La scène alternative de Poitiers( Télécharger le fichier original )par Maxime Vallée Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011 |
Troisième Partie #177; 1992-1994 : mise au pas et continuité, mise àItoFEUILFIIESSIRFILmLnt La scène alternative de Poitiers semble donc active malgré la crise que subit le mouvement dans sa globalité. Elle parvient à rester en dehors des tentatives de séduction des majors tout en évitant une collaboration trop forte avec les pouvoirs publics, qui pourraient nuire à son indépendance et à son identité, en tentant d'aseptiser ces structures afin d'en faire des lieux plus en accord avec le paysage culturel mis en place par la municipalité. Cependant, nous l'avons vu, le Confort Moderne parvient de moins en moins à maîtriser les interventions des institutions dans son fonctionnement interne. Jusqu'en 1992, nous avons constaté que ce droit de regard des partenaires n'avait eu pour seule conséquence que de remettre en cause la comptabilité du centre culturel, sans porter de regard sur son projet artistique. Des audits financiers avaient donc été effectués et devaient constituer une solution à ces disfonctionnement. Comment cet interventionnisme institutionnel devait-il évoluer ? Etait-il dénué de toute intention récupératrice ? Le Confort Moderne a-t-il pu continuer à compter sur ses partenaires tout en gardant la même ligne de conduite ? La situation en 1992 semble bien nous montrer le contraire. I- L'avenir du Confort Moderne en suspens L'année 1992 commence en effet de la façon la pire qui soit pour le Confort Moderne. La nouvelle qui fait les titres de la presse locale le 17 janvier est sans appel : « L'État et la ville suspendent le financement. »265 Par un communiqué commun adressé à la presse la veille au soir, les institutions semblent largement compromettre l'avenir du Confort Moderne. Une analyse approfondie de ce seul mois de janvier 1992 nous permettra de dégager les tenants et les aboutissants de cette crise aigüe, qui met en lumière des enjeux bien plus complexes que l'analyse qu'en fait la presse locale. 265 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 17 janvier 1992. A/ La rentrée de 1992 : stupeur médiatique et bras de fer en coulisses Ce que nous allons tenter de montrer dans cette première partie, c'est le décalage existant entre la présentation de la crise telle qu'elle apparaît dans la presse au moment oil elle éclate #177; la partie publique, médiatisée #177; et la façon dont celle-ci se met en place en coulisses, à travers les archives des acteurs concernés. À travers cette méthodologie, nous espérons pouvoir montrer au mieux ce qui s'est réellement joué pendant cette crise, dont les issues n'étaient pas aussi évidentes que celles que l'on peut imaginer. Déclaration commune de l'État et la
ville de Poitiers relative au Confort Même si dans leur communiqué, les institutions prennent bien la précaution de mettre en évidence le fait que cette décision ne doit avoir qu'un effet temporaire sur 266 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 17 janvier 1992. l'arrGt de l'action du Confort Moderne, la presse est plus alarmiste et dresse un tableau des plus noirs : « la nouvelle est tombée hier en soirée. Brutale. L'annonce de la suspension du financement de la part de la ville et de l'État [...] signifie quasiment la fermeture du lieu. »267 Cette phrase résumant à elle seule l'analyse qui pourrait ~tre faite de cette situation, va nous servir de point de départ pour montrer que justement, cette crise naissante est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Le premier constat qui transparaît est la brutalité de l'annonce. Si la presse se « doutait que quelque chose se tramait » elle se demandait également : « mais quoi au juste ? »268 Ainsi, même si la stupéfaction demeure, ce qui est légitime, il faut également comprendre que le conflit couvait depuis quelque temps en coulisses. Nous l'avons vu, dès 1989, les pouvoirs publics commencent à intervenir dans le fonctionnement du Confort Moderne et se font de plus en plus pressants afin qu'il soigne sa gestion, bien que la situation ne soit pas encore critique. Le problème a finalement été que durant deux ans, les deux parties se sont accordées pour constater que le fonctionnement du Confort Moderne ne convenait plus à son budget. Un constat permis par la rédaction des audits financiers que nous avons déjà évoqués. La situation diffère en 1991 et la parution d'un nouvel audit comptable se veut plus alarmiste. Alors qu'en 1989, c'est le fonctionnement administratif qui était mis en cause #177; notamment le manque de formation de l'équipe gestionnaire, et la mauvaise utilisation des subventions, avec lesquelles les membres jonglaient pour essayer de combler les déficits, alors que ce n'était pas leur destination ~ l'audit financier réalisé en septembre 1991 par l'Exco-Poitiers met en lumière d'autres facteurs expliquant un déficit grandissant, atteignant 600 000 francs.269 C'est ce rapport indiquant que « la situation financière est catastrophique »270 qui met en doute, au-delà du fonctionnement administratif du lieu, son projet artistique, en incriminant une manifestation majeure ayant eu lieu au Confort Moderne : l'exposition « Heavy Water » de James Turrell. Nous l'avions annoncé, l'art contemporain allait jouer un rôle important dans l'histoire du Confort Moderne et il semblerait bien que ce soit ce 267 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 17 janvier 1992. 268 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 17 janvier 1992. 269 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Analyse de situation du Confort Moderne demandé par la Ville de Poitiers réalisé par la SARL Exco-Poitiers#177; Septembre 1991. 270 Ibidem. projet qui ait mis le centre culturel dans une mauvaise posture. Cette oeuvre d'une grande renommée semble donc ~tre responsable d'une perte de 500 000 F. dans l'audit réalisé par l'Exco-Poitiers, ce qui n'est pas acceptable dans une comptabilité déjà déficitaire. Pourtant, les élus annoncent dans la presse que cette « opération a été équilibrée »271 #177; certainement par le rachat de l'oeuvre par l'État 272, ce qui témoigne de son « succès national, qui a fait briller la ville et la région tout un été »273 #177; et qu'elle n'est donc pas responsable de l'arr~t des subventions. Or, s'il est vrai que le coût l'oeuvre a été amorti, le déficit de la structure n'est plus que de 100 000 F. et peut facilement être comblé. Ainsi, pour comprendre les raisons qui ont conduit à la décision radicale des pouvoirs publics, il faut se plonger encore plus profondément dans les mécanismes relationnels qui se sont mis en place durant l'année 1991. Ce retour aux sources nous conduit au mois de mai de la même année. Un audit financier, encore un, réalisé par l'agence Premier'Acte à la demande de la Délégation au développement et aux formations274 ou DDF (organe rattaché au ministère de la Culture qui « gère des programmes d'intervention relatifs à la dimension culturelle de politique ville »275) diagnostiquait un déficit de 1,3 millions de francs dans les caisses du Confort Moderne. Il semble que ce soit ce rapport qui ait réellement déclenché un conflit entre le centre culturel et ses partenaires, qu'on ne limite d'ailleurs plus à la municipalité et à la DRAC puisqu'il faut noter l'apparition de la DDF #177; un organe d'État centralisé #177; à la table des négociations. Les deux camps sont alors clairement définis, puisque les institutions commencent désormais à prendre leurs décisions sans concertation avec le Confort Moderne, qu'elles soumettent à un contrôle financier de plus en plus étroit. Le rapport de l'agence Premier'Acte et les signaux alarmants qu'il émet semblent faire sortir le Confort Moderne de sa réserve. La directrice du 271 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 17 janvier 1992. 272 Ibidem. 273 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 18 janvier 1992. 274 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Lettre de Dominique Chavigny pour la DRAC au député-maire de Poitiers #177; 13 mars 1991. 275 France Diplomatie, Délégation au développement et aux formations, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/documentaire_1045/diffusion-non-commerciale_5378/collections-video_5374/societe_8874/ville_10302/partenaires_11156/delegation-au-developpement-aux-formations_21023.html, consulté le 25 mai 2011. Confort Moderne, Fazette Bordage demande un « vrai dialogue »276 à la DDF dans une lettre enflammée, tout en demandant si c'est réellement la gestion du lieu qui pose problème, ou l'intérIt qu'il représente. Une réunion réunissant l'ensemble des acteurs de ce conflit (Confort Moderne, DRAC, Ville de Poitiers, DDF) est donc organisee le 26 juin 1991 à Paris pour donner reponse à cette demande de dialogue. De cette entrevue debouchent plusieurs points importants pour le Confort Moderne : « Le gel des toutes ses activites de septembre à decembre 1991 [pour] assainir la situation financière, mettre en oeuvre une comptabilité analytique mieux adaptée, et définir des modalités de gestion qui associent l'innovation et la rigueur. » 277 Etant donne le deficit important accumule par la structure, cette première decision semble legitime. Neanmoins, un second point attire un peu plus notre attention : « La relance du « Confort Moderne a» en janvier 1992 se fera [...] sur la base d'un projet renove qui associera la recherche de nouveaux publics, la valorisation optimale des activites et un equilibre budgetaire strictement respecte. » 278 Ce point est significatif et montre explicitement les nouvelles prerogatives que s'octroient les pouvoirs publics dans le cadre de l'assainissement financier du Confort Moderne. Alors que les reproches faits à la structure jusque là ne concernaient que le fonctionnement administratif juge trop precaire pour gerer les subventions obtenues, celles-ci se portent desormais sur le projet artistique et sur les publics touchés par le centre culturel. Le type d'action culturelle propose par LOH, initialement fondé sur la découverte et l'anticonformisme, qui ne peut en cela n'tre développé que de manière indépendante, est donc sur le point d'rtre remodelé par les institutions, ce qui constitue une des conditions à la reouverture du lieu. Dans un langage oil le public est considere comme un consommateur et oil la programmation culturelle devient une valeur marchande, les pouvoirs publics semblent vouloir reprendre le projet artistique du Confort Moderne à leur compte pour le faire entrer dans une logique de rentabilite, alors que seul son fonctionnement administratif etait concerne par cette volonte ; tout cela dans le but d'éponger les dettes accumulées. Or, si nous revenons à la fin de l'année 1991, le déficit du Confort Moderne n'est plus que de 600 000 F. selon le rapport Argos, et de 100 000 F. si l'exposition de 276 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Lettre de Fazette Bordage à la DDF #177; 21 mai 1991. 