4.4. Le développement rural de Jean Rabel dans une
perspective de développement global et national
A Jean Rabel, comme dans toutes les communes
de la République d'Haïti, le monde rural demeure le principal
réservoir de pauvreté. En effet, les ruraux pauvres
représentent plus de trois quarts de la population totale de la commune,
et 82% de la population nationale. Il s'ensuit que la pauvreté est un
phénomène essentiellement rural tant qu'au niveau de la commune
qu'au niveau national. C'est pourquoi le développement rural de Jean
Rabel se révèle fondamental à la concrétisation du
bien-être national. Alors, qu'est-ce qui mérite d'être
fait?
A la lumière des analyses présentées
ci-dessus, il est possible d'indiquer les éléments fondamentaux
d'une politique de développement rural pour la commune dans une
perspective de développement global et national:
a) Le développement rural de Jean Rabel ne peut
être réalisé sans l'engagement de l'Etat. Cela s'explique
surtout par les apports en crédit, en assistance technique, en
irrigation, en voies de communication ainsi qu'en infrastructure de production
et de commercialisation.
Aujourd'hui, après plusieurs années
d'instabilité politique, d'isolement international et de chaos
économique, le secteur privé ne réunit pas les moyens
nécessaires pour mettre en branle le processus de développement
rural. Les ONGs ou les associations communautaires sont en train de pallier
à des failles de l'Etat, mais elles n'ont pas encore les structures
suffisantes (peu de resources, manque de coordination entre elles, etc.) pour
réaliser le développement rural tant espéré. Alors,
il revient à l'Etat de prendre en main sa responsabilité
constitutionnelle et de recourir aux emprunts internationaux ou à
d'autres moyens légaux de collecte de fonds pour se doter en ressources
matérielles et humaines que nécessite la relance
économique du monde rural.
Aussi, des instruments plus adéquats - non seulement de
type juridique et répressif - doivent être utilisés pour
combattre la corruption des fonctionnaires de l'Etat et plus
particulièrement ceux qui sont en charge du recouvrement des recettes
fiscales (douanières, impôts) et non fiscales afin que cela ne
fausse pas les investissements dans les infrastructures du développement
et ne réduit pas le potentiel d'intervention social de l'Etat.
b) L'engagement de l'Etat ne peut être efficient et
efficace sans l'élimination des structures injustes et une bonne
répartition des services sociaux de base. Dans le monde rural, il existe
un profond dualisme qui se manifeste principalement à travers
l'accès aux ressources et aux services sociaux de base. Ce sont surtout
les grands propriétaires qui bénéficient des projets
d'irrigation et de reboisement. Les programmes de crédit laissent de
côté les petits propriétaires et les salariés
agricoles. Plusieurs interventions réalisées dans le monde rural
n'ont pas réussi à enclencher un processus de
développement auto-soutenu parce qu'elles ont négligé les
problèmes structurels.
Parallèlement, la mauvaise répartition des
services sociaux de base contribue grandement en l'appauvrissement des paysans.
Pourtant, une bonne répartition et une bonne qualité des services
sociaux de base sont les meilleurs moyens d'améliorer la
productivité économique et le bien-être des familles.
La constitution en elle-même, par le fait qu'elle
recommande la réforme agraire, l'accès à une
éducation de base et à la santé, indique
déjà le chemin à suivre pour combattre les structures d'un
tel dualisme. Il est vrai que, dans les années soixante et soixante-dix,
de multiples erreurs ont été commises dans les politiques de
réforme agraire appliquées en Amérique Latine.
Heureusement, il existe aujourd'hui des instruments conceptuels et
méthodologiques qui permettent de les éviter. L'essentiel est de
savoir faire preuve de discernement et de volonté politique.
c) L'élimination des structures injustes et une bonne
répartition des services sociaux de base ne peuvent réduire la
pauvreté rurale si elles ne sont pas accompagnées d'une politique
de développement agricole. Il ne suffit pas de favoriser un meilleur
accès aux ressources et aux services sociaux de base. Il est
nécessaire de les améliorer de façon à garantir une
croissance soutenue de l'agriculture qui est la principale activité des
paysans.
