PARAGRAPHE SECOND : LES CONFLITS DE
DISTRIBUTIONS
Dans cette catégorie, nous distinguons deux
variétés de conflits de distributions : l'une dite de
distribution relative, et l'autre dite de distribution absolue.
A--Le Conflit de Distribution Relative
On parle de conflit de distribution relative, lorsque à
l'échelle du bassin, on est soumis à un manque relatif de la
ressource en eau. Il survient lorsque par exemple un des états du bassin
détourne trop d'eau vers ses terres et pour son seul usage,
généralement il s'agit d'un état en amont. Il est clair
qu'avec une gestion équitable et donc commune de la ressource, ce
problème ne se poserait en ces termes. Mais l'abus de l'état en
position de force crée un manque pour les autres états du bassin,
ce qui pousse les états ainsi lésés, à
réagir et la dynamique conflictuelle est toute indiquée pour
essayer de rétablir à leur avantage le rapport de force à
l'échelle bassinale.A titre d'exemple on peut relever les bassins du
Tigre et de l'Euphrate, mais aussi le bassin du Nil. En effet ces cours d'eaux
sont caractérisés, par l'importance de leurs cours en amont du
bassin, mais cours qui drastiquement réduit à son arrivée
dans les pays d'aval, puisque les états d'amont auront fait une
utilisation intensive des eaux en question sans prise en compte aucune des
intérêts des pays d'aval, qui pourront difficilement satisfaire
leurs besoins en eaux de plus en plus importants. Cette situation se manifeste
surtout dans des situations où les états d'amont, mettent sur
pied d'ambitieux ouvrages hydroélectriques, notamment des barrages. Nous
verrons des cas pratiques pour étayer nos postulats
théoriques.
B--Les Conflits De Distribution
Absolue
Il s'agit là sans doute de la plus complexe des quatre
prototypes de conflit.hydrique.En effet il s'agit de celui dont la
résolution est la plus problématique. Ici il est au départ
clair pour tous les protagonistes que la ressource disponible, n'est pas
à mesure de satisfaire de manière efficace les besoins
légitimes et raisonnables des divers états du bassin.Ces conflits
sont des plus sévères et prennent des proportions
insoupçonnées, car de la maîtrise de la manne
céleste dépend la survie des états, ce qui emmène
ces derniers à adopter des comportements très extrêmes en
ce qui concerne la disposition ou le contrôle de la ressource. Ces
conflits deviennent d'autant plus compliqués, que les économies
au niveau du bassin se trouvent à des stades de développement
fort différenciés.
Le cas qui renvoie le plus à cette définition
est sans nul doute, celui du bassin du Jourdain.
En effet les rapports au sein de ce bassin, sont des plus
problématiques. Déjà que les rapports entre Israël et
ses voisins sont des plus conflictuels, l'eau du Jourdain et son partage vient
constituer une autre pomme de discorde entre les éternels frères
ennemis. Nous verrons dans les détails la dimension de l'eau, dans
l'histoire des relations Israélo arabes.
SECTION DEUXIEME : ETUDES DE CAS POUR CHAQUE TYPE DE
CONFLIT
PARAGRAPHE PREMIER : CAS PRATIQUES DE CONFLITS
D'USAGE ET DE CONFLITS DE POLLUTION
A. Le SENEGAL, un Long Fleuve Pas
Tranquille
Bayart en parlant de la vallée du Fleuve
Sénégal et des conflits qui y surgissent entre les etats
riverains du Sénégal et de la Mauritanie, a utilisé une
expression qui rend compte à plus d'un égard, des
réalités profondes qui sous tendent les diverses frictions qui
surgissent entre ces deux états fréres.En effet il a parlé
en y faisant référence de Conflit
Tectonique.Tectonique ce conflit l'est à plus d'un titre, car
ses causes fondamentales remontent parfois à des réalités
coloniales, mais aussi il trouve des fondements dans la récente
évolution de la vallée du fleuve, fleuve que Céline
Vanvermotten qualifie de « Flots de la
Discorde »dans son livre paru, récemment aux
éditions Harmattan.Avant d'en venir aux conflits à proprement
parlé, il nous parait judicieux de poser le décor
géographique du fleuve et ses caractéristiques hydrologiques afin
de saisir la pertinence de la valeur de l'eau dans ce conflit qui oppose si
souvent les etats du bassin ,en l'occurrence le Sénégal et la
Mauritanie.
Le Fleuve Sénégal est formé par la
réunion de deux cours d'eau, notamment le Bafing et le Bakoye (en langue
Manding, Bafing veut dire fleuve noir et Bakoye, fleuve blanc), dont la
confluence près de Bafoulabé au Mali se trouve à environ
mille quatre vingt trois (1.083) Km de l'Océan Atlantique. Après
avoir traversé la partie occidentale du Mali, il constitue, sur le reste
de son parcours, la frontière entre les territoires du
Sénégal et de la Mauritanie.
Long de 760 Km, le Bafing prend sa source à une
altitude de 800 mètres dans le Fouta-Djalon en Guinée et se
dirige vers le nord en traversant les plateaux de la région soudanienne
avant d'atteindre Bafoulabé. Il amène plus de la moitié du
débit total du fleuve Sénégal avec 430 m3/s de
débit moyen annuel. Son parcours se caractérise par la
présence de chutes et de rapides.
Long de 560 Km, le Bakoye prend source à
proximité de la limite méridionale du plateau mandingue en
Guinée, à une altitude de 706 mètres. A sa confluence avec
le Bafing, le Bakoye a un débit moyen annuel de 170 m3/s. Cette
rivière passe également un assez grand nombre de petites chutes
et de rapides.
En aval de Bafoulabé, en rive droite, les principaux
affluents du fleuve Sénégal sont la Kolombiné, le Karakoro
et le Gorgol.
Sur la rive gauche, la Falémé est l'affluent le
plus important. Longue de 650 Km, elle prend sa source dans la partie nord du
Fouta-Djalon, à une altitude de 800 mètres. Elle se jette dans le
fleuve Sénégal à 30 Km en amont de Bakel. Son débit
annuel, à son débouché dans le fleuve
Sénégal, est de l'ordre de 200 m3/s.Tout autour de ce plus ou
moins long fleuve s'étend le bassin du fleuve Sénégal, qui
couvre une superficie totale de 289.000 Km2. Il comprend trois régions
principales : le Haut Bassin, la Vallée et le Delta. Ces régions
se différencient fortement par leurs conditions topographiques et
climatologiques.
Le Haut Bassin, qui va du Fouta-Djallon jusqu'à Bakel,
fournit la quasi -totalité des apports en eau car il est relativement
humide, les précipitations annuelles étant de 700 à 2.000
mm. Les pluies tombent entre avril et octobre dans la partie montagneuse de
l'extrême sud du Bassin et provoquent la crue annuelle du fleuve qui a
lieu entre juillet et octobre.
La Vallée, qui s'étend de Bakel à Dagana,
est une plaine alluviale encadrée par des régions semi
-désertiques. Elle constitue une zone d'inondation dont la largeur varie
entre 10 et 20 Km, mais peut atteindre 25 Km Ce pays agricole est
fertilisé chaque année par la crue du fleuve qui, sous une pente
très faible, présente de nombreux méandres, forme tout un
système de défluents et remplit en sortant de son lit mineur,
large de 200 à 400 m, de nombreuses cuvettes argileuses appelées
Walos. Les fonds du lit principal sont coupés par une quarantaine de
seuils rocheux ou sableux gênant la navigation en eaux basses.
Le Delta, partie terminale du fleuve, en aval de Dagana, est
apparemment un Delta avec de multiple bras, mais il n'y a qu'une seule
embouchure. Cette vaste zone est complètement plate et est envahie par
les eaux salées de l'océan pendant la saison sèche. Dans
cette partie, le fleuve Sénégal est large de 400 à 500 m
et est relativement profond. L'influence de la marée s'y fait sentir de
façon assez sensible.Les limites du bassin versant du fleuve
Sénégal sont assez mal définies au nord du 15e
parallèle. En effet, l'aridité du climat et l'uniformité
du relief font disparaître progressivement le système
hydrographique.
![](La-gestion-de-leau-et-son-impact-sur-le-droit-international2.png)
Quant au régime du fleuve il est fort complexe. Le
régime d'écoulement du fleuve Sénégal dépend
essentiellement des précipitations dans le Haut-Bassin. Il est
caractérisé par :
- une saison de hautes eaux, de juillet à octobre,
- une saison de basses eaux à décroissance
régulière, de novembre à mai/juin.
La saison des hautes eaux culmine en fin août ou
début septembre et s'achève rapidement dans le courant d'octobre.
A la fin de la saison sèche, en mai ou juin, il ne subsiste en
général qu'un très faible débit d'étiage
dans les grands cours d'eau ou dans les plus favorisés de leurs petits
affluents.
A Bakel, qui est souvent considéré comme la
limite entre le Haut Bassin et la Vallée, et comme la station de
référence du fleuve Sénégal parce que située
à l'aval du dernier affluent important qu'est la Falémé,
le débit moyen annuel du fleuve est d'environ 676 m3/s, correspondant
à un apport de l'ordre de 24 milliards de m3. Les débits moyens
mensuels évoluent entre les valeurs extrêmes de 3.320 m3/s en
septembre et de 9 m3/s en mai.
Une autre caractéristique importante du régime
du fleuve Sénégal est son irrégularité inter-
annuelle. Pour la période 1903-1904 à 1995-1996, l'écart
entre le débit moyen annuel de l'année la plus humide et celui de
l'année la plus sèche peut être dans la proportion de 6
à 1, avec:
- Pour l'année 1923/1924, un débit moyen annuel
de 1.265 m3/s et un volume annuel de 39.5 milliards de m3.
- Pour l'année 1987/1988, un débit moyen annuel
de 216 m3/s et un volume annuel de 6,8 milliards de m3.
Les modules annuels des principaux cours d'eau
s'établissent comme suit :
*Bafing : 18 m3/s à Manantali ;
*Bakoye : 149 m3/s à Oualia ;
*Falémé : 134 m3/s à Gourbassi ;
*Sénégal : 676 m3/s à Bakel.
Cette irrégularité inter-annuelle des crues a,
pendant longtemps, constitué un des principaux handicaps dans la
Vallée, en ce sens qu'elle réduisait les possibilités
d'une production agricole garantie dans cette zone étroite,
encadrée par deux déserts. En outre, la superficie des zones
cultivables après la crue pouvait varier entre 15.000 ha et 150.000 ha
suivant l'importance, la durée et la date de la crue.
Les hautes eaux exceptionnelles provoquaient des
dégâts importants comme en 1890, 1906 et 1950. Les années
de crues extrêmement faibles sont aussi catastrophiques puisqu'elles ne
permettent pas d'obtenir une production agricole suffisante dans la
vallée. Tout récemment, la sécheresse des années
1972-73 a été particulièrement désastreuse pour les
populations et l'économie des États de l'O.M.V.S.
Pendant la période d'étiage, comprise entre
novembre et mai juin et au cours de laquelle aucune précipitation
importante n'est enregistrée, les débits du fleuve et de ses
affluents diminuent progressivement. La faiblesse du débit
d'étiage en période sèche se traduisait par une intrusion
profonde des eaux salées de l'océan par le lit du fleuve. Au
cours des années 1970, la langue salée a dépassé
Dagana, et s'est avancée à plus de 200 Km en amont de
Saint-Louis, atteignant presque le marigot de Fanaye.
Le fleuve Sénégal, en Afrique de l'Ouest, arrose
quatre pays (Guinée, Mali, Mauritanie, Sénégal) et draine
un bassin versant de 340 000 km2, il subsiste dans une région où
la ressource est plus ou moins rare ce qui fait de ce fleuve, la principale
source de ravitaillement en eau, pour les états de son bassin. Depuis
l'accès des colonies du Sénégal et de la Mauritanie,
à la souveraineté Internationale, les rapports entre ces deux
etats sont emmaillés, de discordances et d'incidents sur fond d'hydro
politique.
En effet que ce soit aussi bien pour le Sénégal,
le Mali, la Mauritanie et la guinée, ce fleuve est source de vie et par
delà cet aspect , elle est pourvoyeuse de pouvoir stratégique
d'où le constant effort de ces divers états à s'identifier
à ce beau fleuve, et notamment le Sénégal et la
Mauritanie, qui ont toujours eus des rapports belliqueux quant à la
question du partage des eaux du fleuve Sénégal.En effet chacun
des deux nations avait des visées réelles sur les eaux de ce
fleuve, mais à la faveur de la colonisation, ce fleuve s'est
retrouvé dans un seul et unique ensemble qu'on appelait :l'AOF,
incluant les colonies de la Mauritanie et du Sénégal. La
mésentente entre les deux pays atteint son paroxysme en 1989, lorsque
des incidents de frontiéres conduisent les deux états à
rompre toute relation diplomatique, suite aux incidents meurtriers d'avril
1989 ;mais aussi cette mésentente ressurgit également en
Juin 2000, lorsque le gouvernement vote la loi sur la revitalisation de ses
vallées fossiles, ce qui amena le Président Mauritanien ,
à inviter les ressortissants sénégalais à quitter
dans un délai de quinze jours son territoire et demanda à ses
nationaux au sénegal , de rentrer au bercail ;menaçant de
rompre tout rapport diplomatique avec le sénegal ; Ces deux
événements mettent à nues les divergences qui ont toujours
existés, entre ces deux pays et que vinrent exacerbés certains
facteurs nouveaux.
Les événements d'avril 1989 furent
relatés comme un conflit à forte teneur raciste, ce qui à
notre avis est assez loin de la réalité, même si à
tort ou à raison, on accuse la République Islamique de Mauritanie
d'avoir profiter de ce conflit, pour régler sa question nationale.
En effet les tenants de cette thèse, justifient leur position par la
difficile cohabitation entre négro mauritaniens et Maures-berberes dans
l'aire géographique de la Mauritanie, mais aussi et surtout par le fait
que lors des événements de 1989, l'état mauritanien a
déporté hors de leurs pays environs 80000 négro
mauritaniens, qu'on appelle pudiquement, les réfugiés, ou de
manière cru les refoulés. Si la thèse d'un conflit
à forte connotation raciste est brandie par certains observateurs en
vertu de ces deux justifications, il nous parait tout de même
spécieux de vouloir ramener cette opposition à une question
strictement raciale.
En effet l'analyse de la longue histoire de ces deux pays
montre, que ce conflit a toujours existé même si c'est de
manière latente, et qu'il était prévisible qu'un jour ou
l'autre on en vienne à la situation de 1989.
Le conflit de 1989 résulte de la corrélation de
plusieurs raisons, qui ont été tout aussi déterminantes
les unes que les autres .Si les faits tragiques mais relativement banals
du 9 avril 1989 opposant éleveurs et agriculteurs de la vallée du
fleuve sénegal, ont pris une ampleur , c'est parce qu'en
réalité tous les ingrédients du dérapage
étaient réunis et couvaient depuis longtemps.Des entités
s'étaient créées dés 1988 ( notamment le
comité du 18juin) pour prévenir le gouvernement
Sénégalais, de la situation de plus en plus conflictuelle qui
sévissait au sein de la vallée. Les facteurs ayant joué le
rôle de détonateurs dans ce conflit sont d'ordres :
historique, politique, conjoncturel et surtout géographique, mais
également économique.
o Les crises internes des deux pays : Si
l'animosité, dont on fait preuve aussi bien les sénégalais
que les mauritaniens, est l'élément saillant de cette crise, ses
causes sont à chercher plus loin, car en effet les deux pays
traversaient des crises internes très délicates et ceci n'est en
fait qu'un exutoire pour toues ces populations meurtries par les
difficultés et l'incapacité de leur gouvernants à
répondre à leurs attentes.