277 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Lettre de Raymond Lachat au président de L'oreille est hardie 1 26 juillet 1991. 278 Ibidet. James Turrell a été équilibrée, donc « la situation est considérablement assainie. »279 De plus, cette sévérité concernant la comptabilité du Confort Moderne semble réellement soudaine et crée une rupture dans les rapports entre le centre culturel et ses partenaires. En effet, si les institutions semblent accorder une importance capitale à la viabilité financière du Confort Moderne, il semble que cela n'ait pas toujours été le cas, comme l'explique la directrice du lieu : « Dès le départ, encouragements, compliments, voire émerveillement des partenaires publics ont fait que les années 88/89 ont été décisives et expliquent beaucoup de choses puisque nous avons alors choisi de continuer sans en avoir les moyens financiers. [...] Fin 87, non seulement nous n'avions pas les moyens de continuer, mais en plus nous avons continué à développer les activités du Confort Moderne pour démontrer, le plus loin possible, la force de son concept et sa raison d'tre... [...] Tout le monde était au courant de ces aléas dès le départ. » 280 Le Confort Moderne s'est donc toujours appuyé sur le soutien des pouvoirs publics qui ont toujours encouragé financièrement l'aventure culturelle que le lieu représentait. Comment interpréter ce revirement #177; d'autant plus que la situation comptable était en voie d'assainissement ? L'hypothèse selon laquelle les institutions ont pu gagner la confiance de LOH en faisant preuve d'un subventionnement a priori aveugle #177; dont l'association se rendait elle-même prisonnière #177; afin de pouvoir au moment opportun couper les vivres pour alors exercer une véritable emprise sur le centre culturel ne nous semble pas inappropriée pour expliquer le coup de théâtre de janvier 1992. Les correspondances entre la municipalité, la DRAC et la DDF à la fin de l'année 1991 semblent d'ailleurs aller dans ce sens. Une lettre de l'adjoint à la Culture de la ville de Poitiers, Jean-Marie Bordier, adressée à la DRAC envisage ainsi dès le mois de novembre et sans concertation avec LOH les différentes directions à donner au Confort Moderne, qui vont de quelques modifications structurelles avec la mise en place d'un conseil de tutelle, à l' « urbanisation du site »281 en passant par le dépôt de bilan et le placement de la structure sous le contrôle du centre culturel de Beaulieu, ou du Théâtre national. Le sort du Confort Moderne se joue donc en coulisses, dans son dos, et les pouvoirs publics travaillent une position commune en donnant « aux courriers [qu'ils échangent] la discrétion 279 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Lettre de Fazette Bordage au Directeur régional des affaires culturelles, Raymond Lachat #177; 26 novembre 1991. 280 Ibidem. 281 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Lettre de Jean-Marie Bordier à la DRAC #177; 28 novembre 1991. que la situation actuelle de l'établissement impose. »282 Ces pourparlers préliminaires incluent également une lettre adressée à la DDF de la part de la DRAC où l'expéditeur souligne le fait que « la ville et l'État doivent parler de concert dans cette affaire. »283 Ces cinq pages marquent le règlement discret du sort du Confort Moderne. Motivé par la situation financière de l'établissement et par l'avis de l'expert-comptable qui « préconise un dépôt de bilan »284, celui-ci s'explique aussi selon les pouvoirs locaux par les « positions maximalistes »285 de l'équipe dirigeante qui ne bénéficie plus de la confiance des institutions, et encore une fois par le fait qu'elles « s'[interrogent] sur le projet artistique, les publics et l'articulation des activités musicales/arts plastiques qui ont transformé l'image et le projet initial du Confort Moderne. »286 Le projet artistique est une fois de plus réapproprié par les institutions qui ne respectent donc plus le principe d'indépendance du centre culturel et le font analyser par leurs propres services. Quels que soient leurs statuts, les partenaires semblent donc avoir pris l'avenir du Confort Moderne en mains pour en faire un lieu culturel aseptisé et plus conforme aux structures institutionnelles, en faisant fi du fait qu'ils n'ont pas participé à sa création et à son déroulement, mais s'adjugent un droit d'influence en légitimant ce fait par leur participation financière. Les financeurs auraient effectivement tout à fait pu interrompre leur subventionnement et condamner la structure à la dissolution, mais leur décision, appuyée par des études et des négociations réfléchies, est une pure et simple récupération du lieu. Pris au piège d'une dépendance financière et de volontés récupératrices institutionnelles, voyons la réaction du Confort Moderne face à ce coup de théâtre bien prévisible. 282 Ibidet& 283 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Lettre du Directeur régional des affaires culturelles à la DDF #177; 5 décembre 1991. 284 Ibidet& 285 Ibidet& 286 Ibidet& B/ La réaction du Confort Moderne : du dépit à la radicalité Le communiqué de l'État et de la Ville de Poitiers publié dans la presse locale le 17 janvier 1991 déclenche un véritable feuilleton dans Centre Presse et La Nouvelle République. Témoignant de la difficulté de dialogue entre le Confort Moderne et ses partenaires, les réponses se font par voie de presse. Dès le lendemain, les journalistes se tournent donc naturellement vers le centre culturel menacé et les articles relatent la situation de crise faisant naturellement suite à la fin du financement par les institutions. C'est la consternation qui prime chez les gestionnaires du lieu : « l'équipe de L'OH est en état de choc. [...] L'annonce de l'arr~t des subventions a été brutale et a fait très mal. »287 Visiblement, s'il est évident qu'une décision devait ~tre prise par ses partenaires dès le début de l'année 1992 tant les conflits étaient latents en coulisses, les membres du Confort Moderne ne s'attendaient pas à une telle radicalité. Il faut d'ailleurs voir que si la presse apprend la nouvelle le 16 janvier, la direction du Confort Moderne en a été informée de façon bien plus brutale : quatre jours plus tôt, le Confort Moderne était en effet invité à présenter son budget à ses partenaires au siège de la DRAC. Sans avoir eu le temps de parler, c'est à cette occasion que l'équipe a été informée de la décision de leurs financeurs. Faisant écho jà la supposée période de réflexion lancée par la Ville et l'État dans leur communiqué, le Confort Moderne continue tant bien que mal ses activités en envisageant également son avenir, mais avec crainte, étant donné que seuls les pouvoirs publics pourront décider de l'éventuelle renaissance du lieu. Une renaissance quasi-assurée puisque « la Ville de Poitiers (adjoint à la culture) est réticente à un dépôt de bilan pour des raisons politiques »288 #177; qui nuiraient à son image de ville jeune et dynamique #177; mais sous quelle forme ? « La gestion, nullement mise en cause, pas plus que la programmation »289 ne semblent poser de problème à l'adjoint de la Culture, alors que ces deux aspects du Confort Moderne sont largement incriminés dans les correspondances entre les financeurs. Cette apparente stratégie d'apaisement ne rassure pas les membres de LOH, qui sont « d'accord pour la réflexion, à condition que l'on ne touche pas au concept du projet. Sinon c'en sera fini du 287 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 18 janvier 1992. 288 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles f Lettre du Directeur régional des affaires culturelles à la DDF f 5 décembre 1991. 289 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 18 janvier 1992. Confort Moderne. »290 A travers cette position, l'association revendique l'indépendance de son action culturelle et préfère y mettre un terme plutôt que de la voir appropriée et dénaturée par l'intervention des pouvoirs publics. Ce principe fondamental avait d'ailleurs déjà été annoncé dans les correspondances ayant préalablement mis en place le conflit. Le Confort Moderne annonçait ainsi : « Surtout, n'oubliez pas que nous sommes une association indépendante, et que vous ne serez pas en charge de nos galères financières si vous ne le souhaitez pas. »291 Le centre culturel, en conformité avec ses valeurs indépendantes, ne compte donc pas faire de concessions sur le plan artistique. On retrouve donc ici le même esprit intransigeant qui avait conduit LOH à se saborder en 1983 suite à un manque évident de concertation. À la différence près qu'à cette époque, il ne s'agissait pas de la disparition d'un centre culturel de renommée internationale, mais de celle d'une simple association organisatrice de concerts. Cependant, la situation est bien différente en 1992, puisque ce manque de communication entre LOH et les institutions n'est pas désintéressé comme en 1983 mais est marqué par une volonté de réappropriation de la part des partenaires, qui souhaitent inscrire le Confort Moderne dans le réseau formé par les autres structures culturelles municipales de Poitiers. Finalement, trois jours après la parution du communiqué de la Ville et de l'État, la réponse du centre culturel paraît dans la presse locale. Le conflit continue de se répandre dans les journaux pictaviens qui ne passent pas un jour sans publier un article sur la crise. Le 20 janvier 1992, les résultats des premiers pourparlers engageant la période de réflexion voulue par les institutions sont clairs : « le Confort Moderne ferme ses portes. »292 « Désolé, mais le Confort Moderne a décidé de fermer ses portes le 27 janviers 1992. L'État et la Ville de Poitiers ont suspendu leurs financements. Leurs propositions de restructuration du Confort Moderne sont inacceptables. Elles conduiraient à banaliser le lieu et le concept que nous avons inventés. D'oL la perte de notre confiance envers nos financeurs publics Que tous les artistes, publics et partenaires qui ont cru en cette belle aventure et participé à son développement sachent que l'équipe du Confort Moderne préfère, sereinement, mettre un terme à son action culturelle indépendante. Hors de question pour nous de brader les acquis d'une telle expérience, de la large reconnaissance et du 290 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 18 janvier 1992. 291 ADV : 1666 W 19 - 1977-1992 #177; DRAC #177; Manifestations culturelles #177; Lettre de Fazette Bordage au Directeur régional des affaires culturelles, Raymond Lachat #177; 26 novembre 1991. 