique de l'armée
de terre. Par exemple, chacune des composantes des Forces armées (Terre,
Mer, Air) est placée sous le
101 Décret N° 2002/037 du 04 Février 2002
portant création et organisation des forces de l'armée de
l'air.
102 Décret N°2002/036 du 04 Février 2002,
portant création et organisation des Forces de la Marine Nationale.
commandement d'un État-major. Ces États-majors,
plus le SED sont placés sous le commandement du chef d'État-major
de l'armée camerounaise; lequel est sous l'autorité du Ministre
chargé de la défense. Historiquement, le Chef d'État Major
des Armées a toujours été au Cameroun un
général de l'armée de Terre. Et les officiers
généraux les plus emblématiques de l'armée
camerounaise (SEMENGUE, BENAE, MPAY) proviennent de l'armée de Terre.
Ce qui est également à souligner, c'est l'effort
d'interopérabilité et d'interarmité qui est fait dans la
composition des trois régions militaires : Centre, sud et Est, avec pour
commandement territorial Yaoundé; Littoral, Ouest, Nord-ouest et
Sud-ouest, avec pour commandement territorial Douala; et Adamaoua,
extrême-nord et Nord, avec pour commandement territorial Garoua. Mais cet
effort reste très insuffisant, au regard du manque d'exercices
interarmées. Cette présentation aurait pu consacrer une part
importante au Centre de Renseignement militaire et à la Division de la
Sécurité Militaire. Si ces organes ont avant tout pour mission la
contre-ingérence et le contre-espionnage armé, ils constituent
néanmoins une source de disciplinarisation et de moralisation des forces
de défense camerounaises.
Selon la définition de l'OTAN, l'expression forces
spéciales (FS) désigne « les unités
spécifiquement formées, instruites et entraînées
pour mener un éventail de missions particulières, allant des
« opérations spéciales » dans le cadre d'un conflit
classique à celles relevant de la guerre non
conventionnelle».103 La création des forces
spéciales marque une évolution dans la politique de
défense du Cameroun, notamment de la doctrine d'emploi des forces. Cette
évolution correspond aux nouvelles menaces de défense et de
sécurité qui pèsent sur le Cameroun. Parallèlement,
elle s'inscrit dans un contexte d'inefficience et de
néopatrimonialisation des forces armées régulières.
Cette section va faire une analyse comparée des forces spéciales
camerounaises, à l'exclusion du BIR et de la GP.
Les composantes des forces spéciales camerounaises
proviennent essentiellement de l'armée de terre. Il s'agit : du
Bataillon Spécial Amphibie (BSA), du Bataillon des Troupes
Aéroportées de Koutaba (BTAP), du Groupement Polyvalent
d'Intervention de la Gendarmerie Nationale (GPIGN), du Bataillon Blindé
de Reconnaissance (BBR), auxquels on peut ajouter la Bataillon du Quartier
Général (BQG). A ces forces spéciales terrestres, on peut
ajouter les Fusiliers Marins Commandos (FMC), qui ressortent de la
compétence de l'armée de l'Air; et les Fusiliers de
l'Armée de l'Air (FAA), qui appartiennent à la Marine
Nationale.
103 HUSSON Jean-Pierre, Encyclopédie des forces
spéciales du monde, Histoire & Collections, Paris, 2000.
Depuis la chute du mur de Berlin, les États africains
dont le Cameroun sont confrontés à de nouvelles menaces sur leur
sécurité et leur défense. Ces menaces sont pour le
Cameroun : le conflit avec le Nigéria au sujet de la péninsule de
Bakassi, l'insécurité post-conflit à Bakassi, la
porosité des frontières limitrophes du Tchad, de la RCA et du
Gabon, la gestion sécuritaire des réfugiés. Au plan
interne, ces menaces sont liées au « grand banditisme »,
l'extension du phénomène de coupeurs de route. Ces menaces
surviennent dans un contexte d'inefficience de l'armée
régulière. La corruption fonctionnelle dans le recrutement et la
gestion des carrières préparait mal cette armée à
affronter les défis de la défense et de la sécurité
actuels. Ces nouvelles criminalités constituent également une
réponse sociale des populations à la gestion chaotique du
pouvoir. Face au développement à géométrie
variable, le grand banditisme et l'insécurité se
présentent comme une fenêtre d'opportunité pour les couches
les plus défavorisées. L'extension des pôles de «
grand banditisme » correspond à la géographie de la
misère au Cameroun.104
Ces mutations de l'insécurité ont conduit
à une évolution de la politique de défense et de
sécurité du Cameroun, qui accorde dorénavant la place
principale aux forces spéciales. L'idée c'est de confier aux
forces spéciales la gestion de la défense et de la
sécurité du pays, face à l'inefficience des forces
régulières, qui sont avant tout sociales. Les forces
spéciales sus-évoquées sont organisées autour de la
Brigade du Quartier Général et de la Brigade d'intervention
Rapide, pour ce qui est de l'armée de terre.105
La Brigade de quartier général est une grande
unité chargée d'assurer la protection de la Capitale et le
soutien des organismes institutionnels. Aux ordres du commandant de la
Première région militaire interarmées, elle est
constituée de : un État-major; un Bataillon de Commandement et de
Soutien ; un Bataillon de Protection. L'exécution de ses missions est
soumise à l'accord préalable du Président de la
République.
