§II : LES LIMITES EXTRA NORMATIVES ET
INSTITUTIONNELLES
« La signature, l'adhésion ou la
ratification d'un traité par un Etat n'empêche pas ce même
Etat d'agir dans la logique inverse du traité qu'il a
signé » (Valvarede 2004, 35). Cette citation
traduit parfaitement toute les imprévus qui entourent la
problématique des ALPC. Le marché des ALPC est entouré
d'énormes risques et incertitudes. Selon le Small Arms Servey, il peut
« être représenté sous la forme de deux
cercles se chevauchant. Les transferts autorisés sont les transferts
autorisés par au moins un gouvernement. Les transferts irresponsables,
également appelés transferts sur le marché gris, sont des
transferts autorisés par un gouvernement, mais qui sont d'une
légalité douteuse, du moins du point de vue du droit
international (risque important d'utilisation abusive) ou irresponsables
à tout autre égard (risque important de détournement vers
des destinataires non autorisés). Les transferts illégaux sont
synonymes de transferts sur le marché noir. Les deux expressions font
référence aux transferts qui ne sont autorisés par aucun
gouvernement. Les transferts illicites englobent les transferts irresponsables
et les transferts illégaux (marché gris/noir). Les transferts
secrets sont les transferts dans lesquels les gouvernements dissimulent leur
participation - souvent, mais pas toujours, parce qu'ils sont
illicites » (Small Arms Servey 2007, 74).
Rapport 2007: Small Arms Servey 2007, 74
Cette figure est le reflet fidèle du champ des
transferts des ALPC. Une géographie des flux des armements donne une vue
claire des enjeux hors normes du commerce des armes, des ruses entre les Etats,
des secrets, de l'opacité, des duperies et de la matérialisation
du principe « gagnant-gagnant » qui gravitent autour du
champ commercial hautement protégé et piégé par les
complexes militaro-industriels et économico-politiques. Divers obstacles
battent en brèche les systèmes normatifs et intentionnels qui
sont sensés assurer le contrôle de transferts des ALPC : les
complexes militaro-industriels et économico-industriels ; les
circuits rampants des marchés légaux aux marchés illicites
et gris, les transferts irresponsables, les fabrications locales des armes.
L'exemple de l'entreprise Carlyle met à nu à
la fois le lien entre l'industrie et le militaire, mais également le
poids, voire même l'instrumentalisation, du politique au profit des
logiques commerciales et financières. Carlyle est un des premiers
investisseurs privés au monde avec la gestion de dix huit (18) milliards
US. Elle est particulièrement implantée dans le secteur de
l'armement (ainsi que dans les domaines de la haute technologie, du spatial,
les nanotechnologies, la sécurité informatisée, les
télécommunications). Cette puissance financière
créée en 1987 est par exemple le principal actionnaire de
l'United Defense Industries, un des premiers fournisseurs du Pentagone
notamment pour les missiles, mais finance également de nombreuses autres
entreprises ayant pour clients les gouvernements et administrations. D'ailleurs
la société Carlyle le dit elle-même dans une de ces
brochures : « Nous investissons dans des opportunités
créées dans les industries fortement affectées
par des changements de politique gouvernementale » (d'après
l'article « L'empire Carlyle » (Le Monde 2004). En d'autres termes,
les profits sont étroitement dépendants de la politique. Mais, le
cas Carlyle présente une singularité qui montre que la collusion
peut aller encore plus en avant. Ainsi, l'ancien président Georges Bush
a occupé de 1993 à 2003 un poste de conseiller au sein de la
firme ; tandis que son fils, G.W.Bush, avant dernier président des
Etats-Unis, avait vu Carlyle lui trouver un poste d'administrateur dans une
société en 1990. Un rapprochement entre des hommes de pouvoir
politique et l'industrie militaire dans laquelle ils ont des
intérêts particuliers qui fait dire à certains observateurs
non partisans que Georges Bush père a gagné de l'argent provenant
d'entreprises privées travaillant pour le gouvernement que dirige son
fils (ce dernier pourrait bien tirer plus tard les bénéfices des
investissements de son père et de la politique qu'il a mené).