292 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 20 janvier 1992. capital artistique constitués de 1977 à 1992. Au regard de ces acquis, la remise en cause de nos compétences et de nos projets nous semble déplacée. Rappelons que le Confort Moderne s'est créé en 1985 et développé dans des conditions précaires qui n'ont guère ému les pouvoirs publics. Nous ne voulons pas perdre notre âme. Pour l'honneur et pour finir en beauté, place aux artistes. Le Confort Moderne prépare un bouquet final, en musique. »293 C'est donc par ce communiqué que le centre culturel annonce la fin de ses activités, suite à la crise ayant éclaté le 17 janvier 1992, mais couvant réellement depuis environ une année. Ce texte met clairement l'accent sur le caractère artistique indépendant de l'action de LOH et montre la volonté de la structure de garder sa trajectoire éthique pour ne pas devenir un espace culturel comme un autre. Les membres du Confort Moderne semblent donc avoir pris la mesure des volontés institutionnelles, qui tentent d'inclure le centre alternatif dans leur ensemble d'infrastructures culturelles et donc d'en faire un lieu beaucoup plus aseptisé tant sur le fond, avec une programmation beaucoup plus conventionnelle, que sur la forme, avec une équipe dirigeante que les partenaires n'excluent pas de renouveler. Il est donc peu étonnant que l'équipe de 1992 se sente trahie par des partenaires qui souhaitent les destituer de la gestion du centre culturel qu'ils ont, pour certains, fondé et fait vivre pour les autres. Ne souhaitant donc pas voir leur échapper un concept artistique qu'ils ont porté, au profit d'intér~ts politiques, les membres du Confort Moderne préfèrent donc cesser leurs activités. Le centre culturel est donc allé au bout de la difficile conciliation entre une programmation culturelle indépendante et un fonctionnement subventionné, et n'a pas su trouver l'équilibre « entre la nécessaire rigueur de gestion et le tout aussi nécessaire « décalage » de ces lieux, décalage qui en fait la raison d'rtre, la force et l'attrait. »294 Les membres de l'association deux-sévrienne « Diff'Art » #177; liée au Confort Moderne par la présence d'anciens Poitevins dans ses effectifs et par l'organisation de concerts communs ~ l'ont bien compris et le font savoir dans le fanzine qu'ils rédigent : « quand on dépend à ce point des subventions des élus, on dépend aussi, ne soyons pas naïfs, des aléas de la politique, fut-elle politicienne. »295 Or, ces aléas en 1992 à Poitiers, semblent aller dans le sens d'une volonté de reprise 293 Ibidem. 294 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Carnets, de févriermars 1992 (n° 5). 295 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Bebopalula Or Not de janvier 1992 (n° 9). en main de la structure, notamment par la municipalité. Dès l'annonce de la fin des subventions, la presse envisageait cette décision comme un moyen qui « permettrait de ramener le calme dans le quartier... Et cela permettrait peut-être au maire de récupérer 300 voix pour les élections. »296 Ce que l'on constate à l'annonce de la fin des activités du Confort Moderne, c'est que la Ville de Poitiers tente le coup double électoral : le conseil municipal suivant cette décision annonce effectivement « qu'il verrait bien le transfert du « Confort Moderne » dans la future Maison de l'Etudiant, sur le campus. »297 ,Il s'agit là d'une stratégie avantageuse pour la municipalité poitevine en place, qui pouvait ainsi du même coup contenter les riverains du quartier du Pont-Neuf ligués contre le centre culturel trop bruyant, mais aussi conserver en partie l'image de ville jeune, active et créatrice en matière de culture, que le Confort Moderne lui avait donné. On voit donc bien ici comment cette crise s'est inscrite dans des enjeux clairement politiques : la Ville de Poitiers en concertation avec l'État, tout en réussissant à évincer les gestionnaires du lieu, a réussi à reprendre l'image de marque du Confort Moderne à son compte pour satisfaire un électorat relativement kgé tout en ne se mettant pas l'intégralité de la jeunesse à dos. Néanmoins, ces enjeux politiques n'ont pas été réduits à cette simple stratégie électorale, et la prochaine partie va nous permettre de voir l'importance de la nature et de la provenance des soutiens au Confort Moderne dans le déroulement de la crise de ce mois de janvier 1992. C/ La mise en place des soutiens : entre militantisme culturel et enjeux électoraux L'annonce de la fin des activités du Confort Moderne et celle de la municipalité d'envisager l'action du lieu à travers d'autres modalités ne semble pas du tout entériner sa situation future. Bien loin de clore la crise, la succession d'événements ayant conduit à l'apparente mainmise des institutions sur le devenir du centre culturel alternatif a permis aux réseaux ayant un intérêt à lui manifester leur soutien de se déclarer. 296 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 18 janvier 1992. 297 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 20 janvier 1992. L'équipe du Confort Moderne déjà, tout en annonçant la fin de ses activités, a largement encouragé ses usagers, ses sympathisants à protester contre l'attitude des pouvoirs publics. Ainsi, en même temps que la structure publiait son ultime communiqué, elle demandait également à son public à manifester son indignation par le biais d'une lettre ouverte destinée au ministère de la Culture et à la Ville de Poitiers. Cette lettre, mettant en avant le fait que les financeurs « condamnent l'action artistique et culturelle indépendante du Confort Moderne »298 s'inscrit donc dans le tournant politique pris au cours de la crise et installe un rapport de force entre les décisions institutionnelles et les positions du milieu alternatif. Elle diffère également des habitudes du Confort Moderne qui, tout en ayant déjà organisé des événements culturels en lien avec des organismes impliqués dans le domaine social et donc en lien avec les thèmes de société de fait politiques, ne s'est jamais positionné dans le champ politique, à la différence de beaucoup d'autres structures ~ y compris à Poitiers #177; impliquées sur ce terrain. Ainsi, de nombreuses lettres et fax parviennent à Poitiers de toute la France et mrme de l'Europe entière. Parallèlement, ces mêmes soutiens internationaux envoient « plus de mille lettres de soutien [qui] sont venues submerger la mezzanine du Confort »299, qui donnent la mesure de l'aura acquise par delà les frontières. Par ailleurs, le centre culturel souhaite fêter dignement sa fermeture en offrant des spectacles de qualité à ses habitués qui le suivent et le soutiennent dans ces temps difficiles. La programmation annoncée pour ces derniers événements donne également une idée du caractère international des liens tissés par le Confort Moderne, puisque de nombreux artistes européens se sont montrés disponibles et motivés pour venir défendre le lieu face à l'attitude des institutions. Le groupe hollandais d'envergure internationale Urban Dance Squad, qui, « la veille sur Canal+ avait dédié l'une de ses chansons au Confort, lieu de ses premières armes »300 donne ainsi un concert pour la soirée d'adieu du lieu le 26 janvier. Le Confort Moderne, tout en annonçant sa fin, mobilise donc ses réseaux dans un premier temps, qui sont les premiers à se manifester. 298 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 21 janvier 1992. 299 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 1er février 1992. 300 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 28 janvier 1992. En second lieu, ce sont les politiques locaux qui affichent leur soutien au centre culturel, et notamment l'opposition à la majorité socialiste menée par le maire Jacques Santrot. Les Verts sont les premiers à monter au créneau et déplorent le fait que « le budget de fonctionnement du Confort Moderne est très faible si on le compare à certaines structures culturelles municipales ou régionales de Poitiers ou d'ailleurs, qui n'offrent pas la mme richesse de création. »301 Vient ensuite la position d'Union Pour Poitiers ~ groupe politique mené par le conseiller régional et municipal Jean-Pierre Raffarin302 #177; qui réunit l'opposition poitevine de droite. Celleci se traduit par de vives critiques adressées à la majorité socialiste en place. Insistant sur l'« échec culturel pour Poitiers »303 que représente la décision conjointe de la Ville et de l'État, le communiqué tente de trouver des solutions à la crise avec en toile de fond et de manière récurrente la volonté de donner « à Poitiers une réputation d'une capitale régionale et universitaire. »304 Ce communiqué semble contradictoire avec la position habituelle de la droite locale qui a souvent critiqué le soutien apporté au centre culturel par la Ville et « [ose] se lamenter sur l'avenir de ce lieu. »305 Le débat concernant le Confort Moderne prend donc une tournure très politique et permet à l'opposition de fustiger la majorité. La municipalité se doit de répondre à ces attaques : l'adjoint à la culture fait donc savoir par voie de presse qu'il n'accepte pas « le mauvais procès qui est fait à l'État et à la Ville de vouloir intervenir dans le projet et de porter atteinte à la liberté de l'action artistique. »306 Ce débat se prolonge en séance du conseil municipal et est l'occasion pour les élus de s'escrimer sur la question du Confort Moderne, débattue lors des questions diverses. On voit donc bien que l'avenir du centre culturel se joue au coeur de ces rapports de force politiques et que celui-ci ne saurait être dissociable des décisions émanant du conseil municipal. 301 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 18 janvier 1992. 302 Ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin fut également Président du Conseil régional du Poitou-Charentes de 1988 à 2002 et conseiller municipal de Poitiers de 1977 à 1995, sous l'étiquette Parti Républicain, puis UMP. 303 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 22 janvier 1992. 304 Ibidem. 305 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 25 janvier 1992. 306 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 21 janvier 1992. Si l'État et son porte-voix, la DRAC, semblent pour le moment absent de ce rapport de force et gardent le silence depuis la publication du communiqué commun avec la Ville de Poitiers, de nouveaux acteurs y prennent part quelques jours après l'annonce de la fin des activités du Confort Moderne. En effet, le 23 janvier 1992, des concerts sauvages spontanés ont lieu dans la rue Gambetta, principale voie de passage de Poitiers, dans le but de soutenir le Confort Moderne face à la décision des institutions. Le message ornant la banderole servant de fond à la scène improvisée est sans ambigüité : « Poitiers, numéro un au Top 50 de la misère culturelle ! En fermant le Confort Moderne, vous nous envoyez dans la rue. Merci M. Santrot, merci M. Lang. »307 Ce « baroud d'honneur des rockeurs avant qu'ils perdent ce qui les réunissait »308 est significatif de la place occupée par le Confort Moderne en terme d'action culturelle mais aussi sociale. C'est aussi révélateur de l'attachement de la scène alternative au centre culturel, malgré les critiques émises par les acteurs locaux du mouvement indépendant que nous avons évoquées au chapitre précédent. Les groupes poitevins représentatifs de la scène comme Les Petits Fiers ou Tambour'Yeah qui collaborent parallèlement avec le label On a faim ! investissent donc spontanément la rue pour afficher leur soutien au Confort Moderne, dénoncer les institutions et essayer de faire que ces dernières changent d'avis. On voit donc que différents composants s'impliquent pour afficher leur soutien au Confort Moderne, qu'ils soient acteurs, spectateurs ou politiques. Quoi qu'il en soit, ce qu'il faut voir, c'est que la crise prend un tournant oE seules les institutions peuvent décider du renouveau à donner au centre culturel. Découlant de ce fait, les soutiens prennent forcément une coloration très politique, et on voit que la municipalité de Poitiers n'est pas ménagée. Nous avons montré que la crise qui apparaît médiatiquement au mois de janvier 1992 a débuté bien avant, en 1991, et correspond à un lent processus institutionnel visant à inclure le Confort Moderne dans le réseau culturel municipal. Prétextant une gestion inappropriée du lieu, les pouvoirs publics lui ont coupé les vivres et pouvaient ainsi définir les conditions à un nouveau subventionnement, incluant la 307 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 21 janvier 1992. 