CHAPITRE III : LA NECESSITE DE CONTENIR LES
LIMITES
POUR UN REEL
CONTRÔLE DES ALPC
Les réflexions antérieures ont
décelés des acquis tant au plan normatif et institutionnels dans
les politiques CEDEAO de contrôle de transferts des ALPC. En termes de
comparaison, la CEDEAO est même en avance par rapport aux régions
d'Asie Centrale et Orientale où les systèmes de lutte des ALPC
sont encore lacunaires et gangrénés par les conflits latents et
ouverts aussi bien intra-étatiques qu'interétatiques
(Kytömäki 2005). Partout dans le monde, peu d'Etats parviennent
à contrôler les flux des ALPC. C'est un domaine complexe. Ainsi,
il serait déraisonnable de flécher le système
ouest-africain sans montrer ces aspects positifs. Le faire reviendrait à
jeter le bébé avec l'eau du bain. Mais, les acquis ne doivent pas
être pris pour une satisfaction complète car de ce qui
précède, il ressort des handicapes non des moindres. Ces limites
sont tant normatives et institutionnelles qu'extra normatives et
institutionnelles (SECTION I). Par ailleurs, s'il est bien de
relever ces limites, il est encore mieux de faire des propositions,
peut-être audacieuses, pour un contrôle réel des transferts
des ALPC (SECTION II).
SECTION I : LES LIMITES AU SYSTÈME DE
CONTRÔLE
DE TRANSFERTS DES ALPC
Quelques soient les progrès
législatifs, institutionnels et pratiques, le système CEDEAO
comporte des limites qui méritent d'être analysées. Ces
limites sont d'une part d'ordre normatifs et institutionnels (§I)
et, d'autre part d'ordre extra-normatifs et institutionnels
(§II).
§I : LES LIMITES NORMATIVES ET INSTITUTIONNELLES
Au titre des limites normatives et institutionnelles, deux
idées centrales sont à mettre en exergue : les sources
normatives sont caractérisées par la fragmentation et
l'imbrication. Les institutions souffrent aussi de manque de capacité.
Le transfert des ALPC est à multiples facettes dans son
objet, ses acteurs et/ou ses finalités. Il se prête mal à
une règlementation générale qui prenne en compte tous ses
aspects surtout que cette activité est au coeur des enjeux
économiques, militaires, politiques et stratégiques. De fait,
l'atomisation de ses bases normatives est plausible à la simple
observation. Il y a aussi bien au plan vertical qu'horizontal une fragmentation
matérielle et spatiale des règles.
D'une part, la pluralité des règles sur le
transfert des ALPC est le miroir de la diversité de l'objet, des sujets
et des techniques. La diversité des règles reflète la
diversité de l'objet d'une manière mécanique. Il n'est pas
facile de parvenir à une règlementation générale
des ALPC dès lors que l'objet à règlementer est
diversement défini. La Convention CEDEAO intègre les munitions et
les matériels connexes au titre des ALPC au même titre que le
Protocole onusien de 2001. Cependant, la définition des armes à
feu retenue par l'ONU et celle de l'Organisation des États
américains (OEA) sont différentes (Alfonso De Alba 2002, 57-60).
Un autre différence est que la CEDEAO ne considère pas les armes
comme les autres marchandises ainsi que le prévoit l'article 45 du
Traité Révisé CEDEAO alors que très souvent, les
gouvernements insistent pour que les ALPC soient considérées
comme n'importe quel autre produit commercial et s'opposent à un
contrôle strict argumentant que le commerce des ALPC relève d'une
politique souveraine et étrangère des Etats (Berkol 2007). Par
exemple, Au sein de la CEDEAO, aucun pays n'a encore intégré la
définition communautaire dans sa législation. Il ressort une
panoplie de définition, de classification, de principes directeurs. Une
autre distinction majeure qui complexifie l'objet concerne les transferts des
ALPC en faveur des Acteurs Non Etatiques. L'opposition reste forte entre les
USA et les pays en voie de développement. La CEDEAO interdit
formellement les transferts vers les Acteurs Non Etatiques aux termes de
l'article 3 alinéa 2 alors que les USA par exemple sont opposés
à ce principe.
