Les institutions démocratiques( Télécharger le fichier original )par H B Université de Clermont- ferrand - Maitrise 2008 |
1-4 REPRESENTATION ET SENS DES POUVOIRS
Maintenant, on sait que l'institution se présente comme un ensemble de tâches, règle de conduite entre les personnes, Il va falloir ensuite aborder la notion de la représentativité de différents pouvoirs que constituent les institutions. Il va falloir d'abord définir la notion de représentation qui trouve toute sa pertinence et son utilité dans le constat suivant, largement admis dans la pensée moderne depuis la philosophie des Lumières : notre rapport au réel est nécessairement subordonné à l'ensemble de ses manifestations apparentes, (les phénomènes), et un ensemble d'instruments de portée cognitive qui nous permettent de l'appréhender et d'agir sur lui. La représentation, conçue come une entité matérielle ou idéelle, qui donne forme et contenu à une entité postulée dans le réel, répond à cette nécessité. Sa pertinence s'évalue à sa capacité à constituer un modèle efficace du réel qu'elle représente. Durkheim a aussi défini la représentation, selon lui : - « qu'elle est individuelle ou collective. Une représentation collective est le produit d'un consensus social relatif à la forme et au contenu à donner à une entité considérée comme pertinente pour le collectif social correspondant, une représentation est individuelle quand elle ne vaut que pour un sujet unique, mais aussi quand, de nature collective et partagée, elle est incorporée par un individu qui appartient au collectif correspondant »*. En effet, la représentation d'un pouvoir peut avoir un autre sens à savoir dans l'introduction au Portrait du roi, L. Marin écrivait que : - « représentation et pouvoir sont de même nature »*. Que dit-on lorsque l'on dit pouvoir ? Pouvoir :- « c'est d'abord être en état d'exercer une action sur quelque chose ou quelqu'un non pas agir ou faire, mais en avoir la puissance, avoir cette force de faire ou d'agir. Le pouvoir est également et de surcroît valorisation de cette puissance comme contrainte obligatoire, génératrice de devoirs comme loi ; et c'est à partir de là qu'on touche le pouvoir qui légifère les lois en l'occurrence le pouvoir exécutif. En ce sens, pouvoir, c'est instituer comme loi la puissance elle-même conçue comme possibilité et capacité de force. Et c'est ici que la représentation joue son rôle en ce qu'elle est à la fois le moyen de la puissance et sa fondation. Le dispositif représentatif opère la transformation de la force en puissance, de la force en pouvoir, et cela deux fois, d'une part en modalisant la force en puissance et d'autre part en valorisant la puissance en état légitime et obligatoire, en la justifiant »**. ____________________________ *Émile DURKHIEM, dans son oeuvre, Discours de la méthode, *Ansaldi SAVERIO, image, pouvoir, représentation, Multitudes, 1995 **Encyclopédie libre Dans ces pages, Louis Marin nous livre une conception de la représentation et du pouvoir à l'âge classique à laquelle il est resté fidèle tout au long de son parcours philosophique : - « Le pouvoir, c'est la tension à l'absolu de la représentation infinie de la force, le désir de l'absolu du pouvoir. Dès lors, la représentation, (dont le pouvoir est l'effet), est à la fois l'accomplissement imaginaire de ce désir et son accomplissement réel différé. Dans la représentation qu'est pouvoir, dans le pouvoir qu'est représentation, le réel - si l'on entend par réel l'accomplissement toujours différé de ce désir - n'est autre que l'image fantastique dans laquelle le pouvoir se contemplerait absolu »**. Le pouvoir, tel que l'âge moderne l'a conçu, est l'exercice même de la puissance, son extériorisation visible, son action et sa manifestation; le pouvoir est ce qui donne une forme et une image à la puissance, ce qui lui permet de devenir un modèle et de s'exprimer à l'intérieur d'un cadre bien précis et d'un appareil bien défini: - Or l'État, l'institution de sa puissance, sa fondation, se fait à partir de la représentation, qui agit comme un véritable moyen de transformation de la puissance : à travers l'action de la représentation, la puissance s'accomplit dans le réel - comme source inépuisable pour l'action du pouvoir. C'est à ce moment-là que la représentation et le pouvoir, voire même le sens qu'on en donne, deviennent