308 Ibidem. perte d'indépendance artistique du projet. Prisonnière de ce financement, l'équipe du Confort Moderne n'a eu d'autre choix que de démissionner devant la menace de dénaturation du centre culturel, alors qu'elle était pourtant largement soutenue. II- Résolution et sortie de crise : à quel prix ? Nous l'avons vu, le Confort Moderne aborde l'année 1992 de la pire manière. La fin des subventions et les conditions pour y avoir à nouveau droit ont conduit le lieu à fermer ses portes. Alors que le centre culture semble vivre ses derniers instants en fanfare, la situation semble prendre un nouveau virage. A/ Réveil de la DRAC et reprise du dialogue « L'État ne s'était pas exprimé sur la situation du Confort Moderne depuis la parution du communiqué écrit conjointement avec la ville, et annonçant la suspension des financements. »309 Finalement, une semaine après l'éclatement de la crise du Confort Moderne et juste avant le dernier concert du Confort Moderne, la DRAC, lors d'une conférence de presse largement suivie par les journalistes locaux, lance un vif appel dans le but de relancer un dialogue vraisemblablement définitivement rompu entre les financeurs et le centre culturel. Les quotidiens locaux semblent une nouvelle fois être les seuls canaux de communications entre les deux parties. La seule chose qui diffère avec la position de la Ville de Poitiers, c'est justement l'appel au dialogue. Alors que la décision des dirigeants du Confort Moderne annonçant la fin de leur action culturelle n'avait pas ému la municipalité qui s'était tout de suite mise à « la recherche d'une nouvelle équipe capable de mener un projet authentique »310, la DRAC souhaite plutôt renouer le dialogue avec l'équipe en place afin de repartir sur des bases saines. Tandis que la municipalité semblait adopter une position de fermeté et comptait maintenir le cap, quoiqu'il arrive, la DRAC insuffle un peu de souplesse dans ce conflit. Néanmoins, on retrouve dans les propos de l'État les mêmes raisons qui ont conduit à la suspension des subventions (la situation financière apparemment désastreuse) et les mêmes conditions qui 309 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 25 janvier 1992. 310 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 21 janvier 1992. permettraient leur retour. Les pouvoirs publics reussissent donc dans cette affaire à parler, conformément à leurs objectifs, d'une voix unie, sans se contredire. Les contradictions se trouvent plutôt à l'intérieur mrme de ce discours commun : une fois de plus, on retrouve le dedouanement des institutions concernant la modification du projet artistique du Confort Moderne. C'est mrme l'un des premiers points abordes lors de la conference. À nouveau pourtant, l'une des conditions sine qua non pour retoucher les subventions, c'est « evaluer le projet musical [et] le rapport entre le contenu artistique d'un projet et les publics concernés. »311 Par ailleurs, l'Etat souhaite formaliser le fonctionnement du Confort Moderne et « professionnaliser l'équipe. »312 Cette formalisation passe par une « direction clairement identifiee avec un administrateur qui ne soit pas seulement comptable des depenses. »313 Les conditions posees par les institutions pour rouvrir le lieu s'inscrivent donc dans une logique d'aseptisation de la programmation mais aussi du fonctionnement. Alors que la gestion du Confort Moderne etait effectuee de manière précaire, avec une forte rotation des postes salariés entre les membres de l'équipe, la DRAC aurait pu donner les moyens necessaires à LOH afin de stabiliser une equipe, reduire la mobilite des salaries et leur permettre de se former eux-mêmes. Or, si la proposition de la DRAC semble aller dans le sens de la formation, le fait que celle-ci soit assurée sous l'impulsion de l'Etat, conjugué avec la volonté d'aseptiser la programmation laisse presager une professionnalisation qui conduirait à formater l'équipe de façon à ce que ses pratiques soient en accord avec le fonctionnement d'une structure institutionnalisée. Alors que les postes étaient fluctuants au sein du Confort Moderne, les pouvoirs publics semblent vouloir fixer une equipe et confiner chaque membre à un poste défini, comme dans n'importe quelle entreprise. Cette opération conduirait à dénaturer une fois de plus l'essence mme du Confort Moderne dont l'action artistique dépendait pour une bonne part de l'engagement et le ressenti de l'équipe envers certaines formations musicales qu'elle souhaitait défendre et diffuser. Or, la professionnalisation de l'équipe par l'Etat deboucherait logiquement sur une programmation fondee sur la rentabilite avant tout #177; surtout 311 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 25 janvier 1992. 312 Ibidem. 313 Ibidem. lorsqu'on voit la situation financière du lieu E et non plus sur la decouverte et l'innovation artistique. Finalement, on peut envisager l'intervention tardive de l'État et sa vision des choses comme ayant un caractère relativement paternaliste. La DRAC laisse en effet le conflit s'envenimer pendant une semaine en laissant le mauvais rôle à la Ville de Poitiers, qui assume seule les nombreuses critiques emanant des differents acteurs précédemment cités. L'instance d'État arrive alors tardivement et revt l'image d'un organe superieur qui intervient pour calmer les tensions et retablir le dialogue entre les parties en conflit, tout en tenant fermement la position institutionnelle et les conditions qui vont avec. Celles-ci vont d'ailleurs dans ce sens et la volonte de rationnaliser le fonctionnement du Confort Moderne apparaît comme la reprise en main d'une jeunesse qui s'égare et prend trop de libertés. L'intervention des pouvoirs publics et la fermete de celle-ci semble sonner la fin de la recreation et de « la crise de maturite »314 dans laquelle le Confort Moderne s'était engluée. Des termes qui sont tout de mrme très infantilisants pour qualifier la menace de fermeture d'un lieu culturel alternatif ayant obtenu une reconnaissance mondiale. B/ Le revirement du Confort Moderne Alors que la situation semblait desesperee pour le Confort Moderne, un dialogue s'ouvre sous l'impulsion de la DRAC et estompe quelque peu les positions arr~tées des acteurs de la crise. Il faut toutefois noter que c'est essentiellement du coté du centre culturel que les concessions les plus importantes sont faites et permettent de maintenir le lieu ouvert ; mais à quel prix ? L'accord signé entre la Ville et la DRAC et le Confort Moderne le 27 janvier 1992 #177; soit le lendemain du suppose concert d'adieu d'Urban Dance Squad #177; donne un large echo aux exigences enoncees par les pouvoirs publics afin d'à nouveau verser les subventions : « Cinq directions de travail ont ete acceptees : expertise precise de la situation financière, evaluation prospective du projet dans toutes ses dimensions, reflexion sur la reformes des structures (association ou SARL par exemple), dispositions transitoires pour la preservation du lieu, la recherche de financements au demarrage des activites, en particulier dans le cadre d'un partenariat public si possible élargi. »315 314 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 28 janvier 1992. 315 Ibidem. On voit donc bien que les clauses de ce contrat laissent la part belle aux conditions posées par la municipalité et l'État. Que ce soit le redressement financier ~ mutuellement consenti #177; l'évaluation du projet, la réforme des structures et l'intensification du partenariat public, toutes ces dispositions entrent dans le cadre d'une institutionnalisation du fonctionnement du Confort Moderne. La seule garantie réclamée et obtenue par le Confort Moderne est donc le maintien du centre culturel au 185, Faubourg du Pont-Neuf, et uniquement grâce à des modifications de la structure qui ne sont pas explicitées dans l'article. Outre cette petite victoire pour l'équipe du centre culturel, les pouvoirs publics ont réussi à obtenir l'ensemble de ce qu'ils demandaient et bien plus encore. Ils obtiennent un droit de regard sur la programmation artistique #177; qui devient désormais complètement soumise aux logiques de rentabilité #177; qui est évaluée par une personne rattachée au ministère de la Culture, André Cayot, chargé de mission par le Département de la musique et de la danse (DMD). Quant à l'évaluation et au redressement financier et structurel, c'est une nouvelle fois une personne très liée à la culture institutionnalisée qui est mandatée, puisque que c'est Jean-Claude Sénéchal, administrateur de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image (CNBDI) située à Angoul3me qui est chargé de donner au Confort Moderne l'exemple d'une structure culturelle réellement viable économiquement. On ne peut que s'interroger sur la pertinence de ce choix étant donnée la différence existant entre un lieu comme la CNBDI #177; qui abrite un musée, une médiathèque, et un centre d'imagerie numérique ~ créée sous l'impulsion de l'État dans le cadre des grands travaux du premier septennat de François Mitterrand et le Confort Moderne qui est né de l'essor du milieu associatif alternatif poitevin. Le fait de voir le rapprochement entre ces deux structures de natures très éloignées motive l'idée selon laquelle les institutions tentent fortement de faire adopter au Confort Moderne un fonctionnement conforme aux infrastructures culturelles d'État. Cette hypothèse est d'ailleurs appuyée par le fait qu'une réforme structurelle, qui n'avait pas été évoquée jusque là, est envisagée par cet accord. En voulant faire du Confort Moderne une SARL, et non plus une association, on crée une véritable entreprise culturelle soumise à des impératifs juridiques stricts, bien plus restrictifs qu'une simple association. Cette réforme, certainement envisagée dans le cadre d'une meilleure formation de l'équipe et d'une gestion plus rigoureuse, dépasse la simple idée