B/ La professionnalisation et l'aide à l'emploi comme
vecteur de durabilité
Ce nouveau départ de LOH semble montrer un état
d'esprit qui semble beaucoup plus tourné vers l'avenir que lors des
débuts de l'association. Ce changement de conception s'explique
aisément par le poids que représente la gestion d'un lieu comme
le Confort Moderne, dans lequel les membres se sont largement, personnellement
investis et qui a été soutenu de façon importante par les
institutions municipales et gouvernementales. LOH a donc obligatoirement
dû formaliser ses méthodes de travail, afin d'assurer au centre
culturel une durée de vie sur le temps long. Cela s'est traduit par une
professionnalisation du personnel, avec notamment la création de quatre
emplois pour les quatre personnes à l'origine du projet, financés
à hauteur de 200 000 francs par la Direction des Actions de
l'État (40 000 francs)65 et par la Direction
Départementale du Travail et de l'Emploi (160 000 francs).66
Le mrme courrier de cet organisme témoigne d'ailleurs de la
précision des rôles au sein de la structure, qui définit un
administrateur, un directeur technique, une responsable de l'information et un
responsable de la programmation, tous à plein temps, ce qui contraste
avec l'unique contrat à plein temps et les deux emplois à
mi-temps de LOH jusqu'en 1983. Cette situation semble confirmer les
écrits de Philippe Teillet, qui constate chez les acteurs du milieu
associatif une « professionnalisation qui se manifeste à travers
l'évolution de leurs statuts sociaux, du bénévolat
militant à l'application des conventions collectives du secteur.
» et une volonté « de voir leurs compétences
particulières reconnues par les administrations. »67 On
remarque donc que les membres « leaders », qui ont
porté le projet Confort Moderne, à savoir Fazette Bordage,
Francis Falceto, Yorrick Benoist et Philippe Auvin ont stabilisé leur
65 ACM : « Subventions », Lettre de la
Direction des Actions de l'État, 20 mars 1986.
66 ACM : « Subventions », Lettre de la
Direction Départementale du Travail et de l'Emploi, 13 octobre
1986.
67 TEILLET Philippe, op. cit., p. 385.
situation pour passer d'une activité parallèle,
couteuse et chronophage, à un emploi rémunéré qui
constitue leur activité exclusive.
Par ailleurs, nous avons précédemment
évoqué la base de bénévoles que comptait LOH pour
son assurer son fonctionnement, notamment lors de soirs de manifestations. Leur
activité se traduit donc par des rôles vacants, qui vont de
l'accueil du public (billetterie etc.) à celui des artistes, en passant
par la restauration etc. Mrme si le Confort Moderne et LOH, l'association qui
gère le lieu, continuent bien sûr à recevoir l'aide des
adhérents, le lieu emploie dès 1985 des Travailleurs
d'utilité collective, ou TUC. Ceux-ci faisaient l'objet d'un contrat
aidé, financé par l'État : ces Travaux d'Utilité
Collective, les TUC (ancrtre des Contrats emploi solidarité, CES,
instaurés en 1990) s'effectuaient depuis 1984 sous forme d'un stage
à mi-temps effectué sur une durée maximum de six mois dans
divers établissements publics. Les employés sous ce type de
contrat #177; handicapés, ou, dans le cas du Confort Moderne, des jeunes
chômeurs ou des détenus en voie d'insertion (ce qui peut
s'expliquer par la proximité du lieu avec la prison de la Pierre
Levée et « la connivence qui [s'installait] entre les prisonniers
et le Confort Moderne »68 les soirs de concert) #177;
étaient rémunérés par une indemnité
inférieure au SMIC. Celle-ci ne comptant pas comme un salaire, les
titulaires d'un TUC ne pouvaient donc pas la faire valoir pour l'obtention
d'une allocation chômage, ou pour leur retraite.69 Ces
travailleurs sous contrat d'insertion ont donc contribué à
l'avancée des travaux d'aménagement des anciens locaux de
Confort 2000 dans le courant de l'année 1984 et ont par la suite
oeuvré au fonctionnement du centre culturel. L'emploi de travailleurs
aidés par le Confort Moderne montre donc la dimension sociale acquise
par le lieu, qui associe un rôle de diffusion culturelle en faveur de
tous les publics et qui « accueille sans sectarisme ni
préjugé tout le monde, de l'étudiant au SDF
»70, « de l'ex-détenu au jeune « BCBG
»71 à celui d'insertion professionnelle et sociale
68 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1988-juillet 1989), Le Nouvel Observateur
du 24 novembre 1988.
