DES ALPC
Des transferts d'armes peuvent être
indispensables pour répondre aux besoins de sécurité
légitime d'un Etat ou pour améliorer les capacités des
forces de sécurité car, comme le souligne la Banque Mondiale, la
sécurité reste une priorité pour les populations pauvres
dans toutes les régions du monde (Conoir et Verna 2005, 486).
Cependant, les transferts irresponsables des ALPC peuvent encourager des
forces militaires irresponsables et mal entraînées à
supprimer les droits humains et entraver le développement
démocratique ; faciliter une exploitation brutale des
ressources ; contribuer à la dégradation de
l'environnement ; et augmenter la violence contre les femmes. La
pauvreté peut s'aggraver, les inégalités augmenter,
l'accès aux services de base encore plus compromis et des existences
menacées (Amnesty International/IANSA/OXFAM, 2004). Ainsi, la
circulation incontrôlée des ALPC représente de graves
entraves non seulement pour la paix et la sécurité humaine
(Small Arms Servey 2002) (§I), mais aussi pour le
développement (Small Arms Servey 2003) (§II).
§I : LA PROLIFÉRATION DES ALPC,
UNE MENACE POUR LA SÉCURITÉ HUMAINE
« L'être humain est au
coeur de tout. Le concept même de souveraineté nationale a
été conçu pour protéger l'individu, qui est la
raison d'être de l'Etat, et non le contraire. Il n'est plus acceptable de
voir des gouvernements flouer les droits de leurs citoyens sous prétexte
de souveraineté ». (Kofi Annan 1999).
Ces propos sont la traduction fidèle de la doctrine de la
sécurité humaine. La sécurité humaine, aujourd'hui
au coeur des stratégies du développement durable et de
l'intervention humanitaire, est le résultat de la transition
conceptuelle du terme de sécurité.
Pendant longtemps, la sécurité a
été le pré-carré des théories
réalistes, néo-réalistes, rationalistes pour lesquelles,
elle serait axée sur trois composantes essentielles : l'Etat,
le principal agent et bénéficiaire de la
sécurité ; la menace à la
sécurité provient surtout des autres Etats et les réponses
aux menaces sont surtout de type diplomatico-stratégique (Rioux 2001,
11). Aujourd'hui, la sécurité n'est plus campée sur
l'Etat, sur les domaines militaires et nucléaires. Depuis les
années 1960-1970 avec les réflexions de Galtung sur la paix dans
« Peace, War and Defense : Studies in Peace
Research » (Galtung 1976) au Rapport sur le Développement
humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (Nations
Unies 1994), qui a officiellement utilisé le concept de
sécurité humaine, en passant par John Burton dans
« World Society » en 1972, Lester Russell Brown
dans « Redefining National Security » en 1977,
Booth Ken dans « Security and Emancipation » et
les développement des constructivistes, (Nicholas 1989), et bien
d'autres auteurs comme Keith Krause dans « Approche critique et
constructiviste des études de sécurité »,
le concept de sécurité a connu une réelle mutation pour
prendre en compte l'individu. Désormais, il est fortement question de
sécurité humaine que Charles-Philippe David et
Jean-François Rioux qualifient de « portée
universelle, fondée sur l'interdépendance, centrée sur la
prévention et axée sur les individus » (David et
Rioux 2001, 21). Elle inclue la sécurité personnelle,
politique, collective, économique, alimentaire, environnementale et
sanitaire (David et Rioux 2001, Ibid.). Cette approche large tirée de la
définition du PNUD n'inclut pas expressément le
phénomène des ALPC qui est de plus en plus
considéré comme une réelle menace pour la
sécurité humaine. Toutefois, sous un angle restreint, la
sécurité humaine serait axée sur les personnes,
intégrant beaucoup plus de menaces, mais limitée aux plus
violentes comme les mines terrestres, les ALPC, la violence et les conflits
intra étatiques. Cette définition donne des limites
précises à la notion de sécurité humaine. Aussi,
une approche sociologique de la sécurité humaine convient-elle
d'être retenue car c'est sous cet angle qu'on peut mieux comprendre la
problématique des ALPC. Comme le souligne Keith Krause, les ALPC peuvent
être assimilées au problème du contrôle des
armements, de la criminalité, de la santé publique, de
l'humanitaire et des droits de l'homme ou du développement
socio-économique (Krause 1997). Elles sont en majorité la source
de violence armée (Déclaration de Genève 2008). Mais
comment les ALPC peuvent constituer une menace pour la sécurité
humaine en Afrique de l'Ouest? Quels éléments plausibles de
démonstration existent-ils ? Deux idées sont à
développer ici : l'atteinte à la sécurité
humaine pendant les conflits armés et/ou pendant les crises
socio-politiques et l'atteinte à la sécurité humaine en
période post conflit.