Ainsi le sénegal était miné par une crise
économique profonde, s'expliquant par la stagnation voir le recul de sa
production agricole, un recul de ses exportations, une baisse de sa production
dans le domaine de la pêche, la chute du cours de l'arachide et du
phosphate, un taux de chômage très élevé du fait des
faillites des sociétés et des banques nationales, qui se trouvent
juxtaposés à une croissance exponentielle de sa dette
extérieure, et rendaient ainsi insoutenable l'atmosphère
économique du pays Sur le plan sociale sévissait une crise sans
commune mesure( compression et suppression d'emplois, grèves cycliques),
crise accentuée par les politiques austères d'ajustement
structurel imposée par les institutions de Brettons Woods, qui limitait
les recrutements et les investissements dans la fonction publique et provoquait
dés lors un dramatique accroissement du taux de chomage.Le
Sénégal était aussi éclaboussé de plein
fouet, par une crise politique , au lendemain des élections très
contestées de février 1988, outre cela la crise universitaire qui
a conduit à l'année blanche de 1988, voilà autant de
problèmes auxquels été confrontés l'état
sénégalais et pour qui il fallait coûte que coûte
trouver un bouc émissaire pour détourner les revendications d'un
peuple qui a faim et qui à soif.
Quant à la Mauritanie sa situation n'était
guère plus reluisante.En effet au lendemain de l'Indépendance la
Mauritanie s'est attelé à la construction d'une économie
forte et compétitive.Au début des années 1960 soutenu par
une forte production de fer et de ressources halieutiques, le pays `est
dotés d'une économie plus ou moins jusqu'à ce que la crise
pétrolière, combinées au manque structurel de cadres dans
ce pays pour impulser la diversification d'une économie jusqu'ici
rentière,mais également la grande sécheresse de
1968-1973,ont fragilisés l'économie de la
mauritanie.Ajouté à cela la création de la monnaie
Ouguiya, qui marquait ainsi sa volonté de se départir du
néo-colonialisme.
Au même moment le pays ployait sous une dette
extérieure faramineuse, ce qui rendait les efforts fournis dans le
secteur minier et halieutique, sinon nul du moins quasi insensible sur la
balance de paiement qui était largement déficitaire.
Sur le plan politique la Mauritanie se caractérise par
une instabilité chronique avec une kyrielle de coups d'état
militaire entre 1978 et 1986, Cette instabilité ferma la porte de
beaucoup de bailleurs qui exigeait un minimum de démocratie, avant tout
rééchelonnement des dettes mauritaniennes.
La crise interne mauritanienne se manifeste également
par, le problème de la question nationale sur laquelle bute toute
tentative d'édification d'un véritable état et partant de
politique économique efficiente.En effet la question der la situation
des negro-mauritanioens a toujours posés problème dans ce pays Il
n'y a pas cette intégration des populations négro mauritaniennes
de la vallée, dans les instances de décisions du pays. C'est
comme qui dirait un apartheid vis à vis de ces populations, qui pourtant
recèlent de cadres, à même de prendre en main les
destinées du pays.Le président Ould Daddah décida d'abord
de réduire la présence des négro mauritaniens, dans
l'administration et la fonction publique, ce qui donna lieu à la
publication du « manifeste des dix neufs » qui tirait la
sonnette d'alarme sur la tendance à la berberisation de l'administration
et des appareils d'etats au profit des Beydanes.Ce manifeste n'eut aucun
écho, auprès des autorités qui poursuivirent leur
politique, et posent un acte majeur dans l'évolution de la Mauritanie,
à savoir l'arabisation presque complète de l'enseignement, ce qui
fut perçu par les n »égro-mauritaniens comme une
tentative d'isolation de la part de l'état. Avec les putschs successifs
cette tendance à la beydannisation, se poursuivit et même s'accrue
en instaurant de manière quasi légale l'inégalité
des chances entre Maures blancs et négro mauritaniens ;
frustrés ces derniers mettent sur pied des cadres de réflexion et
d'action, afin de pallier à la tentative de marginalisation dont elles
sont victimes de la part des maures blancs qui se sont accaparés de
l'appareil d'état, pour la satisfaction de leurs seuls
intérêts. Ce qui donna naissance d'abord à l'UDM (Union
Démocratique Mauritanienne) puis à l'ODINAM (Organisation de
Défense des Intérêts des Négro-africains en
Mauritanie) et enfin le MPAM, le plus extrémiste, simpliste,
développant des thèses racistes et introduit au sein de
l'armée.Ces trois partis fusionnèrent en 1983 pour créer
ce qu'on appelle le FLAM (Front de Libération Africain de la
Mauritanie).Maouya à son accession s'attela à une extermination
de ce mouvement d'activistes , et les poussa à l'exil , ce qui ne fit
qu'exacerbés encore plus les négro-africains, qui se
révoltèrent et tentèrent à plusieurs reprises de
déstabiliser le gouvernement de Maouya.Ce dernier engagea une vraie
chasse aux sorcières en procédant à une série
d'arrestation de négro mauritaniens envoyés au bagne d'Inal dans
le mouquaata de Oualata au hodh el Gharbi,ou alors sommairement
exécutés par les soldats de Taya.Cet état de fait
prévalait encore à la veille des événements du 09
avril 1989.
o Les évènements sont également
liés à un vieux et persistant différend frontalier entre
les deux pays, résultant du flou frontalier hérité de la
colonisation Depuis la fin du XVIIIe siècle, le développement du
trafic de la gomme à destination de Saint Louis et la traite atlantique
des esclaves, a provoqué l'émergence et le renforcement des
émirats maures du Trarza et du Brakna, qui ont prospérés
le long du fleuve et occupés une grande partie de ses berges sur la rive
droite du Sénégal et du Walo. A aucun moment ces entités
ne se dotèrent de limites précises entre elles ; les lignes
de partage pouvant variées, au gré des conquêtes qui ne
connaissaient pas de répit dans cette région.Aucun traité,
encore moins un accord ne donnait une délimitation précise
l'actuelle Mauritanie et le Sénégal d'aujourd'hui.
L'administration mettra tout de même fin à ce
vide juridique.En effet les nécessités d'une délimitation
sont apparues, dés les premiers années du XXe
siècle.Coppolani, alors secrétaire général de
l'AOF, avait la ferme volonté de conquérir les terres au nord du
fleuve, afin d'en faire une nouvelle colonie.Ainsi une commission
spéciale fut créée pour examiner les situations
frontalières en Algérie et en AOF ; sur la base de ce
rapport un décret donna une délimitation sommaire entre ces deux
colonies, c'était en 1903.Du fait de l'imprécision mais aussi de
la non-conformité du décret en question avec la
réalité, il fut procéder en 1905 à la promulgation
d'un autre décret, plus précisément le 25 mars
1905 :
DECRET
Le Président De La
République Française
Sur la proposition du Ministre des
Colonies ;
Vu le décret du 18octobre 1904,
portant réorganisation du
Gouvernement général de
l'Afrique occidentale française ;
Vu le décret du même
jour, réorganisant le conseil de Gouverne-
nement de l'Afrique occidentale
française ;
Vu le décret du 13février
1904 portant modification des traités entre le
Sénégal et la
Sénégambie-Niger :
Décrète :
Article premier. --Les limites entre la
colonie du Sénégal et le territoire ci-
vil de la Mauritanie sont
déterminées, au sud de ce territoire, par la banlieue
de Saint Louis, telle qu'elle est
fixée par l'article 2 du décret du 18février
1904, et par le fleuve
Sénégal, à partir du marigot de Kassack jusqu'au
marigot Karakoro.
Art 2 -Le Ministre des Colonies est
chargé de l'exécution du présent décret,
Qui sera inséré au
Journal officiel de la République Française, au Bulletin
Des lois et au Bulletin officiel du
Ministre des Colonies.
Fait à Paris, le 25
février 1905
Emile LOUBET
Par le Président de la
République ;
Le Ministre des Colonies
CLEMENTEL
Ce décret ne résorbera pas les problèmes
pour la France, du fait de sa non clarté manifeste, mais aussi et
surtout du fait du caractère vague de sa délimitation, qui se
réfère à des marigots dont on a du mal à situer
l'emplacement. Pour pallier à cette imprécision le gouverneur
général d'alors, Monsieur Fournier
constate « qu'aux termes du décret de 1905, et à
défaut d'une identification plus précise, les limites devaient
suivre la ligne médiane du fleuve....... » Cette position
laissait tout même non résolue, la question de savoir, quel
était le bras du fleuve à choisir pour en déterminer la
ligne médiane ; le même fournier pour régler la
question de manière simple et définitive, propose cette fois de
ramener la frontière sur la rive droite et d'attribuer toutes les
îles à la colonie du Sénégal. Cette proposition est
soumise au Ministre des Colonies, qui dans le décret du 08
décembre 1933, publié par le Journal officiel du
Sénégal et repris par celui de la Mauritanie en 1967 :
Le
Président De La République Française ;
Sur le rapport
du Ministre des Colonies ;
Vu l'article 18 du sénatus consulte du
03mai1854 ;
Vu le décret du 18octobre 1904, portant
réorganisation du Gouver-
Le Président
De La République Française ;
Sur le rapport
du Ministre des Colonies ;
Vu l'article 18 du sénatus consulte du
03mai1854 ;
Vu le décret du 18octobre 1904, portant
réorganisation du Gouver
nement général de l'Afrique occidentale
française ;
Vu le décret du 13février 1904, portant
modification des limites
entre le Sénégal et la
Sénégambie-Niger ;
Vu le décret du 25février 1905, portant
délimitation du territoire
Civil de la Mauritanie et du
Sénégal ;
Vu le décret du 04 décembre1920, portant
transformation en colonie
du territoire civil de la Mauritanie, modifié
par les décrets des
02décembre 1924 et 20mars 1925,
DECRETE :
Article premier. --Les limites entre la Colonie du
Sénégal et la Colonie
de la Mauritanie sont et demeurent
déterminés de la manière suivante :
Par une borne à construire sur la cote de
l'Océan Atlantique, prés de
l'immeuble en ruine dit « Maison
Gardette Ȉ 1kilometre environ
au sud de la tuyauterie de pompage de l'usine de
Salsal.De cette borne
jusqu'au confluent du marigot S-E, du village de Thiong
et du marigot
de Tenedas, par la ligne la plus courte laissant
l'île de Salsal au Sénégal.
De ce confluent, par une ligne rejoignant le marigot de
Mambatio et suivant
la rive droite de ce marigot jusqu'au fleuve
Sénégal (feuille Saint Louis à
100.000e).Par la rive droite du bras
principal de ce fleuve jusqu'à un point
situé au Nord de l'embouchure de la
rivière Falémé, l'Ile aux bois appar
tenant à la Colonie de la Mauritanie (feuille
Saint Louis au 1.000.000e et Bakel
au 500.000e)
Art.2--Le Ministre des Colonies est chargé de
l'exécution du présent décret.
Fait à Paris, le 8 décembre
1933.
ALBERT LEBRUN--
Par le Président de la
République :
Le Ministre des Colonies,
Albert Dalimier
Le décret de 1933 même, s'il n'abroge pas
explicitement le décret de 1905, le principe de la Lex
Posteriori dérogat, principe de droit interne mais applicable
au droit International, peut avoir ici toute sa pertinence. « En
fait cette règle s'applique, à chaque fois que le dernier
traité fait la loi des Etats parties au premier traité, le
dernier traité n'est pas res olios inter acta et il y'a donc abrogation
tacite ou expresse du premier traité »Cette règle est
consacrée au paragraphe 3 de l'article 30 de la convention de Vienne.
C'est dans ce contexte de flou juridique, que les deux pays accèdent
à la souveraineté Internationale en 1960.Tout deux membres de
L'OUA, et donc souscripteurs aux principes de la Charte fondatrice de
l'organisation, et notamment au principe d'intangibilité des
frontières héritées de la colonisation, les deux
états se gardèrent bien de mettre à jour leurs
discordances sur le tracé de la frontière qui les
sépare.C'est au nom de ce principe, que le Président Senghor
resta sourd aux revendications fédéralistes des originaires de la
vallée du fleuve, et s'attacha à reconnaître le Jeune Etat
Mauritanien, qui offrait d'autre part une garantie de sécurité
pour la république du Sénégal face aux prétentions
territoriales du Maroc.Cette entente de façade dura quelques
années, et les nuages n'apparurent dans cette relation qu'à
partir de 1975.En effet cette année surgit à propos de la
souveraineté sur quelques îlots du fleuve Sénégal
notamment celui de Todd prés de Rosso.Depuis lors , la question
frontalière fut au centre des relations entre ces deux pays.En effet le
différend subsistait quant à la référence
légale sur laquelle il fallait s'appuyer pour déterminer la
frontière entre ces deux pays, et partant pouvoir spécifier
auquel des deux etats appartenaient les îlots objets du litige . A
travers plusieurs correspondances secrètes, le Président Daddah,
contesta la validité juridique du décret de 1933, fixant la
limite entre ces deux anciennes colonies au niveau de la rive droite du bras
principal du fleuve Sénégal. Pour la partie Mauritanienne
l'instrument Juridique de référence, reste et demeure le
décret de 1905 qui fixe la frontière sur la ligne médiane
du fleuve Sénégal.
La partie Sénégalaise quant à elle tenait
mordicus, à l'application du décret de1933 et pour preuve de la
validité juridique de ses allégations, il fait
référence à la reconnaissance implicite de la Mauritanie
dudit décret.En effet la Mauritanie valide ce décret en le
publiant dans son journal officiel de juin 1967, et mieux lorsqu'on
procéder au bornage de la frontière dans un secteur situé
au nord de la ville de saint louis, on s'est appuyé avec l'aval de la
Mauritanie sur le dit décret.Ceci montre à l'évidence que
la partie Mauritanienne reconnaissait, même si c'est de manière
implicite la validité juridique du décret du 08 décembre
1933. La partie sénégalaise fera référence au
principe d'intangibilité des frontières coloniales,
consacré par l'OUA, invite la partie Mauritanienne à soumettre
leur différend à la Cour Internationale de Justice, invitation
à laquelle la mauritanien ne donnera pas suite, ce qui d'une certaine
manière représente un aveu de la faiblesse de sa position.
