C/ Une institutionnalisation à deux vitesses : des
premières compromissions non sans accrocs
Comme nous venons de le constater, le Confort Moderne
débute la dernière décennie du XXe
siècle en ayant fait du 185, Faubourg du Pont-Neuf un centre FOltOM]
[SIAM-1t41, 1G11ERIGESEINACSIRSERTIFWW P ElAiaOMESEr FIER qOIE
héberge. Or, malgré son attachement à la scène
alternative, dont le lieu reste tout de même OTEMISIMlé.1IP ]
n3FIKeMEGe la FMnFe, EGeM31AaGe SlOs en SlOs ré.1Oliers avec les
institutions ont du être développés. Ceux-ci semblent avoir
été InGIASeIsaEMESROaRGRQWRGeB!aP SOeOrIIOI&RQRLIM) RGeIQ-1
18 QUEIP SOOMOi semble toutefois se démarquer des aspirations des
créateurs de la scène poitevine. En effet, si le Confort Moderne
continue de programmer des artistes reconnus et des talents émergents,
honorant ainsi son rôle de diffusion culturelle, les groupes locaux, par
voie de presse,252 se plaignent des manques de moyens mis à
leur disposition, comme notamment les lieux de répétitions
jugés trop onéreux. Par ailleurs, des aménagements comme
la création de la salle de 800 places effectuée en 1988
grâce au soutien important des pouvoirs publics semblent inutiles pour
les jeunes artistes, qui reprochent au Confort Moderne de voir trop grand.
Cette salle de moyenne FESEFiWIESHP BraOffiiO G'EFFOeIQKNGeAEELIMAWSlOs IP
SRLWA 114.110P 11tAGeE IFItaEMIARn aFWIQUI lROEQ ] 1G4aOtriA
associations ; mais elle a aussi exclu les S1tites fRIP IIiRns lRFLOA,
EqOIMpiXIt SlOsTaOGi11FH néFHATITESROr SRONRTL remplir le Confort
Moderne. Celles-ci préféraient donc la disposition initiale de
('1ASEFI GI TFRnFILINIOiNPAIaIMIO AHQP rP e GO bar, se rapprochant ainsi de
leurs aspirations, allant vers un système de pub rock
anglo-saxon. Elles tirent donc un constat amer : « Quand on veut
jouer, on est obligés d'organiser nous-mêmes les
252 ACM : « 31HALP/ARNIGH LIRIlieltAalIKEIGie
» (septembre 1989-juillet 1990), La Nouvelle République du
17octobre 1989.
concerts. »253 LOH, qui reste malgré
tout attachée à la scène alternative, semble toutefois
orienter sa programmation vers des groupes de plus grande envergure, en
laissant de coté les formations amatrices qu'elle était
censée défendre. L'association semble en effet privilégier
des artistes expérimentés #177; bien qu'en dehors des cadres
traditionnels #177; en se démarquant des groupes toujours au stade des
méthodes Do It Yourself les plus basiques. Pour illustrer ce
changement de nature du Confort Moderne, en lien avec un partenariat avec les
institutions, on peut prendre les « Fiches moi l'Rock » pour exemple.
Ces fiches pratiques éditées en 1990 par la municipalité,
la préfecture, la Société des auteurs, compositeurs et
éditeurs de musiques (la SACEM) et le Confort Moderne254
avaient pour but d'expliquer aux jeunes musiciens comment monter et faire durer
un groupe de musique. Outre le fait que ce genre de fiches donne des cadres
à la conduite d'une formation musicale, ce qui va à l'encontre
des préceptes Do It Yourself et à l'autogestion des
groupes, le type de partenaires avec lesquels elles sont éditées
laisse à penser que ces indications vont être très rigides
et institutionnelles, sans laisser entrevoir les possibilités hors des
sentiers battus s'offrant aux musiciens. La participation de la SACEM, organe
appliquant des règles très strictes concernant la
propriété intellectuelle, laisse présager le
caractère très conventionnel du contenu de ce petit guide. Cette
institution contrôlée par l'État a été
vivement critiquée par une large partie de la scène alternative,
estimant qu'elle « rackette les jeunes groupes plus qu'elle ne les aide
»255 en les obligeant à payer des droits pour diffuser leur
musique, voire même en leur retirant la propriété de leurs
propres oeuvres.
Le Confort Moderne semble donc s'éloigner des petits
groupes débutants pour devenir « une écurie de course
»256 et se rapproche nécessairement pour cela des
institutions. Ce rapprochement se matérialise à travers une
intensification du partenariat entre le Confort Moderne et les pouvoirs
publics, s'expliquant par le fait que « le ministère de la Culture,
de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire, compte-tenu des
orientations de la politique gouvernementale, entend instaurer de nouvelles
relations avec les associations qui oeuvrent dans son secteur
253 Ibidem.
254 ACM : « Press Book de L'oreille est hardie
» (septembre 1989-juillet 1990), La Nouvelle République du
15 septembre 1990.
255 AFP, On a faim !, novembre 1990 (n°
15), p. 25.
256 ACM : « Press Book de L'oreille est hardie
» (septembre 1988-juillet 1989), Le Nouvel Observateur du 30
novembre 1988.
d'activité. »257 Ce revirement de la
politique culturelle se traduit à l'échelle municipale comme
gouvernementale par une augmentation conséquente des subventions, «
non pour assurer une sécurité à l'association, mais pour
constituer le substrat indispensable »258, comme en
témoigne le graphique suivant, réalisé à partie de
plusieurs documents (dossier de subventions, correspondance entre la DRAC et le
Confort Moderne, conventions) :
900 000 800 000 700 000 600 000 500 000 400
000 300 000 200 000 100 000 0
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Ville de Poitiers Etat
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Montant 1987 1988 1989 1990 Année
en Francs
Evolution des subventions municiDales et
gouvernementales accordées à L'oreille est hardie (1987-1988)
La rupture en 1989 est donc significative et marque un
engagement soudain des partenaires financiers dans le subventionnement du
Confort Moderne. Ce rapprochement entre le centre culturel et le
ministère de la Culture se traduit également en 1989 par la
formalisation de leurs relations à travers la signature d'une convention
entre les deux parties. Ce document, faisant office de contrat entre les deux
parties et tenant chacune d'entre elles à des obligations mutuelles
(versement de subvention, transparence des comptes) est significatif du
tournant opéré par la politique culturelle française dans
les derniers temps des années 1980, qui voit s'intensifier la
collaboration des institutions avec les structures nées de l'essor du
mouvement alternatif français. Un protocole d'accord datant de 1990,
émanant
257 ACM : « Conventions », Convention
au titre de l'année 1989 entre le ministere de la Culture, de la
Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire et l'association «
L'oreille est hardie », 11 mai 1989.
258 ADV : 1256 W 127- 1988-1989 #177; DRAC #177;
Musique et Danse #177; Note de présentation de L'oreille est hardie
#177; 12 septembre 1989.
conjointement des ministères de la Justice et de la
Culture régit juridiquement les cadres de la rédaction de ces
conventions et en fixe les buts. Or, il est intéressant de voir que
ceux-ci rendent officiels des aspects que nous avons déjà
rencontrés à travers l'étude de l'histoire de LOH : ce
document émanant directement des deux ministres Jack Lang et Pierre
Arpaillange259 vise à « territorialiser » les
partenariats entre les structures et les institutions gouvernementales,
à « professionnaliser » les personnels gérant ces
structures afin de garantir leur insertion sociale mais aussi des
détenus en voie de réinsertion et à « programmer
» une action culturelle en lien avec d'autres structures locales de mrme
type.260 Ce protocole d'accord, applicable à l'ensemble des
structures aidées par l'État, semble donc arriver tardivement
pour formaliser des caractéristiques ayant déjà cours au
Confort Moderne, et rend ce type de structures prisonnières de
celles-ci, substituant presque la fonction sociale à la fonction
culturelle initiale de ce type de lieux.
Un autre point important soulevé par le protocole
d'accord est la nécessité d'évaluer ces structures
subventionnées. C'est-à-dire qu'en plus de les confiner à
des fonctions strictes dont elles semblent ne plus pouvoir se détacher,
les pouvoirs publics souhaitent désormais avoir un droit de regard sur
leurs comptes et leurs finances. C'est précisément ce point qui a
dégradé les relations entre le Confort Moderne et ses
partenaires, dont les membres ont de plus en plus de mal à gérer
des subventions devenues conséquentes. Cette clause est présente
dans la convention de 1989 (il est prévu, notamment, que l'association
doive « faciliter le contrôle par le Ministère [...] de la
réalisation des objectifs, notamment l'accès aux documents
administratifs et comptables »261) et les premiers doutes
concernant la gestion de l'établissement se font sentir. Des audits
financiers sont alors réalisés dès 1989 sous l'impulsion
des deux parties et traduisent plusieurs disfonctionnements dans la
comptabilité du Confort Moderne, dont le principal consiste en « un
déficit d'exploitation cumulé de 550 000 francs au 31
décembre 1989. »262 Ces rapports
259 Garde des Sceaux de 1988 à 1990, Pierre
Arpaillange fut également Premier président de la Cour des
Comptes de 1990 à 1993.
