La scène alternative de Poitiers( Télécharger le fichier original )par Maxime Vallée Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011 |
C/ La cristallisation d'activités diversifiées créatrices d'emploisIl convient désormais d'observer comment, au-delà de l'opportunisme politique évoqué plus haut, le Confort Moderne est parvenu à exprimer ses rôles culturel et social à sa façon. Celui-ci s'est caractérisé par une polarisation de différentes composantes, gérées de façons distinctes. On constate donc que le « 185, Faubourg du Pont-Neuf a» ne se réduit pas à un seul espace de concert, ou à une galerie d'art contemporain, ouverts uniquement lors des manifestations, mais constitue un ensemble de structures diversifiées, ce qui est toujours le cas. Comme le souhaitait Falceto, « il ne [fallait] pas que ce soit un lieu de diffusion culturelle supplémentaire. »76 Ainsi, les fondateurs du lieu exprimèrent dès le début leur volonté de dépasser le cadre culturel du lieu pour en faire un espace de sociabilité audelà des soirées musicales. « On a voulu cet endroit comme un lieu ouvert, [...] faire que les gens se côtoient, que les gens discutent. »77 Le Confort Moderne a donc fait en sorte qu'à son rôle de diffusion et d'assistance à la création culturelle s'ajoute une dimension sociale, qui dépasse l'aide à l'insertion professionnelle par le biais des contrats aidés. C'est pourquoi les gérants de d'établissement ont essayé d'ouvrir le lieu le plus de temps possible dans la journée, afin d'en faire un lieu vivant, jour et nuit. Pour ce faire, LOH a conçu le lieu de façon à ce qu'une activité constante puisse y avoir cours toute la journée. Outre la galerie d'art contemporain ouverte la journée lors des expositions, un « bar de 400 m2 ouvert à tout le monde de midi à deux heures du matin, avec podium amovible pour les concerts (tous azimuts), une 75 HENNION Antoine, « La musique, la ville, l'État. Plaidoyer pour des études de cas. » in Les Collectivités locales et la culture, les formes de l'institutionnalisation, XIXe-XXe siècle, sous la dir. de Philippe Poirrier, Paris, Comité d'Histoire du ministère de la Culture A Fondation Maison des sciences de l'Homme, 2002, p. 316. 76 MOUILLE Thierry, op. cit. (source audio-visuelle). 77 Ibidem. cabine D.J., des jeux, des images videos »78, ainsi que des locaux de repetitions et des ateliers pour les plasticiens, font vivre le lieu durant toute la journee. Ces locaux de repetitions et de creation allient donc de façon marquante les preoccupations de LOH, qui permet aux artistes locaux de pouvoir repeter et composer dans de bonnes conditions, dans des locaux adaptes et equipes, mais aussi de pouvoir se rencontrer et de nouer des relations. L'association et le lieu qu'elle a ouvert répondent donc encore une fois au manque d'infrastructures proposées par la municipalité en se substituant eux-mrmes aux pouvoirs publics locaux afin d'encourager et de rendre fertile la creation artistique locale. Le Confort Moderne permet ainsi aux createurs regionaux de faire mûrir leurs projets artistiques (un groupe de musique loue ainsi un local de repetition durant vingt-trois mois pour 430 francs par mois79) sans passer par des reclamations qui ne sont pas entendues par la municipalite, tout en les faisant se rencontrer dans des espaces de sociabilite : « Avec le Confort Moderne, l'OH prend en compte d'une part les nécessités d'une action adéquate en direction des jeunes et de leur culture, d'autre part l'absence de lieux de rencontre, de communication et d'échange adaptés aux nouvelles formes de socialisation. »80 Au-delà des activites developpees par elle-même, LOH permet egalement à d'autres structures de s'implanter au 185, Faubourg du Pont-Neuf et d'en louer certains locaux pour pouvoir développer d'autres activités susceptibles, encore une fois, de faire vivre le lieu et de creer du lien social. Ainsi, un restaurant (le « Patatorium »), une entreprise de fabrication de jouets, un atelier de batterie, une pépinière d'entreprise et une entreprise de création de mobilier et luminaire ouvrent durant l'année 1986 dans la cour du Confort Moderne.81 Toutes ces structures independantes de LOH et du Confort Moderne donnent donc un poids economique à ce dernier, qui peut louer les locaux qu'il n'occupe pas, mais dont le loyer est quand mrme versé au propriétaire. L'association choisit donc de se servir de ce potentiel foncier pour aider de jeunes travailleurs à creer leur entreprise, ce qui est largement profitable pour les deux parties. Le Confort Moderne lui-même et les possibilites 78 ADV : 1256 W 175 #177; 1987- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Dossier promotionnel du Confort Moderne #177; saison 1986-1987, p. 4. 