de la même nature, dans le sens où le pouvoir - comme image et visibilité de la puissance - est désormais l'effet de la représentation, et celle-ci, de sa part, opère en tant que signe et forme de l'exercice du pouvoir. Et ce pouvoir ne peut exister et se reproduire qu'en étant absolu ou qu'en étant la représentation imagée du monarque comme sujet du pouvoir. Le pouvoir absolu du monarque devient totalement réel et efficace dans les signes et les images qui le représentent : - « le roi n'est vraiment roi, c'est-à-dire monarque, que dans des images. Elles sont sa présence réelle ; c'est- à- dire une croyance dans l'efficacité et l'opérativité de ses iconiques est obligatoire ; sinon le monarque se vide de toute sa substance par défaut de transsubstantation et il n'en reste plus que le simulacre ; mais, à l'inverse, parce que ses signes sont la réalité royale, l'être et la substance du prince, cette croyance est nécessairement exigée par les signes eux-mêmes. Son défaut est à la fois hérésie et sacrilège, erreur et crime » (22). Cela signifie que nous pouvons lire et interpréter les signes de l'autorité royale ou autres autorités du pouvoir comme des images mêmes du pouvoir, comme des figures qui se donnent à voir dans la représentation qui les reproduit. :-« La représentation comme pouvoir, le pouvoir comme représentation sont l'un et l'autre un sacrement dans l'image et un - monument - dans le langage, où, échangeant leurs effets, le regard ébloui et la lecture admirative consomment le corps éclatant du monarque, l'un en récitant son histoire dans son portrait, l'autre en contemplant une de ses perfections dans le récit qui en éternise la manifestation » (23). ___________________________ ** MARIN Louis, Le Portrait du roi, Paris, Minuit, 1981, 22*ROUGE Bertrand, Citer l'Autre, dans un chapitre intitulé,'' Citation, autorité, pouvoir''. Livre écrit par Marie Dominique Popelard, et Anthony John Wall 23 *Ibid. P 74
Dans cet esprit de représentation du pouvoir, beaucoup de penseurs autant issus de l'époque des Lumières que de l'époque contemporaine, ont donné un sens à ces pouvoirs tant convoités par les uns et exercés par les autres. Alors, il va falloir situer qui fait quoi et comment il le fait et ce, à travers les âges : dans la séparation des pouvoirs et la classification classique des régimes politiques, on constate que l'un des grands bouleversements qu'aura apporté Montesquieu est d'avoir permis d'inverser les modèles de classification des régimes politiques antérieurs. Pour la pensée grecque, depuis l'Antiquité, on formulait des modèles qui se distinguaient selon les gouvernants. C'était notamment le cas de Platon et de son disciple Aristote. Pour Platon (24) chacune des formes de pouvoir politique citées ci-dessous, secrète en son sein une catégorie d'hommes qui va porter en elle son renversement et le passage à la forme suivante :
En effet, Platon (25) assigne deux causes essentielles au processus de dégénérescence qui provoque le passage à la démocratie : -La perte de la culture, -La perte de la vertu civique, l'une et l'autre nécessaires, à la formation d'une élite légitime apte au commandement La notion de fondement du régime sera reprise très souvent par la suite, en particulier par Montesquieu. La force politique de la démocratie athénienne, souligne Aristote, réside dans le fait qu'elle repose sur une égalité des citoyens qui se manifeste par : tous, excepté ceux qui sont exclus, ont le droit à la parole, et le droit à la participation de façon égale. _____________________________ 24 * Bruno BERNARDI, La démocratie, Edition Flammarion, Paris, 1999, p.58 25 *Ibid., p 58 et les suivantes
Aristote classe les régimes selon leur valeur idéale, même si en pratique, le meilleur gouvernement reste celui qui est le plus adapté à la Cité, (Aristote mélange donc l'idéalisme et le réalisme). Ainsi, il vaut mieux une forme juste de gouvernement qu'une forme pervertie ; de plus il vaut également mieux que le plus grand nombre de personnes prenne part au gouvernement, (en résumé : république, (politeia), > aristocratie, monarchie, démocratie, oligarchie, tyrannie). Pour Aristote, les formes de gouvernement sont perverties lorsque les gouvernants cherchent leur propres intérêt plutôt qu'à bien gouverner la Cité. Ainsi, parmi les formes justes de gouvernement (la