D'autres personnalités majeures de la politique internationales
travaillent ou ont travaillé au sein de Carlyle. Parmi eux, Frank
Carlucci, ancien directeur de la CIA, conseiller à la
sécurité nationale et secrétaire à la
défense de Donald Reagan (et ami proche de Donald Rumsfeld), l'ancien
premier ministre britannique John Major, l'ancien premier ministre de
Corée du Sud Park Tae Joon, l'ancien président philippin Fidel
Ramos, le prince saoudien al-Walid, l'actuel secrétaire d'Etat des
Etats-Unis Colin Powell, un de ses prédécesseurs, James Baker
III, Caspar Weinbarger, ancien secrétaire à la défense, la
fille de l'ancienne secrétaire d'Etat Madeleine Albright, des membres de
la famille de Ben Laden. (Valvarede 2004, 19-20). Si cet exemple repris
à Benjamin Valvared ne permet pas d'affirmer que la sève du
favoritisme a circuler entre les leaders militaires, politiques et
économiques, il n'est pas déraisonnable de penser les
accointances n'ont pas manqué entre eux quoique la présomption
d'innocence reste à promouvoir. Les pareils accointances sont de mises
dans l'arène de la « France-Afrique » selon les
termes de François Xavier Verschave. L'exemple de l'Agolagathe montre
aussi les difficiles détachements entre les champs militaires,
industriels, politiques et économiques lié au commerce des armes
auquel les ALPC n'échappent pas.
Les circuits rampants des ALPC peuvent être
considérés comme ceux qui partent des circuits légaux vers
les marchés illicites ou gris comme le présente la figure
suivante :
Production légale
Privé (Entreprises,
particuliers)
Gouvernement
(Forces armées, forces de l'ordre, gardes royales)
Privé
(Entreprises, particuliers)
Gouvernement
(Forces armées, forces de l'ordre, gardes royales)
Paramilitaire
(Milice, groupes d'autodéfense)
Acteur non gouvernementale
(Rebelle)
Crime
(Organisé, non organisé)
Privé
(Entreprises, particuliers)
Gouvernement
(Forces armées, forces de l'ordre, gardes royales)
Crime
(Organisé, non organisé)
Acteur non gouvernementale
(Rebelle)
Paramilitaire
(Milice, groupes d'autodéfense)
Chaîne des possibilités relatives au
transfert d'armes : Small Arms Servey 2002, 110
Le circuit légal est la principale source des
transferts des ALPC. On estime que 80 à 90% du commerce mondial des ALPC
s'effectue légalement. Les principaux acquéreurs sont les Etats
et des particuliers en vue des besoins de défense, de
sécurité ou de loisir (Small Arms Servey 2002, 109). Un certain
nombre d'Etats s'efforcent d'être transparents au fil des années.
Par exemple en 2008, les Etats les plus transparents dans les exportations
étaient : les Etats-Unis, l'Italie, la Suisse, la France, la
République Slovaque et le Royaume-Uni. Par contre, les moins
transparents sont l'Iran et la Corée du Nord, qui réalisent tous
deux un score de zéro (Small Arm Servey 2008, 114). En 2009 en revanche,
c'est la Suisse, suivie par la Grande Bretagne, l'Allemagne, la Norvège,
les Pays-Bas, la Serbie, les USA, le Danemark, la Roumanie, la Slovaquie, et la
Suède qui sont les onze (11) qui sont les plus transparents sur un total
de quarante cinq pays répertoriés (Small Arms Servey 2009,
49-50). On voit que certains grands producteurs comme la France, la Chine, la
Russie, l'Iran, le Brésil, le Japon, l'Afrique du Sud sont loin
d'être transparents. Un signe encourageant, c'est quelques pays d'Europe
sont de plus en plus transparent. Il s'agit entre autres de la Serbie, de la
Roumanie, de la Slovaquie (Small Arms Servey 2009, 49), jadis
considérés non seulement comme le terroir des grands stocks
d'ALPC après la guerre froide, mais aussi les exportateurs d'ALPC vers
les acteurs non étatiques en Afrique de l'Ouest (Leger 2007). D'autres
pays comme la Bulgarie et l'Ukraine exportant des ALPC vers l'Afrique de
l'Ouest (Berman 2001 ; Leger 2007) sont moins transparents (Small Arms
Servey 2009, 50).