69 Journal Officiel de la République
Française : Décret n°84-919 du 16 octobre
1984 919 portant application du livre IX du code du travail aux travaux
d'utilité collective *TUC*, 17 octobre 1984 (n° 243), pp.
3253-3254.
70 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1990-juillet 1991), Tête d'Epingle de juin
1991.
71 ADV : 1256 W 127 - 1988-1989- DRAC - Musique et
Danse - LOH Poitiers #177; Audit financier et comptable de l'entreprise «
Le Confort Moderne », « L'Oreille est Hardie »
réalisé par Argos, février 1989, p. 12.
pour des personnes en difficulté. Cependant, de
nombreuses critiques ont été portées concernant la
présence des TUC pour faire fonctionner la structure. Mrme d'autres
acteurs du mouvement alternatif local, comme Luc Bonet72 ont
été « très critiques, parce qu'il y'avait une
armée de ce qu'on appelle aujourd'hui des contrats aidés
(c'étaient des TUC à l'époque il me semble).
»73 Une manifestation à l'initiative des Jeunesses
Communistes de la Vienne a mrme été organisée pour
l'ouverture de la saison culturelle 1985-1986, le 12 novembre 1985. Ce
même soir, la manifestation intitulée « TUC en fête
» se tenant dans les locaux du Confort Moderne, mais dont l'organisation
revenait à la municipalité, se déroulait en
présence du secrétaire d'État auprès du Premier
Ministre chargé de l'Economie Sociale, Jean Gatel. Cette soirée
fut l'occasion pour les militants poitevins de réclamer « un vrai
salaire pour les TUC »74 et de dénoncer la
précarité de ce type de contrat, qui semble inadapté
à une insertion professionnelle sûre.
On voit donc que la structure culturelle s'inscrit dans une
dynamique durable, avec la professionnalisation des membres moteurs de LOH et
l'emploi de TUC, qui donne une dimension sociale au Confort Moderne, en plus de
lui offrir une base d'employés qui assurent son fonctionnement. Ce
changement de fonctionnement pousse toutefois la structure à s'inscrire
dans une politique globale de la culture, mais aussi du social, qui
entre dans le cadre d'une gestion de la jeunesse. Le mouvement
alternatif et la dynamique qu'il a engendrée a constitué pour
l'État et les collectivités locales un fort potentiel de
créations d'emplois et d'insertion pour les jeunes. Cette assimilation
à des objectifs politiques a donc pu placer le Confort Moderne en
porteà-faux vis-à-vis de certains acteurs locaux de la
scène alternative ou d'une certaine frange de la vie politique, qui, non
sans saluer l'action de LOH et se réjouir de l'ouverture d'un tel lieu
culturel, ont déploré le changement de rôle d'une structure
qui a toujours su se développer en restant à l'écart de
toutes volontés politiques étrangères aux siennes, pour
s'inscrire dans des dynamiques plus institutionnelles. On retrouve ce genre de
critiques également dans la communauté scientifique,
exprimées de façon plus approfondie. Antoine Hennion s'interroge
ainsi longuement
72 Fondateur du label musical On a faim !, Luc Bonet
est aujourd'hui technicien en météorologie, et est
impliqué dans le milieu syndical au sein de la CNT.
73 Entretien avec Luc Bonet du label « On A Faim
! », propos recueillis le 14 janvier 2011.
74 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie
» (septembre 1985-juillet 1986), Centre Presse du 13 novembre
1985.
sur cet engagement des pouvoirs publics et ce qui en
découle pour les associations dans le domaine des musiques
amplifiées :
« [...] ne pervertit-il pas l'évolution normale de
mouvements qui se trouvent déséquilibrés par l'attrait
d'avantages distribués sans grand discernement, selon des
critères éloignés de ceux qui importent sur place,
favorisant un opportunisme généralisé des milieux ainsi
« récupérés a» (à travers la formation,
l'absorption par le rôle social ou éducatif imparti à ces
pratiques musicales assistées, et la tentation du fonctionnariat, la
professionnalisation, la médiatisation politique, etc.)...
»75
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