Pour l'atteinte à la sécurité humaine
pendant les conflits armés et/ou dans les situations de crises
socio-politiques, il s'agit des morts, des impacts de la guerre sur les
personnes vulnérables comme le phénomène des enfants
soldats, des déplacés et des réfugiés y compris
d'autres formes de violence. Pour Francis Langumba Kelli, les ALPC
sont : « les principales armes utilisées dans les
querelles intra et inter communautaires, les guerres locales, les insurrections
armées, les activités rebelles armées et le terrorisme
dans toute la sous-région. Chaque pays ouest-africain a
été confronté à la violence
généralisée qu'engendre ce type d'armes. Les ALPC ont
alimenté en Côte d'Ivoire, en Guinée-Bissau, au
Libéria, au Mali, au Niger, au Sénégal, en Sierra Leone et
au Togo, des conflits qui se chevauchent (...) dans lesquels ces armes jouent
un rôle central et déstabilisateur. Cela a entraîné,
la mort ou le déplacement de millions de personnes et la destruction
d'un nombre incommensurable de biens. Des ALPC ont été
utilisées pour commettre des violations atroces des droits de l'homme,
favoriser la mauvaise gouvernance, ébranler les constitutions, faire des
coups d'État, créer et alimenter un sentiment
général de peur, d'insécurité et
d'instabilité» (Kelli 2008, 6). Au titre des personnes
tuées et fortement blessées, par exemple en Sierra Leone,
l'emploi de ces engins ont fait entre 50.000 et 75.000 morts, 30.000
amputés. Au Libéria, la guerre civile a fait entre cent et deux
cent milles morts. Plusieurs milliers de personnes mutilées en
particulier par amputation des mains (Kelli 2008, 9). Quant aux violences
sexuelles, entre 215000 et 257000 femmes ont fait l'objet de violes en
Sierra Leone (Ploughshares 2002). Pour ces deux formes d'atteinte à la
sécurité humaine, Julia Freedson souligne qu'au cours de la
décennie écoulée, « plus de deux millions
d'enfants ont été tués et plus de six millions ont
été handicapés de façon permanente ou ont
été sérieusement blessés dans les conflits
armés ». (Freedson 2002, 42). Parmi les victimes de
guerre, les civils atteignent 80% à 90% dont une grande majorité
étant des femmes et des enfants tués par les ALPC (Freedson 2002,
Ibid.). En 2008, Anatole Ayissi a mené une enquête à
Monrovia (Libéria) au terme de laquelle, il a recensé 58 viols
et 44 vols à main armée en mars et 52 viols et 55 vols à
main armée en avril. Les propriétaires sont agressés chez
eux, dépouillés de leurs biens, leurs femmes et filles ensuite
violées, sous la menace d'ALPC. En dehors de ces cas, il faut ajouter
que les rébellions touaregs en cours dans quelques régions du
Mali, du Niger et de la Mauritanie ont fait depuis 1990 plus de 5.000 victimes
décédées sans compter les blessures et autres formes de
violence. Le conflit ivoirien dont les soubresauts remontent à
décembre 1999 a fait plus de 300 morts et plus de 600 blessés
(Bouko 2006).
De plus, dans ces situations de conflits armés, les
enfants y compris les adolescents, les personnes âgées et les
femmes sont les plus vulnérables. Les enfants sont
généralement enrôlés. Ceux sont aussi bien des
potentielles victimes mais aussi des auteurs de multiples formes de violence.
Le nombre actuel des enfants soldats dans le monde vacille entre 250.000 et
300.000 répartis dans plus de 30 pays. Le sort des enfants dans les
conflits armés est de 2.000.000 de morts, 5.000.000 d'infirmes et
environ 12.000.000 se retrouvent dans la rue (Bouko 2006). Ces
éléments impitoyables sont aussi mis à nu par Edward Zwick
dans son film « Blood Diamond » (Zwick 2006). En
Sierra Leone, près de 4 soldats rebelles sur 5 ont moins de 14 ans et on
dénombre 20.000 enfants soldats dont certains de moins de 9 ans
(Florquin et Berman 2006). Une enquête menée par le Small Arms
Servey au Libéria et en Sierra Leone a montré qu'un
« pourcentage considérable de sondés provenant de la
Sierra Leone et du Liberia a admis avoir été impliqué dans
des pillages (56% en Sierra Leone), des massacres de civils (17% au Liberia),
des incendies de maisons (19% en Sierra Leone), des viols (18% en Sierra Leone)
et des enlèvements (10% en Sierra Leone). Toutefois, les enfants n'ont
donné aucune révélation quant à leur participation
à des atrocités et à des pillages (Florquin et Berman
2006, 204). Le graphique extrait de cette enquête met en évidence
les atteintes à la sécurité humaine par des enfants
soldats au Libéria et en Sierra Leone :
ALPC, ENFANTS SOLDATS ET INSECURITE HUMAINE : Source.
