CHAPITRE I
DECENTRAGE ET RECENTRAGE PRESIDENTIELS DANS
LE SYSTEME ETATIQUE CAMEROUNAIS
« Le président de la République du
Cameroun, bien que jouissant d'une importante marge de manoeuvre, est pris
dans un réseau d'interdépendances».59
Luc SINDJOUN
L'hégémonie présidentielle a
été contestée au Cameroun entre 1982 et 1984; ce qui ne
devait être qu'une transition néopatrimoniale est devenu une
transition chaotique. Avant 1982, la prédominance présidentielle
dans le système politique n'avait pas été
contestée. Or le retrait du président Ahmadou AHIDJO, puis son
désir de maintenir le nouveau président sous sa tutelle,
entraîne la crise de succession entre l'ex-président de la
République et le nouveau. Cette crise se manifeste par la structure
bicéphale du pouvoir, avec d'un côté, le président
du parti-État UNC; de l'autre le président de la
République, vice-président de l'UNC. La tentative de coup
d'État d'avril 1984 constitue une conjoncture critique qui a
entraîné une transition chaotique. Cette crise, qui a mis à
épreuve la fonction présidentielle, a paradoxalement
été le moment privilégié où elle a
démontré sa supériorité. Finalement, l'institution
présidentielle s'en sort avec une influence plus notable dans le champ
étatique et politique. En réalité, s'il est vrai que la
domination présidentielle dans le système étatique est
inhérente au système de domination politique; s'il est vrai qu'il
faut penser l'hégémonie présidentielle en termes de «
formation dirigeante », d'«alliance entre les dominants » et de
« noblesse d'État »; l'étude du système actuel
ne peut faire l'impasse sur l'anthropomorphisme étatique et la
personnification du pouvoir.
En vérité, l'évocation des concepts
« formation dirigeante », « réseau
d'interdépendance », « président qui n'a pas les mains
libres » participe d'une stratégie de déresponsabilisation
présidentielle et de perpétuation du pouvoir. Les
mécanismes de discrédit des collaborateurs, des opposants et des
concurrents éventuels permettent de s'affirmer aux yeux de la nation
comme le moins coupable : le moindre mal.
59 SINDJOUN Luc, op. cit., 1996, p. 2.
SECTION I LA TRANSITION CHAOTIQUE DE 1982 A
1984 OU LE DECENTRAGE PRESIDENTIEL
La transition de 1982 à 1984 a été
déstabilisatrice pour le pouvoir présidentiel. Elle l'a surtout
été parce que l'adversaire du président de la
république n'était ni un rebelle, ni un maquisard. Au contraire,
c'était le «père de la nation», celui à qui Paul
BIYA doit toute sa carrière politique, jusqu'à son adoubement
comme président de la République. Comment était-il
possible d'expliquer à la nation que celui qui jusqu'alors fut le
bâtisseur infatigable était devenu un subversif. Cette situation a
été rendue particulièrement difficile parce que le
président AHIDJO restait le président de l'Union Nationale
Camerounaise, le parti-État, au sein duquel le président Paul
BIYA n'était que le deuxième vice-président. La
déstabilisation présidentielle se caractérise en premier
lieu par la structure du pouvoir bicéphale. La tentative de coup
d'État de 1984 est le deuxième moment de la
déstabilisation présidentielle.
I- La structure du pouvoir bicéphale
Le bicéphalisme se caractérise au Cameroun par
la présence de deux présidents : le président de la
République et le président de l'UNC. Il constitue un moment
privilégié du décentrage dans la mesure où il donne
lieu à une mise en concurrence du président de la
République et du président de l'UNC pour le contrôle des
ressources de l'État. Cet épisode concurrentiel s'achève
par la rupture entre les deux présidents le 22 août 1983.
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