Cette situation litigieuse à propos du tracé de
la frontière se résorbera, quant le président Senghor
déclare en juin 1975 dans un discours fort
conciliant : « Les limites frontalières entre les
deux états, fixées au temps de la colonisation, étaient
floues.Mais il ajouta que le problème était dépassé
dans le cadre de L'OMVS qui stipule, l'Internationalisation du
Fleuve » Cette internationalisation semblait pouvoir résoudre
la question de la frontière , mais c'est sans compter avec les
réalités profondes de la vallée, où subsistent des
frustrations et discordances entre les populations des deux rives du Fleuve.La
prégnance été la persistance des dissensions, entre les
populations nomades de la rive droite et celles paysannes sur la rive gauche,
aboutit à cet escalade pourtant si anodin au début, mais qui
atteint des proportions insoupçonnées, avec notamment ce qu'on
appelle les événements d'avril mai 1989.Le 9 avril 1989 un
incident à priori anodin, mais qui allait constituer le
déclenchement d'un conflit qui fera des émules.En effet des
agriculteurs soninké du Sénégal du village de Diawara, se
trouvèrent confrontés à des éleveurs peuls de la
Mauritanie du village de Sonko notamment, le point de discorde étant une
divagations d'animaux mauritaniens sur les aires de cultures des
sénégalais.L'incident se déroula sur l'îlot de
Doundé Koré, en amont du fleuve prés de Bakel. Cet
îlot fait partie du territoire sénégalais, mais est souvent
envahis par des troupeaux venant de la Mauritanie. Déjà le 30 et
31 mars de la même année, des altercations du même genre
surgirent entre les deux parties, mais des pourparlers entre responsables des
deux collectivités avaient permis de calmer le jeu. Le 09 avril, les
choses prennent une toute autre tournure ; les populations de Diawara,
averties que leurs champs sur l'îlot étaient encore une fois
envahis, se rendent sur les lieux pour récupérer le bétail
et le mettre en fourrière conformément à l'arrangement
convenu une semaine auparavant..Les habitants de Sonko venus à la
rescousse de leurs enfants avec des gardes Mauritaniens armés, s'y
opposent farouchement. Devant l'acharnement des populations
sénégalaises, pour mettre le bétail en fourrière,
les discussions s'embrasent et sur le coup un garde mauritanien tire et tue sur
le coup un sénégalais et en blesse deux autres (dont l'un sera
froidement descendu sur la rive droite), treize autres personnes sont
capturés et emmenées et emprisonnées à
Sélibaby pendant 72h, c'est-à-dire le 11 avril. Le lendemain 12
avril des boutiques de mauritaniens sont saccagées à bakel, en
réaction aux supplices et aux morts de leurs compatriotes lors des
incidents du 09 avril ; tout de même il faut noter que les
autorités sénégalaises déploient leurs forces
armées, pour assurer la protection des biens des mauritaniens à
bakel. Des troubles similaires surgissent dans plusieurs localités du
pays.Les Ministres de l'Intérieur des deux pays se rencontrent à
Nouakchott d'abord et puis à Dakar le 19 avril.Un communiqué
conjoint est fait, annonçant la mise sur pied d'une commission mixte
pour la date du 22avril, et les deux gouvernements prennent l'engagement
solennelle de protéger les ressortissants des uns et des autres.
Cependant la déclaration du Ministre de L'intérieur Mauritanien
est perçue par la population sénégalaise comme accordant
plus d'intérêts au pillage des biens mauritaniens, qu'aux vies
sénégalaises.Ce qui choquait évidemment les parents des
victimes et par delà eux tout le peuple sénégalais.Aussi
des émeutes éclatèrent sur toute l'étendue du
territoire sénégalais, et notamment à Dakar.Malgré
l'interposition des forces de l'ordre sénégalaises, et
malgré l'arrestation des personnes soupçonnées d'avoir
participé aux émeutes, des ressortissants
sénégalais furent lynchés à Nouakchott et à
Nouadhibou du 24 au 25 avril.Ce sont principalement les harratines( anciens
esclaves affranchis) qui se sont attelés à cette violente
réaction, faisant selon certains entre 200 et 400 morts. Dans ce climat
délétère, le gouvernement sénégalais
protesta vigoureusement contre les exactions et les violations massives et
flagrantes des droits de l'homme commises en Mauritanie, contre les
Sénégalais et les Négro mauritaniens, en rappelant que
les pillages au Sénégal n'avaient faits aucune victime.Le 28
avril alors que la première vague des rapatriés foulait le sol
sénégalais, les événements sanglants prirent
naissance au Sénégal, ce vendredi fut qualifié par le
livre blanc de La Mauritanie de « Vendredi de l'Horreur »
ces événements coûtèrent la vie à une
soixantaine de ressortissants mauritaniens, dont la majorité à
Dakar.
La communauté internationale, et notamment le Maroc,
l'Espagne, la France et l'Algérie, pour éviter d'alourdir les
pertes civiles de part et d'autres dressèrent un pont aérien pour
évacuer les ressortissants des deux pays. 70000 personnes furent
rapatriés au Sénégal an moins de dix jours , ajouté
à cela entre 40 et 50000 négro mauritaniens expulsés de
leurs pays ; le Haut commissariat des réfugiés
dénombre 120000 rapatriés mauritaniens venant du
Sénégal. Plusieurs médiateurs intervinrent pour ramener
les deux parties, qui ont rompues leurs relations diplomatiques depuis le 21
août, à de meilleurs sentiments.
Ainsi aussi bien Robert Mugabé alors Président
du mouvement des non alignés, que Mr Javier Pérez de Cuellar
secrétaire général des Nations Unis d'alors, mais
également Hosni Moubarak président en exercice de l'OUA.Toutes
ces interventions s'avéreront infructueuses ,d'autant plus que les deux
parties campent sur leurs positions. Le Sénégal réclame le
bornage de la frontière sur la base du décret de 1933, qui situe
la totalité du fleuve dans le territoire du Sénégal, mais
aussi la déportation des négro mauritaniens sur son territoire.La
Mauritanie quant à elle s'en tient au dédommagement des
rapatriés Mauritaniens, et le rétablissement de la libre
circulation des biens et des personnes entre les deux rives du fleuves. Trois
ans durant cette situation perdura, et c'est finalement en 1992, par
l'entremise du mali principal médiateur, de la Gambie et de la
Guinée, les deux parties se mirent à la table de la
négociation et finalement il fallut attendre le 23 avril 1992, pour que
les relations diplomatiques entre les deux états soient
rétablies, bien que les dossiers les plus délicats, tels le
retour des populations négro mauritaniennes, la question du tracé
frontalier ou celle de l'indemnisation, soient toujours loin d'être
réglés.
Des voix s'étaient élevés, pour attirer
l'attention des pays sur les questions essentielles à
résoudre : « La question épineuse
reste celle de la délimitation de la frontière, qui pourrait
être un abcès de fixation dés l'apparition de la moindre
difficulté.Un tel cas surgira forcément, car les transformations
engendrées par la construction des barrages déstabilisent une
société : les gains ne sont pas assurés et les avis
divergent toujours sur les conséquences positives ou négatives de
ces grandes constructions.Par ailleurs la volonté de faire du fleuve une
frontière figée est elle compatible avec une tradition, qui en
fait au contraire un espace de rencontre, de mélange et
d'échange, renforcé par le statut de international du
Fleuve ?La crise très grave qui a eu lieu n'était pas une
bataille de l'eau, mais une bataille pour la terre que
l'eau rend enfin plus facilement
habitable » ; C'est ce que nous avons appelés
les conflits d'usage dans notre typologie sommaire. Bertrand Degoy
ne croyait pas si bien dire car ce qu'il craignait se
matérialisa avec le conflit qui éclata à nouveau en Juin
2000 à propos cette fois non pas de la question des terres et donc des
frontières mais bien un conflit spécifiquement hydrique.
En effet à peine une décennie après les
événements macabres de 1989, d'autres turbulences surviennent
dans les relations des deux pays.Ainsi en juin 2000, six mois après
l'arrivée au pouvoir du légendaire opposant
Sénégalais Abdoulaye Wade.En effet l'histoire retient que cette
homme, (qui 26 ans durant aura lutter pour accéder à la
magistrature suprême de son pays) est celui qui avait tenu à ce
que son pays aille en guerre, contre le voisin Mauritanien quant à la
question du tracé frontalier entre les deux pays, mais aussi à
propos de la disposition des eaux du fleuve Sénégal. Aussi
dés son accession à la magistrature suprême, certains
observateurs mauritaniens pensèrent à la possibilité de la
résurgence du conflit de 1989. Il n'en fut rien, du moins jusqu'en juin
2000, lorsque le parlement sénégalais adopte un projet de loi sur
la construction sur le fleuve Sénégal, d'un projet financé
par Taiwan.En effet ce projet qui fut conçu sous le magistère de
Diouf, mais que Wade s'est mis un point d'honneur à réaliser
durant son premier septennat en faisant un projet phare.En effet dans la
logique de son concepteur( Diouf) de plus en plus de vallées, du fait de
la non alimentation en eau, se sont asséchées.Les terres
adjacentes arrosées par ces vieilles vallées, sont
désormais condamnés à la stérilité. Ces
valeurs étant de vieux lits, donc il suffirait d'y faire revenir de
l'eau, pour que ces vallées recouvrent la vitalité qui
était la leur et que les terres tout autour deviennent arables.Pour
cette mise en eau de ces vallées, le gouvernement
sénégalais, compter utiliser les eaux de ruissellement ou celles
des crues des fleuves Sénégal, Sine, Saloum et Gambie, dont une
grande partie se déversait en mer, et constituait ainsi une manne
perdue. Les premiers tests furent entrepris en 1988, le projet pilote
« L'eau à Linguére » fut un très
convaincants.Par ce procédé le gouvernement était
convaincu de la possibilité de la remise en culture des zones
sahéliennes du Ferlo et du Baol, et par conséquent cela
permettrait à terme de relancer la culture arachidiére.La
réussite de ce test fut à l'origine de la mise sur pied de deux
autres projets :celui « Du projet sectoriel Eau » et
celui « du Canal du Cayor », qui devait servir à
l'alimenter Dakar en eau douce. Face à l'onérosité de ces
projets jugés irréalistes par les bailleurs de fonds, et
dangereux pour l'Environnement par les écologistes, ces projets ne
virent jamais le jour.
Quant au projet des vallées fossiles il fut
arrêté à cause des inquiétudes de la Mauritanie, qui
accusait ainsi le Sénégal de détournait des eaux qui leurs
étaient communes.La relance du projet par Wade n'eut guère de
meilleur sort. Puisque Nouakchott considérait que tout
détournement des eaux du Fleuve, hypothéquait de fait son secteur
agricole qui dépendait fondamentalement des eaux de ce fleuve. En effet
depuis la réforme foncière en Mauritanie, les problèmes
agricoles sont devenus centraux pour la Mauritanie.
Ainsi en 1983 avec la nouvelle loi domaniale et
foncière, l'état mauritanien s'est doté de l'instrument
juridique nécessaire pour le contrôle des terres de la
vallée, jusqu'ici détenu par des particuliers négro
mauritaniens en général. Il s'agissait pour cet état de
mettre la main sur des terres qui au lendemain de l'érection du
monumental barrage de Diama, avec ses capacités de rétention pour
permettre le développement de l'agriculture irriguée dans la
vallée. Il devenait impératif pour les deux états de
mettre la main sur les terres de ce qui semblait devenir La Californie des deux
états, tellement les perspectives post-barrage sont prometteurs.Ainsi
l'état mauritanien devient le principal détenteur des terres, et
par conséquent principal investisseur dans l'agriculture sur la rive
droite, d'où tout le sens du refus par la Mauritanie, de laisser le
Sénégal utilisait ces eaux communes à des projets
exclusivement nationaux.Le gouvernement pour faire prévaloir sa position
sur la question, s'appuie la charte fondatrice de l'OMVS.En effet ce dernier
stipule que tout projet concernant les eaux du fleuve doit faire l'objet d'une
discussion et d'une avalisation par tous les membres de L'OMVS, condition que
ne semblait pas remplir le projet sénégalais de revitalisation
des vallées fossiles.En sus du manque de concertation du
Sénégal avec les autres membres, ce projet de l'avis des experts
Mauritaniens allait de manière systématique asséché
plusieurs milliers d'hectares sur la rive droite.Ce qui ne semblait être
partagé par les techniciens sénégalais de la Mission
d'Etude et d'Aménagement des Vallées Fossiles(MEAVF), qui
expliquaient depuis longtemps plusieurs milliards de m3 d'eau ont
été perdues dans la mer. Même si depuis l'érection
des barrages 60% de ces eaux est maîtrisée, il reste que les 40%
sont toujours perdues.Selon le MEAVF entre 1986 et 1994, 6 à 18
milliards de m3 ont été perdue en mer. L'idée consistait
à récupérer ces eaux perdues pour les réutiliser
dans la revitalisation de ces vallées fossiles.
En plus de cela, le gouvernement sénégalais
estime pouvoir utiliser ces eaux de plein droit car selon la charte ils ont
droits à l'aménagement de 240000ha sur les 375000 irrigables sur
la rive gauche ; or jusqu'ici le Sénégal n'a même pas
aménagé le tiers de ces terres.On ne peut donc logiquement pas
prétendre que le Sénégal, a épuisé son quota
en eau au point de puiser l'eau de ses voisins.
Pourtant ces justifications ne semblèrent pas au
goût de Nouakchott, qui à peine la loi sur la relance du projet
sur la revitalisation des vallées fossiles votées, pris des
mesures spectaculaires pour montrer son désaccord avec la manière
sénégalaise d'agir.
D'abord le Haut Commissaire Mauritanien de l'OMVS, Baba ould
Sidi Abdallah, qui était jeté en prison pour haute trahison, puis
la communauté sénégalaise résidant en Mauritanie
qui s'était vu signifier un délai pour quitter le territoire
mauritanien, et enfin la concentration d'unités de l'armée
à la frontière avec le Sénégal ; Dakar
réagit par un communiqué qui informe les Mauritaniens qu'il leur
est loisible de rester au Sénégal ; le premier ministre est
envoyé en Mauritanie histoire de calmer le jeu, afin que ce qui
s'est passé en 1989 ne se réitère. Les populations
paniquées n'attendent pas les fruits de ce chassé croisé,
et plient bagages pour rejoindre chacun son pays d'origine.
Les états du Mali et de la France alertés par le
Sénégal, jouent leurs partitions afin de calmer la Mauritanie qui
commençait à se sentir politiquement isolée.Ainsi le
Sénégal fait chuter la tension en annonçant purement et
simplement, la mise en veilleuse du projet des vallées fossiles.
La sagesse Sénégalaise permet d'éviter un
remake des événements de 1989.Mais cela montre encore une fois
combien les relations entre ces deux pays, sont fragiles et forts
problématiques surtout en ce qui concerne l'utilisation des eaux de ce
fleuve, qui se veut un trait d'union entre ces deux peuples frères, et
par delà eux les peuples de la guinée et du Mali. En effet il est
temps que le Fleuve Sénégal joue, son rôle
d'intégration entre les quatre peuples, comme le lui assigne la charte
de création de L'OMVS, dont les récents développements
sont forts intéressants et tendent de plus en plus à être
pris comme référence dans les politiques de gestions
intégrées des ressources en eaux.
B--La Pollution des Eaux du Danube, du Rhin et de
la Mer d'Aral : Source de Litiges
de sécurité environnementale, si couramment
usitée de nos jours. En effet la pollution des cours d'eaux est devenue
monnaie courante dans nos sociétés industrielles et agricoles,
alors que les ressources terrestres disponibles se réduisent de
manière drastique. Ces pollutions sont l'une des causes fondamentales de
la réduction des eaux douces de la planète, rendant une grande
quantité de ces eaux impropres à la consommation humaine. La
pollution des eaux internes pose des problèmes, mais des
problèmes d'une ampleur moindre par rapport aux problèmes, qui
peuvent émerger dans le cas d'une pollution d'eaux
transfrontières.
En effet ces rapports mettent en conflit des entités
souveraines et souvent très dépendante de ces eaux
polluées, ce qui peut d'une manière ou d'une autre contribuer
rendre conflictuels, les rapports entre ces états. A titre d'exemples
nous pouvons zoomer sur les pollutions du Danube, du Rhin et de la mer d'aral.
Nous verrons l'impact de la pollution, sur les rapports entre ces divers
états.
Parmi les grands fleuves européens, le Danube se situe
au deuxième rang, après la Volga, par sa longueur (2.850 Kms),
son débit moyen de l'ordre de 6.500 m3/sec au niveau du delta, la
surface de son bassin versant (800.000 km2).
Son profil longitudinal est irrégulier, il
présente une série de bassins d'effondrement
séparés par des défilés. La charge
sédimentaire importante que le fleuve et ses affluents transportent
à partir des massifs montagneux qui entourent le bassin danubien (Alpes,
Carpates, Monts Dinariques..) s'étale dans ces grands bassins et
contribue à la formation de larges plaines alluviales dépassant
souvent dix kilomètres de largeur. Là, jusqu'au début du
vingtième siècle, le fleuve s'y étalait largement, se
ramifiait, méandrait, changeait fréquemment de cours en
interagissant avec sa plaine alluviale. Par exemple, à
l'aval de Bratislava, là où s'est
implanté l'aménagement de Gabcikovo, se situait
le plus grand delta intérieur européen
constitué par les plaines alluviales du Szigetköz
hongrois et du Zitny Ostrov slovaque
s'étalant sur plus de 50 Kms de longueur et plus de 10
Kms de largeur. Il s'agit là de
zones humides patrimoniales d'intérêt
international. On remarquera en passant que le
Danube présente la particularité de
posséder les deux types de deltas (intérieur et
maritime) ayant les plus fortes valeurs patrimoniales au
niveau européen.
