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La scène alternative de Poitiers

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par Maxime Vallée
Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011
  

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B/ Du lieu de stockage de la presse lycéenne au temple du fanzinat français : l'appropriation du lieu par ses acteurs

Nous venons de le voir, la Fanzinothèque a été créée sur une décision de la municipalité de Poitiers, à la demande du CCJ, afin de stocker et de consulter la presse amateur émanant principalement des lycées. Mrme les statuts de l'association n'ont pas été rédigés avec les acteurs du lieu : ils ont été pensés par les institutions municipales et lycéennes représentées par Mireille Barriet (qui présidait le CCJ à l'origine de la décision) et par Pascal Famery, ainsi que par Fazette Bordage du Confort Moderne (qui ne faisait qu'accueillir le lieu, sans avoir de prise sur le fonctionnement de la Fanzinothèque). Cela a donc donné des statuts très stricts avec des directives précises quant au fonctionnement interne de l'association, régi par non moins de 17 articles fixant les modalités de votes, d'éligibilité etc.166 Qu'il s'agisse du mode de création, ou de la nature des documents archivés #177; bien que certains se démarquent des journaux purement axés sur la vie de l'établissement scolaire ~ on voit donc bien que la Fanzinothèque n'a pas au premier abord les caractéristiques des structures alternatives telles que nous les avons déjà envisagées, dans le sens ou ce ne sont pas les acteurs du lieu, ceux qui l'ont fait vivre, qui ont investi un lieu par-euxmêmes pour ensuite mettre les pouvoirs publics devant le fait accompli. Il faut toutefois noter la réputation acquise par la structure dans le mouvement alternatif, qui trouve un large écho à travers toute la France. Alors que les rédacteurs de fanzines auraient pu aisément tourner le dos à un tel établissement émanant directement des pouvoirs publics, et censée répertorier une presse issue des lycées #177; ce qui se démarque de l'éthique indépendante des fanzines alternatifs ~ la Fanzinothèque s'est rapidement constituée un fonds conséquent de productions écrites portant sur différents sujets (musique, politique, bande dessinée, science-fiction etc.) venant « des quatre coins de la France et de l'Europe. »167 Pour comprendre cette inscription quasi-directe de la structure au sein des dynamiques de la presse underground difficile d'accès, il convient d'expliciter le choix pertinent ayant été fait par le CCJ pour la personne devant diriger et tenir le lieu. Comme nous l'avons déjà mentionné, c'est Didier Bourgoin qui fut salarié par la mairie dès le début, même si cet emploi a

166 ADV - 1880 W 1 - DRAC #177; 1993 #177; Services du livre et de la lecture #177; Statuts de l'association de gestion de la Fanzinothèque.

167 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1989-juillet 1990), La Nouvelle République du 15 novembre 1989.

pu poser quelques problèmes de conscience à l'intéressé, « anti-subvention » comme il se définissait lui-même dans une citation mentionnée plus haut :

« Derrière, c'était une volonté municipale. La mairie en créant la Fanzino mettait des moyens financiers, non seulement des moyens financiers mais aussi salarier la personne, en l'occurrence moi. Ça, déjà intellectuellement, ça me grnait. »168

C'est finalement l'alliance entre une activité enrichissante personnellement et un apport financier non négligeable qui a poussé Didier Bourgoin à accepter le poste : « on avait déjà 3 enfants, j'avais plus de boulot depuis que j'étais plus pion, j'avais passé tous les exams, pour être conservateur de musée tout ça, mais ça me plaisait pas. »169 Cette proposition d'emploi arrivait donc à point nommé et lui permettait de s'impliquer de façon professionnelle dans un domaine qui le passionnait depuis plusieurs années : les fanzines et la culture rock en général. C'est donc sous son impulsion que la Fanzinothèque est très vite passée d'un simple lieu de stockage pour journaux lycéens à un fonds répertoriant un grand nombre des titres issus du fanzinat français et européen. « En fait, comme Didier était déjà disquaire, il avait déjà des fanzines dans la cour, [...] on a dévié assez facilement sur les rockzines, et puis c'était en pleine explosion, il y'en avait plein, c'était vraiment la période d'or. »170 Détournant, ou plus justement dépassant en quelque sorte les volontés municipales, ou plutôt celles du CCJ #177; la mairie ayant seulement financé la création de la structure ~ Didier Bourgoin a créé un lieu bien plus riche qu'un entrepôt de journaux lycéens, en profitant du manque d'intérIt de la mairie pour ce lieu d'un genre nouveau : « il se trouve que la ville n'a pas tiqué plus que ça, enfin elle n'est pas venue voir non plus ce qui se passait dans les contenus, donc liberté, quoi. On a dévié un peu sur le rock. »171

Ayant désormais mis en lumière les moyens par lesquels Didier Bourgoin avait réussi à donner à la Fanzinothèque une image détachée de celle d'un lieu institutionnel, il va désormais nous falloir expliquer les raisons qui ont pu permettre la constitution d'un fonds aussi riche et diversifié. Tout d'abord, nous l'avons déjà souligné, mettre Didier Bourgoin à la tête de ce lieu était déjà très pertinent. Très impliqué dans le milieu alternatif français, c'est lui qui tenait la boutique « La Nuit