79 ACM : « Baux », Bail locatif d'un local de répétition entre LOH et Edouard Gelusseau, 1er novembre 1987. 80 ADV : 1256 W 175 #177; 1987- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Dossier promotionnel du Confort Moderne #177; saison 1986-1987, p. 6. 81 ADV : 1256 W 175 #177; 1987- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Dossier promotionnel du Confort Moderne #177; saison 1986-1987, p. 8. qu'il offre aux jeunes entrepreneurs sont donc à l'origine de nombreuses créations d'emplois. Le lieu acquiert par là un poids économique et social important pour la Ville de Poitiers. On constate mrme que l'emploi des TUC, si critiqué en raison de la précarité de ce statut et de la faible rémunération, a débouché sur la titularisation de deux d'entre eux au sein du Confort Moderne et deux autres sont à l'initiative de l'entreprise de création de mobilier et luminaire évoquée plus haut.82 On voit donc bien que la structure n'envisage pas les TUC comme des employés permettant de faire fonctionner le lieu à moindre coût, mais participe réellement à leur insertion professionnelle et s'y implique largement. Le 185, Faubourg du Pont-Neuf devient donc un bassin d'emplois et de professionnalisation pour la jeunesse. Il convient toutefois de nuancer cet aspect idéaliste, qui verrait le Confort Moderne comme génératrice de nombreux emplois stables et bien rémunérés. En effet, on constate que l'équipe qui gère le lieu (on ne s'intéressera qu'au Confort Moderne en lui-même, pas des autres entreprises qui siègent dans la cour) est soumise à des conditions de précarité relativement importantes : « c'est gr~ce à l'alternance entre période salariée et période de chômage que le personnel peut poursuivre ses actions au sein de L'oreille est hardie. »83 Ainsi, lors de la réalisation de cet audit dont la citation est extraite #177; durant l'année 1988 a seuls le directeur et un secrétaire étaient salariés, les comptables et chercheurs de sponsors percevant le chômage depuis quelques mois. De plus, selon cette même source, les revenus des personnes employées étaient relativement faibles : le directeur touchait ainsi 5 000 francs (ce qui équivaut à 1 100 euros actuels, salaire inférieur au SMIC) et un des secrétaires percevait la somme de 4 700 francs, soit 1034 euros actuels.84 Malgré des subventions qui deviennent importantes (on constate 319 000 francs d'aide au fonctionnement85, sans compter les subventions exceptionnelles), l'association ne parvient pas à stabiliser la situation des employés et se voit contrainte de faire tourner les postes. Même si « c'est sa situation en marge des institutions 82 Ibidem. 83 ADV : 1256 W 127 - 1988-1989- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Audit financier et comptable de l'entreprise « Le Confort Moderne », « L'Oreille est Hardie » réalisé par Argos, février 1989, p. 8. 84 Ibidem. 85 ACM : « Subventions », Dossier de subventions, 1988. traditionnelles qui lui donne sa force de création »86, on remarque que LOH continue, comme depuis de nombreuses années, à se plaindre du manque de moyens qui lui sont offerts par les pouvoir publics : on retrouve régulièrement ces plaintes dans la presse locale87. Et comme « trouver des moyens financiers, c'est aussi un moyen de survie personnelle »88, l'association se voit ainsi dans l'obligation de faire appel à la participation de supports privés, comme Kanterbraü, célèbre marque de bière89, qui soutient le Confort Moderne avant même son ouverture en 1985. Cependant, malgré ces difficultés financières, le 185 Faubourg du Pont-Neuf concentre progressivement de nombreuses activités, jusqu'à devenir un espace de sociabilité important pour la jeunesse. Le 5 mars 1988, l'ouverture dans un des garages de la cour du Confort Moderne de « la Nuit Noire », boutique de disque associative « qui tire pour la première fois son rideau de fer le soir du concert des Bérurier Noir »90 participe de cette concentration des activités dans le lieu. Gérée par l'AMP, également active dans le milieu associatif de Poitiers, proche de LOH (l'AMP a organisé un concert dans l'enceinte du Confort Moderne peu après son ouverture91) et étant relativement ancrée dans le milieu du « rock alternatif », la boutique participe d'une part à l'accès facilité aux supports des musiques amplifiées mais aussi à la réputation de Poitiers dans le milieu culturel alternatif hexagonal : « Avant la NN [« la Nuit Noire », nda] pour