En tout état de cause, les armes légalement
exportées ou importées tombent aux mains de réseaux
beaucoup peu désirables. Les armes sont soit détournés
librement par les bénéficiaires officiels vers des milices, des
groupes rebelles comme le montre la figure ci-dessus. L'affaire Gérard.
Desnoe racontée par Laurent Léger dans son ouvrage
« Trafics d'armes : Enquête sur les marchands de
mort » est une illustration parfaite. En effet, en
1999, Gérard. D. se rend en Roumanie mandaté par C. B., homme
d'Etat ouest-africain pour acheter des armes : 100000 cartouches, dix
lanceurs de missiles et quelques dizaines d'autres engins de guerre. G. D.
dispose d'un certificat de non-réexportation signé du chef
d'état-major particulier de C.B. Ces armes vont être
livrées par une société basée dans un paradis
fiscal Chypre ou Panama dit G. D. qui défend avoir accomplit sa
tâche pour le compte d'un Etat. Les armes d'une valeur de trente cinq
(35) tonnes ont été livrées au pays en question en mars
1999. Mais, ces armes on été affrétées au
Libéria alors sous embargo onusien. Epinglé par les Nations
Unies, G.D. se dit victime car en aucun moment, « Jamais je n'ai
moi-même acquis les matériels pour les revendre via une quelconque
société off-shore » (Leger 2007, 265). Cet auteur
mentionne aussi que selon plusieurs rapports onusiens, le Burkina Faso est un
pivot dans les livraisons des armes au Libéria et en Sierra Leone.
D'autres exemples comme l'affaire Minin, l'affaire Victor Bout
témoignent des contournements des règles dans les transferts
d'armes. En réalité, ces pays comme le Burkina Faso, la
Côte d'Ivoire, la Guinée et autres ne sont que les boucs
émissaires de nations beaucoup plus puissantes. Quand l'affaire G. D. a
mis sur la table du Conseil de Sécurité de l'ONU et son nom a
été mis sur liste noire, un bras de fer est né entre
certains Etats. G. D. par ce que Laurent Léger appelle
« une curieuse mission de la DGSE ». En octobre
2004, François D., le conseil de G. D. raconte «
Après un rendez-vous avec la délégation française
de l'ONU, à New York, je me suis arrêté pour
déjeuner rapidement, puis ai pris le chemin de mon hôtel, le
Radisson, situé sur Lexington Avenue, à quelques centaines de
mètres de là. Soudain, deux types en costumes foncé
m'arrêtent et me demandent en anglais si je suis le conseil de G. D. On
vous conseille de laisser tomber ce dossier, me disent-ils. Tout ça
s'est passé en quelques secondes, sans violence physique. Je n'ai
jamais su ce qu'il y avait derrière, mais, personne n'avait
été informée de mon rendez-vous ce jour là avec la
représente de la délégation
française » (Leger 2007, 273). En 2005, G. D.
reçoit la visite de deux agents se présentant comme de la DGSE
qui lui disent : « Pas la peine d'approcher les
Américains ou les Anglais, seule la France peut vous aider »
(Leger 2007, Ibid.). En mars 2005, la Grande Bretagne demande au Conseil
de Sécurité de rayer le nom de G.D. de la liste noire. La France
en fait autant, mais deux Etats refusent la radiation. En début 2006,
puis en juin 2006, G. D. saisit le Conseil de Sécurité, un Etat
s'oppose à ce que son nom soit ôté de la liste noire.
Contre toute attente, le procureur du Tribunal pour la Sierra Leone, en charge
du dossier de Charles Taylor, destitué et arrêté entre
temps assure à G.D. « qu'aucune charge relevant de la
compétence du Tribunal, crime contre l'humanité ou crime commis
sur le territoire de la Sierra Leone depuis 1996, ne lui serait
reprochée » (Leger 2007, 274). Avec toute la distance
scientifique que l'on peut prendre et avec les règles de
présomption d'innocence qu'on peut évoquer, cette affaire montre
comment les transferts des armes peuvent tripatouiller ou mépriser la
règle juridique, sensé appliquer la sanction pour assouvir les
intérêts des nations. L'Afrique de l'Ouest en particulier le
Burkina Faso n'est pas le seul Etat à indexer.