168 Radio Libertaire, « Le Fanzine », dans Offensive Sonore du 14 octobre 2010.

169 Ibidem.

170 Entretien avec Gilles et Marie de la Fanzinothèque, propos recueillis le 31 janvier 2011.

171 Ibidem.

Noire » située dans la cour du Confort Moderne, dont nous avons auparavant montré la renommée nationale voire internationale à travers le témoignage de Fabrice Tigan. En outre, cette même boutique était, rappelons-le gérée par l'AMP, dont Didier Bourgoin faisait partie dès le début, et qui a contribué à faire venir à Poitiers de nombreux groupes alternatifs, dont Bérurier Noir en 1984. Didier Bourgoin se constitue donc à travers cette association un ensemble de contacts qui lui ont permis de faire de « la Nuit Noire » une boutique de disques très bien fournie, que ce soit en supports vinyles, mais aussi en fanzines, pour lesquels le disquaire se passionne. Dès le début, la Fanzinothèque bénéficie donc de « sa collection personnelle, histoire de gonfler les rayons »172 mais aussi des contacts accumulés durant toute son activité au sein du milieu associatif alternatif et dans le milieu du fanzinat. Didier Bourgoin a en effet contribué à la rédaction de quelques fanzines : très lié à l'AMP, dont les deux auteurs sont les « chevilles ouvrières »173, « Arsenal Sommaire Poitiers » est un fanzine d'informations relatives au rock régional. Didier Bourgoin cumule donc un certain nombre d'activités, notamment au sein de l'AMP, à l'image de nombreux producteurs de fanzines, ce qui lui fournit un nombre conséquent de relations :

« L'implication des acteurs d'un fanzine se limite rarement à la seule édition de celui-ci. Nombre d'entre eux jouent dans un groupe, animent en parallèle des émissions de radio, organisent des concerts, produisent des compilations K7, vinyles ou CD, animent un réseau de distribution de disques, K7 et d'autres fanzines. »174

L'attrait du fanzinat national lié à la scène alternative pour la Fanzinothèque s'est donc développé tout naturellement, et son patron l'explique simplement : « Moi je connaissais déjà tous les fanzines qui existaient. On correspondait. »175 Marie Bourgoin, qui rédigeait Laocoon (très orienté vers le rock) avec Didier Bourgoin, détaille un peu plus ce processus :

« On faisait des fanzines avant que la Fanzino existe, on avait déjà tout un réseau : on correspondait, par courrier a l'époque, on se baladait dans la France, on connaissait déjà le réseau des fanzines... Donc après, on a fonctionné exactement de la mrme manière. [...] C'est pour ça que c'est bien passé d'ailleurs auprès des fanzines. Parce que ça aurait pu être perçu comme un truc institutionnel, et puis non pas du tout. »176

172 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1989-juillet 1990), La Nouvelle République du 15 novembre 1989.

173 Fanzinothèque de Poitiers, 30 ans de fanzines à Poitiers, octobre 2009, p. 12.

174 ETIENNE Samuel, op. cit., p. 25.

175 Radio Libertaire, « Le Fanzine », dans Offensive Sonore du 14 octobre 2010.

176 Entretien avec Gilles et Marie de la Fanzinothèque, propos recueillis le 31 janvier 2011.

Dès le départ, la renommée de Didier Bourgoin et de son entourage proche, qui °oeuvrait de façon bénévole mais très impliquée au fonctionnement de la Fanzinothèque, a permis au fonds de s'enrichir gr~ce à l'envoi spontané des productions de nombreux auteurs de fanzines, qui voyaient en elle la formidable entreprise d'archivage et de communication d'une presse théoriquement condamnée à une existence non seulement confidentielle mais aussi éphémère. Par ailleurs, l'équipe de la Fanzinothèque, Didier et les bénévoles, ont tout fait pour se décloisonner des locaux du Confort Moderne dans le but de faire connaître son action, au plus près des rédacteurs de fanzines, mais aussi des lecteurs. Cela s'est traduit par la présence de stands sur de nombreuses manifestations culturelles françaises, dont le festival de la Bande Dessinée d'Angoul3me. Didier Bourgoin a ainsi dépassé son rôle de salarié qui aurait pu rester cantonné dans son local à classer les fanzines, pour sillonner les routes et faire connaître la structure ; la passion et le militantisme culturel ayant pris le pas sur la simple activité professionnelle. Le Fanzinothécaire se souvient :

« En 1990 on allait partout quoi. On était sur tous les fronts. Je partais avec ma voiture avec des caisses de fanzines, et j'allais me faire voir parce que les gens demandaient : « C'est quoi une Fanzinothèque ? Qu'est ce qu'ils veulent ? » Donc de visu ce sera mieux. »177

La Fanzinothèque ne se résume donc pas à un local de stockage et de consultation, jà un simple lieu, mais marque son action par l'organisation d'événements de grande ampleur : le festival « Trans Zines en Halles » de 1990, associé au « Trans Europe Halles » du Confort Moderne a presqu'éclipsé ce dernier, si l'on en croit la presse locale qui titre alors « Fanzines et rock = mariage. »178 Elle reste très associée au milieu associatif, en témoigne son fonctionnement qui reste simpliste malgré les contraintes précises exprimées dans les statuts: « il y'a une association avec un C.A., avec des adhérents qui viennent emprunter. Le C.A. a un bureau et après il y'a 5 salariés »179 (un en 1989, puis deux en 1993, pour arriver à cinq de nos jours). Cet attachement à ce milieu à donc permis de fédérer beaucoup de personnes autour des événements organisés par la Fanzinothèque. Voyons désormais

177 Radio Libertaire, « Le Fanzine », dans Offensive Sonore du 14 octobre 2010.

178 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1990-juillet 1991), La Nouvelle République du 13 novembre 1990.

179 Entretien avec Gilles et Marie de la Fanzinothèque, propos recueillis le 31 janvier 2011.

comment l'événementiel E entre autres #177; a pu constituer un element determinant dans la duree de vie de la structure.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo