C/ Une place importante de la scène alternative
hexagonale
En effet, depuis son ouverture, le Confort Moderne s'est
imposé sur la scène alternative hexagonale comme un lieu
important. Cette scène s'est largement développée
grâce à un système de solidarités, de
réseaux, dans lequel le centre culturel poitevin s'est beaucoup
impliqué. La programmation de soirées individuelles ou de
manifestations plus importantes témoigne de cet attachement à la
promotion des artistes français, résolument tournés vers
le rock, comme le laissent transparaître le nom de quelques
événements : « Rock Hexagonal Tendancieux » en 1986,
le
133 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1988-juillet 1989), La Nouvelle
République du septembre 1988.
134 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1987-juillet 1988), Centre Presse du 9 juin 1988.
« Challenge Hexagonal Rock » de 1987 et « Rock
en France » en 1989. Ces festivals sont l'occasion pour LOH de mettre en
valeur les talents des artistes français, connus ou non, mais aussi de
faire reconnaître la « culture rock » qui ne se
résume pas à des musiciens, mais englobe un ensemble de
composantes interdépendantes : labels, disquaires, fanzines
(médias indépendants réalisés par des amateurs
passionnés qui chroniquent et relaient des groupes et des informations
exclus de la presse traditionnelle), graphistes etc. Tous ces acteurs sont
régulièrement mis à l'honneur au Confort Moderne, qui
programme des soirées consacrées à certains labels #177;
par exemple #177; ce qui constitue une occasion de promouvoir les artistes que
ceux-ci produisent. Une soirée « Gougnaf Mouvement », label
indépendant datant de 1983 et originaire de Juvisy dans
l'Essonne135 a par exemple lieu en novembre 1988.136
Néanmoins, le Confort Moderne ne se contente pas de faire tourner des
groupes qui ont déjà une petite renommée à
l'échelle nationale dans le milieu rock, mais cherche
également à faire émerger des talents tout à fait
neufs. C'est le but du « Challenge Hexagonal Rock », dont le principe
réside dans le fait de faire jouer des groupes totalement amateurs,
novices (25 pour la région Grand-Ouest) sous forme d'une sorte de
concours, de tremplin pour leur permettre d'acquérir un peu de
notoriété. La finale de l'édition 1987 permet à six
groupes sélectionnés parmi les 25 de se produire sur la
scène du Confort Moderne le 23 octobre137, qui continue par
là à entretenir sa réputation de découvreur de
talents.
Le genre et la culture rock partagent donc la
programmation du Confort Moderne ~ et celle de LOH avant lui ~ avec, nous
l'avons vu, les musique traditionnelles, le jazz et les musiques
expérimentales. Ce brassage des genres, ce décloisonnement (y
compris dans la nature de diffusion culturelle : le Confort Moderne est aussi
impliqué dans le domaine de l'art contemporain) permet comme le souhaite
l'association, de faire se rencontrer des publics diversifiés, ne
répondant pas aux mêmes codes, « qui se lookaient
différemment »138, ce qui implique aussi la rencontre
entre des gens originaires de milieux sociaux différents. Loin de se
cantonner à une identité très stricte, qui renvoie
à une image uniforme rattachée à une scène
spécifique, le Confort
135 RUDEBOY Arno, op. cit., p. 167.
136 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1988-juillet 1989), La Charente Libre du 9 novembre
1988.
137 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1987-juillet 1988), Centre Presse du 15 octobre
1987.
138 Entretien avec Luc Bonet du label « On A Faim ! »,
propos recueillis le 14 janvier 2011.
Moderne fonde plutôt sa démarche sur l'innovation
à tout prix et ne défend aucun style plus qu'un autre : LOH
organise ainsi, avec les Jeunesses Musicales de France, un concert de
l'orchestre régional du Poitou-Charentes en février
1986139, un mois tout juste avant le début du festival «
Rock Hexagonal Tendancieux n° 3 ». Cette manifestation, qui a mis
« Poitiers à l'avant-scène du rock français
»140, a présenté aux Poitevins « pendant une
semaine, une sélection représentative des dernières
tendances de la culture rock (made in France) du moment
»141 conjuguée à la représentation de
quelques valeurs sûres de cette scène (comme les parisiens
Bérurier Noir, en pleine ascension, ou les Thugs
d'Angers, qui commencent à se faire un nom jusqu'aux États-Unis,
repérés par Jello Biafra, leader d'un des groupes phares
de la scène alternative américaine : Dead Kennedys)
confirmant le Confort Moderne dans son rôle de pôle culturel
alternatif d'influence. LOH a tenu lors de cette manifestation à
associer Poitiers dans son ensemble et la région alentour (pour «
travailler pour une vraie décentralisation régionale avec les
associations sur place, permettant le relai et le suivi de l'animation
»142) au rayonnement du lieu qu'elle gère. Le festival
s'est donc déroulé dans divers lieux de Poitiers et de la
région. L lycée des Feuillants et l'amphi J du campus ont alors
été mis à contribution et ont permis à LOH de venir
au plus près de leur public de prédilection : les jeunes, et
l'association parthenaisienne Diff'Art (qui compte d'anciens membres
de LOH) a accueilli quelques représentations au coeur de la Gktine deux
sévrienne. L'association a donc montré qu'elle savait se
détacher du Confort Moderne pour offrir un accès facilité
à la culture au public (qui est bien sûr à conjuguer avec
la politique de prix des places : entre 35 et 50 francs par concert), que ce
soit dans la capitale régionale, ou dans sa campagne environnante, mais
aussi pour « faire de Poitiers et sa région, durant une semaine, la
capitale du rock français. »143
On voit donc que le Confort Moderne se trouve au coeur de la
frange alternative du rock français, ce qui se manifeste par la
profusion d'articles faisant l'éloge du lieu dans la presse
spécialisée d'une part, mais aussi dans la petite presse
amatrice, les
139 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 13
février 1986.