d'une professionnalisation et tend à modifier l'essence mrme du Confort Moderne, afin de le faire rentrer dans un cadre juridique beaucoup plus exigeant et professionnel. Finalement, c'est l'assimilation du pôle culturel poitevin au sein de l'ensemble des structures culturelles d'État qui est envisagée par ces mesures. La volonté d'accentuer le partenariat public dans le financement du lieu montre bien ce souhait de lier de plus en plus étroitement le Confort Moderne aux pouvoirs publics. Dans la lignée de cet accord, l'équipe du centre culturel rédige un communiqué envoyé en réponse à tous ceux qui leur ont envoyé des messages de soutien durant la courte, mais très médiatique crise. La teneur de ce texte censé définir ce qu'est vraiment « le Confort Moderne dans sa globalité, tel qu'il devra demeurer en cas de réouverture, et ce, en accord avec la Ville de Poitiers et l'État »316 est significative du tournant que le lieu est en train de vivre. D'une part, le fait que l'accord des pouvoirs publics soit nécessaire pour que le centre culturel puisse rouvrir est le signal d'une grosse perte d'indépendance. D'autre part, certains points abordés dans cette définition du Confort Moderne semblent différer de l'essence originelle du lieu. Dès les premières lignes, le communiqué insiste sur une action culturelle dirigée vers les 15-25 ans en priorité et ce depuis l'ouverture du lieu en 1985. Le Confort Moderne ne se définissait-il pourtant pas comme un lieu de brassage, tant sur le plan des classes sociales que sur celui des générations ? Ce ciblage d'une tranche d'cge en particulier #177; énoncé par une équipe dont la plupart des membres n'étaient pas présent aux origines du centre culturel #177; traduit bien le développement d'une politique de programmation confinée à un type de public spécifique, largement différente de la simple volonté d'offrir de nouvelles expériences artistiques à un auditoire varié. Par ailleurs, le texte explique l'intention de professionnaliser les artistes défendus par le Confort Moderne, alors que la priorité a toujours été d'offrir un lieu de représentation et de répétition à des formations exclues des canaux de diffusion traditionnels, et non de sélectionner des groupes parmi un vivier dans le but de leur ouvrir les portes du marché du disque. Consécutivement à ces deux caractéristiques, l'exemple de la perte d'indépendance du Confort Moderne s'exprime le plus clairement dans les dernières lignes du communiqué : 316 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 30 janvier 1992. « Cela implique pour l'ensemble de l'équipe : de conserver un vrai rôle d'intermédiaire entre les publics et les artistes ; une totale liberte artistique ; une totale liberte d'organisation, de mise en oeuvre du projet global et de recrutement après accord avec ses partenaires. »317 Cette phrase qui semble revendiquer le caractère independant immuable du Confort Moderne est lourde de contradiction. Comment revendiquer une liberte complète #177; que ce soit sur le plan artistique ou organisationnel #177; alors que chaque decision depend du bon vouloir des pouvoirs publics ? Malgré la réaffirmation d'un principe cher à l'histoire du Confort Moderne, ce communiqué semble acter definitivement du tournant pris par le centre culturel à l'issue de la crise l'ayant oppose aux institutions. Ces dernières semblent donc avoir réussi à reprendre l'action du lieu à leur compte en exerçant une emprise forte non seulement sur la gestion financière #177; qui devait initialement 1tre le seul terrain d'intervention des pouvoirs publics ~ mais sur l'ensemble du projet, comme peut en témoigner la convention signée pour l'année 1992, qui diffère largement des precedentes.318 Tout d'abord on peut remarquer que celle-ci compte deux pages de plus qu'habituellement, pour atteindre une longueur de cinq pages bien remplies. Le contenu est lui aussi different. Les signataires sont ainsi plus nombreux qu'à l'accoutumée : alors que les conventions precedentes liaient la Ville, l'État et l'association L'oreille est hardie, l'exemplaire de 1992 inclut, en plus de cette dernière, la SARL L'oreille est hardie et la SARL Confort Moderne. Par ailleurs, alors que les objectifs du centre culturel etaient auparavant proposes par l'équipe et validés par les partenaires, en 1992, c'est la convention qui les fixe, et on voit une fois de plus la marque de l'intervention des pouvoirs publics à travers les domaines d'intervention stricts et les termes qui les désignent : « Le Confort Moderne est un lieu professionnel consacre prioritairement aux musiques « actuelles a» et à l'art contemporain. »319 De nouveau, on retrouve la contradiction récurrente liée à la revendication de la liberté d'action du lieu, résumée en une phrase : « Le projet Confort Moderne est defini et mene par son equipe en toute independance tant dans ses choix artistiques que dans ses modes de fonctionnement, sauf à observer les modalites contenues dans les autres articles de cette 317 Ibidem. 318 ACM : « Conventions », Convention de développement culturel, 11 août 1992. 319 Ibidem. convention. »320 Ces modalités portent évidemment la marque des volontés institutionnelles énoncées lors de la crise, et le projet du centre culturel, malgré la liberté de mise en oeuvre qui le caractérise, est régi par des cadres stricts et doit répondre à une cohérence financière empiétant sur l'audace culturelle dont LOH a fait preuve dès ses débuts : cibler les publics, professionnaliser les artistes pour les intégrer au milieu du disques et collaborer de manière obligatoire avec les autres infrastructures culturelles de la Ville et de la région. Ce dernier point est énormément souligné dans cette convention, qui « fait constamment référence à la nécessité d'ouverture et de partenariats exigés du CM [Confort Moderne nda] »321, ce qui montre bien que les institutions souhaitent réellement reprendre le lieu à leur compte et s'en servir comme n'importe quelle autre structure culturelle officielle : « Le Confort Moderne fait partie du réseau des établissements culturels municipaux. [...] Le Confort Moderne travaillera, autant que faire se peut, en partenariat avec les établissements culturels et les équipements socio-culturels de Poitiers. »322 Enfin, les modalités de contrôle font l'objet d'une partie très détaillée, et concernent la gestion et le projet du centre culturel. D'une part, les comptes doivent être présentés chaque trimestre aux partenaires (un expert comptable l'Exco-Poitou est même chargé de « s'assurer de la sincérité de ces documents »323), d'autre part, le projet est soumis à l'évaluation et l'acceptation d'un groupe permanent d'évaluation comprenant ~ comme l'exigeaient les pouvoirs publics #177; des membres issus des institutions culturelles officielles comme André Cayot (DMD) et Jean-Claude Sénéchal (CNBDI). C'est donc un contrôle étroit de la gestion et du projet qui est mis en place, et qui oblige le Confort Moderne à adopter un fonctionnement très institutionnel, calqué sur une programmation orientée vers des styles musicaux cloisonnés aux musiques dites « actuelles ». On voit donc bien que le centre culturel, après avoir repris le dialogue avec ses partenaires, semble adopter une position qui se démarque largement de l'éthique dont il a pu faire preuve depuis ses débuts. Cédant aux volontés institutionnelles, on remarque que le déficit dans lequel le Confort Moderne était plongé l'a condamné à 320 Ibidem. 321 RAFFIN Fabrice, op. cit., p. 229. 322 ACM : « Conventions », Convention de développement culturel, 11 août 1992. 323 Ibidem. sacrifier son indépendance pour pouvoir continuer à exister, sous une forme beaucoup plus conventionnelle. C/ Le Confort Moderne, deuxième acte : la mise en place du nouveau fonctionnement Alors que nous venons de voir à quelles conditions le Confort Moderne avait pu subsister, il va désormais nous falloir analyser concrètement comment les nouvelles caractéristiques du lieu #177; qui s'éloignent de plus en plus d'un fonctionnement et d'un esprit alternatif #177; furent exploitées. Tout d'abord, et malgré l'acceptation des exigences institutionnelles, le centre culturel ne rouvre que six mois après la fin de la crise. Un temps nécessaire pour réaliser la restructuration demandée par les partenaires financiers. Parallèlement, l'équipe du Confort Moderne reste active sur le terrain culturel et continue d'organiser des événements sur différentes scènes poitevines. Le mois de juin voit par exemple le succès d'un concert important à la Blaiserie, réunissant Dirty District (une formation parisienne impliquée dans le mouvement alternatif français) et surtout Fugazi, groupe américain moteur de la scène indépendante, dont le leader Ian MacKaye, à la tête de son label « Dischord » fait perdurer une éthique Do It Yourself irréprochable.324 Une soirée placée sous le signe de l'alternatif qui montre certainement l'attachement de LOH à cette scène, malgré les changements structurels du lieu qu'elle gère. Les premiers concerts marquant la réouverture du Confort Moderne sont pour leur part organisés le 17 septembre 1992, avec l'accord des partenaires financiers, et notamment du comité d'évaluation, pour qui « les deux saisons 1992-1993 seront difficiles. »325 Les pouvoirs publics prennent tout de même le risque de relancer le centre culturel qui, de l'aveu mrme de la presse, « repart sur de nouvelles bases, avec malgré tout une épée de Damoclès suspendue au dessus de sa tête. À la fin de l'année, on lui demandera des comptes. »326 La menace est donc bien présente, et c'est à ce prix que les institutions contraignent le Confort Moderne à employer des méthodes de gestion rigoureuses et une programmation soumise aux lois de la rentabilité. 324 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), Centre Presse du 4 juin 1992. 325 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1991-juillet 1992), La Nouvelle République du 24 juillet 1992. 