La Brigade d'Intervention Rapide est une unité de
combat tactique placée aux ordres du Chef d'État-major des
armées. Elle est constituée des Formations suivantes : le
Bataillon Spécial Amphibie (BSA) le Bataillon Blindé de
Reconnaissance issu de la Réserve Générale (BBR); le
Bataillon des Troupes Aéroportées (BTAP). L'exécution de
ses missions est soumise à l'accord préalable du Président
de la République.
104 SAÏBOU ISSA, Les coupeurs de route. Histoire du
banditisme rural et transfrontalier dans le bassin du lac Tchad, Paris,
Karthala, 2010, p.p. 8-20.
105 Décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant
réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre.
S'agissant des FMC, ils sont placés sous
l'autorité du Chef d'État-major de la Marine nationale. Mais
l'exécution de leurs missions est soumise à l'approbation
préalable du président de la République. Il en est de
même des Fusiller de l'Armée de l'air, qui sont placés sous
l'autorité du chef d'État-major de l'Armée de l'ai, mais
dont l'exécution des missions est soumise préalablement au
président de la République.
Au total, les forces spéciales camerounaises
constituent une réponse du politique aux contraintes nouvelles qui
pèsent sur la défense et la sécurité du territoire.
Elles sont mieux entraînées et mieux équipées que
les armées régulières. Leur formation répond
à des objectifs précis et opérationnels. Toutefois, la
multiplication des forces spéciales ne constitue pas forcément
une aubaine pour la défense et la sécurité du
territoire.106 La relégation de l'armée
régulière au second plan et sa relative marginalisation au sein
des opérations de combat, entraîne la routinisation des forces
spéciales; ce qui déroge même au principe de forces
spéciales.
II- Le concept stratégique et l'emploi des forces
en débat
La problématique de cette section peut se
résumer de façon suivante : l'emploi des forces armées
camerounaises correspond-il au concept stratégique de défense ?
Par emploi des forces, il faut entendre non seulement la spécialisation
des forces armées camerounaises et leur extension hors du triangle
national, mais aussi et surtout l'utilisation des forces armées aux fins
de répression des populations.
II.A- Le concept de défense populaire
Le Cameroun va, dès son accession à
l'indépendance en 1960, opter pour la défense populaire comme
concept d'emploi des forces. Avant d'examiner les différentes
évolutions de ce concept depuis les indépendances,
interrogeons-nous un instant sur le pourquoi de ce concept au Cameroun.
Les raisons qui ont motivé le choix des
autorités camerounaises semblent multiples. D'abord, en tant que jeune
État qui accède à la souveraineté en pleine guerre
froide, au prix du sang et avec des moyens modestes, il apparaît
évident aux autorités que, pour faire face à la
rébellion, il faut impliquer l'ensemble de la nation qui, en formant un
bloc, peut constituer un bastion de résistance. C'est du moins, pour
cela que le président AHIDJO souligne à
106 Les résultats des forces spéciales ne sont pas
exceptionnellement plus éloquents que ceux des forces
régulières engagées dans les régions.