140 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie »
(septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 3 mars 1986.
141 ACM : « Divers », Pré-projet
de Rock Hexagonal Tendancieux n° 3, 1986, p. 1.
142 ACM : « Divers », Pré-projet
de Rock Hexagonal Tendancieux n° 3, 1986, p. 3.
143 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 12 mars
1986.
fanzines, qui constituent un element important au sein de ce
courant. La salle poitevine s'inscrit donc pleinement dans la dynamique de ce
mouvement et participe pleinement à sa structuration en proposant un
lieu d'expression aux artistes qui le composent et le popularisent jusqu'en
1989.
Cette première partie nous a donc permis de constater
que l'activité culturelle alternative à Poitiers s'est
progressivement structurée entre 1984 et 1989 et s'est principalement
exprimée à travers l'action de l'association L'oreille est
hardie, d'abord seule, puis au sein du Confort Moderne, centre de
diffusion qui a permis d'amplifier cette action, de lui donner
différentes formes (à travers la galerie d'art contemporain mais
aussi grâce aux compagnons de route qui se sont installes dans la cour,
faisant du Confort Moderne un veritable pôle culturel alternatif) et de
l'implanter profondément dans l'agenda culturel de la Ville.
Précurseurs dans la programmation qu'ils ont offerte à la
population de Poitiers, les membres de LOH l'ont aussi été
à travers l'ouverture de ce lieu en 1985. De nos jours, le Confort
Moderne s'inscrit dans un large panel de salles diffusant des musiques
amplifiees, mais lors de sa creation, celui-ci etait relativement en avance sur
son temps et se trouvait par-là même un peu isole. Il a fallu
attendre la fin des annees 1980 pour voir se developper des structures
delivrant des manifestations du même type, bien que ne beneficiant pas
des mêmes specificites dans leur creation. Gerôme Guibert nous
l'explique très bien :
« A côté des figures traditionnelles
d'entreprises culturelles incarnées par les modèles
ideal-typiques de « l'entrepreneur privé » et du «
thé~tre public », apparaît à compter de la fin des
années 1980 un nouveau type d'acteur à l'économie hybride,
en parti autofinancé et en parti subventionné, mais oI persiste
aussi une part d'économie non monetaire basee sur la reciprocite et le
don/contre don (ne serait-ce que par l'importance du benevolat). »144
Dès 1985, nous avons donc vu que le Confort Moderne
repond à ces critères, le bar et les recettes des manifestations
finanwant une partie du budget, le reste etant tant bien que mal assume par les
aides des differentes institutions municipales ou de l'État #177; avec
qui les relations entretenues ont pu être difficiles. A mi-chemin entre
une institutionnalisation complète et l'absence de formalisme, voire
l'illégalité, le
144 GUIBERT Gerôme, « Les musiques
amplifiees en France, phenomènes de surface et dynamiques invisibles
», dans Réseaux, 2/2007 (n° 141-142), p. 302.
Confort Moderne correspond parfaitement au schéma
général de ce que Guibert définit comme une scène
locale, en reprenant les préceptes du Do It Yourself, tout en
s'inscrivant dans la politique culturelle de la Ville :
Le secteur des musiques amplifiées. Topographie
socio-économique145
Le Confort Moderne a donc réussi à se placer de
manière novatrice dans les dynamiques artistiques à
différentes échelles, en réussissant à faire de
l'action culturelle un rempart à l'exclusion, un vecteur d'insertion,
sans que cette portée sociale ne prenne le pas sur la dimension
artistique du lieu. Le centre culturel a donc pu favoriser et accompagner la
montée en puissance de courants musicaux nouveaux, notamment en France
avec l'explosion du rock alternatif, qui devait s'éteindre en
1989. Notre deuxième partie va donc essayer de voir si la
prétendue mort du mouvement alternatif devait avoir une incidence sur la
survie du Confort Moderne et la vie culturelle alternative poitevine en
général.
145 GUIBERT Gérôme, op. cit.,
p. 303.
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