326 Ibidem. Pourtant, lors de cette réouverture, l'équipe fait tout pour revendiquer à nouveau le fait que « le Confort Moderne conserve la même éthique: le mélange des gens et des genres, l'accès à la culture pour tous les jeunes »327, malgré une fermeture de six mois pour restructuration. Cette déclaration de la nouvelle directrice Isabelle Chaigne ne parvient pas à masquer les nouvelles méthodes de ciblage du public. À l'image d'une entreprise qui emploie des stratégies de marketing, « les dirigeants ont travaillé l'approche et la clientèle estudiantine. »328 Ces objectifs visant à rentabiliser le projet du Confort Moderne prennent donc le pas sur la spontanéité qui a toujours été la marque de fabrique du centre culturel poitevin, et lui a permis #177; tout en n'étant pas forcément regardant sur les retombées financières #177; de découvrir de jeunes talents devenus célèbres. Plus que dans le texte, le ciblage d'un public cohérent avec la programmation devient réellement une priorité durant toute l'année 1992. Alors que dès le mois de mars, une membre de l'équipe, Fabienne, s'inscrit auprès de la DRAC pour un « stage de communication sur l'élargissement des publics »329, une enquête de public est réalisée gracieusement par des étudiants de l'école de commerce330 et celle-ci établit des statistiques concernant la popularité du lieu. Une autre enquête est réalisée la même année et établit le profil du spectateur type venant au Confort Moderne,331 conformément aux volontés du comité d'évaluation permanent : « le public fréquentant le Confort Moderne devra faire l'objet d'enqu~te par sondage afin de préciser quel est ce public. Le questionnaire et les modalités d'enqu~te seront mis au point entre le Confort Moderne et la Direction des Affaires Culturelles. »332 Par ailleurs, le Confort Moderne commence à développer une publicité qui se rapproche des méthodes promotionnelles traditionnelles, et ne s'appuie plus sur le réseau propre au milieu alternatif, à savoir les fanzines et radios associatives. L'équipe du Confort Moderne prévoit ainsi de produire des casquettes à l'effigie du nom du lieu333 et d'aller faire sa promotion sur des lieux ciblés, comme par exemple le salon de 327 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), La Nouvelle République du 11septembre 1992. 328 Ibidem. 329 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 10 mars 1992. 330 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 14 avril 1992. 331 ACM : « Bilans, projets, évaluations » (1992), Enquête de public réalisée par S. Debiais, N. Deschamps, L. Durand, I. Farge, C. Marchand et C. Robert. 332 ACM : « Bilans, projets, évaluations » (1992), Groupe permanent d'évaluation -- Réunion du 17 septembre 1992 à la DRAC, 17 septembre 1992. 333 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 4 mai 1992. l'étudiant.334 On voit donc bien que la recherche et l'élargissement d'un public ciblé en lien avec la programmation du Confort Moderne devient une priorité et prend le pas sur l'innovation artistique qui a fait la réputation du lieu. Cependant, on peut tout de même remarquer que la diffusion proposée par le centre culturel poitevin conserve certains aspects que l'on a déjà pu aborder précédemment. L'attachement à la scène alternative hexagonale reste ainsi fort, et le Confort Moderne reste un lieu privilégié de cette frange de la musique populaire française. Dès la réouverture en septembre 1992, certains noms ayant marqué le mouvement #177; n'ayant alors plus la reconnaissance médiatique qui a fait ses beaux jours durant les années 1980 #177; sont à l'affiche comme les VRP. Néanmoins, on remarque que les groupes issus de cette scène programmés dans la salle poitevine sont ceux qui ont obtenu une large reconnaissance : les VRP ont ainsi rempli l'Olympia de Paris quelques mois avant de revenir jouer à Poitiers.335 La diffusion de cette scène auparavant très structurée ne se fait donc plus lors de grandes manifestations comme le festival « Rock Hexagonal Tendancieux » qui voyaient des formations reconnues côtoyer des petits groupes émergents ou par des soirées consacrées à des labels. Les réseaux semblent s'rtre effrités et la programmation prend la forme de soirées concerts isolées. Une large part de celle-ci reste consacrée à des artistes peu reconnus, développant des styles musicaux nouveaux, conformément à tout ce qu'a toujours fait LOH. On remarque toutefois que dans le cadre de la rentabilisation financière des locaux du Confort Moderne, une stratégie nouvelle est adoptée concernant l'utilisation de la salle de concert de 800 places ouverte en 1988. Celle-ci est louée à des associations, qui peuvent ainsi organiser des concerts sans avoir de locaux leur appartenant. Seulement, alors que les gérants auraient pu se tourner vers de petites associations sans moyens relayant des petits groupes méconnus, c'est une association niortaise, Aloha Productions, qui occupe le plus souvent l'espace de concerts du Confort Moderne. Or, la nature des artistes programmés par cette association tranche nettement avec celle de ceux habituellement diffusés par LOH. Ceux-ci « collectionnent les disques d'or »336, leurs 334 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 10 mars 1992. 335 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), La Nouvelle République du 6 novembre 1992. 336 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), Centre Presse du 24 novembre 1992. titres sont « fredonnée[s] sur toutes les ondes [et sont] 44e au Top 50. »337 Aloha Productions met ainsi à l'affiche des artistes issus de l'industrie du disque comme Keziah Jones, ou Jean-Louis Aubert, beaucoup plus reconnus et conventionnels que les groupes programmés habituellement. Cette diffusion beaucoup plus grand public influe forcément sur les prix des places qui, une fois encore tranchent largement avec la politique d'accès à la culture mise en place depuis le départ par le Confort Moderne. Alors que les tarifs des manifestations proposées par LOH gravitent autour de trente-cinq ou cinquante francs, les concerts d'Aloha Productions atteignent quatre-vingt, cent, voire cent-vingt francs. Même si ces prix ne correspondent pas à l'éthique habituelle du centre culturel poitevin, il faut comprendre que ces concerts et l'argent que « rapportent les locations à Aloha [sont] déterminant pour [le] bon fonctionnement »338 du Confort Moderne. Paradoxalement, ils sacrifient le rôle initial de défricheur culturel du lieu et d'espace culturel accessible, tout en permettant de combler les pertes financières liées à ces concerts faiblement fréquentés. Si la dimension culturelle atypique du Confort Moderne a quelque peu été écornée par les nouvelles clauses de la convention, on peut remarquer que le rôle social du lieu a été conservé, et ce pour une raison précise : les pouvoirs publics ont en effet vu dans ce centre culturel un moyen d'intégrer socialement des catégories de population qu'eux mrme n'arrivaient pas à atteindre. La convention signée en 1992 assigne donc un rôle social fort au Confort Moderne qui est obligé de « traiter, avec les moyens spécifiques d'un établissement culturel accueillant un public jeune, les problèmes posés par la marginalisation et l'exclusion sociale. »339 Dans cette lignée, une soirée gay est organisée en octobre 1992 ; elle accueille parallèlement aux concerts des associations de prévention du VIH et milite contre les discriminations.340 C'est peut-être même cette dimension qui a le plus intéressé les partenaires, voyant plus dans ce lieu un espace de socialisation de populations jugées difficiles, qu'un espace culturel. Cependant, cette socialisation ne se fait pas librement et le Confort Moderne, dans le cadre de son aseptisation, est obligée de faire appel aux services d'une entreprise de sécurité, qui est habilitée à employer des 337 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), Centre Presse du 19 septembre 1992. 338 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 10 février 1993. 339 ACM : « Conventions », Convention de développement culturel, 11 août 1992. 340 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), Centre Presse du 13 octobre 1992. méthodes inhabituelles pour le lieu : « le personnel décide de l'opportunité d'user de la force si cela est nécessaire »341, et peut interdire l'accès à « tout client présentant des troubles de comportement laissant à penser qu'il est manifestement ivre », ce qui contrevient à l'esprit du Confort Moderne oE « la préoccupation festive devient secondaire. »342 Il convient néanmoins de noter que la Ville de Poitiers a su également trouver un intérest dans certains services artistiques proposés par le Confort Moderne : « jeunes créateurs, artistes, musiciens ne manquent pas à Poitiers. Pour les aider, la Ville met à disposition des locaux de répétition. »343 On constate donc que le centre culturel, conformément à ce qu'on a pu voir dans les débats qui animaient les conseils municipaux pendant la crise du Confort Moderne, devient un véritable enjeu politique pour la municipalité, qui y voit une façon de se donner une image jeune et dynamique. La teneur de cet article est significative de ce fait, puisqu'on a l'impression que la Ville a fait un effort pour dégager des locaux permettant aux groupes locaux de créer, alors que ceux-ci ont été aménagés par le Confort Moderne dès son ouverture, et son nom n'apparaît mrme pas lors de l'évocation des boxes de répétition. Cela est donc révélateur du changement de nature du Confort Moderne qui est réellement intégré au réseau des structures culturelles publiques de la Ville de Poitiers, mais aussi de l'État. En conséquence, le centre culturel a dû obéir aux exigences institutionnelles, ce qui a provoqué de larges changements au sein de la structure, que ce soit sur le plan de la gestion, ou du projet. Finalement, l'action du Confort Moderne s'est apparentée dès sa réouverture à une mission de service public, ce qui l'a conduit à proposer une programmation beaucoup plus consensuelle et à revestir un rôle social important et préétabli #177; alors qu'auparavant, cette dimension était entretenue de fait plus que par convention. Cette seconde partie nous a donc permis d'analyser l'issue de la crise débutée le 17 janvier 1992, à l'annonce de la fin du subventionnement du Confort Moderne par les pouvoirs publics. Sous l'impulsion de la DRAC, le dialogue ayant repris a conduit l'équipe du lieu à capituler devant les clauses fixées par ses partenaires, et à 341 ACM : « Conventions », Convention entre le Confort Moderne et la société A.R. IFNIKI, 3 novembre 1992. 342 BAFFIN Fabrice, op. cit., p. 230. 