choper un disque, il fallait sérieusement s'accrocher devant le prix [...] ou ne pas rechigner à partir à l'étranger et ramener des tonnes de disques, de zines, de docs à tout le monde. [...] La Nuit Noire a permis d'amener en 87-88 une diversité musicale qui n'existait pas ou plus [...] en France à l'époque. [...] Diversité musicale, disques, k7, videos, tshirts, fanzines, etc. Il y avait pas de mal de monde qui descendait d'un peu partout pour venir y faire ses achats. Et la Nuit Noire rivalisait largement avec des trucs comme Reconstruction à NY [New York, nda] par exemple 5 ans après. »92 86 ADV : 1256 W 127 - 1988-1989- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Audit financier et comptable de l'entreprise « Le Confort Moderne », « L'Oreille est Hardie » réalisé par Argos, février 1989, p. 9. 87 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 22 octobre 1986 et « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1985-juillet 1986), La lettre des élus de décembre 1986. 88 RAFFIN Fabrice, op. cit., p. 135. 89 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1985-juillet 1986), Libération du 18 novembre 1985. 90 Fanzinothèque de Poitiers, 30 ans de fanzines à Poitiers, octobre 2009, p. 31. 91 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 20 novembre 1985. 92 TIGAN Fabrice, « Poitiers Über Alles », sur le Forum Poitiers Bruits, http://poitiersbruits.bbconcept.net/t34-poitou-uber-alles-par-fab-tigan, consulté le 28 avril 2011. Conformément à ce qu'a toujours fait LOH, ce magasin de disques fait donc découvrir de nouvelles musiques aux Poitevins, qui sont habituellement difficilement accessibles en province, voire en France, ce qui attire beaucoup de monde à Poitiers et en fait un pôle culturel important de l'hexagone. On remarque donc bien que le Confort Moderne, les structures qu'il héberge et le décloisonnement des activités qu'il cristallise, jouent un rôle social important, puisqu'il permet aux jeunes Poitevins d'avoir un lieu où passer du temps, se cultiver et côtoyer des gens de toute la France. Stéphane Brunet se souvient qu'on y « rencontrait des punkoïdes de Rennes, de Bordeaux... Poitiers semblait beaucoup moins fermée. »93 Ce rôle, renforcé par le fonctionnement du lieu que nous avons analysé et également par l'organisation de soirées en collaboration avec des associations impliquées dans le domaine social comme les Restos du Coeur94, ou Amnesty International, la LDH et SOS Racisme (soirée qui marque l'un des premiers concerts de Johnny Clegg en Europe, alors qu'il n'est encore que très peu connu)95 s'additionne donc à la dimension culturelle du Confort Moderne. La multiplicité des terrains sur lesquels la structure s'implique se retrouve dans la provenance des subventions qui émanent des institutions rattachées aux ministères de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et des Affaires Sociales.96 Toutes ces particularités contribuent donc à faire du Confort Moderne un pôle culturel reconnu à l'échelle nationale. Cette idée de « capitale du rock français dans toutes ses tendances »97 deviendra par la suite, nous le verrons, un enjeu particulier dans l'évolution du lieu. On a donc pu constater que face aux réponses inadaptées de la Ville et aux difficultés à organiser des concerts et autres manifestations dans de bonnes conditions, LOH avait investi #177;légalement #177; une friche industrielle qu'elle a ellemême rénovée pour correspondre à ses attentes. Formalisant son fonctionnement par la professionnalisation de certains membres et l'emploi de personnes sous contrat d'insertion professionnelle, le Confort Moderne est tout de mrme resté, à l'image de l'association qui le gère, un lieu atypique de découverte artistique, cumulant en plus 93 MOUILLE Thierry, op. cit. (source audio-visuelle). 94 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1986-juillet 1987), Centre Presse du 18 février 1987. 95 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1986-juillet 1987), Centre Presse du 15 avril 1987. 96 ACM : « Subventions », Dossier de subventions (1985-1986), (1988). 97 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 12 mars 1986. de cela un rôle d'espace de socialisation pour la jeunesse, proposant différents services et favorisant le contact entre des catégories de population qui n'avaient généralement pas de lieu pour se rencontrer et partager leurs intérests. Il convient désormais d'observer les différents niveaux d'enracinement du Confort Moderne jusqu'à la fameuse date de 1989. |
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