La scène alternative de Poitiers( Télécharger le fichier original )par Maxime Vallée Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011 |
III- L'ancrage du Confort Moderne à plusieurs échellesLe Confort Moderne étant semble-t-il bien lancé, il va maintenant nous falloir analyser les sphères dans lesquelles la structure s'est inscrite. On va pour cela distinguer trois niveaux différents, pour étudier les réseaux internationaux, locaux et nationaux auxquels elle appartient. A/ Des contacts internationaux anciensNous l'avons déjà souligné, LOH, dès ses débuts en 1977, entretient des liens étroits avec les groupes appartenant aux scènes alternatives étrangères, notamment américaine et anglaise. Nous avons pu constater que le fruit de ces réseaux déboucha sur la programmation exceptionnelle présentée lors du Meeting de 1983. Il est donc naturel que l'on retrouve le mrme type de relations dès l'ouverture du lieu en 1985 et tout au long du développement du centre culturel poitevin. Dès le festival « Rock Hexagonal Tendancieux » ou RHT, troisième du nom en mars 1986 (LOH a déjà organisé les deux premières éditions en 1982 et 1983 dans différents lieux de Poitiers comme la MJC Aliénor d'Aquitaine ou la Blaiserie98), ces connexions internationales sont mises à l'honneur par le biais du groupe New-Yorkais, Live Skull, et celui de Chicago, The Pharaohs. Sonic Youth, déjà programmé pour le Meeting en 1983 et qui a forgé la réputation de ce festival, rend honneur à LOH en jouant au Confort Moderne le 3 juin 1986.99 Cependant, on remarque également lors des premières années le développement de relations privilégiées avec des groupes de musiques africaines, qui débouchent sur 98 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), La Nouvelle République du 22 avril 1983. 99 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 3 juin 1986. la venue à Poitiers de nombreuses formations de ce continent. On a déjà pu constater que LOH avait tenu à mettre les musiques traditionnelles du monde à l'affiche lors de son sabordage en 1983 en programmant les Musiciens du Nil. Ce même groupe est à nouveau invité le 5 février 1986100 et on pourra noter à titres d'exemples la venue de Ghetto Blaster (groupe réunissant des musiciens de toute l'Afrique) le 20 mars 1987101, ou encore celle de Johnny Clegg et de son groupe Savuka le 17 avril 1987.102 Ce concert reste aujourd'hui comme un véritable événement à Poitiers et montre encore le caractère visionnaire de LOH, qui a une fois de plus réussi à programmer un futur grand nom de la musique africaine, qui remplit aujourd'hui des stades entiers. Ce lien particulier avec la musique africaine (traditionnelle ou non), dont le développement est prévu dans les objectifs de LOH #177; qui souhaite développer les musiques actuelles au même titre que les musiques traditionnelles, quelles que soient leurs origines #177; s'explique aussi par les intérIts et les affinités esthétiques personnelles de certains membres du Confort Moderne, qui s'impliquent largement dans ce style de musique, en témoignent leurs trajectoires professionnelles après qu'il aient quitté le lieu : Francis Falceto est actuellement spécialiste en musiques éthiopiennes et Yorrick Benoist a fondé une agence promouvant les musiques traditionnelles : Run Prod103. Et plus encore que le maintien des relations avec l'Amérique ou le renforcement de celles entretenues avec l'Afrique et le monde, c'est la reconnaissance du Confort Moderne à l'échelle européenne et son activité dans les réseaux de ce continent qu'il va ~tre le plus intéressant d'analyser pour cette tranche chronologique. En effet, l'année 1987 marque une étape importante dans le développement de LOH et du Confort Moderne sur le plan européen. On constate ainsi, malgré le développement des activités du centre culturel et l'acquisition de sa notoriété, des difficultés concernant la gestion de la comptabilité. Largement souligné dans l'audit financier réalisé durant la saison 1988 par la société Argos, « un manque significatif de rigueur 100 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1985-juillet 1986) », Centre Presse du 4 février 1986. 101 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1986-juillet 1987), Centre Presse du 18 mars 1987. 102 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1986-juillet 1987), Centre Presse du 15 avril 1987. 103 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1990-juillet 1991), Centre Presse du 29 juillet 1991. dans la tenue des comptes »104, est relayé dans la presse dès la fin de l'année 1986 et le début de l'année 1987, o la fermeture du lieu est mrme envisagée.105 Ces difficultés de gestion s'expliquent aisément : « Le renouvellement des personnels permet que s'acquiert dans l'institution le savoir faire minimum, mais non les compétences optimum pour que ne se répètent pas les erreurs inhérentes à la jeunesse d'une organisation. Les lacunes observées en comptabilité/gestion sont sans doute imputables à cette spécificité de fonctionnement du CONFORT MODERNE. »106 On remarque donc que les efforts d'institutionnalisation du Confort Moderne ne sont finalement pas forcément suffisants et que la mobilité du personnel est difficilement compatible avec la gestion des comptes d'un pôle culturel qui prend de l'importance. En plein doute face à ces difficultés, une des responsables leaders du Confort Moderne, Fazette Bordage, qui a largement participé à la fondation du lieu, trouve dans des sphères bien extérieures à Poitiers et la France des perspectives qui pourraient aider la structure, qui semble menacée. Fabrice Raffin, un sociologue français qui s'est