343 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), Poitiers Magazine d'août 1992. signer un accord dix jours après le début du conflit. Ces dix jours ont été capitaux dans l'histoire du Confort Moderne et ont montré à quel point la structure était soumise aux volontés de ses financeurs, à partir du moment oil ceux-ci manifestaient un désaccord. En théorie, le rachat des bâtiments par la Ville en 1988 avait signé la réelle fin de l'indépendance du lieu. De fait, celle-ci arrive en 1992, avec l'énonciation des exigences institutionnelles, contre lesquelles le Confort Moderne n'a rien pu faire, et a hésité un temps entre la fermeture définitive et les concessions avant de choisir cette dernière option. Nous avons donc tenté ici de dégager les aspects originels que la deuxième formule du Confort Moderne avait tenté de conserver tout en montrant comment ceux-ci étaient néanmoins sous le contrôle total des partenaires publics. De la gestion au projet, le centre culturel poitevin semble être totalement sorti du circuit alternatif, pour intégrer le réseau des structures culturelles publiques. III- L'évolution de la scène alternative de Poitiers : des changements dans des trajectoires diverses Nous venons de le voir, le Confort Moderne, dès la rentrée de 1992 a connu une crise l'ayant conduit à adopter de nombreux changements concernant son fonctionnement et son projet artistique, marqueurs d'une institutionnalisation forte. Si cette structure semble être sortie de la scène alternative pour devenir un espace culturel officiel dédié aux musiques dites actuelles et notamment au rock (indépendant ou non), il convient de voir comment les autres membres de cette scène évoluent jusqu'en 1994. Nous commencerons donc par envisager la suite de l'institutionnalisation du Confort Moderne jusqu'à cette date, puis reviendrons sur la Fanzinothèque de Poitiers et le label On a faim !. A/ Le Confort Moderne en voie d'institutionnalisation définitive Alors que nous avons déjà vu que le centre culturel poitevin avait dû se plier aux exigences des pouvoirs publics afin de pouvoir rouvrir en septembre 1992, nous allons désormais pouvoir essayer d'envisager le déroulement de l'histoire du Confort Moderne après la stabilisation de sa situation durant la fin de cette année. Cette partie va donc nous permettre de nous demander si le Confort Moderne a choisi d'entretenir malgré tout les relations existant avant le conflit, ou si au contraire, il s'est orienté vers des directions plus institutionnelles. La première chose que nous allons pouvoir constater, c'est que les liens avec le réseau Trans Europe Halles, qui faisaient du Confort Moderne un centre culturel réputé à l'échelle européenne sont conservés. La structure envoie ainsi des groupes jouer dans différentes villes d'Europe en 1993 et reçoit le festival TEH les 11, 12, 13 et 14 novembre de la mrme année, qui obtient un succès mitigé.344 Une fois encore, on voit l'intrusion d'artistes issus de l'industrie du disque comme le belge Arno dans une programmation oL l'on trouve aussi des groupes indépendants comme Lofofora. On constate donc d'une part que le Confort Moderne, malgré sa perte d'indépendance vis-à-vis des institutions reste au sein du réseau TEH qui rejette pourtant l'influence des institutions sur le fonctionnement des lieux qu'il labellise, et d'autre part que la programmation du festival organisé par cette association commence à inclure des artistes liés au monde du show-business. On retrouve de nouveau ce type d'artistes grand public dans le projet du Confort Moderne à travers, comme nous l'avons vu précédemment, la location de la salle à des associations comme Aloha Productions. Cependant, on remarque également que LOH commence à louer l'espace de concert à des associations plus confidentielles et alternatives, qui proposent des concerts en cohérence avec la programmation habituelle du Confort Moderne. L'une de celle-ci ~ jà laquelle nous avons déjà fait référence précédemment puisqu'il s'agit de Nahda ~ diffuse ainsi des groupes liés au milieu du hardcore, dans lequel le centre culturel s'est déjà impliqué en faisant par exemple passer des artistes gravitant autour du label Alternative Tentacles345. Cette association s'est donc plus fondue dans le projet du Confort Moderne, mrme si l'entente entre les deux structures était relative : « On doit rien au modèle de développement du CM [Confort Moderne, nda]. Rien : un peu de soutien et beaucoup de coups bas. Là encore et comme pour l'AMP et la Fédération, le CM avait rien compris et voulait surtout pas que quelque chose arrive de différent. [...] Dans leur ensemble, les gens du CM ont vraiment pas été sympas. »346 On voit donc à travers ce témoignage que le Confort Moderne entretenait des rapports difficiles avec le milieu associatif local, et notamment indépendant. On 344 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1993-juillet 1994), Centre Presse du 15 novembre 1993. 345 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), Centre Presse du 1er décembre 1992. 346 TIGAN Fabrice, « Poitiers Über Alles », sur le Forum Poitiers Bruits, http://poitiersbruits.bbconcept.net/t34-poitou-uber-alles-par-fab-tigan, consulté le 28 avril 2011. remarque toutefois à travers les sources que ces rapports tendus ne concernent pas seulement Nahda. Concernant Aloha Productions, une partie de l'équipe « a peur qu'ils [leur] « volent » du public ».347 Que ce soit pour une petite association diffusant des groupes relativement méconnus telle Nahda ou pour une plus grosse comme Aloha Productions, on voit donc bien que le Confort Moderne, tout en essayant de se positionner sur les deux tableaux #177; alternatif et show-business #177; a du mal à accepter que d'autres structures viennent empiéter dans leur champ d'action. On remarque que c'est sur ce problème récurrent du public que le bât blesse, puisque l'équipe craint finalement de voir des spectateurs potentiels leur faire défaut au profit d'autres structures. Par ailleurs, la dissociation du Confort Moderne avec le milieu associatif s'explique également par la nature de ce qu'il est devenu, c'est-à-dire un lieu institutionnel aux objectifs bien plus stricts et ambitieux qu'une simple association. Le lieu connaissait déjà, nous l'avons vu, quelques divergences avec ce milieu avant la crise, mais le nouveau fonctionnement a certainement dû mettre encore plus de distance entre le centre culturel et les associations alternatives de Poitiers. Ainsi, le premier marqueur que l'on peut hypothétiquement imputer au tournant pris par le Confort Moderne (mais qui tient aussi de facteurs économiques) est la fermeture de la boutique de disques « la Nuit Noire » dans la cour du 185, Faubourg du PontNeuf, qui baisse son rideau de fer à la rentrée de septembre 1992.348 Par ailleurs, alors que l'équipe essaie de développer des liens avec une association relativement jeune #177; la Pont'Ach Rock, montée entre autres par Gilles Benèche349, « excédé par le manque de disponibilités offertes sur la scène poitevine »350 #177; elle se rend compte que son fondateur « n'a pas l'air plus motivé que ça. En fait, ça n'avance pas du tout. »351 Ce désintér~t traduit finalement l'inadaptation du Confort Moderne à ce type d'associations qui recherchent des petits lieux permettant à des groupes relativement modestes de se produire devant un public forcément restreint #177; Gilles 347 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 10 février 1993. 348 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 4 mai 1992. 349 Salarié à la Fanzinothèque de Poitiers, Gilles Benèche, est co-fondateur de l'association la Pont'Ach Rock et joue au sein du groupe Un Dolor. 350 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), La Nouvelle République du 16 décembre 1992. 351 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 30 mars 1992. Benèche se plaint ainsi « qu'à Poitiers, il manque un vrai bar rock352. La volonté émise par l'équipe du Confort Moderne de développer cette association n'est en plus pas intéressante pour la Pont'Ach Rock qui souhaite rester à une échelle modeste, peut-rtre pour ne pas justement tomber dans les travers qu'a connus le centre culturel largement institutionnalisé. Or, justement, cette institutionnalisation et les rapports étroits avec les pouvoirs publics qu'elle implique, ont posé un certain nombre de contraintes au Confort Moderne, et notamment sur le plan de la gestion. Ainsi, alors que la mobilité des personnels était l'une des caractéristiques notoires de la première version de la structure poitevine, des organigrammes sont régulièrement édités et font un recensement précis des postes occupés, et assignent chaque personne à une tâche spécifique : en 1994, l'équipe comptait alors trente-sept emplois dont six salariés à plein temps, dix-neuf intermittents et quelques contrats aidés et objecteurs de conscience353, ce qui en fait une entreprise relativement importante. Les comptes de la structure sont constamment contrôlés et un bilan est présenté aux partenaires à chaque trimestre, ce qui exige une gestion et un travail très lourds pour l'équipe, constamment sous pression : l'épée de Damoclès évoquée par la presse locale lors de la réouverture du centre culturel est toujours au dessus de la tête de la structure. En effet, mrme s'il a adopté un fonctionnement rigoureux, « la situation du Confort est critique »354, mrme quelques mois après sa réouverture, et ce n'est pas la seule structure de ce type en France à connaître ces difficultés. En effet, dès janvier 1994, la presse locale fait état de l'entrée du Confort Moderne dans un réseau de salles répondant aux mêmes caractéristiques : les Clubs Rock.355 Si les objectifs de ce réseau restent flous, la suite est éclairante : en mars de la même année, le réseau Fédurok est créé et intègre le centre culturel poitevin. Cette association a « pour but l'étude et la défense des intérêts matériels et moraux des membres, la réalisation de spectacles de qualité à des prix abordables, ainsi que la défense du patrimoine et de 352 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1992-juillet 1993), La Nouvelle République du 16 décembre 1992. 353 ADV : 1681 W 13- 1993-1997 #177; DRAC #177; Association le Confort Moderne : évaluations, rapports, comptes, bilans, conventions #177; Organigramme de l'association le Confort Moderne I 25 mai 1994. 354 ACM : « Comptes-rendus de réunions », Réunion du 10 février 1993. 355 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1993-juillet 1994), La Nouvelle République du 10 janvier 1994. la culture rock. »356 « Initialement fondée par des structures essentiellement centrées sur l'activité de diffusion, elle s'est progressivement développée autour d'objectifs partagés de structuration du secteur et de reconnaissance institutionnelle. »357 Réunissant des salles de toute la France, qui ont été de hauts lieux du mouvement alternatif, comme l'Ubu de Rennes, ou l'Aéronef de Lille, ce réseau a donc pour objectif de structurer un ensemble de salles de concerts de musiques dites actuelles en professionnalisant un peu plus leurs personnels et en établissant des liens toujours plus étroits avec les institutions. Ce qu'il convient de remarquer, c'est que ce type d'initiatives s'inscrit dans la lignée d'un organe institutionnel que nous avons déjà évoqué : le Centre d'information rock (CIR) créé à l'initiative de l'État en 1985, qui tentait pour sa part de regrouper l'ensemble des composantes du circuit musical. La Fédurok concrétise donc à petite échelle ce qui a pu se passer à Poitiers lors de la crise du Confort Moderne et cherche à établir des partenariats forts entre les structures et les institutions. Le centre culturel a donc été une fois de plus précurseur sur la situation de 1994 et l'issue du conflit, qui a pu Ytre perçue à Poitiers comme un constat d'échec, a été vue ailleurs comme une chance : « l'idée pourrait faire tkche d'huile : l'Ubu à Rennes est demandeur de ce type d'état des lieux. »358 On voit donc que le milieu des années 1990 est marqué par la volonté des structures elles-mêmes de se professionnaliser et d'entrer dans le champ d'influence des pouvoirs publics, ne pouvant plus continuer à fonctionner de façon indépendante. Nous avons donc pu voir que mrme s'il continuait tant bien que mal à réactiver certains de ses vieux réseaux alternatifs (notamment américains), le Confort Moderne tendait inexorablement à adopter un fonctionnement de plus en plus institutionnalisé, sous le contrôle toujours étroit des pouvoirs publics, ayant réussi à faire d'un des pôles du mouvement alternatif hexagonal, un lieu relativement aseptisé avec une programmation spécifique lui étant assignée. Cette dynamique, nous l'avons vu, n'est pas propre à Poitiers et rejoint un courant national, qui se structure en réseau de salles dédiées aux musique dites actuelles, et correspond finalement à un cloisonnement du projet artistique, ce qui avait été largement combattu par la 356 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1993-juillet 1994), L'Inédit, mensuel de la scène Rock de mars 1994. 