La diversité des règles est le reflet de la
diversité des sujets. Les transferts des ALPC n'est le seul fait des
personnes de droit privé pratiquant
« l'aventure » (Yakemtchouk 1979, 71). Ces
transferts sont à la charge de divers Etats et plusieurs
sociétés multinationales. Les Etats peuvent être
exportateurs, importateurs ou les deux à la fois, en guerre ou neutres,
alliés ou non alliés et surtout dotés ou des industries
d'armement. Des armes peuvent être achetées par un Etat A qui les
réexporte au moyen des moyens matériels d'un Etat B en faveur
d'un autre Etat C. Cette diversité de situations augmente les
divergences d'intérêts et constitue autant d'embûches pour
le contrôle des ALPC. Le commerce des armes revêt des implications
politiques, économiques stratégiques que les pouvoirs publics ne
veulent en aucune manière abandonner aux mains des
sociétés privés. Les grands Etats exportateurs mondiaux
sont devenus eux-mêmes des industriels par l'entremise des
nationalisations et de prises de participations majoritaires. En France par
exemple, la majorité du domaine de l'armement est chapoté par les
pouvoirs publics depuis les nationalisations de 1937. La diversification des
sources juridiques est issue des regroupements de sociétés.
Lesquelles signent des accords de coproduction, des consortiums. Depuis 1990,
sous la pression des groupes militaires et économico-industriels, il
s'est crée en Europe plusieurs regroupements : 1990, Matra Marconi
Space (Matra, GEC-Marconi); en 1991, Eurocopter ( DASA, Aérospatiale);
en 1994, Thomson Dasa Armement (Thomson-Brandt Armement, Wirksystem); en 1996,
Thomson Marconi Sonar (Thomson-Csf, GEC-Marconi); en 1996, Matra BAe Dynamics
(Matra, BAe); en 1998, Alenia Marconi Systems (Finmeccanica, GEC-Marconi)
(Masson 2009, 2). Du coup, « la fiscalité, le calcul des
profits, le régime des droits de propriété industriels et
surtout la procédure des exportations varient par conséquent au
gré de la localisation de ces consortiums » (Martinez
1984, 149).
Enfin, la diversité des règles reflète
la diversité des techniques juridiques d'une façon
évidente. L'acquisition des ALPC peut s'effectuer suivant diverses
formules, depuis la vente de la matière première jusqu'à
la coproduction avec la possibilité intermédiaire et
fréquente d'une production sous licence. C'est une totale parcellisation
des règles commerciales et contractuelles.
Ces fragmentations juridiques auxquelles les règles
bilatérales entre Etats viennent complexifier le contrôle des
transferts des ALPC. Le flou est renforcé dès lors que
l'harmonisation des législations ouest n'est pas effective. Aussi, ces
armes circulent entre diverses mains. Elles sont portatives et ont un cycle de
vie souvent long et complexe. Les règles de droit ne comblant pas tous
ces éléments, il est évident que les hiatus existent.
D'autre part, l'imbrication des sources normatives des ALPC
tient au fait que le commerce des ALPC résulte des compromis entre les
pouvoirs publics et privés. Activités qui engagent l'Etat, les
importations et les exportations des ALPC demeurent en majorité le fait
de sociétés de droit privé. Ce qui engendre une
imbrication des règlementations internationales et internes, publiques
et privées. Cette situation est assez forte avec le foisonnement des
sociétés de sécurité privée et la
privatisation de la violence. C'est ce que résume fidèlement
Jean-Michel Martinez lorsqu'il écrit « L'universel des
problèmes posés, par le commerce des armes, s'imbrique ainsi avec
le régional de certains solutions et la liberté de principe, pour
les transactions, cherche un compromis avec des prohibitions
diverses » (Martinez 1984, 150). Grosso modo, le
phénomène s'observe à deux niveaux : l'imbrication
des règles posées et l'imbrication des champs d'action
définis. Ces points ont déjà fait l'objet de
réflexions au titre des critères de cohérences de normes
concernant la CEDEAO. Mais, cette évidence se trouve aussi dans les pays
exportateurs d'armes. Le dénominateur commun reste que « le
commerce des armes est soumis à un jeu juridique qui se joue en double
mixte. Le droit international s'interprète avec le droit interne et le
droit privé avec le droit public ». (Martinez 1984, Ibid.).