Les USA soutiennent ouvertement les livraisons des armes aux
groupes rebelles et, ce de façon clandestines au titre du
« National Security Act de 1947 ». La section 505
de cette loi impose que la CIA et les autres agences engagées dans de
telles activités fassent notification aux Comités du
Congrès, chargés de superviser les activités de
renseignement, de toute livraison d'armes excédant un million de
dollars. Sous ce chapeau des armes ont été livrées en
ex-Zaïre, en Angola au Nicaragua (Bagayoko 2003, 592). En avril 2009,
selon des informations parvenues à Amnesty International, le Wehr Elbe,
un cargo allemand affrété et contrôlé d'un point de
vue légal par le commandement du transport maritime militaire des
États-Unis est arrivé au port israélien d'Ashdod, à
40 km au nord de Gaza par la route, et a déchargé sa
cargaison composée semble-t-il de plus de 300 containeurs. Le Wehr
Elbe a quitté les États-Unis à destination d'Israël
le 20 décembre 2008, une semaine avant que ne débutent les
attaques israéliennes contre Gaza, avec une cargaison de
989 containeurs de munitions, de 6 mètres de long chacun, pour
un poids total estimé à 14 000 tonnes.
« D'un point de vue légal et moral, le gouvernement de
Barack Obama aurait dû mettre fin aux livraisons d'armes
américaines, à la lumière des nombreux
éléments attestant que les forces israéliennes se sont
récemment servies d'équipements militaires et de munitions de ce
type pour commettre des crimes de guerre, a affirmé Brian Wood.
Fournir des armes dans ces circonstances est contraire aux dispositions du
droit américain. » Interrogé au sujet du Wehr
Elbe, un porte-parole du Pentagone a confirmé à Amnesty
International que « le déchargement de toute la cargaison
de munitions américaines s'est achevé avec succès à
Ashdod [Israël] le 22 mars ». (Amnesty
Internationale 2009). L'approvisionnement gouvernemental à des acteurs
non étatiques ont été légion surtout pendant la
guerre froide (Small Arms Servey 2002, 129). En réalité, les
interconnexions dans les transferts des ALPC sont fortes. C'est ce que Jean de
Tonquedec et Jérôme Marchand souligne dans leur ouvrage
« Marchand d'armes ». Ce qui reste évident,
c'est que le début des circuits est généralement
légal. Les détournements, les vols, les opérations
d'assistance sont les canaux de transit entre le marché légal et
les marchés gris et illicite des armes. Concernant le cas des vols,
l'exemple malien convient ici : « Les arsenaux des forces
rebelles se composaient pour l'essentiel d'armes subtilisées et
prélevées dans les réserves de l'armée malienne.
Cette affirmation est étayée par le fait que les armes des
groupes étaient principalement d'origine russe et chinoise (...) en
provenance des soutiens soviétiques en faveur des autorités
maliennes au cours des années 70 et 80 selon Charles Heyman, cité
par Nicolas Florquin et Eric G. Berman. En conséquence, des armes telles
que le fusil d'assaut belge FN CAL, et son successeur, le FN FNC, que les
rebelles avaient achetés en faibles quantités en Mauritanie, ne
furent guère utilisées, car elles fonctionnaient avec des
munitions de type OTAN (calibre de 5.56 x 45 mm). De telles munitions
étaient inhabituelles au Mali - et dès lors, difficiles à
trouver. L'armée malienne aurait également fourni des armes aux
unités d'autodéfense créées en réponse
à la rébellion touareg, embryon du futur MPGK selon Kalifa Keita
1998, 20, cité par Nicolas Florquin et Eric G. Berman. A l'instar de
leur pendant touareg, elles comptaient en leurs rangs des soldats
déserteurs de l'armée malienne selon Lecocq Baz, 2004, toujours
cité par Nicolas Florquin et Eric G. Berman, qui avaient emporté
leurs armes (Poulton et Ag Youssouf, 1998, 71; Keita, 1998, 20 et
Baqué 1995). De plus, certains soldats ont également vendu leurs
armes à des combattants du MPGK au cours de la
rébellion » (Florquin et Berman 2006, 50-57). En
conséquence, les sources des ALPC sont plusieurs comme le traduit la
figure ci-dessous.