beaucoup intéressé aux friches industrielles européennes remaniées en centres culturels dans ses recherches, relate longuement à travers des témoignages de l'intéressée comment le Confort Moderne, via Fazette Bordage, est entré en contact avec le réseau européen Trans Europe Halles (TEH). Preuve de la réputation acquise depuis 1977 par LOH, puis par le lieu que l'association a aménagé et qu'elle gère depuis 1985, c'est par voie de presse qu'un des responsables des Halles de Schaerbeek (un centre culturel qui s'est installé au milieu des années 1970 dans un ancien marché couvert de la ville de Bruxelles107) entend parler du Confort Moderne et décide de contacter ses gérants en août 1986, au mrme titre que d'autres lieux similaires en Europe (en Allemagne, en Suisse ou en Hollande) dans le cadre de l'association montée par les bruxellois et cinq autres structures en 1983 : Trans Europe Halles. Selon ses statuts, celle-ci vise à générer « les échanges et la coopération internationale relatifs aux développements nouveaux dans toutes les 104 ADV : 1256 W 127 - 1988-1989- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Audit financier et comptable de l'entreprise « Le Confort Moderne », « L'Oreille est Hardie » réalisé par Argos, février 1989, p. 22. 105 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1986-juillet 1987), La Nouvelle République du 14 janvier 1987. 106 ADV : 1256 W 127 - 1988-1989- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Audit financier et comptable de l'entreprise « Le Confort Moderne », « L'Oreille est Hardie » réalisé par Argos, février 1989, p. 9. 107 Les Halles de Schaerbeek, « Histoire du projet », http://www.halles.be/page.php?id=57, consulté le 29 avril 2011. formes de la création et de la production culturelle. »108 Elle semble adaptée au « spectacle vivant lié à l'émergence de nouvelles pratiques contemporaines difficilement compatibles avec les structures (de type théâtre) mises en place à grand frais pas les villes et les États. »109 Le Confort Moderne devient donc le représentant français des friches industrielles réaffectées au sein de TEH. Il succède à l'Usine parisienne de Pali-Kao, dont on se souvient aujourd'hui comme d'un haut lieu du rock alternatif français, rattaché à des noms tels que Bérurier Noir. L'entrée dans cette association transnationale marque donc l'appartenance de LOH à un ensemble de structures adoptant des pratiques similaires à celles des Poitevins : la réhabilitation de friches industrielles devant le manque de lieux en capacité d'accueillir des manifestations culturelles novatrices, tout en gardant une indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. TEH regroupe en effet uniquement ~ selon la plaquette de présentation #177; des centres culturels s'étant réappropriés les « architectures témoins d'une époque marchande ou industrielle [respectant le principe de] non interventionnisme des pouvoirs publics tant dans l'administration que dans la programmation. »110 Bien plus que de trouver à travers cette organisation un renouveau pour la programmation, c'est avant tout du soutien, des conseils et des exemples que LOH reçoit au sein de TEH. Même si le volet artistique est important dans les liens entre les différents membres et permet d'organiser chaque année dans les villes du réseau à tour de rôle des festivals « Trans Europe Halles »111, il est important de comprendre que c'est le fait d'entretenir des contacts avec des structures similaires par le biais de réunions régulières qui a présenté un grand intérêt pour le Confort Moderne. Avec des lieux qui ont connu ou connaissaient à la même époque les mêmes soucis : précarité des emplois, mobilité des postes, autisme des municipalités etc. Alors que la structure se sentait marginalisée, elle a pu trouver écho auprès de nombreuses personnes du réseau : « Lors des rencontres de leurs membres, ce sont aussi des savoir-faire qui sont échangés »112 , elle y trouve « une boulimie d'échanges qui finalement [les] a énormément rapproché (beaucoup de 108 Le Confort Moderne, 10 ans de Confort Moderne : 1985-1995, 1995, p. 25. 109 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1986-juillet 1987), La Nouvelle République du 15 mai 1987. 110 RAFFIN Fabrice, op. cit., p. 264. 111 L'étape de ce festival a lieu pour la première fois en 1989 : ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1989-juillet 1990), Le Monde du 9 novembre 1989. 112 RAFFIN Fabrice, op. cit., p. 261. problèmes communs, les expériences les plus avancées donne des idées aux autres). »113 De plus, en intégrant le réseau TEH, le Confort Moderne réaffirme son indépendance et l'aspect alternatif de son action. Mrme dans la difficulté, c'est auprès d'un réseau d'entraide formé par des structures soeurs que le centre culturel trouve des solutions et non auprès des pouvoirs publics, qui semblent une nouvelle fois fermer les yeux sur les difficultés qu'il rencontre. On mettra cet aspect en contradiction avec le fait qu' « en avril 1988, le Conseil de l'Europe a reconnu les initiatives artistiques et humaines du Confort Moderne en le nommant Centre Culturel Européen »114 et intègre un réseau de salles européennes chapeauté par le Conseil. On remarque donc la dualité qui s'opère, voyant une structure qui semble marginalisée par les instances décisionnelles locales et nationales mais reconnue par les organismes gouvernementaux européens. Le Confort Moderne, à partir de 1987 fait donc partie intégrante des dynamiques culturelles alternatives ou non européennes, mais paraît connaître des difficultés à une échelle plus grande. |
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