Par exemple si le gouvernement Malien fait une commande d'armes à une
entreprise Suisse d'armement. Cette dernière étant régie
par la « Loi fédérale sur les entreprises
d'armement de la Confédération (LEAC) du 10
octobre 1997 » qui reconnaît la mixité juridique.
Ces mêmes armes peuvent être livrées par une
société de droit privé basée en France au profit du
Mali. C'est les législations Malienne, Suisse (mélangeant
peut-être le droit public et privé Suisse), Française
(mélangeant peut-être le droit public et privé
Français) en passant par les normes CEDEAO qui sont en jeu. Ces
transactions sont coiffées par des règles de droit international
car même si les exportations et les importations des ALPC sont pour
l'essentiel régentées par les droits internes, le droit
international conditionne la passation du contrat de fournitures et parfois
aussi son application. Ce phénomène est plus observables dans les
transactions des avions de combats, des chars et autres types d'armement plus
lourds. Un autre exemple d'imbrication du droit administratif pour l'octroi des
autorisations, du droit douanier pour le contrôle aux frontières
et le droit fiscal qui soumet les stocks à des
prélèvements.
La diversité des règles aussi bien au sein des
pays producteurs et vendeurs qu'au sein des pays acheteurs, alors même
que ces différents Etats ont élaborés des normes
communautaires auxquelles ils sont sensés se soumettre, n'est pas
aisée à saisir pour le commun des mortels. C'est le cas de l'UE
et de la CEDEAO. En réalité, ces disparités rendent le
contrôle des transferts des ALPC difficile (Marinez 1984) quoiqu'une fois
la Convention en vigueur tous les Etats CEDEAO devraient se soumettre au cadre
général règlementant les transferts des ALPC et du droit
international public. Les difficultés deviennent plus ardues dès
lors qu'il s'agit des transferts gris, illicite ou la production artisanale des
ALPC. Lesquels transferts sont faits par le contournement ou la violation des
normes. En tout état de cause, les limites ne sont pas seulement
normatives, elles sont aussi institutionnelles.
Concernant les limites institutionnelles, il est
évident que les institutions CEDEAO sont en carence de
capacités : capacité organisationnelle et capacité
dynamique. Le concept anglais de « capability », qui
tire son origine du latin « capacitas » et
« capax » convient au terme de capacité en
français. Il renvoie selon le Robert de poche soit à
l'idée de la contenance soit à celle de l'aptitude, de
l'habileté, de la faculté, de la force ou du pouvoir de
réaliser quelque chose de même qu'à la qualité de
quelqu'un qui est en état de comprendre ou de faire quelque chose
(Robert de poche 2009, 102). Le concept de capacité remplit l'espace
qui existe entre l'intention et le résultat, en prenant pour acquis que
le résultat est conforme à l'intention initiale. Du reste, si le
concept de capacité convient parfaitement à la description d'un
individu, nous pouvons toutefois l'employer au niveau organisationnel pour
décrire l'habileté ou l'aptitude d'une organisation pour
réaliser ses activités (Renard et St-Amant 2005, 3).
Plusieurs auteurs en management, administration publique ont
traité de la capacité organisationnelle d'une entreprise, d'une
organisation ou d'une institution. Selon Laurent Renard et de Gilles E-
St-Amant la capacité organisationnelle est :
« l'habilité ou l'aptitude de l'organisation pour
réaliser ses activités productives de manière efficiente
et efficace par le déploiement, la combinaison et la coordination de ses
ressources et compétences à travers différents processus
créateurs de valeur, selon les objectifs qu'elle avait définis
précédemment, c'est-à-dire en prenant pour acquis que le
résultat est conforme à l'intention initiale ou à tout
changement dans cette intention » (Renard et St-Amant 2005, 8).