Gouvernements frappés d'embargo
Groupes paramilitaires non autorisés
Gouvernement (forces armées, forces de l'ordre, gardes
royales)
Acteurs non gouvernementaux
Groupes paramilitaires autorisés
Eléments criminels (Organisés,
non organisés)
Utilisateurs privés autorisés
(Entreprises, particuliers)
Utilisateurs privés non autorisés (Entreprises,
particuliers
Transferts possibles du marché légal
aux marchés illicites : Small Arms Servey 2002, 129
En outre, il y a les transferts proprement illicites, non
autorisés et irresponsables soit à l'endroit d'un Etat
généralement sous embargo comme le cas du Libéria et de la
Sierra Leone, soit à l'endroit des acteurs non étatiques dont les
groupes rebelles. C'est le commerce de fourmi (Small Arms Servey 2002, 135).
C'est ce dernier point qui est à démontrer ici. L'exemple de
Victor Bout que Laurent Léger surnomme le « Bill
Gates » des trafics est assez troublant et plausible. C'est lui qui a
entre autres transporté les troupes françaises de Turquoise,
vendu des armes aux groupes rebelles de Charles Taylor, en Somalie
(Léger 2007, 69-88). Au Nigéria, une des sources des armes qui
alimente l'insécurité et la violence armée est illicite.
Ainsi, « « un leader de groupe affirme que des armes
sont fournies par les navires amarrés au large des côtes de l'Etat
de Rivers et peuvent être achetées par quiconque peut se les
offrir. Warri, la capitale de l'Etat du Delta, est également connue
comme une importante plaque tournante du trafic d'armes. Les contrebandiers de
Guinée-Bissau, du Gabon et du Cameroun utiliseraient des hors-bords pour
rejoindre les bateaux amarrés au large et acheter des armes qu'ils
revendent ensuite à leurs communautés respectives à Warri,
où elles sont souvent passées en contrebande ailleurs »
selon Obasi Nnamdi K. en 2002, repris par Florquin et Eric G. Berman 2006
(Florquin et Berman 2006, 25). Ces éléments montrent les voies
difficilement repérables propres aux flux des armes. Autant les circuits
légaux sont nombreux, les circuits illicites ne sont des moindres.
Ces flux illicites sont nourris par la production artisanale
des ALPC soit pour des raisons purement économiques soit pour des
raisons culturelles.
Un fabricant traditionnel au Mali :
Source : Journal, L'Opinion du 6 septembre 2007
www.lefaso.net
Economiquement, ces armes servent de levier économique
jalousement gardé par les producteurs des pays pauvres. Au Burkina
Faso, ils sont nombreux à tirer leur pitance quotidienne de
l'activité commerciale des armes. C'est le cas du vieux Karamoko
TRAORE. La soixantaine bien sonnée,
« papa » comme l'appellent affectueusement ses
proches tire ses revenus de la fabrication, la vente et des réparations
des armes « Les armes chez moi, c'est une histoire de famille.
Mon père a appris avec son père, j'ai appris avec lui,
aujourd'hui mon fils aîné est prêt pour me remplacer. C'est
un héritage qui se transmet de père en fils »
(L'Opinion 2007). Cependant à cause de la règlementation qui
devient de plus en plus stricte sur les conditions d'obtention de permis
d'achat d'armes, Karamoko Traoré est amère dans ses propos :
« L'Etat est bête quoi. S'il croit que ce montant va nous
dissuader, il se trompe. Si c'est trop cher, on va se cacher pour fabriquer. Et
je vous dis, même au temps des colons, il y avait deux gardes-cercles en
poste devant notre concession familiale pour contrôler mon
grand-père puisque la fabrication était interdite. Ça ne
l'a pas empêché de faire son travail. A chaque fois que le colon
entendait le marteau taper sur l'enclume, il débarquait et constatait
que c'était une pédale de vélo qu'on réparait, mais
ce qu'il ne savait pas c'est que c'était une arme. J'ai même perdu
un oncle dans les geôles du colon mais ça n'a pas
arrêté notre travail, bien au contraire »
(L'Opinion 2007). Au Ghana par exemple, la fabrication locale des ALPC a pris
une envergure inquiétante. Selon Emmanuel Kwesi Aning dans son
étude « Les dessous de la fabrication artisanale des armes
au Ghana », « Le Ghana, par sa tradition
armurière séculaire et bien ancrée dans la
société, est un pays particulièrement préoccupant.