357 Fédurok : Historique, http://www.la- fedurok.org/rubrique.php?id_rubrique=106&id_sous_rubrique=169, consulté le 5 juin 2011. 358 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1993-juillet 1994), Show Magazine de décembre 1993. première version du Confort Moderne, qui souhaitait ouvrir sa programmation à n'importe quel style musical, pourvu que celui-ci soit novateur et atypique. B/ On a faim ! : des changements dans la continuitéAlors que nous venons de voir que le Confort Moderne prenait le chemin d'une institutionnalisation forte, nous allons pouvoir constater que le label OAF !, qui avait adopté une éthique beaucoup plus politique et radicale, va tout en gardant cette voie, opérer divers changements. Le Confort Moderne intègre donc en 1994 le réseau Fédurok, qui s'inscrit dans la continuité des initiatives étatiques comme le CIR, qui voulaient professionnaliser et institutionnaliser le milieu rock. Or, le positionnement du réseau OAF ! vis-à-vis de ces deux organes a été très clair. Dans notre chapitre précédent, nous avons déjà mis en lumière les critiques que celui-ci portait à l'égard du CIR. Dans les années 1990, on peut remarquer que cette hostilité se dirige contre le réseau Fédurok et reste manifeste. Elle se traduit par des articles incendiaires dans le fanzine OAF ! : un article intitulé « Fédurok : magicienne ou sorcière ? » paraît au premier trimestre de l'année 1998 et, à la différence de ce qui a été fait dans les années 1980, ne remet « pas en cause l'essence de l'action étatique mais la bureaucratisation des institutions, la perte de contact avec la base, notamment du point de vue des salles de spectacles. »359 Ainsi l'article met l'accent sur le changement de nature des lieux comme le Confort Moderne, qui « sont devenus PROFESSIONNELS, voyez, ils sont même gérés par des « professionnels de la profession a» [...] Ces gens-là DECIDENT en fonction des modes, des médias. [...] Ce qui est triste, c'est de voir que ces salles, qui sont à l'origine des « acquis » des rockers, qui n'existent que parce qu'il y'a des groupes, puissent les traiter ainsi. »360 On remarque donc que si le label poitevin OAF ! se trouvait déjà en marge des structures alternatives préexistantes à Poitiers, le tournant pris par la plus importante de celles-ci n'a fait que maintenir voire amplifier cette distance. Pourtant, le changement d'équipe opéré aux alentours de l'année 1992, qui a vu Luc Bonet céder sa place à Gil Delisse notamment, a fait d'OAF ! #177; Label, nous l'avons déjà souligné, une structure moins politisée, avec d'autres ambitions, car 359 GUIBERT Gérôme, op. cit., p. 276. 360 AFP, On a faim !, mai 1998 p. 4. « Gil etait un dessinateur, donc il avait certaines exigences esthetiques. »361 Ce petit tournant, a fait du label poitevin une structure moins isolee, et plus integree au milieu culturel poitevin. Par ailleurs, la profession de dessinateur de Gil Delisse et son implication dans le fanzine auquel était rattaché le label, l'a naturellement conduit à tisser des liens avec la Fanzinothèque de Poitiers, qui etait evidemment impliquee dans le milieu des arts graphiques. Or, c'est à partir de ce type de relations affinitaires que des productions OAF ! ont pu voir le jour. Si le groupe très lie au Confort Moderne Les Petits Fiers figure sur la compilation « Pogo avec les loups », produite lorsque Luc Bonet faisait encore partie du label, La collaboration d'OAF ! ~ Label avec le groupe Un Dolor est la première avec un groupe poitevin. « Il y' a eu l'album d'Un Dolor qui a ete coproduit avec Weird, parce que bon justement c'étaient de bons potes. »362 Ce type de rapport entre le label et les formations qu'il produit est representatif des conditions qui permettaient à un groupe de collaborer avec OAF ! #177; Label : « ce n'était que de l'affinitaire. [Ils n'ont] quasiment jamais selectionne un groupe a partir d'une démo. , part sur les compilations, mais c'étaient des groupes [qu'ils ont] croisés sur plein d'autres choses que la musique. » Alors que nous avons vu que Luc Bonet s'appuyait beaucoup sur l'influence du fanzine et les cassettes qu'il recevait pour sélectionner les groupes labellises, on peut constater que la seconde equipe se fonde beaucoup plus sur les affinites personnelles pour produire des artistes. L'exemple de l'album d'Un Dolor, « Muddy Brains » est particulièrement significatif de ce fait, puisqu'il résulte des contacts entre Gil Delisse d'OAF ! #177; Label et Gilles Benèche #177; salarie de la Fanzinothèque de Poitiers et bassiste du groupe #177; qui a certainement influe pour que le disque soit coproduit par Weird Records, avec qui il entretenait des rapports facilites etant donne que le siège de cet autre label poitevin se situait dans le garage qui abritait auparavant la boutique « la Nuit Noire », soit dans la cour du Confort Moderne. On voit donc que les productions effectuees par la deuxième equipe sont plus nes de rapports affinitaires rapprochés qui l'ont connectée à d'autres structures locales, que la première qui s'appuyait sur les réseaux nationaux. Cependant, mrme s'il est devenu moins central après le départ de Luc Bonet, le discours politique n'en restait pas moins present dans les productions OAF !, et les compilations revêtaient toujours les avatars du 361 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011. 362 Entretien avec Gil Delisse du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 7 mars 2011. mouvement libertaire, en témoigne celle intitulée « Ni Jah Ni Maître ». Cette compilation témoigne d'ailleurs des évolutions du label, qui semble se décloisonner du genre punk ou hardcore : « La nouvelle équipe du label, a choisi un positionnement moins militant, qui était aussi un positionnement musical spécifique (plus dub/reggae que rock). »363 Pourtant, même si le discours politique est moins évident, il n'en reste pas moins que le label continue à s'inscrire dans la frange la plus alternative du milieu rock français. Pour exemple, la nouvelle équipe est confrontée à un problème de taille peu de temps après son arrivée : « [Ils étaient] distribué[s] par New Rose, au début. Et puis un jour ils ont dit « Bon ! On arrête de distribuer des petits labels » parce que ce n'est pas rentable du tout, quand ils ont commencé à avoir des problématiques de rentabilité. [...] Donc ils [les] ont virés et [ils se sont] retrouvé[s] sans distributeur. »364 Cet événement marque une fois de plus la crise des structures ayant grossi avec le mouvement alternatif et se trouvant dans l'impasse au début des années 1990. « Là-dessus, il y'a Mélodie oI Duduche bossait, et il [leur] a dit : « moi je peux m'en occuper. » »365 OAF ! #177; Label ne tarde donc pas à retrouver un distributeur indépendant par le biais d'une connaissance appartenant au milieu musical, mais aussi politique. L'identité de cette personne est en effet révélatrice du fait que la structure ne change pas d'éthique malgré la crise du mouvement alternatif : nous l'avons dit, l'année 1985 voit la création CIR, dans le but de structurer sous l'égide de l'État la nébuleuse d'organes constituant les scènes locales autoproclamées. Or, voyant d'un mauvais oeil cette intrusion institutionnelle, « Duduche » crée en réaction et en accord avec les acteurs du mouvement euxmrmes, donc par la base, le Centre autonome du rock (CAR). C'est « une initiative underground qui provient de militants qui animent aussi une émission sur Radio Libertaire. »366 « Le CAR se veut avant tout proche des acteurs du rock, convivial, et si ses moyens sont limités, ses actions et sa présence sur le terrain ne sont plus à démontrer (tables de fanzines dans les concerts, organisation de rencontres, débats, 363 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011. 364 Entretien avec Gil Delisse du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 7 mars 2011. 365 Ibidem. 366 GUIBERT Gérôme, op. cit., p. 275. festivals, video, travail commun avec la Fanzinothèque. »367 On remarque donc qu'OAF ! #177; Label reste dans des reseaux qui perpetuent les pratiques developpees par le mouvement alternatif. Ainsi, même si Melodie est un distributeur plus important que New Rose et distribue les productions OAF ! dans des structures faisant partie des canaux de l'industrie du disque comme la FNAC ou Virgin, le fait que ce soit « Duduche » qui gère la partie rock du distributeur a permis de conserver une ethique propre au milieu independant : « Il a cree le departement rock à l'intérieur de Mélodie et puis en fait, il gérait sa petite cuisine, ce qui nous a permis même de faire des disques assez improbables en distribution nationale.[...] Duduche passait son temps à jongler pour se battre à la fois avec sa boite, parce que quand tu vends des disques il faut quand même que ça rapporte, et puis de l'autre coté justement faire en sorte que ça rapporte le moins possible à sa boite pour que les prix restent le plus bas possible. »368 Malgre la disparition des organes independants qui structuraient le mouvement alternatif, OAF ! #177; Label parvient neanmoins, par ses contacts, à preserver des pratiques fidèles à leur politique d'accès à la culture pour tous. Finalement, dans tous les domaines #177; de la selection des groupes à la diffusion des disques en passant par le regard critique porte sur le monde du show-business #177; le label OAF ! a su garder sa ligne directrice malgré un changement d'équipe qui n'eut pour effet que quelques changements minimes sur le plan de l'esthétique et de la prédominance du discours politique, qui n'ont en rien modifié les pratiques politiques de la structure. La crise nationale connue par le mouvement alternatif a mrme eu l'effet de rapprocher le label des structures locales presentes à Poitiers, ce qui montre bien le fait que ce type de fonctionnement alternatif ne peut exister que par l'existence de réseaux de solidarités, d'affinités, quels qu'en soient l'échelle. L Fanzinothèque, fait partie integrante de ceux-ci, et reste proche d'organes comm OAF ! ou le CAR. 367 WELL Max et POULAIN François, Scènes de rock en France, Paris, Syros Alternatives, 1993, p. 138. 368 Entretien avec Gil Delisse du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 7 mars 2011. |
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