Au niveau des défilés qui séparent ces
grands bassins alluviaux, la largeur du fleuve est au contraire très
réduite, parfois considérablement, comme dans la région de
Cazane où elle n'est que de 165 m mais où la profondeur atteint
par contre 70 m! C'est dans cette région, zone frontalière entre
la Yougoslavie et la Roumanie, qu'a été implanté
l'aménagement hydroélectrique dit des Portes de Fer,
également destiné à améliorer les conditions de
navigation. Ces zones de défilés avec des variations importantes
de niveau d'eau et des chutes d'eau créent des obstacles à la
navigation.
La position géographique et climatique du bassin
danubien, continentale et bordée de massifs montagneux, induit une
hydrologie contrastée, caractérisée par des étiages
d'été très sévères, des crues de printemps
et de début d'été très fortes, sans compter les
périodes de gel hivernal et de débâcles
printanières.
La particularité géographique la plus originale
du Danube vient de sa situation au coeur de l'Europe, unissant l'Europe
occidentale à l'Europe orientale jusqu'à la Mer Noire. Le Danube
est donc un fleuve international, transfrontalier, dont la majeure partie de
cours, s'écoulait pendant plus de 40 années, jusqu'au
début des années 1990, dans des pays soumis à des
régimes politiques centralisés, autocratiques, sous domination
soviétique. Il est bien connu que les politiques menées dans ces
pays n'avaient pas de sensibilités environ-
nementales marquées et qu'il en est
résulté entre autres un niveau de pollution des eaux
élevé.
Il s'agit à la fois de pollutions ponctuelles et de
pollutions diffuses. Les premières sont dues à l'absence de
systèmes d'assainissement et d'épuration efficaces tant pour les
rejets des collec-
tivités et agglomérations que de l'industrie,
situation qui était générale dans les ex-pays communistes,
heureusement atténuée dans le cas du Danube par l'effet dilution
des polluants grâce aux débits importants du fleuve. Il en
résulte que souvent la qualité des eaux du Danube lui même,
malgré une charge polluante plus forte, est meilleure que celle de ses
affluents
aux débits évidemment plus modestes. Par contre,
sur l'axe danubien lui-même, des "points noirs" existent à l'aval
des grandes agglomérations dont les eaux usées ne sont pas ou que
partiellement épurées, par exemple à l'aval de Budapest,
de Sofia ou de Bucarest. Quant aux pollutions diffuses, elles émanent
surtout d'une agriculture productiviste, elle aussi peu soucieuse des
problèmes environnementaux. Même si les charges en
éléments nutritifs sont conséquentes, les pollutions les
plus inquiétantes sont celles dues aux micropolluants, aux métaux
lourds, aux pesticides, aux résidus miniers, aux hydrocarbures et aux
contaminants microbiologiques. Les mêmes problèmes se retrouvent
pour les eaux souterraines des plaines alluviales danubiennes et quel que soit
le pays considéré. Actuellement, après les changements
politiques intervenus en Europe au cours de la dernière décennie,
le bassin danubien est "partagé" par 17 pays: Allemagne, Suisse,
Autriche, Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine,
République Tchèque, Pologne, Slovaquie, Hongrie,
République Fédérale de Yougoslavie, Albanie, Bulgarie,
Roumanie, Ukraine, Moldavie. Ce nombre peut
paraître élevé puisque ce sont 12 Etats
qui sont essentiellement concernés, les autres
n'apportant qu'une faible contribution hydrologique
quantitative au bassin danubien.
Cependant, la récente pollution au cyanure de janvier
2000 (sur laquelle nous
reviendrons plus loin) est là pour nous rappeler qu'il
suffit d'un "gros" problème sur un tout "petit" sous affluent,
même très éloigné du fleuve lui-même (plus de
1000 kms) pour polluer encore fortement les 1500 kms restant de l'axe fluvial,
jusqu'à la Mer Noire! Cette dure réalité est là
pour nous rappeler que c'est bien l'ensemble du bassin versant d'un fleuve
qu'il faut considérer et gérer, et non pas seulement son cours
principal. Il n'est donc pas exagéré de dire que ce sont bien 17
Etats qui doivent (ou devraient.) "partager" ces ressources naturelles
aquatiques que représente le bassin danubien, même si la
contribution hydrologique essentielle ne provient que de 12 pays, ce qui est
déjà considérable...
L'axe danubien lui-même et ses principaux affluents,
Inn, Drave, Save, Morava, Tisza, Olt, Siret, Pruth, sont densément
peuplés (de l'ordre de 80 millions d'habitants); le Danube traverse 10
villes de plus de 100.000 habitants. Leurs rives sont bordées de
complexes industriels tant chimiques que métallurgiques, de raffineries,
tandis que l'agriculture dispute l'espace et les richesses naturelles des
grands bassins alluviaux successifs (zones humides en particulier) aux autres
usages, et ceci jusqu'au delta lui-même, gigantesque réservoir de
richesses patrimoniales dont la surface excède 5.500 km2. Sur un cours
de 2600 kilomètres, un quart du Danube coule actuellement dans le
territoire de l'Union européenne (Allemagne et Autriche), et dans la
perspective d'élargissement, le Danube ne peut pas ne pas
intéresser l'Europe. Le bassin hydrographique du Danube
représentera à terme un tiers du territoire de l'Union
européenne. Une raison pour s'intéresser dès à
présent à son aménagement et à son environnement.
. Plusieurs pays candidats sont en effet riverains de ce fleuve : la
République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie,
la Roumaine et la Bulgarie. Par la même occasion, la Mer Noire, dans
laquelle il se jette, deviendra un jour une mer côtière de
l'Union, puisqu'elle borde la Roumanie et la Bulgarie. Les problèmes
environnementaux du Danube sont donc appelés à devenir une
préoccupation majeure de l'Union européenne.
Majeure n'est pas un faible mot. Le bassin du Danube est en
effet le plus international du Monde. Large de deux millions de km², il
couvre un tiers du territoire de l'Europe continentale, englobe 17 états
et réunit 80 millions de personnes de cultures très
diversifiées et de niveaux de vie très différents. Les
eaux du Danube et de ses affluents sont utilisées à des fins
économiques très variées : fourniture d'eau potable,
agriculture, industrie, pêche, tourisme, transport fluvial,
électricité. De plus, le Danube et ses zones humides sont le
berceau d'une riche biodiversité. Hélas, cette
biodiversité est actuellement en danger.
Pour montrer ce danger nous verrons, deux cas de pollutions
majeures des eaux du Danube :
D'abord en 2000, un litige explose, puisque on a
retrouvé des traces de cyanure dans les eaux du danube. Ainsi le 30
janvier 2000, un autre type de catastrophe écologique s'est produit dans
le bassin du Danube. Un barrage retenant des déchets toxiques de la mine
d'or de Baia Mare Aurul, au nord-ouest de la Roumanie, a cédé et
déversé 378 500 litres d'eaux usées, lourdement
contaminées par du cyanure, dans le Lapus et le Somes, affluents de la
Tisa, qui est elle-même un affluent du Danube. Cet accident a
provoqué ce que l'Agence européenne pour l'environnement a
appelé le «pire scénario pour les rivières de la
région» et peut-être la pire catastrophe écologique
depuis Tchernobyl.
Les informations provenant de cette région indiquent
que l'écosystème et la faune du fleuve ont subi des dommages
importants. Le ministère hongrois de l'Environnement a
déclaré que dans la zone de Tiszafüred et Szolnok, 80
à 100% du stock de poissons a péri. D'autres animaux sauvages ont
été touchés, notamment des cygnes tuberculés, des
cormorans noirs, des renards et d'autres carnivores. Plus de 400 000 oiseaux
migrateurs sont également menacés.
En février, le ministère hongrois de
l'Environnement a indiqué que le lac de Tisa, dans le Parc national de
Hortobágy, récemment inscrit au Patrimoine mondial, a
été touché, de même que certaines zones
protégées par la Convention de Ramsar.
Outre les atteintes à l'environnement, la pollution au
cyanure de la rivière Tisa est une menace considérable pour la
santé humaine, puisque dans le cours supérieur de la
rivière, la concentration en cyanure était 100 fois
supérieure à la limite admise pour l'eau potable. Dans les
régions affectées, plus de 2,5 millions de personnes sont
menacées par une contamination de l'eau potable.
Un accident tout à fait semblable s'est produit en
Roumanie peu après, le 10 mars 2000, dans la zone minière proche
de Baia Mare. L'accident en question a été provoqué par le
déversement de boues provenant d'un bassin de décantation
appartenant à une mine désaffectée de Baia Borse.
Résultat: la rivière Visheu, un autre affluent de la Tisa, a
été gravement polluée par des métaux lourds, et en
particulier d'importantes concentrations de plomb et de zinc.
Pour l'heure, on ne peut guère prévoir l'impact
que ces accidents auront à long terme sur l'environnement. Les
écologistes mettent en garde contre une contamination durable des
chaînes alimentaires du fait de l'utilisation des eaux souterraines et
des eaux de surface pour l'irrigation ; par ailleurs, ils attirent l'attention
sur les concentrations dangereuses en métaux qui persistent dans les
biotopes.
Etant donné que 80% de la pollution de la mer Noire est
due aux eaux du Danube, les deux catastrophes font peser une menace
sérieuse sur les écosystèmes marins de la mer Noire, de la
mer de Marmara, mais aussi de la Méditerranée.Ce qui éleva
des voix, qui réclamèrent une indemnisation des etats
responsables, selon le principe du Pollueur payeur.
Au lendemain de leur adhésion au sein de la
désormais large famille Européenne, la Roumanie et la Bulgarie se
trouvent confrontés à un problème de leurs berges
danubiennes.Il fallait trouver une solution pour gérer le
désastre écologique qui les frappait : en effet une nappe de
pétrole de quelques centaines de tonnes, pollue le Danube, fleuve qui
démarque leur frontière commune.
La nappe polluante a été signalée d'abord
par les autorités bulgares le 2 octobre 2006. La Bulgarie a lancé
un appel aux pays riverains du fleuve pour « identifier la source de cette
nappe de pétrole de près de 140 kilomètres de long »
qui avançait sur ses eaux. Sous la pression bulgare et roumaine, le
Ministère serbe de l'agriculture a reconnu officiellement le 3 octobre
« la fuite d'une quantité non déterminée de
pétrole dans le Danube » depuis un entrepôt de la Compagnie
pétrolière serbe (NIS) situé à Prahovo, dans le
sud-est du pays, en précisant qu'il s'agirait d'une fuite « longue
de 300 mètres et large de 50 mètres ».
Le Premier ministre roumain, M. Popescu- Tariceanu, a
annoncé le 5 octobre la décision de son gouvernement d'accorder
à Sofia « une aide en régime d'urgence pour l'intervention
visant à stopper la nappe de pollution du Danube dans le secteur bulgare
», consistant en matériel absorbant et barrages flottants, d'un
montant de 50,000 euros. Cette aide fait suite aux appels bulgares
lancés initialement envers la Commission internationale pour la
protection du Danube. Le Ministre bulgare de l'Environnement, M. Dzhevdet
Sakarov, avait déjà annoncé le 4 octobre devant les
journalistes que son gouvernement, en action commune avec la Roumanie, allait
demander des « dédommagements financiers à la Serbie
responsable de la pollution pétrolière qui frappe le Danube sur
ses rives », en soulignant que « [...] la demande est basée
sur le principe pollueur payeur ».
Concernant l'implication de la Serbie dans ce désastre
écologique, le chef de l'exécutif roumain avait
déclaré avoir « [...] demandé à l'ambassadeur
de Serbie de faire connaître d'urgence aux autorités serbes de
prendre toutes les mesures qui s'imposent dans le cadre d'une relation de bonne
coopération. Je lui ai expliqué que, si la Serbie a des objectifs
concernant l'adhésion à l'UE, elle doit se conduire comme un Etat
européen. Les obligations primaires sont celles d'informer et d'oeuvrer
pour la limitation des effets et, si elle a besoin d'aide, nous sommes
prêts à lui mettre à disposition tous les moyens dont nous
disposons ».
Le 6 octobre, le Ministre serbes des investissements, M.
Velimir Ilici, cité par la presse bulgare, dénonçait
l'idée des dédommagements, en déclarant que «[...] It
is true that the oil slick came to Romania from Serbia, but we will have to
identify first the origin of the pollution [...] it is still arguable where the
oil spill came from originally». L'ambassadeur bulgare à Belgrade
considérait le même jour que « c'est trop tôt pour
évoquer la question des dommages ».
Sofia et Bucarest ont mis en place un plan d'urgence, à
l'aide des navires, agent dispersant et barrages flottants, destiné
à éviter la propagation de la pollution plus en aval et notamment
vers le Delta du Danube, grande réserve naturelle, classé
patrimoine mondial de l'UNESCO. En effet, les autorités roumaines se
déclarent « [...] très préoccupés des effets
que cette pollution pourrait avoir, notamment pour ce qui concerne le risque de
l'arrivée de ces produits dans le Delta du Danube ».
Cette catastrophe écologique intervient une douzaine de
jours après la Conférence paneuropéenne sur le transport
par voie navigable, qui s'est tenue à Bucarest à mi-septembre. A
cette occasion, le Président roumain, M. Traian Basescu, avait
affirmé que « la Roumanie prêtait une attention
particulière à l'application de la Directive cadre dans le
domaine de l'Eau de l'UE surtout quant à la responsabilité envers
le Delta du Danube, qui deviendra le Delta de l'Union européenne
dès le 1er janvier 2007 ». Il est important de rappeler que cette
directive impose aux Etats membres de parvenir, à l'horizon 2015, au
«bon état écologique» des milieux aquatiques (cours
d'eau, lacs, eaux souterraines, littoral). La notion de « bon état
écologique », dont une définition commune est
envisagée pour 2009, est composée de deux volets : l'état
biologique, caractérisé par la santé de la flore et de la
faune, et l'état chimique, déterminé par le degré
de pollution due aux substances chimiques
A coté de la pollution du légendaire Danube, il
faut noter les dommages causés par les utilisations des eaux du Rhin.
En effet le Rhin est un exemple patent de la pollution
à grande échelle, des cours d'eaux transfrontières. Le
Rhin - en allemand Rhein - naît dans les Alpes suisses et se jette dans
la mer du Nord, après un cours de 1 325 Km qu'alimente un bassin versant
de 160 000 km2 de superficie. Fleuve complexe, le Rhin supérieur
naît dans les Alpes des Grisons, de la réunion du Rhin
antérieur (Vorderrhein), émissaire du lac Toma (massif du
Saint-Gothard) à 2 341 m d'altitude, et du Rhin postérieur
(Hinterrhein), qui sort du glacier du Rheinwaldhorn (massif de l'Adula)
à 2 216 m d'altitude. Les deux torrents confluent à Reichenau,
où la pente du fleuve atteint encore 4 °/°°. Coulant vers
le nord, il reçoit l'Ill à droite, et se jette dans le lac de
Constance (Bodensee) à 395 m d'altitude, qui lui sert de
régulateur et de bassin de décantation. Il en sort à
l'ouest et conserve une forte pente jusqu'à Bâle, notamment
à Schaffhouse, où il franchit une barre de calcaire jurassique
par une brusque chute de 25 m ; il coule alors entre les collines du Mitteland
et les chaînons du Jura, au sud, et le rebord méridional de la
Forêt Noire, au nord. Son affluent principal est l'Aar, qui draine les
Alpes bernoises. A Rheinfelden, en amont de Bâle, le Rhin présente
un régime nivo-glaciaire marqué par des basses eaux au mois de
février (rétention nivale) et par de haute eaux de printemps et
d'été, périodes où la fonte des neiges et des
glaciers assure un écoulement abondant ; son débit moyen atteint
alors 1 050 m3/s.