l'époque que la défense populaire peut
être d'un grand secours dissuasif. Si l'adversaire a la certitude de
trouver en face de lui une volonté sans faille et décidée
à ne pas céder, une défense populaire l'obligerait
à constater qu'aucun succès immédiat ne justifie de sa
part la réalisation de sa menace. Mais, au-delà de son
caractère défensif et dissuasif, le concept de défense
populaire, tout en faisant de l'armée une puissance relative et
d'avant-garde, chargée d'encadrer les masses populaires contre l'ennemi,
présente en outre un avantage économique que SADOU DAOUDA, alors
ministre des Forces armées met en exergue en ces termes :
En raison de ses faibles ressources, le Cameroun ne
disposera pas avant longtemps des forces capables d'être dissuasives par
leurs effectifs et leurs équipements. Ses forces
régulières ne pourront jamais, et ne devront jamais, d'ailleurs,
dépasser un seuil au-delà duquel leur poids sur les ressources du
pays constituerait une gêne ou un frein à son
développement. C'est pourquoi sa défense ne doit pas être
l'apanage des seuls militaires, mais l'affaire de tous. Elle doit être
populaire.107
Le président Paul BIYA reviendra également sur
ce concept pour souligner un autre élément; le lien entre
armée-nation : « la défense populaire est la symbiose entre
les forces armées et la nation (...) et représente la
résistance morale et civique de la nation »108.
En somme, la défense populaire a donc été
consacrée au Cameroun comme concept opératoire pour l'emploi des
forces pour quatre raisons : elle permet au jeune État de faire face
à la rébellion dans un contexte de guerre froide, elle a un effet
dissuasif sur les ennemis extérieurs, elle consacre le lien entre
armée et nation et permet, en évitant le tout militaire, de
réaliser des économies d'échelle pour les consacrer au
développement du pays. Mais au-delà de cette économie du
choix, quelles évolutions a connu ce concept dans le temps?
Une analyse chronologique de la politique de défense du
Cameroun, fondée sur les déclarations et les textes, laisse
observer une évolution en trois phases. Une première phase
couvrirait les années 50-60 au cours de laquelle émerge dans
l'urgence et sous le feu de l'action, le concept d'emploi des forces, sans
véritable élaboration doctrinale. Une seconde phase allant des
années 70 aux années 80 au cours de laquelle s'élabore la
politique camerounaise de défense dans sa globalité et sa
complexité.
Pour ce qui concerne la première phase, elle recouvre
deux textes fondateurs qui vont de l'ordonnance n° 59/57 du 11 novembre
1959 portant création des forces armées camerounaises et
organisation générale de la défense, dans ses articles 3,
5, 17, et 19 où on trouve déjà les termes de mobilisation
générale et de service national comme ancêtre lointain
107 SADOU DAOUDA, « Discours à l'assemblée
nationale », le 15 janvier 1971.
108 BIYA Paul, « Discours à l'occasion de la sortie
de la promotion « Vigilance » de l'EMIA », 30 juillet 1983.
du concept de défense populaire, à la loi
n° 67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation générale de
la défense, puisqu'elle consacre dans ses articles 2, 5 et 12 le
caractère national et populaire de la défense de la patrie. Tout
au long de cette période, la priorité est à l'action. Le
travail de la conception est réduit à sa plus simple expression,
et ceci d'autant plus que pour l'essentiel, les forces armées
camerounaises s'adossent sur l'expertise française.
La seconde phase tout en se nourrissant de la loi de 1967
rappelée plus haut s'ouvre par le discours du président AHIDJO,
le 15 août 1970, devant les élèves officiers de la
promotion du 10ème anniversaire de l'indépendance.
C'est à cette occasion qu'il souligne que notre défense doit
être nationale, c'est-à-dire l'affaire du peuple tout entier. Il
ajoute qu'une nation défendue par le peuple est invincible. Il s'agit,
soutient-il, de créer pour l'envahisseur, un éventuel
guêpier, inévitable, inexorable, le mettant ici et là en
état d'infériorité et à exploiter par nos forces
armées, relativement critique par le nombre, mais de la meilleure
qualité pour l'attaque, mobiles, agressives et
déterminées.