Florquin et Berman 2006, 204.
Quant aux personnes déplacées, on estime qu'en
Afrique de l'Ouest, il y a plus de deux millions de personnes
déplacées et de réfugiés (Florquin et Berman 2006,
181-220). En outre, la circulation illicite des ALPC donne lieu à des
problèmes de braquage et de vols qualifiés dans de nombreux pays
de la sous-région. Aussi enregistre t-on le plus souvent le
phénomène du mercenariat et de coup d'Etat (Bouko 2006). Enfin,
la circulation non contrôlée et illicite des ALPC constitue la
source de divers autres menaces pour la sécurité humaine:
entraves aux interventions humanitaires, véritable problème de
santé publique (Small Arms Servey 2002, 155-201 ; Meddings
2005) ; atteinte sérieuse à la dignité humaine, aux
droits fondamentaux et source sans conteste de violence armée (Florquin
et Berman 2006), connexion étroite avec l'éclatement de la
guerre, de la violence et des guérillas urbaines et autres menaces
asymétriques, comme le souligne aussi bien le Small Arms Servey dans
ses Rapports de 2005 et 2007 « Weapon at war » et
« Guns and the City » que Beullac et Krempel.
C'est un baromètre de la faillite des Etats. Ces armes blessent,
traumatisent et tuent.
En outre, l'usage des ALPC en situation post-conflit constitue
une menace véritable pour la sécurité humaine. Dans le cas
ouest-africain, avec l'accalmie des conflits armés depuis ces cinq
dernières années, c'est l'emploi de ces engins dans la violence
armée quotidienne qui constitue la réelle préoccupation.
Comme le soulignait déjà David Medding en 1997, même
plusieurs mois après la fin d'un conflit, les souffrances des civils
continuent et les morts liées aux ALPC ne diminuent en moyenne que de 20
à 40% (Medding 1997). Suite à un conflit armé, les ALPC
sont recyclés pour être réutilisés dans d'autres
conflits ou dans la criminalité au plan local ou encore vendus à
d'autres Etats. Et cela en raison de la facilité à les obtenir et
à les dissimiler. Toutes choses qui facilitent aussi la participation de
milices civiles non entraînées, de combattants insoumis et de
mercenaires incontrôlés. La disponibilité des armes aux
mains des Etats non démocratiques favorise l'exacerbation de la peur et
l'étouffement de l'opposition politique. Par ailleurs, ces armes sont
également usées dans des pays ne connaissant pas un conflit
armé par des acteurs non étatiques pour contrôler les
richesses. Par exemple, au Nigéria, l'État de Delta, une
région riche en pétrole, connaît, depuis 2003, un conflit
impliquant des milices lourdement armées qui sont motivées
notamment par l'intérêt économique que représente le
pétrole brut volé. Ces groupes utilisent toute une série
d'armes sophistiquées, comme des fusils automatiques et
semi-automatiques, ainsi que des armes plus classiques, pour lancer des
attaques meurtrières et paralyser des installations gazières et
pétrolières. Ils ont fait de nombreux morts parmi les agents de
sécurité, endommagé les infrastructures et installations
pétrolières et arrêté la production de
pétrole. Ils ont également pris en otages des travailleurs
étrangers de l'industrie pétrolière. Les violences ont
fait des centaines de morts, provoqué le déplacement de plusieurs
milliers de personnes et détruit des centaines de
propriétés (Kelli 2008, 10). Il y a eu également dans la
région nord du Nigeria en fin juillet 2009, des affrontements sanglants
entre les forces de défense et de sécurité qui auraient
fait entre 300 et 600 morts (Agence France Presse 2009).
En somme, selon la Déclaration de Genève, les
conflits dont la majorité est menée au moyen d'ALPC ont des
impacts directs et indirects sur les populations. Ces armes ont causé
18,124% de victimes directes entre 2004 et 2007 en Afrique de l'Ouest et 48,997
de victimes directes en Afrique (DG 2008, 16). Par exemple en République
Démocratique du Congo (RDC), environs 90% (soit approximativement 4,8
millions) des 5,4 millions de morts pendant la guerre entre août 1998 et
avril 2007 sont de victimes indirectes. Celles-ci sont causées par les
maladies infectieuses, la malnutrition, la mortalité infantile due aux
maladies liées à l'eau et l'environnement de vie (DG 2008, 31).
Par ailleurs, autant la circulation désordonnée des ALPC
conjuguée avec leur usage irresponsable est à l'origine des
atteintes à la sécurité humaine, autant ce foisonnement
porte préjudice au développement.
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