A Bâle (277 m d'altitude) le Rhin moyen
s'infléchit brusquement vers le nord, puis vers le nord-nord-est et
coule alors en plaine, dans le fossé d'effondrement remblayé qui
s'allonge entre les Vosges et le massif du Hardt, à l'ouest, et la
Forêt Noire et l'Odenwald, à l'est. Il y reçoit l'Ill, sur
la rive gauche, et le Neckar et le Main, sur la rive droite. En aval de Mayence
(82 m d'altitude), il se détourne vers l'ouest, longe le massif du
Taunus, puis, à Bingen, il reçoit la Nahe et prend une direction
nord-nord-ouest à travers le Massif schisteux rhénan où il
s'est frayé une "Trouée héroïque" ; il y est rejoint
par la Lahn, sur la rive droite, et par la Moselle, à Coblence, sur la
rive gauche ; il en sort à Bonn (43 m d'altitude) et entre alors dans le
bassin de Cologne où il reçoit, à droite, la Sieg, la
Wupper, la Ruhr et la Lippe. De Bâle à Cologne, la pente du fleuve
diminue mais elle n'est pas exempte, localement, de brusques raidissements. Les
pluies d'origine océanique qui s'abattent en saison froide sur cette
partie du bassin modifient le régime du Rhin : l'apport pluvial ou
nivo-pluvial de ses affluents compense le déficit hivernal du cours
supérieur, aussi le régime du fleuve est-il ici abondant et
régulier toute l'année ; le débit moyen, très
soutenu, est de 1 625 m3/s à Kaub.
En aval de la confluence avec la Lippe, le Rhin
inférieur est un fleuve de plaine, dont le débit moyen atteint 2
200 m3/s à Rees ; son régime conserve les mêmes
caractéristiques que dans la partie moyenne de son cours, avec une
accentuation du maximum d'hiver imputable aux pluies océaniques ; il est
donc exactement l'inverse du régime du cours supérieur. Sur le
territoire des Pays-Bas, le fleuve s'achève par un vaste delta que
parcourent ses trois bras principaux, Wall puis Merwede au sud, Lek au nord,
qui se jette dans la Mer du Nord, et Ijssel au nord-est, qui alimente
l'Iljsselmeer (ancien Zuiderzee).
Cet étalement géographique sur l'Europe
industrielle, permet à ce fleuve de jouer un rôle d'artère
économique. Ce rôle accentue la sensibilité de la question
des eaux de ce fleuve. Jadis "route des soldats et des moines", qui conquirent
et évangélisèrent la Germanie, lien beaucoup plus
qu'obstacle, puisque de multiples invasions le franchirent, fleuve dont la
puissance et le rôle ont été magnifiés, dès
le Moyen Age, par les légendes allemandes de l'Or du Rhin et de la
Lorelei, le Rhin est la première voie de circulation de l'Europe
occidentale et l'une des plus grandes artères économiques du
monde. En effet, sa vallée relie les régions industrielles de la
Suisse, du Nord-est de la France, de l'Allemagne et du Benelux à la mer
du Nord, et cette dernière à la mer Méditerranée,
par la ligne du Saint-Gothard et par le sillon rhodanien, prolongements
méridionaux de l'axe rhénan.
Le Rhin ne fut d'abord navigable que sur son cours
inférieur, en aval de Coblence, aménagé dès le
XVIIIè siècle (digues, épis...). Au milieu du XIXè
siècle, il acquit une importance croissante due au transport du charbon.
Son aménagement pour la navigation fut entrepris au XIXè
siècle : construction de digues, correction de méandres, dragage
de zones humides, etc. Le Rhin devint alors voie d'eau internationale,
utilisable par des bateaux de 3000 tonnes. Depuis 1986, les grands travaux
d'équipement sont terminés sur le fleuve lui-même, mais la
baisse du niveau d'eau provoquée par les enlèvements de sables et
de graviers et la réduction de la charge solide (sédiments)
transportée par le cours d'eau dus aux aménagements provoquent la
diminution de la profondeur du chenal. La canalisation du Neckar, du Main, de
la Moselle puis de la Sarre (1987), l'achèvement du canal d'Alsace de
Bâle à Strasbourg, la construction du canal de la Marne au Rhin et
du canal Rhin Lippe, la liaison avec le Rhône par la Trouée de
Belfort et la Saône, font du Rhin un véritable bras de mer qui
pénètre sur 800 Km à l'intérieur des terres. Le
trafic empruntant cette voie d'eau a atteint un record historique en 1978 avec
141,5 milliards de tonnes transportées à la frontière
entre l'Allemagne et les Pays-Bas.
Le Rhin est le fleuve le plus intensément
utilisé pour la navigation intérieure dans le monde. Enfin, le
trafic rhénan entre pour une grande part dans les activités des
grands ports de la mer du Nord : Rotterdam (1er port maritime du monde), Anvers
(2e port européen) et Amsterdam auxquels le Rhin est relié soit
directement, soit par l'intermédiaire de canaux ; ces
débouchés maritimes confirment et amplifient son rôle de
fleuve européen. Les navires n'ont cessé de s'agrandir ; de
Coblence à Rotterdam circulent des convois poussés formés
de dix barges déplaçant, ensemble, 12 500 tonnes ! Depuis 1992,
le Rhin est relié au Danube par la liaison Rhin Main Danube.
A l'image du Danube, le Rhin est un fleuve qui traverse
plusieurs pays européens. Toute nuisance aux eaux, du fleuve est
forcément ressentie sur le plan économique, ou purement humain
notamment pour un pays en aval comme la Hollande, qui utilise les eaux du Rhin
à des fins de breuvages et des besoins agricoles, et ce nonobstant la
forte pollution que subit ce fleuve. Pour preuve en 1986, la catastrophe de
Sandoz avait été un véritable électrochoc : le Rhin
était, sinon mort, du moins dans un coma profond.
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On voit au travers de cette lecture strictement, que toute
mauvaise utilisation des eaux du fleuve par l'un de ces 17 états, est
susceptible de menacer la qualité des eaux du fleuve à
l'échelle du bassin tout entier, ce qui n'est pas sans
conséquences sur les intérêts des autres états. En
effet pour l'essentiel, ces états ont besoin de ce fleuve pour des fins
industrielles ou agricoles, qui souvent constituent les épines dorsales
de leurs économies fragiles, d'autant plus que ces pays, pour la plupart
appartiennent plus ou moins au tiers monde. Il est clair dés lors que
toute pollution, peut avoir des impacts graves sur l'évolution des
rapports entre ces divers états.
A la différence peut être des autres
catégories de conflits, où les états vont jusqu'à
prendre les armes pour régler leurs différends à propos de
la ressource Eau ; les conflits de pollutions ne dépasse guére le
stade de tension diplomatique, avec un ton acerbe de revendication allant
jusqu'à une rupture des relations diplomatiques. Cette attitude laisse
la question de la pollution irrésolue ; conscients du fait qu'ils ont
besoin de coopérer, pour résoudre les problèmes de
pollutions qui concernent leurs eaux communes ; les états sont donc
condamnés à se mettre sur la table des négociations pour
trouver une solution à leur mal..
PARAGRAPHE SECOND : CAS PRATIQUES DE CONFLITS
DE DISTRIBUTION RELATIVE OU ABSOLUE
A--Le TIGRE, L'EUPHRATE et Le NIL ; Fleuves de
Toutes Les Discordes
Parler du Tigre de l'Euphrate et du Nil, nous emmène
indubitablement à nous remémorer les brillantes civilisations
Pharaoniques et Mésopotamienne, qui se sont développées
sur les berges de ces magnifiques cours d'eaux. En effet ces fleuves ont vu
naître et grandir des civilisations qui font encore parler d'elles
prés de trois millénaires après leurs émergences.
C'est dire combien ces civilisations, ont été importantes pour
l'histoire de l'humanité.Si ces civilisations ont eu l'aura qui est la
leur, cette aura a déteint sur ces longs et beaux Fleuves qui les ont
vus naître. Fort malheureusement ces fleuves sont de plus en plus
associés, à des situations belliqueuses entre les divers etats
qui les bordent, et ceci pour le contrôle de la précieuse
ressource dont, sont porteuses ces cours d'eaux à savoir :
l'Eau.
En effet aussi bien le Nil, le Tigre que l'Euphrate sont en
proie à des convoitises, qui aboutissent souvent à des conflits
ouverts entre les états, qui leur sont contiguës ou qu'ils
traversent. Cette compétition s'explique par le fait, de la valeur
qu'à désormais l'eau sur les aspirations de développement
de ces divers états, mais aussi et surtout de la dimension qu'elle
acquiert dans ce que les spécialistes appellent : « la
Sécurité Environnementale » Aussi parle t'on souvent en
ce qui concerne ces cours d'Eaux de Fleuves de toutes les Discordes.
En effet le Nil est un fleuve international au débit
contrasté. Il se forme avec la confluence du Nil Blanc qui prend sa
source sur les pentes du Mont Moujoumbiro dans la région des Grands Lacs
de l'Afrique orientale (Burundi, Rwanda) et du Nil Bleu issu du lac Tana
(Ethiopie). Le Nil Bleu fournit 84 % des ressources fluviales.
Le Nil, le fleuve le plus long du monde, parcourt 6671
kilomètres avant de rejoindre la mer Méditerranée. Son
immense bassin qui s'étend sur 2850 000 kilomètres carrés
est partagé entre dix pays : le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie, la
république démocratique du Congo (ex-Zaïre), l'Ouganda, le
Kenya, le Soudan, l'Ethiopie, l'Erythrée, et enfin l'Egypte.
Le cours du Nil traverse trois zones climatiques :
équatoriale, tropicale et désertique qui expliquent entres autres
la répartition inégale de son débit « naturel ».
A son entrée en Egypte, il n'est plus que de 84 milliards de
mètres cube.
On comprend dès lors l'enjeu du problème. Les
trois pays situés en aval du Nil, c'est-à-dire ceux qui sont
dépendants, du fait de leurs prélèvements des pays
riverains localisés en amont, sont également ceux dont la
ressource est la plus faible. Or, pour ces pays au climat semi-aride ou aride,
ce fleuve allogène constitue l'unique ressource. Au rang de ces pays
fortement dépendant du Nil on peut dénombrer qui est la puissance
régionale mais qui du fait de sa position géographique se trouve
dans une situation de dépendance totale du bon vouloir des etats
d'amont.
Et pourtant l'Egypte s'est toujours identifiée au Nil,
ou disons le en plus simple le Nil a toujours été associé
à l'Egypte, ceci se trouve corroboré par le fait que, pour
envisager les problèmes du fleuve il faut partir de ce pays et y
revenir, parce qu'il a été le seul utilisateur des eaux du fleuve
durant quatre millénaires. Aujourd'hui, s'il en reste le principal
usager il n'en a plus le monopole et de plus en plus il en perd le
contrôle, alors que ses besoins en eau ne cessent de croître, ce
qui n'est pas sans conséquence sur ses rapports avec ses voisins.
Le Nil est un fleuve complexe, ne fut-ce que par sa longueur
(6 671 Km) et par la superficie de son bassin versant (2 850 000
km2), deux données qui contrastent avec la
médiocrité de son débit mesuré à Khartoum,
soit 2 500 m3/s. En fait, l'apport moyen annuel évalué
à 84 km3 sur ce même site, peut varier de 34 (1947)
à 120 km3 (1878) selon les années de faible ou forte
hydraulicité. Et comme l'essentiel des débits s'écoule
entre août et novembre avec un maximum marqué correspondant au
mois de septembre, ces écarts se traduisent très vite par des
étiages et des crues également catastrophiques. Ce régime
contrasté dont les débits mensuels moyens mesurés à
Khartoum varient entre 520 m3/s en mai et 8 500 m3 en septembre
tient au fait que l'essentiel des débits se forme sur les hautes terres
éthiopiennes qui, sont soumises à un régime tropical et
alimentent le Nil bleu sans subir de déperdition, alors que le Nil blanc
issu de la zone équatoriale dissipe l'essentiel de ses eaux par
évaporation dans les vastes marais du Bahr el Ghazal, de Kenamuke et de
Machar. Du moins, son maigre débit résiduel joue-t-il un
rôle essentiel dans le maintien de l'écoulement entre les mois de
février et de juin. Dans un bilan établi à
l'échelle du bassin, le fait essentiel, celui qui prête à
de multiples spéculations, est la déperdition de 53
km3 pour un apport théorique annuel de 137 km3, ce
qui ne laisse au final que 84 km3 mesurés à
l'entrée du territoire égyptien. Encore faut-il observer que bien
avant la zone de confluence, la traversée de la zone désertique
se traduit par une constante déperdition de sorte qu'à
l'état naturel, on ne mesurerait que 63 km3 à l'apex
du delta.
Analysé sous cette angle on voit que, le Nil ne peut
pas ne pas être, catalyseur de conflits. En effet la forte
nécessité pour ces pays de subvenir à leurs besoins en
eaux de plus en plus volumineux, imposée par des impératifs de
développement agricole et donc économiques, est un facteur qui ne
facilitent pas une répartition raisonnable des eaux du fleuve.
Voilà toute la problématique du partage des eaux du nil.
Ce problème que pose la gestion des eaux du Nil
défini comme un fleuve international traversant dix États, n'est
apparu que récemment et ceci dans la foulée de l'accession
à la souveraineté internationale des etats de l'aire. La question
centrale étant désormais la position de l'Egypte vis-à-vis
de l'eau du Nil et de son partage.
Aussi bien le problème d'ensemble ne peut-il être
abordé qu'en fonction de sa composante principale, l'Égypte qui
est l'État le plus peuplé, le plus riche - encore que cette
richesse soit toute relative - dans une cohorte de pays pauvres, le plus
important par sa position stratégique qui lui confère le
contrôle du Canal de Suez, celui dont l'armée est la plus
puissante, celui qui utilise les eaux du Nil depuis plus de 4 000 ans et dont
l'existence dépend totalement du fleuve, celui pourtant qui est non pas
l'un des plus pauvres s'agissant de la dotation en eau par habitant, mais celui
dont la position est la plus menacée du fait de sa situation en aval du
bassin et sans autre ressource que les eaux venues d'amont et donc
contrôlées ou du moins contrôlables par d'autres
États. D'où l'acuité du problème des relations
politiques de l'Egypte avec les autres etats du bassin nilotique.
En fait, dans l'imaginaire des Égyptiens, la
représentation du Nil s'arrête aujourd'hui comme autrefois,
à la seconde cataracte, celle d'Assouan, comme si ce qui se passe
à l'amont, terres et hommes n'existait pas ou n'était que de
minime importance. Cette représentation héritée de la
tradition pharaonique et longtemps valable est pourtant devenue caduque
à la fin du XIXe siècle, lorsque les Anglais ont introduit la
culture irriguée du coton au Soudan et prélevé pour le
système d'irrigation de la Djézireh une dotation de 2
km3 portée à 4 km3 en 1929 dans le cadre du
Nile Water Agreement qui laissait à l'Égypte dans
l'état des aménagements réalisés à
l'époque, 48 km3.