II.B- Évolution de la politique de défense
et contradiction avec l'emploi des forces au Cameroun
L'évolution de la politique de défense au
Cameroun connaît sous le régime du président BIYA une
troisième phase qui va de 1990 à aujourd'hui. Elle se
caractérise par deux principales orientations qui, à bien
observer, semblent dépasser le cadre du concept de défense
populaire. D'un côté, se propage une forte internationalisation de
la politique camerounaise de défense, laquelle se manifeste par une
projection des forces de plus en plus régulière dans la
sous-région, en Afrique et dans le monde. Ce mouvement ayant pour
pendant, la signature de nombreux traités et pactes de non-agression,
entre États de la sous-région, voire du continent. De l'autre
côté, la publication des 21 décrets réorganisant
l'armée du 25 juillet 2001, confirme la tendance observée tout au
long des années 90, à savoir, l'émergence de nouveaux
territoires de commandement et la création de plus en plus
d'unités spécialisées. On peut dans ce sens citer les
décrets n° 92/156 du 17 juillet 1992 portant réorganisation
du commandement militaire territorial ; n° 93/212 du 4 août 1993,
portant nouvelles appellations des formations et unités des forces
armées ; n° 93/0940 du 4 septembre 1993, portant mise sur pied du
1er bataillon de fusiliers marins commandos et n° 99/015 du 1er
février 1999, portant création du Groupement polyvalent
d'intervention de la Gendarmerie nationale (GPIGN).109
A côté des contraintes opérationnelles qui
contredisent l'esprit de la défense populaire, l'autre versant, le plus
important, concerne l'effritement du lien armée-nation. En effet,
109 Ibidem.
l'histoire du Cameroun est parsemée des confrontations
brutales entre l'armée et la population. Qu'il s'agisse de son histoire
la plus récente avec les tirs à balles réelles contre les
populations en février 2008 ou celle de 2001 avec le « Commandement
opérationnel »110 à Douala ou encore l'histoire
de 1997. Dans chacun de ces cas, l'armée nationale est intervenue contre
les populations de façon disproportionnée, faisant de nombreuses
familles endeuillées.
Cette utilisation de l'armée dans le champ civil n'est
pas de nature à donner à l'armée camerounaise un visage
sympathique aux yeux de la population. De ce fait, le lien arméenation
qui constitue pourtant un volet névralgique de la défense
populaire s'en trouve effrité. L'inceste entre l'armée et le
pouvoir politique, hérité du pouvoir colonial, fait des forces
armées camerounaises un allié du pouvoir politique contre le
peuple. Cette alliance des dominants est à restituer dans un contexte
d'illégitimité populaire de l'exécutif gouvernant. Le
soutien des forces armées à un pouvoir que nombre de camerounais
jugent illégitime contribue à donner aux forces armées
camerounaises une image d'armée prétorienne, tout à
l'opposée de l'image d'armée républicaine, d'armée
de développement qu'elles affichent à chaque défilé
du 20 mai. Le casernement de l'armée camerounaise et son confinement aux
missions de défense du territoire constitue une solution à ce
problème. Dans le même sens, la fin du service national
obligatoire n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de l'ineffectivité
des moments de brassage entre l'armée et la population. Ces moments de
brassage se résument aujourd'hui pour l'essentiel aux tournois sportifs
entre civils et militaires.
SECTION II LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DANS
LA POLITIQUE DE DEFENSE ET DE SECURITE DU CAMEROUN
Le président de la République est le chef de
l'État, chef des forces armées camerounaises et responsable de la
défense nationale. A ce titre, il définit la politique de
défense de la nation. Cependant, force est de constater qu'il y a un
réel décalage entre la configuration officielle de la politique
de défense et sa praxis. Ce décalage concerne la
prétorisation et la présidentialisation des forces armées
camerounaises (FAC). Cette section va aborder le statut du président de
la République et les ressources de l'hégémonie
présidentielle dans le champ de la défense et de la
sécurité au Cameroun.
110 OWONA NGUINI Mathias Éric, « Le commandement
opérationnel: solution durable à l'insécurité ou
régulation passagère ? », in Enjeux, n°3,
avril-juin 2000, pp. 12-16.
I- Le président de la République,
imperator et chef suprême des forces armées
camerounaises
Le président de la République du Cameroun est le
chef suprême des FAC. Comme nous l'avons souligné
précédemment, ce statut est inhérent à sa
qualité de chef de l'État, garant de l'indépendance, de
l'unité nationale et de l'intégrité physique du
territoire. A ce titre, il se charge de l'élaboration et de la conduite
de la politique de défense. Cependant, cette politique, axée sur
le concept de défense populaire, est travestie par les buts politiques
et la primauté accordée à la sécurité
présidentielle.
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