La croissance rapide de l'agriculture peut être
engendrée de différentes manières. Elle peut provenir de
l'expansion des superficies cultivées. Elle peut aussi résulter
de l'utilisation efficace de technologies. Dans le cas de Jean Rabel, la
deuxième option serait la meilleure. Même ainsi, on devrait
choisir le type de technologies à utiliser. Les techniques qui
augmentent la productivité de la terre serait à court et moyen
terme les plus adéquates. L'essentiel est de déployer des efforts
pour mettre en place des systèmes de production rentables en combinant
des connaissances traditionnelles avec des innovations scientifiques
modernes.
On ne peut pas laisser les investissements des agriculteurs
et des éleveurs totalement exposés aux caprices de la nature. Par
exemple, il est nécessaire d'avoir des variétés de plantes
et des races d'animaux plus résistantes à des maladies
rencontrées dans la commune. A ce niveau, la raison de l'engagement de
l'Etat est de rendre le secteur primaire plus flexible, c'est-à-dire
plus âpte à répondre aux signaux des prix. Pour atteindre
une telle flexibilité, l'agriculture ne doit plus être
considérée comme une source d'excédent à être
transféré au secteur urbano-industriel. Elle doit avoir à
sa disposition une grande partie de la valeur ajoutée qu'elle produit
(MELLOR, 1995).
En ce qui a trait aux activités à entreprendre,
la priorité est à accorder à la production d'aliments.
Cela s'explique en partie par le fait qu'il est nécessaire de
réduire dans l'immédiat la vulnérabilité
alimentaire des ruraux. En plus de cela, il est indispensable
d'économiser des devises qui seraient destinées à
l'importation d'aliments d'autant plus que les perspectives d'obtention de
celles-ci à court et moyen terme sont très modestes.
Il y a deux autres points importants mais qui, à Jean
Rabel, sont toujours oubliés dans les programmes de développement
rural. D'abord, la localisation de chaque activité agricole est à
déterminer essentiellement en fonction de la vocation des terres. C'est
en quelque sorte anormal de voir les plaines largement couvertes d'arbres alors
que les montagnes sont presque totalement dénudées et
livrées à des cultures sarclées. En suite, une politique
de prix alimentaires est à envisager. Elle doit être
définie de manière à prendre en compte non seulement
l'allocation de meilleures incitations aux producteurs mais aussi
l'amélioration de l'accès des consommateurs aux aliments.
c) Et, en dernier lieu, le développement agricole ne
peut être garanti s'il n'est pas poursuivi dans le cadre d'une politique
macro-économique bien structurée. Un contexte
macro-économique inadéquat résulterait en l'échec
de la meilleure politique de développement agricole. Pour atteindre des
objectifs de croissance soutenue en agriculture, il est nécessaire de
définir et d'appliquer des mesures à effets globaux et nationaux
(voire internationaux).
Les politiques budgétaires, fiscales et
monétaires ainsi que les taux de change, les taux
d'intérêts et le niveau des salaires ont une influence
considérable sur le secteur agricole. Un manque d'attention
budgétaire envers l'agriculture peut être fatal notamment à
la mise en place d'infrastructures nécessaires à la production ou
à la commercialisation d'aliments. Une forte taxation de
l'économie peut décourager les producteurs. Les taux de change
font varier significativement les importations de certains facteurs de
production. Les taux d'intérêt conditionnent amplement la
décision du producteur de consentir un emprunt. Le niveau des salaires
est un déterminant évident de la disponibilité d'emplois
et de la variation des revenus (TIMMER et al., 1986).
Aujourd'hui, il est impératif de gagner la confiance
des investisseurs petits ou grands afin qu'ils n'hésitent plus à
entreprendre des activités tant dans l'agriculture que dans d'autres
secteurs de l'économie. Pour concevoir et mettre en application une
politique de développement rural propre à atteindre un tel
objectif, on ne peut pas négliger les variables
macro-économiques.
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