À partir de 1956, le Soudan devenu un État
indépendant a développé une politique de mise en valeur
par grandes fermes mécanisées qui couvrent 2 millions d'hectares
en 2002. Si l'intérêt économique de ces fermes n'est pas
évident, elles n'en demandent pas moins de fortes dotations
hydrauliques, d'où un conflit soudano égyptien, résolu
provisoirement par les accords de 1959 conclus sur la base d'un partage annuel
entre 18,5 km3 pour le Soudan et 55,5 km3 pour
l'Égypte. Ces accords conclus entre les deux États d'aval et sans
consultation des Etats d'amont ont été immédiatement
dénoncés et tenus pour nul par ceux-ci. Par ailleurs, le nouveau
partage de l'eau n'a été rendu possible que grâce à
la construction d'ouvrages de stockage et de régulation des eaux
permettant d'accroître les dotations initiales : Owen Falls (Lac
Victoria) et Djebel Aulia sur le Nil blanc, Roseires et Sinnar sur le Nil bleu,
Kashm-el-Djirba sur l'Atbara. Ces ouvrages dont certains ont été
réalisés dans le cadre de l'administration britannique ce qui
facilitait les prises de décision, ont tous été
programmés avec l'accord de l'Égypte sous réserve d'un
accroissement de sa dotation en eau. Il n'en va pas de même pour le
barrage de Hamdab, en cours de réalisation à hauteur de la
quatrième cataracte sur initiative soudanaise, sans accord avec
l'Égypte et destiné à produire de l'énergie. Les
modalités de son exploitation pourraient perturber la gestion du Haut
barrage.
Depuis les accords de 1959, l'Égypte constate qu'elle
utilise plus que sa dotation, soit près de 57 km3, alors que
le Soudan a porté unilatéralement ses prélèvements
à 20 km3. Le conflit potentiel résultant de cet
état de fait rendu possible par quelques années de bonne
hydraulicité, pourrait être réglé par la
récupération des eaux perdues par évaporation dans les
grands marais tropicaux, soit un total théorique de 45 km3
à prélever sur les bassins du Bahr el Djebel (14 km3),
du Bahr el Ghazal (14 km3) et du Sobat-Machar (19 km3).
Ces projets et les volumes qu'ils évoquent alimentent en Égypte
des fantasmes de grandeur, mais leur mise en oeuvre s'avère illusoire.
Sans parler du désastre écologique que représenterait
l'assèchement de marais qui constituent les sites d'hivernage de
l'avifaune européenne, il faut compter avec les implications politiques
de projets comme celui du Jongleï. Il s'agit d'un canal à large
section qui drainerait les eaux perdues dans le Sudd et le Bahr el Ghazal et
les conduirait vers l'aval en recoupant la boucle du Nil entre Bor et Malakal.
Entre autres avantages, cet ouvrage permettrait à des canonnières
venues de Khartoum et du Nord islamiste, de gagner les provinces
chrétiennes et insurgées du Sud tout en mettant la main sur les
gisements pétroliers de ces lointaines régions. C'est pour parer
à cette éventualité que les chrétiens du Sud, sans
doute aidés par les Éthiopiens, ont saboté le chantier
à deux reprises et mis fin à la réalisation du canal.
En tout état de cause, les projets et ouvrages
réalisés dans le cadre des relations entre l'Égypte et le
Soudan n'ont jamais été avalisés par les États
d'amont, notamment l'Éthiopie qui fait valoir non sans raison, que sa
population est passée de 17 à 68 millions d'habitants entre 1950
et 1962, qu'elle passera le cap des 100 millions avant 2025, et que
l'accroissement de sa production vivrière constitue un enjeu vital pour
son avenir immédiat. Or, dans l'état actuel des
aménagements, l'Éthiopie qui fournit 86% des débits
mesurés à Khartoum, n'utilise en l'an 2000 que 0,3% de cette eau
pour arroser moins de 200 000 hectares. Ce constat l'autorise à
concevoir de vastes aménagements portant sur 1,5 M°/ha en aval du
lac Tana. Simultanément, le Soudan et l'Éthiopie s'accorderaient
pour réaliser d'autres aménagements dans le cadre d'une
Organisation pour l'aménagement du Nil bleu sans tenir compte
des intérêts égyptiens. Ces projets soutenus par la Banque
Mondiale et des donateurs parmi lesquels figurent l'Italie et Israël sont
considérés comme autant de casus belli par
l'Égypte qui, pour affirmer sa position, a organisé à
plusieurs reprises des manoeuvres militaires près de la frontière
soudanaise. Il ne semble pas pour autant que l'Éthiopie ait
renoncé à sa politique de grands équipements qui
mobiliseraient à terme de 4 à 8 km3 soustraits au
contrôle des États d'aval. Afin de réduire la tension, la
Banque Mondiale a proposé en 2001, de surseoir à la
réalisation des grands projets et d'aider à l'aménagement,
sur les cours supérieurs - donc éthiopiens - du Nil bleu et de
l'Atbara, de petits réservoirs desservant des périmètres
conçus à l'échelle des villages. Savoir ce que sera la
durée de vie de ces petits réservoirs retenant des eaux boueuses
? Savoir également ce que sera la réaction égyptienne face
à cette politique de grignotage d'une ressource sur laquelle elle
maintient à tort ou à raison ses droits supposés?
L'Éthiopie n'est pas seule en cause, l'augmentation de
la population et le désir de développement économique
amènent ainsi les pays plus en amont à envisager d'exploiter
à une plus grande échelle leurs ressources en eau : la
Tanzanie, notamment, considère la possibilité de pomper
d'importants volumes dans le lac Victoria pour irriguer 250 000 ha sur ses
terres; l'Érythrée qui n'irrigue encore que 28 000 hectares, fait
état de projets utilisant les eaux de l'Atbara ; en Ouganda, le
gouvernement a fait appel à l'aide Israélienne, comme en
Éthiopie, pour mettre en place des projets d'irrigation afin de contrer
les effets de sécheresses si récurrentes dans cette aire. Avec
le temps, les projets de mise en valeur des ressources du Nil se multiplient
chez les pays riverains, au grand désarroi de l'Égypte, qui est
certes la puissance dominante du bassin du Nil, mais aussi le pays le plus en
aval, donc dépendant des décisions des pays d'amont. Force est de
constater, dans les pays des Grands Lacs comme au Soudan et en Éthiopie,
la très petite part des surfaces irriguées dans la surface
agricole totale. On constate une tendance à l'augmentation des surfaces
irriguées dans les pays du sud du bassin du Nil blanc :
Surfaces
irriguées, en milliers d'ha au Sud du Nil Blanc
|
Kenya
|
Tanzanie
|
Ouganda
|
Burundi
|
1980
|
40
|
120
|
6
|
53
|
1985
|
42
|
127
|
9
|
66
|
1990
|
54
|
144
|
9
|
70
|
1995
|
73
|
150
|
9,1
|
74,4
|
1997
|
62
|
440
|
-
|
32
|
1999
|
67
|
157
|
9,1
|
74,4
|
Part dans la surface cultivée en 1999, %
|
1,8
|
2,4
|
0,2
|
9,3
|
Variation moyenne annuelle, 1980-1999
|
2,8%
|
1,4%
|
2,2%
|
1,8%
|
|
|
|
|
|
Sources : FAO Stats, 2001; pour 1997 : P.
Howell et J. Allan (dir.), The Nile, Sharing a scarce resource,
Cambridge University Press, Cambridge, 1994, p.132; Council of Ministers of
Water Affairs of the Nile Basin States, Nile Basin Initiative, Shared
Vision Program : Efficient water efficient water use for use for agricultural
production, Entebbe, mars 2001;
L'Égypte voit avec inquiétude ces projets de
mise en valeur foisonner depuis quelques années.Au total, ce sont
près de 2,9 millions d'ha que les gouvernements des pays d'amont
envisagent d'irriguer à moyen terme, près de 4,5 millions d'ici
10 à 15 ans, à partir de surfaces insignifiantes en 1980 et
encore peu étendues en 1997. De tels projets, en supposant que des
techniques d'irrigation plus efficaces soient introduites,
nécessiteraient environ 25 milliards m.La désormais
célèbre assertion de l'ancien ministre des Affaires
étrangères d'Égypte, Boutros Boutros-Ghali, trouve tout
son sens dans un pareil contexte et à le don de résumer
clairement la position officielle de l'Egypte : « La
sécurité nationale de l'Égypte repose dans les mains des
huit autres pays africains du bassin du Nil », aurait-il
précisé au Congrès américain en 1989. Le Caire est
pourtant, et de loin, le principal utilisateur des eaux du fleuve, alors que
cette eau ne provient pas, pour l'essentiel, de son territoire. Au contraire,
argumentent les éthiopiens, l'essentiel de l'eau du fleuve provient des
hauts plateaux d'Éthiopie qui n'en retire pourtant qu'une faible
partie : il ne serait que juste, selon Addis-Abeba, que la part de
l'Éthiopie augmente quelque peu.Cette revendication éthiopienne a
le don d'exacerber encore d'avantage la relation déjà explosive
entre ces deux états; ce qui amena Boutros Boutros ghali à
affirmer que : « La prochaine guerre dans notre
région sera livrée pour de l'eau » Il faut tout de
même noter que si une guerre devait advenir dans cette région,
elle opposerait à priori les trois etats qui constituent ce qu'on
appelle le bas bassin du Nil, à savoir l'Egypte-le Soudan- et
l'Ethiopie. En effet les relations hydriques sont très tendues au sein
de ce complexe du bas bassin du Nil. L'Égypte, nous l'avons vu,
dépend des eaux du Nil à 97% et utilise déjà
presque toute l'eau que lui apporte le plus long fleuve du monde (en provenance
du Soudan, où le Nil bleu éthiopien s'unifie au cours du Nil
blanc pour ne plus former qu'un seul fleuve). La crainte de voir ses deux
voisins d'amont mettre davantage en valeur les eaux du bassin sur leur
territoire respectif, et d'ainsi réduire la quantité d'eau
traversant les frontières égyptiennes, a incité Le Caire
à concevoir de nombreux projets d'intervention militaire contre
l'Éthiopie (plan AIDA) ou contre le Soudan (plan Crocodile) et à
montrer clairement qu'aucune menace à la sécurité hydrique
égyptienne ne serait tolérée.
Ainsi en 1958, l'Égypte a entrepris une brève
incursion militaire au Soudan. Vers 1985, des raids aériens auraient
été planifiés par Le Caire contre le Soudan du fait de
menaces perçues sur les eaux du Nil. En 1994, le Soudan s'est
proposé de construire un nouveau barrage sur le cours du Nil. De grandes
manoeuvres militaires à la frontière avec le Soudan ont
signifié l'irritation égyptienne quant à l'implication de
Khartoum dans la tentative d'assassinat du président Moubarak, mais
aussi à l'endroit des projets d'aménagement hydrauliques
soudanais. Des incidents de frontière ont en outre opposé les
deux pays en 1998
L'Éthiopie quant à elle, si elle n'a pas
été mise sous pression aussi concrètement et directement
que le Soudan, c'est essentiellement parce qu'à ce jour elle n'a
guère constituée une menace pour la sécurité
hydrique égyptienne : Ceci peut s'expliquer par le fait, que
l'Ethiopie depuis des décennies fait face à des guerres et des
soubresauts internes, et qui l'ont jusqu'ici mis à genoux. Seulement
depuis quelques années , l'Ethiopie semble doucement mais sûrement
sortir de la spirale de conflits qui l'empêchait, jusqu'ici de mettre en
exergue sa capacité d'impulser une économie forte, basée
en premier ressort sur ses ressources naturelles , dont l'eau est l'une des
plus importantes. En effet le Nil bleu prenant ses sources dans ce pays, il est
clair que les autorités de ce pays mettront tout en oeuvre, pour
valoriser cette précieuse ressource, par la mise sur pied de vastes
programmes d'aménagements hydro agricoles. Ce qui à coup sur aura
des conséquences sur les disponibilités hydriques des pays
d'aval, notamment l'Egypte. Les tentatives de mise en valeur et de
détournement des eaux du Nil bleu par l'Ethiopie a toujours
constitué une pomme de discorde entre l'Egypte et l'Ethiopie.En effet le
ton diplomatique entre ces deux pays concernant l'Eau, est extrêmement
belliqueux, particulièrement venant de la partie éthiopienne.Dans
un interview de mai 1997, le premier ministre éthiopien Méles
Zenaoui déclarait que : « Nous nous servirons des
eaux du Nil, qui sont sur notre territoire à notre guise et selon nos
intérêts et capacités du moment ; nous n'irons en
guerre à propos de ces eaux que lorsque des pays d'aval, (notamment
l'Egypte) s'avisaient à vouloir conditionner l'utilisation qu'on fait de
ces eaux. » Cette position est largement admise par l'opinion en
Ethiopie, où l'hebdomadaire privé « Addis
Tribune » a encouragé le gouvernement éthiopien,
à développer tous les projets basés sur les eaux du Nil
Bleu, mais aussi à maintenir en permanence une armée nationale
entraînée et efficiente, pour protéger le pays contre une
éventuelle agression liée à la question des eaux du Nil
bleu. On voit dés lors la tension qui sévit au sein de ce bassin
entre les trois états, qui constituent ce qu'on a appelé :
« le complexe du bas bassin du Nil. »
Le Nil offre le cas exemplaire des difficultés
auxquelles se heurtent les pays pauvres en mal de développement : une
ressource limitée dans son potentiel, des problèmes alimentaires
urgents et même dramatiques dans des pays en voie d'explosion
démographique, des moyens financiers octroyés par des bailleurs
de fonds étrangers, une dépendance très forte
vis-à-vis des techniques importées depuis les pays riches, le
tout induisant des conflits larvés qui pourraient bien devenir des
conflits ouverts.
L'Égypte se situe au coeur de ces tensions multiples :
ce pays est sans doute le seul parmi les États riverains du Nil,
à disposer d'un corps de techniciens de très haut niveau, le seul
également dont la paysannerie est théoriquement rompu aux
techniques de l'irrigation, le seul enfin à disposer d'une armée
qui surclasse celles des autres pays en compétition. Or, qu'en est-il au
terme d'une quarantaine d'années durant lesquelles le pays a fourni un
effort considérable pour maîtriser le fleuve et conquérir
de nouvelles terres ? Les nouveaux rapports entre la terre et les hommes sont
difficilement maîtrisés comme en témoignent le gaspillage
de l'eau et la salinisation des sols ; l'autonomie alimentaire ne sera jamais
acquise ; la dépendance vis-à-vis de l'étranger,
institutions internationales, techniciens de tous ordres ou donateurs arabes
génère des situations difficiles si ce n'est intolérable.
On conçoit de reste la somme des frustrations qui affligent ce pays et
l'incitent à revendiquer, sa longue tradition hydraulique aidant, un
rôle prépondérant dans la gouvernance des eaux. En
dépassant le cadre des données matérielles du
problème, il apparaît enfin qu'aucun des autres pays riverains du
Nil n'entretient avec le fleuve ce lien fusionnel qui est spécifiquement
égyptien. La formule classique aut Nilus aut nihil est toujours valable
et il se pourrait que l'Égypte mette en jeu son existence pour
défendre ce qu'elle considère comme ses droits imprescriptibles.
Aussi alarmistes que puisent paraître les prévisions des
spécialistes, pour l'avenir de la ressource dans cette région, il
est clair que cette région a conscience du fait, que pour utiliser de
manière optimale la ressource commune et permettre à chacun des
ayants droits d'avoir accès à la part qui est sienne sur les eaux
du Nil, il faudra pour eux s'inscrire dans une dynamique de paix et trouver un
terrain d'entente quant à la question des eaux du Nil. Forcément
ils devront réussir là où les etats des bassins du Tigre
et de L'Euphrate ont jusqu'ici échoué ; ils y sont
économiquement et politiquement contraints pour relever les défis
du développement qui à eux se posent ; il est
impérieux pour les etats du Nil de créer une ambiance bassinale,
autre que celle qui sévît dans ceux du Tigre et de l'Euphrate, qui
sont des fleuves jumeaux du Nil.