Les armes fabriquées au Ghana sont aujourd'hui réputées
dans la région pour leurs prix concurrentiels, leur efficacité et
leur accessibilité - ce qui fait craindre qu'elles pourraient un jour
représenter une source d'armement significative pour les groupes
armés. En effet, certains forgerons locaux possèdent aujourd'hui
les compétences requises pour reproduire des fusils d'assaut AK-47
importés » (Aming 2006, 79).
Ces armes sont de plus en plus nombreuses et
impliquent plusieurs acteurs dans le processus de fabrication comme les
forgerons, les serruriers, les menuisiers, les façonneurs, les
mécaniciens et les intermédiaires. Le vrai problème est la
fabrication locale est souvent faite sous les yeux des forces de l'ordre et de
sécurité. Un silence quasi-total règne et les fabricants
assouvissent leur besogne sans être grandement inquiétés
même si les ALPC sont devenues un problème politique important
depuis la prise du pouvoir par le New Patriotic Party (NPP) en 2001. Mais, avec
le changement survenu en 2009, rien n'indique que ce problème sera mis
au banc de touche par John Atta Mills qui déjà en septembre 1999
avait exigé la création des registres des ALPC. En
réalité, les réseaux gravitant autour de cette industrie
florissante sont nombreux et les raisons avancées pour motiver cette
technique du « laissez-faire » sont aussi
pluriels. Les implications familiales (par exemple, les guildes dans la
région de la Volta), rituelles (par exemple, les fêtes aboakyir et
akwanbo, dans la région du Centre), guerrières (par exemple, les
Ashanti et Dagomba dans la région du Nord) et historiques (par exemple,
dans les régions d'Ashanti, du Centre et de la Volta) de la production
d'armes artisanales décrites précédemment montrent de
quelle manière cette activité prohibée a joué un
rôle significatif dans la culture ghanéenne depuis l'ère
pré-coloniale. Par conséquent, l'industrie armurière est
liée à une philosophie culturelle (Aming 2006, 98). Toutefois,
une étude plus approfondie serait nécessaire pour comprendre les
raisons réelles des soutiens tacites des communautés et de
certains pouvoirs publics. En tout état de cause, la production
artisanale reste forte. Par exemple, selon Aming « De fin 2000
à mi-2001, les premières estimations évaluent la
capacité de production entre 35.000 et 40.000 unités. Ce
résultat repose sur les informations disponibles pour seulement cinq des
dix régions et a été calculé en fonction de la
capacité de production estimée des 500 armuriers actifs dans les
70 villes que l'on sait impliquées dans la production d'armes (...). Les
nouvelles informations recueillies au cours de la présente étude
tendent à suggérer que la capacité de production pourrait
même présenter une envergure nettement plus importante. Il est
établi aujourd'hui que plus de 2.500 armuriers sont capables de produire
des armes dans les seules régions d'Ashanti et de Brong Ahafo. Ce
chiffre ne tient pas compte de leurs apprentis, qui sont également
capables de fabriquer des armes sous supervision. Les interviews sur le terrain
semblent indiquer que chaque armurier est capable de produire environ 80 armes
par an. Sur la base de cette information, on estime à 200.000 le nombre
d'armes illicites que le Ghana pourrait potentiellement produire chaque
année. En raison des disparités de la production et de la
demande, la production réelle reste toutefois inconnue. Au cours des 10
à 15 dernières années, le profit est devenu une source de
motivation, même si les armuriers qui l'admettent sont rares. Les
interviews tendent à suggérer que l'activité criminelle,
les exportations et la protection personnelle incitent à une
rentabilité accrue » (Aming 2006, 83). Aujourd'hui, il
est estimé à 75.000 le nombre d'ALPC en circulation au Ghana
selon Kelli.
En définitive, la production locale semble rivaliser
avec les armes perfectionnées comme le montre le digramme
ci-après qui répertorie les deux dimensions en Afrique de
l'Ouest :
ALP= Armes Légères Perfectionnées
AFL= Armes de Fabrication Locale
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