Quant à la capacité dynamique, ces mêmes auteurs la
définissent comme : « tout processus
composé d'un ensemble d'activités identifiables, qui permet la
transformation d'une capacité organisationnelle ou la création
d'une nouvelle capacité à travers l'investissement dans les
ressources et l'apprentissage de nouveaux savoir agir pour soit réagir
aux transformations de l'environnement ou bien pour les initier (adaptation ou
transformation). La capacité dynamique est liée à la
nécessité de gérer organisationnellement une
capacité organisationnelle et en corollaire les savoir agir de
l'organisation » (Renard et St-Amant 2005, 14).
Ce sont ces capacités organisationnelle et dynamique
qui font défaut aux institutions CEDEAO en matière de
contrôle des ALPC ; et ce aussi bien les institutions communautaires
que les institutions nationales. Au niveau des domaines de l'armée et
des services de police, il règne dans presque tous les pays un certain
manque d'organisation interne pour coordonner les activités sur le
terrain. Les armées ouest-africaines et même africaines sont en
déficit de capacité organisationnelle. Elles sont
généralement contrôlées politiquement et
traversées par les réseaux de corruption, de clientélisme,
de patrimonialisation et de personnalisation du pouvoir. Les divisions au sein
des forces armées et de sécurité témoignent de la
cacophonie qui y règne. La « politique du
ventre » au sens de François Bayart avec son lot de
conflits internes ne sont pas en faveur d'un réel contrôle des
ALPC. Les 21 et 22 décembre 2006, au Burkina Faso, les militaires et les
policiers se sont affrontés avec des armes lourdes en plein centre ville
de la capitale Ouagadougou faisant d'énormes dégâts
matériels et des pertes en vie humaines. Les conflits entre les
régiments présidentiels et les autres corps militaires et
policiers sont monnaie courante surtout que le syndrome des coups d'Etats a
refait surface : les cas de la Guinée le 23 Décembre 2008,
du Togo en avril 2009 ; les assassinats : le cas de Bernardo Vierra
en mars 2009. Ceci montre que l'organisation au sein des services en charge
d'aider les Commissions nationales est traversée de conflits latents
et/ou ouverts rendant les règles d'organisation internes presque
impossible. Au sein de Commissions nationales, le remplacement des dirigeants
conduit chaque fois à une reprise d'organisation interne. C'est le cas
au Burkina Faso, au Sénégal, en Gambie. Une étude de
terrain menée par le Centre Canadien et de Coopération
Internationale (CECI) en 2006 dans les localités de Koina en Gambie, de
Samine au Sénégal, de Koumbia en Guinée et de Bigene en
Guinée-Bissau ont permis de déceler les failles suivantes :
Les critères de sélection et termes de références
des membres du Comité local et des acteurs de sensibilisation ne sont
pas assez discutés et compris au sein des communautés ; les
Comités de pilotage ne se réunissent pas selon la
fréquence souhaitée ; il y a des difficultés de
communication et de coordination entre l'ONG locale et le point focal ; la
méconnaissance des législations nationales ; l'animation
insuffisante des ONG locales et les points focaux sur les projets locaux ;
la discontinuité dans les descentes de terrain ; les acteurs locaux
ne sont pas encore suffisamment outillés sur les stratégies des
projet s locaux de lutte contre les ALPC ; les heurts et les
incompréhensions parfois entre partenaires sur le terrain ;
l'insuffisance de l'information des autorités sur l'état
d'avancement des programmes sur le terrain auprès des populations
locales et la non définition des modalités de collecte,
stockage et de destruction des ALPC. Les capacités organisationnelles et
dynamiques sont faibles. Par conséquent, les limites institutionnelles
sont à renforcer au risque de ne pas pouvoir contrôler les flux
d'ALPC. Aussi, existe-t-il des limites extra-normatives et institutionnelles.
|
|