La situation du bassin mésopotamien est
différente de celle du bassin nilotique puisque la puissance
économique et militaire dominante, le rôle tenu par
l'Égypte dans le cas du Nil, est ici la Turquie, c'est-à-dire
l'État le plus en amont. Conséquemment, bien qu'ils soient en
conflit avec la Turquie, la Syrie et l'Irak ne peuvent sérieusement
prétendre menacer militairement la Turquie. L'Euphrate et le Tigre,
nés en Turquie dans les montagnes arrosées d'Anatolie orientale
et leurs affluents venus de la chaîne du Zagros apportent l'eau et la vie
dans les plateaux et plaines steppiques ou désertiques de Syrie et
d'Irak. Ils permettent l'extension du "Croissant fertile" dans des zones
où règne l'aridité. Dans cette région du
Moyen-Orient, en plein accroissement démographique où la
quête de l'eau a toujours été une préoccupation
majeure, la lutte pour le développement implique un contrôle du
débit des grands fleuves dont les apports sont capricieux, tumultueux,
irréguliers. L'Euphrate, long de 2 700 Km, naît au nord du lac de
Van. En fait, il résulte de la confluence de deux rivières: le
Kara Sou (450 Km) qui prend sa source au mont Kargapazari à 3290 m.
d'altitude et le Murat Sou (650 Km), qui a pour origine le mont Muratbasi
à 3520 m. Après leur confluence, le fleuve dessine une grande
courbe de 420 Km parsemée de gorges et de rapides et
pénètre en Syrie où il s'encaisse légèrement
dans un plateau désertique qu'il parcourt sur 680 km. Il n'y
reçoit, en rive gauche, que deux affluents le Balikh et le Khabour. Puis
il pénètre en territoire irakien qu'il va parcourir sur 1235 Km
et, rapidement, c'est l'entrée dans la plaine mésopotamienne: il
n'est plus alors qu'une artère d'évacuation et ne reçoit
aucun affluent jusqu'à son embouchure dans le golfe Arabo-persique. En
Basse Mésopotamie à partir de Samarra le fleuve se perd dans tout
un réseau de marécages.
Le Tigre long de 1899 Km, prend naissance au sud du lac de Van
coule en Turquie en franchissant comme l'Euphrate toute une série de
gorges. Il ne pénètre pas en Syrie: il est fleuve frontalier sur
44 Km entre la Turquie et la Syrie. Il s'écoule ensuite directement en
Irak où il reçoit en rive gauche de très nombreux
affluents bien alimentés issus des monts Zagros notamment le Grand et le
Petit Zab (392 et 400 Km), l'Adhaïm (230 Km) la Diyala (386 Km). Le Tigre
arrose Bagdad qui n'est qu'à 32 mètres d'altitude alors qu'il lui
reste 550 Km à parcourir. En Basse Mésopotamie, en aval de Kut,
il s'étale en d'immenses marécages avant de rejoindre l'Euphrate
à Garmat Ali.
Les eaux mêlées des deux fleuves constituent sur
170 Km environ le Chatt el Arab qui débouche dans le golfe
Arabo-persique. Le Chatt el Arab reçoit en rive gauche, les eaux
abondantes, tumultueuses et limoneuses du Karun (16 milliards de m3), au
parcours entièrement iranien.
Les régimes des deux fleuves sont très
comparables: ils sont de type pluvionival, marqués par les pluies
méditerranéennes de saison froide et la fonte des neiges des
montagnes du Taurus en Turquie orientale et du Zagros. Partout un étiage
marque la fin de la saison chaude (juillet, septembre), la montée des
eaux se situe en automne et en hiver dès novembre et on enregistre de
très hautes eaux de printemps (fin mars ou avril). Ces données
hydrographiques sont très différentes de celles du Nil: les
hautes eaux sont moins abondantes et surtout ce sont des crues
printanières, trop tardives pour les cultures d'hiver, trop
précoces pour les cultures d'été. D'une façon
générale, il y a déphasage entre les périodes de
hautes et basses eaux et les phases de cultures. Les hautes eaux du printemps
gênent les moissons des céréales (blé et orge) et
les ravagent parfois dans la plaine mésopotamienne. Elles entravent
aussi les travaux agricoles des cultures d'été. Par contre la
période des basses eaux de juillet à novembre correspond à
celle où l'agriculture a le plus grand besoin d'eau.
Les écoulements du Tigre et de l'Euphrate
présentent trois grandes caractéristiques :
ü Leur irrégularité est très forte
et revêt un double aspect.
L'irrégularité est saisonnière. 53 % des
écoulements s'effectuent en trois mois (mars, avril, mai). Les
étiages estivaux sont très prononcés: 300 m3/s pour
l'Euphrate à l'entrée en Irak alors que le débit moyen est
de 830 m3/s et pour le Tigre à Bagdad respectivement 360 m3/s et 1410
m3/s. Inconvénient majeur, ces étiages se placent à la fin
de l'été (août et septembre) alors que les besoins en eau
pour l'agriculture sont encore élevés. A la différence du
Nil, le Tigre et l'Euphrate n'opèrent pas ce miracle d'apporter une eau
étrangère dans le désert au moment où il est le
plus chaud, le plus desséché. L'irrégularité est
aussi interannuelle. Déjà, en amont, en Turquie, le module annuel
peut varier dans le rapport de 1 à 4 aussi bien pour le Tigre que pour
l'Euphrate. Plus en aval, les écarts sont à peine
atténués. Le débit moyen annuel peut varier dans de fortes
proportions. A son entrée en Syrie l'écoulement annuel moyen de
l'Euphrate est de 28 km3 (certains auteurs turcs avancent le chiffre de 31
km3). Au cours des périodes de sécheresse 1958/1962 et 1970/75,
l'écoulement annuel n'a été respectivement que de 15 km3
(49% de l'écoulement moyen) et 16 km3 (62% de l'écoulement
moyen!). Par contre, au cours de l'année humide de 1969 le débit
annuel s'est élevé à 58 km3. A Hit, en Mésopotamie
les deux extrêmes enregistrés sur les rives de l'Euphrate ont
été de 12 km3 en 1930 et 35 en 1941.
Des constatations analogues peuvent être
enregistrées pour le Tigre à Bagdad avec 16 km3 en 1930 et 52 en
1946. En outre, d'une année à l'autre, hautes eaux et
étiages peuvent être décalés. Les hautes eaux
peuvent être avancées dès janvier; en fait, elles peuvent
se placer durant une période de 5 mois. De même, les
étiages peuvent s'étaler jusqu'en décembre.
ü L'ampleur et la brutalité des crues sont
spectaculaires.
Alors que le débit moyen du Tigre est de 1410 m3/s
à Bagdad, le fleuve a enregistré des crues de 13 000 m3/s. La
crue maximale théorique est de 26 000 m3/s après le confluent du
Tigre et de la Diyala. Les crues du Tigre sont particulièrement
redoutables car il peut y avoir simultanéité entre les hautes
eaux du fleuve et celles de ses affluents. Pour l'Euphrate à Hit, ces
valeurs sont respectivement de 775 et 5 200 m3/s. La crue maximale
théorique est estimée à 8 000 m3/s. Ces crues sont
très supérieures aux possibilités d'évacuation des
lits qui ne dépassent pas 2 000 m3/s pour l'Euphrate et 8 000 pour le
Tigre. La gravité de ces crues est renforcée par le fait qu'elles
se produisent dans un véritable delta intérieur où les
chenaux des fleuves sont sujets à des variations constantes et où
il n'existe aucune vallée au sens topographique du terme. Les fleuves
charrient des quantités énormes de matériaux: pour le
Tigre l'alluvionnement annuel est estimé à 50 millions de tonnes.
Nous sommes bien loin des conditions égyptiennes
où une vallée très nettement encaissée guide,
canalise l'écoulement de la crue. Aussi déviations et changements
de cours apparaissent-ils comme la norme. L'insécurité est le lot
des fellah mésopotamiens: les ravages des fleuves peuvent réduire
à néant le travail humain, digues et canaux d'irrigation. On
garde le souvenir de la crue de 1831 du Tigre qui en une nuit emporta Bagdad et
anéantit 7 000 maisons.
ü Le débit décroît de façon
notable d'amont en aval, notamment en Mésopotamie.
A l'entrée en Syrie, le débit annuel moyen de
l'Euphrate est, on l'a vu, de 28 km3. Le débit diminue
légèrement pendant la traversée syrienne, les apports du
Khabour (1,6 milliards de m3/an) et du Balikh (150 millions de m3/an) ne
compensent pas l'évaporation durant la traversée, il n'est que 26
km3 à la frontière irakienne. Il s'affaiblit
considérablement en aval en raison de l'évaporation et de la
difficulté de l'écoulement: il n'est plus que de 14 km3 à
Nasiriya.
Le Tigre, lors de son entrée en Irak, a un débit
annuel de 18 km3 mais, à l'inverse de l'Euphrate, il s'enrichit
considérablement avec les apports des affluents venus du Zagros: Grand
Zab: 13,1 km3, petit Zab: 7,2 km3, Adhaïm, Diyala: 5,4 km3 (Figures 1 et
2). Ces apports marquent très fortement le régime du Tigre: cours
d'eau montagnards à forte pente, ils transportent une très
importante charge alluviale et comptent des crues fréquentes, brutales
et violentes. En aval de Bagdad le débit annuel moyen
s'élève à 46 km3 mais pour les mêmes raisons que
l'Euphrate, il n'est plus que de 7 km3 à Amara en Basse
Mésopotamie et 2,5 km3 à Qalat Saleh.
L'examen de ces données hydrologiques de base fait bien
apparaître la difficulté à mobiliser les eaux.
L'harnachement du Tigre et de l'Euphrate s'impose si l'on veut non seulement se
protéger des inondations mais aussi assurer l'alimentation d'une
population qui pour les trois pays concernés a plus que triplé en
50 ans passant de 29 millions d'habitants en 1950 à 104 millions
d'habitants en 2000. Il est indispensable de mettre en valeur des terres
incultes jusqu'alors faute d'eau. Il est nécessaire de maîtriser
les écoulements, de régulariser les débits si l'on veut
fournir à l'agriculture l'eau nécessaire au moment souhaitable.
Par ailleurs les aménagements hydrauliques ont
progressé de l'aval à l'amont ce qui ne simplifie pas les
rapports entre pays riverains. Les pays d'aval souhaitent que les
aménagements amont les plus récents ne compromettent pas les
réalisations antérieures, bref que leurs "droits acquis" soient
sauvegardés, et ce d'autant plus les réalisations en question ne
sont pas des ouvrages communs aux trois états.
En effet chaque état s'est inscrit dans une dynamique
chauvine d'aménagement de ces deux grands fleuves, sans concertation
aucune avec les autres états du bassin.Chaque état a mis sur pied
des projets gigantesques, pour la maîtrise des eaux de ces capricieux
fleuves, projets qui ont pris des décennies pour se matérialiser.
Et dans cette course à l'aménagement l'Irak a la primauté,
puisque ses efforts d'aménagements sont moins récents, que ceux
de la Syrie ou encore de la Turquie.
L'aménagement hydraulique de la Mésopotamie
remonte à un passé ancien. Sous l'empire arabe abbasside la
maîtrise de l'eau était assurée mais par la suite l'abandon
fut la règle. Ce n'est qu'au début du XXième siècle
que l'on envisage sérieusement de discipliner définitivement le
Tigre et l'Euphrate. La première tentative remonte à la
période ottomane quand, en 1911, la Sublime Porte fait appel à un
expert britannique William Willcocks qui avait acquis une solide
expérience aux Indes et en Égypte. Sous le Mandat britannique, un
département de l'irrigation est créé; les premiers travaux
inspirés des plans de Willcocks sont entrepris. En 1950 le Bureau de
l'équipement qui bénéficie des premiers financements
d'origine pétrolière impulse une réelle dynamique à
l'entreprise. L'Irak moderne tout au long de la deuxième partie du
siècle écoulé n'a cessé de poursuivre et
d'amplifier l'oeuvre ainsi initiée. On peut distinguer trois
périodes dans ce chantier de longue haleine.
Dans un premier temps, entre les deux guerres, des barrages de
dérivation sont édifiés: ils orientent les eaux vers des
canaux d'irrigation. Le barrage d'Hindiya sur l'Euphrate est construit de 1911
à 1913 et modernisé en 1927. Sur le Tigre on réalise le
barrage de Kut de 1937 à 1939 et celui de Muqdadiya sur la Diyala
(Figure 2). De ces barrages partent toute une série de canaux qui
permettent l'extension de l'irrigation. Les progrès de l'occupation du
sol sont rapides: on passe de 1 700 000 hectares irrigués à 3 000
000. Dans cette phase de l'expansion une place capitale est tenue par les
procédés d'irrigation individuels: machines
élévatoires (norias) et surtout les pompes à moteur qui en
1950 ont en grande partie supplanté les engins traditionnels.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le dispositif se
complète: on veut protéger la plaine des inondations. À
partir du barrage de Ramadi (achevé en 1956), les crues de l'Euphrate
sont détournées vers les dépressions naturelles
d'Habbaniyya et d'Abu Dibis dont les capacités de stockage
s'élèvent à 6,7 milliards de m3 (Figure 1) Les eaux du
Tigre sont orientées vers l'immense dépression endoréiques
de l'oued Tharthar (85 milliards de m3) grâce au barrage de Samara (1956)
(Figure 1). Le contrôle des eaux du Tigre et de l'Euphrate est
désormais assuré. La dernière crue destructrice date de
1954.
Dans une nouvelle phase, on cherche à lutter contre
l'irrégularité interannuelle en construisant des barrages de
retenue en dehors de la plaine mésopotamienne soit sur le plateau de la
Djézireh irakien, soit dans les régions montagneuses parcourues
par les affluents de rive gauche du Tigre. Un stockage de 40 milliards de m3
est prévu grâce à 6 barrages qui sont aussi producteurs
d'électricité. Tel est le cas du barrage d'Haditha sur
l'Euphrate, achevé en 1985. Sur le Tigre avait été
construit antérieurement le barrage d'Eski en amont de Mossoul. Dans les
montagnes du Zagros, le long des affluents du Tigre, 5 sites ont
été retenus : 2 sur la Diyala (Muqdadiya, Hamrin, Darbadikhan),
un sur le Grand Zab (Bakhma), un sur le petit Zab (Dukan) Il est bien difficile
de faire le point. Il semble que seuls quatre de ces barrages soient
actuellement achevés. Dans la même perspective, le canal
Tharthar-Euphrate permet depuis 1976 de réutiliser les eaux
accumulées dans le lac Tharthar et de pallier dans une certaine mesure
la faible alimentation de l'Euphrate après les travaux entrepris en
amont en Syrie et en Turquie. L'aménagement des deux grands fleuves du
Moyen-Orient, dans leur partie irakienne, est donc en passe de s'achever.
Près de 90 % des eaux mobilisées sont destinées à
l'agriculture dont les besoins n'ont cessé de croître au rythme de
l'accroissement démographique d'un pays : 4,5 millions d'habitants en
1947, 10 en 1972, 24 actuellement ! 19 milliards de m3 ont été
prélevés en moyenne annuelle pour la période 1940-49, 28
entre 1950 et 1959, 49 actuellement !