260 ADV : 1666 W 19- 1977-1992 #177; DRAC #177;
Manifestations culturelles f Protocole d'accord entre le ministère de la
Culture, de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire et le
ministère de la Justice #177; 1990.
261 ACM : « Conventions », Convention
au titre de l'année 1989 entre le ministere de la Culture, de la
Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire et l'association «
L'oreille est hardie », 11 mai 1989.
262 ACM : « Subventions », Proposition
de mission effectuée par l'ARSEC, octobre 1989, p. 3.
comptables mettent en lumière le décalage
existant entre le fonctionnement administratif de l'établissement que
nous avons auparavant étudié (basé sur une rotation des
postes salariés, sur la mobilité des employés, provoquant
leur manque de formation) qui, sans paraître approprié à la
gestion du lieu, peut créer des carences comptables pouvant «
être corrigées par un plan de formation et de qualification
»263 du personnel, étant donné les objectifs
traditionnels du Confort Moderne. Seulement, les ambitions grandissantes de la
structure pourraient ne plus correspondre à ce type de
fonctionnement.
Le Confort Moderne semble donc se démarquer de sa ligne
de conduite originelle en se rapprochant des institutions tout en
s'éloignant des petits artistes qu'il était censé
promouvoir, afin d'envisager des actions de plus grande envergure.
Vraisemblablement engluée dans le jeu des subventions et des rapports
trop étroits avec les institutions #177; à une époque oil
celles-ci prennent les devants pour institutionnaliser le milieu alternatif en
crise profonde #177; la structure semble viser trop haut et ~tre prise au
piège d'un fonctionnement qui n'est adapté ni à ses
ambitions, ni aux attentes des pouvoirs publics à qui elle doit
désormais rendre des comptes : en témoigne ces mots du maire,
Jacques Santrot :
« Je souhaiterais que des procédures de suivi et
de conseil soient élaborées entre vousmrme, la Direction des
Affaires Culturelles, et les services financiers afin d'éviter, d'une
part que des bruits et des rumeurs viennent interférer dans notre
relation contractuelle, et afin que d'éventuels dérapages
financiers ne mettent en péril l'existence mrme de votre
établissement. »264
Nous avons donc pu voir que la scène alternative
poitevine n'avait pas été touchée par l'essoufflement de
la scène alternative nationale, et que paradoxalement, l'année
1989 marquait même un réel renouveau des structures
indépendantes de Poitiers. Des structures qui se font très vite
une place dans le paysage culturel national et contribue à la
réputation de place forte de la culture alternative hexagonale acquise
par la capitale régionale. Néanmoins, on remarque que ce milieu
local reste hétérogène et que les structures ne forment
pas un réseau de solidarité à l'échelle de
Poitiers, mais s'inscrivent dans des dynamiques extérieures : la
Fanzinothèque, bien que située
263 ADV : 1256 W 127 - 1988-1989- DRAC - Musique et
Danse - LOH Poitiers #177; Audit financier et comptable de l'entreprise «
Le Confort Moderne », « L'Oreille est Hardie »
réalisé par Argos, février 1989, p. 55.
264 ADV : 1666 W 19- 1977-1992 #177; DRAC #177;
Manifestations culturelles #177; Lettre de Jacques Santrot à la
directrice du Confort Moderne #177; 8 Janvier 1990.
dans l'enceinte du Confort Moderne reste très
indépendante du centre culturel et cherche en s'en décloisonner
pour publiciser son action ; le label OAF ! est implanté dans la frange
la plus politisée de la scène alternative et intègre les
réseaux qui y correspondent, malgré la participation de quelques
groupes poitevins fréquemment programmés au Confort Moderne
(comme Les Petits Fiers) pour ses compilations.
On remarque également que les pouvoirs publics se font
de plus en plus présents dans cette scène : ce sont eux qui sont
à l'origine de la création de la Fanzinothèque ~ qui
parvient tout de même à rester totalement indépendante de
leurs directives #177; et le Confort Moderne, de plus en plus gourmand en
subventions, semble ne plus pouvoir les emprcher de s'immiscer dans son
fonctionnement, ce qui compromet fortement son indépendance. La salle de
concert se trouve pour débuter les années 1990 dans une situation
financière plutôt critique, qui interpelle les institutions et
pourrait bien constituer pour elles une façon d'aseptiser ce centre
culturel atypique.
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