Ces deux dernières décennies la Syrie d'abord et
la Turquie ensuite ont entrepris la construction d'importants barrages en amont
sur l'Euphrate qui entraînent des incertitudes sur les
disponibilités en eau dont pourra disposer l'Irak. Le barrage de Tabqa
sur l'Euphrate et l'équipement du Khabour. Opération symbole
à laquelle s'identifie le régime alaouite, la construction du
barrage de Tabqa en Syrie a été conduite de 1968 à 1976
avec l'assistance soviétique. Ce barrage-poids crée une retenue,
le lac Assad, qui couvre 640 km2 et emmagasine 12 milliards de m3. La puissance
installée permet de produire 5,6 TWh, mais l'intérêt
principal du barrage est d'augmenter les superficies irriguées en
Djézireh. Le barrage régulateur al Bath complète le
dispositif tandis que, plus en amont, le barrage de Tichrin (1991) a une
finalité purement énergétique.
L'irrigation en Syrie
Le projet, dont la mise en oeuvre souffre de nombreux retards,
prévoyait l'irrigation de 640 000 ha nouveaux répartis en six
grandes zones, le long de l'Euphrate jusqu'à la frontière
irakienne et le long des deux affluents de rive gauche, le Balikh et le
Khabour. On vise à irriguer 450 000 hectares de terres sèches sur
la steppe et à bonifier le long des rives de l'Euphrate 160 000 hectares
de terres déjà irriguées. Ainsi, les superficies
irriguées syriennes pourraient être doublées. Le
système agricole de la vallée de l'Euphrate pourrait être
intensifié. Les rendements des cultures traditionnelles (blé,
orge et coton) devraient être améliorés, de nouvelles
cultures introduites : plantes fourragères, légumes, riz et
surtout betterave à sucre (AYEB 1998).
Après quinze années d'efforts, le bilan des
réalisations n'est pas à la hauteur des espérances
initiales. L'intensification des systèmes de culture est lente à
venir. La mise sous irrigation se heurte à de très sérieux
problèmes techniques: salinisation des terres due au surpompage, trop
forte concentration de gypse dans le sol, affaissement des canaux d'irrigation,
pertes d'eau d'irrigation en réseau de l'ordre de 50%! 240 000 hectares
sont, en principe, bonifiés mais l'irrigation effective concerne
seulement 100 000 hectares actuellement. L'objectif fixé ne sera
certainement pas réalisé. Les nouveaux colons, qui sont astreints
à un système contraignant de coopératives, se recrutent
avec difficulté: une nouvelle paysannerie a du mal à s'enraciner.
L'aménagement de la haute vallée du Khabour doit
compléter le dispositif mis en place dans la vallée de
l'Euphrate. Le plan vise à l'irrigation à terme de 360 000
hectares (moins de 100 000 le sont actuellement). Il repose sur deux types
d'intervention. D'une part une dizaine de petits barrages et de prises d'eau
ont été réalisés le long des petits affluents de la
section amont du Khabour. La retenue globale pour cet ensemble est de 100
millions de m3. Par ailleurs, l'aménagement de la haute et de la moyenne
vallée du fleuve se poursuit actuellement à une autre
échelle. Trois ouvrages de moyenne capacité sont achevés:
le barrage d'Hassaké-ouest a une capacité de retenue de 91
millions de m3, celui d'Hassaké-est 232 millions de m3 et celui du
Khabour en moyenne vallée a une retenue beaucoup plus importante: 665
millions de m3. Au total c'est plus du milliard de m3 qui sont ou vont
être mobilisés dans cette vallée du Khabour.
Enfin le long du cours frontalier du Tigre, les Syriens
envisagent l'aménagement de stations de pompage pour la fourniture d'eau
potable des villes de la région.
Au total, les infrastructures réalisées au cours
de ces deux dernières décennies par la Syrie le long de
l'Euphrate et de ses affluents autorisent une mobilisation d'au moins 13
milliards de m3. Tout ne sera pas utilisé pour l'irrigation mais
plusieurs milliards de m3 viendront en déduction du débit actuel
de l'Euphrate à son entrée en Irak. En même temps,
symétriquement les Turcs, plus en amont, procèdent à la
mobilisation d'énormes volumes d'eau ce qui ne sera pas sans effet sur
le débit de l'Euphrate à son entrée en Syrie et par voie
de conséquence en Irak. En effet la Turquie a compris que
désormais la valeur acquise par l'eau, dans les rapports internationaux
est fondamentale, et que sa position géographique dans le bassin du
Tigre et de l'Euphrate était pour elle une clef pour ses
velléités hégémoniques dans cette partie du
Moyen-orient, aussi à l'instar de l'Irak et de la Syrie, la Turquie met
sur pied un projet ambitieux d'aménagement et de contrôle des eaux
du Tigre et de l'Euphrate ;ce projet surnommé le
GAP (Güneydogu Anadolu Projesi) L'Euphrate
représente, à lui seul, environ 45% du potentiel
hydroélectrique de la Turquie. A partir d'un aménagement
hydraulique du Tigre et de l'Euphrate, le Programme Régional de
Développement de l'Anatolie du Sud-est vise à un
développement intégré d'une vaste zone de 75 000 km2
incluant 6 départements d'Anatolie orientale peuplés de 6
millions d'habitants. La phase de réalisation est déjà
largement entamée (MEHMETCIK 1997-OLCAY ÜNVER 1997-NAFF & HANNA
2002). Ce projet colossal est illustré à la figure ci
suite :
Le Güneydogu Anadolu Projesi
(GAP)
Sur l'Euphrate, le barrage de Keban -le plus en amont- dont la
retenue est de 30 milliards de m3 est terminé depuis 1974; il fournit
exclusivement de l'électricité (1,2 TWh). Le projet global, en
aval de Keban, est beaucoup plus ambitieux. Une gigantesque opération
hydraulique se décompose en treize sous projets: sept sur l'Euphrate et
ses affluents et six dans le bassin du Tigre. Une dizaine de centrales
hydro-électriques produiront 26 TWh, dont 8,1 pour Atatürk et 7,3
pour Karakaya.
Le barrage Atatürk, la pièce essentielle, (48
milliards de m3, soit deux fois le module moyen annuel du fleuve) est
entré en service en 1992 et, depuis, ont été
achevés d'autres barrages notamment Karakaya.et Birecik sur l'Euphrate,
Ilisu sur le Tigre.
L'eau ainsi mobilisée doit allier la production
d'énergie et l'irrigation. Sur une superficie cultivée de 3 000
000 hectares, 1 700 000 seront irrigués et consommeront 22 milliards de
m3 d'eau/an. A partir de la retenue Atatürk, le tunnel hydraulique le plus
long du Monde permettra l'écoulement de 328 m3/s (le tiers du
débit de l'Euphrate) et l'irrigation de la plaine d'Urfa-Harran. Des
canaux assureront, en outre, un transfert sur plusieurs dizaines de
kilomètres de l'eau nécessaire à l'irrigation des
régions limitrophes de la Syrie et notamment la plaine de
Mardin-Ceylanpinar. Des pompages à partir de retenues le long du Tigre
permettront la conquête de nouvelles superficies irriguées plus
à l'est. Actuellement, la production électrique atteint 16 TWh et
120 000 hectares sont effectivement irrigués et 200 000 prêts
à l'être. Quand tous les projets (22 barrages capables de stocker
110 milliards de m3: 101 sur l'Euphrate, 9 sur le Tigre et 19 centrales) qui
intéressent aussi bien la vallée de l'Euphrate que celle du Tigre
viendront à terme, on estime qu'entre 17 et 34% du débit sera
absorbé. Si tout se passe comme prévu le débit de
l'Euphrate en Syrie devrait être réduit de 11 milliards de m3 et
celui du Tigre de 6. En outre, les risques de pollution en aval sont
prévisibles (NAFF & HANNA 2002). Les eaux usées du GAP vont
se déverser dans la zone où se forme la source du Khabour,
l'affluent syrien de l'Euphrate. On peut deviner la vigueur des
réactions syrienne et irakienne.
La politique gouvernementale en faveur de l'Est s'est
concentrée sur ce projet gigantesque, érigé en
véritable mythe du développement national. Le GAP est pour les
autorités turques conçu comme une solution au sous
développement de la partie kurde du pays et une réponse
économique aux demandes d'autodétermination de ses habitants. Les
effets d'impact sont assez spectaculaires. Le projet, qui inclut le transfert
de la population de plusieurs centaines de villages et de la petite ville de
Samsat, l'antique Samosate, et plusieurs dizaines de chantiers de fouilles
archéologiques de sauvetage, est considérable. Le coût
total est estimé à 32 milliards de $ US, soit le 1/5 du PNB
annuel du pays. On souhaite donc rentabiliser au mieux ces investissements, en
substituant à la céréaliculture extensive une agriculture
irriguée intensive tournée vers les cultures industrielles, en
premier lieu le coton. L'irrigation permettra aussi l'augmentation du rendement
des céréales et des vergers et l'introduction de nouvelles
cultures: soja, maïs, arachide, riz. L'électricité des
barrages doit alimenter de nouvelles usines sur place au lieu d'être
expédiée vers l'Ouest industrialisé. L'amélioration
de l'habitat rural et le développement d'activités touristiques
sont également programmés. Le but de ce plan ambitieux est
d'arrêter le flux d'émigration en fixant la population avec des
activités économiquement efficaces. Son achèvement est
prévu pour 2013.
On devine aisément que tous ces aménagements
viennent perturber le partage traditionnel des eaux entre les trois pays,
déjà ceci préfigure un partage très difficile des
eaux des deux fleuves.En effet Avec la poursuite des aménagements
hydrauliques dans les cours syrien et turc du Tigre et surtout de l'Euphrate,
les relations entre Etats, déjà fort délicates dans cette
partie du Moyen Orient, se compliquent dangereusement. La question du partage
de l'eau se greffe sur les autres questions en suspens (question kurde, non
reconnaissance de certains tracés frontaliers) et contribue
sérieusement à aggraver le contexte géopolitique. Les deux
pays arabes d'aval: la Syrie et l'Irak se trouvent placés dans une
inconfortable position de dépendance à l'égard de la
Turquie (tableau 1). L'Euphrate, le Tigre et ses affluents coulent bien en Irak
mais ils sont alimentés par des précipitations
extérieures: 70% de l'alimentation est turque, 7% iranienne et 23%
seulement irakienne. Cette situation ne posait pas de problème
jusqu'alors dans la mesure où l'Irak était, de fait, le seul
utilisateur. Il n'en est pas de même aujourd'hui avec les
réalisations syriennes et turques.
Répartition de la superficie des bassins et
du volume des débits (en %) entre les pays riverains du Tigre et de
l'Euphrate (Beschomer 1992)
Cette situation n'est pas sans conséquences ;
ainsi on dénombre pas mal de frictions entre non seulement la Turquie et
les deux etats d'aval, à savoir la Syrie et l'Irak, mais
également entre ces deux etats qui se disputent les eaux de
l'Euphrate.Ainsi les crises interétatiques sont légion.
Elles ont été fort nombreuses depuis une
trentaine d'années. Elles opposent évidemment la Turquie aux deux
autres pays arabes. Mais les frères arabes ennemis (Syrie et Irak)
s'opposent aussi violemment entre eux. Les premières discussions entre
États riverains remontent à la décennie 1960. Une
réunion tripartite de 1965 aboutit à un échec.
La construction du barrage de Tabqa a provoqué une vive
réaction de la part de l'Irak d'autant plus, qu'au même moment, la
Turquie mettait en eau le barrage hydroélectrique de Keban. L'Euphrate
fournit en effet 37% des eaux d'irrigation de l'Irak. Le remplissage du lac
Assad priva temporairement l'Irak d'une partie des eaux de l'Euphrate mais les
évaluations des deux pays diffèrent. L'Irak prétendait
n'avoir disposé en 1975 que de 9,4 milliards de m3 (moins du 1/3 du
débit habituel) alors que la Syrie avançait le chiffre de 12,8
milliards de m3 l'équivalent de la consommation annuelle de l'Irak
à l'époque. Devant la détérioration des relations
entre les deux pays une médiation saoudienne fut tentée mais le
projet saoudien de répartition proportionnelle des eaux n'eut jamais de
suite. Il fallut l'intervention soviétique pour que la Syrie accepte de
laisser s'écouler une quantité d'eau supplémentaire.
Pendant la période de sécheresse des années 1980, l'Irak
accusa plusieurs fois la Syrie de retenir les eaux de l'Euphrate. Les tensions
entre la Turquie et ses voisins arabes sont récurrentes. Avec la Syrie,
elles sont les plus fortes. La Turquie établit un lien avec le
problème de l'Oronte. Entre la Turquie et la Syrie il existe, en effet,
un contentieux de fond lié à l'annexion du Sandjak d'Alexandrette
devenu le Hatay turc. En 1939, la France, puissance mandataire en Syrie,
céda le Hatay à la Turquie pour s'assurer sa neutralité
dans le conflit à venir avec l'Allemagne. La Syrie n'a jamais reconnu
cette annexion du Sandjak d'Alexandrette parcouru par la partie aval de
l'Oronte. L'eau de l'Oronte est actuellement, dans la partie amont du fleuve,
mobilisée par la Syrie à plus de 90%. Depuis 1964, la Turquie
propose à la Syrie un accord sur tous les cours d'eau communs aux deux
États, en particulier sur l'Oronte, ce qui reviendrait à une
reconnaissance syrienne indirecte de la souveraineté turque sur
Alexandrette. Damas qui persiste dans sa revendication du Sandjak
d'Alexandrette n'obtient pas de règlement satisfaisant à propos
de l'Euphrate.
Plus récemment la décision unilatérale de
la Turquie d'entreprendre le GAP a été perçue par ses
voisins d'aval comme agressive et indélicate. La construction du barrage
de Keban suscite, en 1972, des protestations officielles de la Syrie non pas
à cause d'une baisse effective du débit (le barrage produit de
l'électricité et doit régulariser le fleuve) mais parce
que la Turquie démontrait qu'elle était capable de
contrôler l'Euphrate en amont. L'affrontement le plus sérieux qui
opposa la Turquie et ses deux voisins eut lieu lors du remplissage du lac de
retenue du barrage Atatürk au début de 1990. La Turquie est
accusée non sans raison de ne pas avoir honoré les engagements
antérieurs (celui de 1987). Il y a eu effectivement rupture de
l'alimentation en eau de l'Euphrate durant le mois de janvier 1990. En Irak,
l'interruption de l'écoulement a conduit à une perte de 15% des
récoltes. Récemment le désaccord a été
manifesté à propos de la construction du barrage de Birecik
(figure 4)
L' " arrangement " de 1987
Il n'existe aucun traité tripartite sur l'exploitation
et la répartition des eaux entre les États riverains du bassin du
Tigre et de l'Euphrate. Le traité de Lausanne de 1923 contenait une
clause stipulant que la Turquie devait consulter l'Irak avant d'entreprendre
des travaux hydrauliques. En 1962, la Syrie et l'Irak créèrent
une commission mixte mais son rôle resta limité du fait de
l'absence de travaux hydrauliques importants. Vers 1972/73 les deux mêmes
pays firent des tentatives infructueuses pour négocier un accord sur
l'Euphrate. L'imprécision du droit international en ce domaine ne
facilite pas les choses.
Le seul arrangement consenti par la Turquie, en 1987, est un
accord bilatéral avec la Syrie portant sur les quotas, la Syrie
reçoit 500 m3/s (soit 15,75 milliards de m3-an) alors que le
débit naturel de l'Euphrate à l'entrée en Turquie est de
28 milliards de m3-an. Un autre accord bilatéral syro irakien (avril
1990) prévoit une répartition proportionnelle des eaux de
l'Euphrate entre les deux pays (42% pour la Syrie, 58% pour l'Irak) quel que
soit le débit du fleuve soit en année "normale" 6,6 milliards de
m3 pour la Syrie et 9 pour l'Irak.
Toutefois les crises ont été nombreuses entre
les trois pays concernés que ce soit avant ou après la signature
de ces accords.
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