constitution droite), la meilleure est la république et la moins bonne la monarchie ; parallèlement, le moins perverti des régimes injustes est la démocratie tandis que le pire est la tyrannie. Néanmoins, si le meilleur des régimes reste la politeia, (république), celui-ci ne peut être réalisé qu'en pratique, l'exercice du pouvoir est soustrait intégralement à l'indéterminé, à l'imprévisible** et donc ne peut se trouver que sous sa forme pervertie de la démocratie ; l'aristocratie, puis la monarchie, formes justes de gouvernement, sont donc préférables à cette dernière. Le modèle typique antique fut simplifié par Thomas Hobbes, ( 1588- 1679) : - « La différence qui existe entre les Républiques [gouvernements] repose sur celle qui se trouve entre leurs souverains » (26). Il en résulte une classification tripartite entre : - La monarchie : c'est le gouvernement d'un seul. L'aristocratie, c'est le gouvernement de plusieurs : -« C'est l'assemblée d'une partie seulement de l'ensemble »*; la démocratie, (qu'il appelle également république populaire), un régime populaire sui se traduit par le gouvernement de tous : - « C'est l'assemblée de tous qui voudront part à la réunion »*. Quant à la classification des régimes selon Hobbes, on trouve :
26 * HOBBES Thomas, Léviathan, **Aristote, Les politiques, IV, 1,1289a, 12-17 *Une typologie développée par Aristote au chapitre IV du livre IV, fondée sur l'organisation des pouvoirs Selon Montesquieu, la classification de ces régimes, selon les gouvernés, va essayer de présenter une nouvelle classification des régimes politiques. Faisant, il va être amené à prendre comme point de départ les gouvernés. Plus précisément, son modèle de classification répond à la question : les gouvernés peuvent-ils jouir de leurs libertés ? Son modèle est donc le suivant : c'est le despotisme, (on dirait aujourd'hui une dictature), où il n'y a pas de séparation des pouvoirs ; donc pas de liberté. Ensuite, la monarchie se définit comme la séparation limitée des pouvoirs, mais avec des garde-fous, (le respect des lois fondamentales assuré par l'existence de corps intermédiaires, en particulier la noblesse). Enfin, la république signifie la séparation des pouvoirs la plus importante, qui peut être de deux ordres : aristocratique, (on dirait aujourd'hui oligarchique) et démocratique. On voit tout de même l'influence des typologies antiques, notamment celles de Platon et Aristote, dans la classification de Montesquieu. La sous-distinction entre république aristocratique et république démocratique repose essentiellement sur les gouvernants. En outre, il associe, comme ces deux précédents auteurs, les régimes à un principe :
Pour Montesquieu, peu importe le régime choisi tant que ce n'est pas le despotisme. Cependant, la république a des risques de dérive en raison de la démagogie ; c'est donc un régime à éviter. De plus, se reposer sur la vertu de tous est en fait une quasi- utopie. D'une part, la monarchie risque toujours, en raison de la simple distribution des pouvoirs entre législatif et exécutif, (pas de séparation des pouvoirs), de dériver vers le despotisme. Pour éviter cela, il faut que la monarchie soit modérée. Cette modération s'opère par la présence d'intermédiaires ayant une troisième puissance, la puissance judiciaire, indépendante des deux autres (exécutive / législative). D'autre part, La monarchie modérée est donc pour lui le meilleur des régimes. Par conséquent, Montesquieu ne préconise pas une séparation des pouvoirs totale mais une séparation des pouvoirs limitée, (que la doctrine qualifiera par la suite de séparation des pouvoirs souple). Néanmoins, avec l'évolution des régimes, on ne peut plus aujourd'hui garder cette classification : on peut difficilement classer dans un même régime les monarchies telles que le Royaume-Uni, où le roi est effacé et les monarchies comme le Maroc, où le roi au contraire, est de fait à la tête de l'exécutif. Cependant, on a gardé de cette classification de Montesquieu la distinction entre les régimes de séparation des pouvoirs, (connotation positive) et les régimes de confusion des pouvoirs, (connotation négative). Weber fait une synthèse des deux précédentes classifications. Le sociologue Max Weber ( 1864- 1920) indique que dans toute science humaine, il y a nécessairement intervention humaine, donc une part d'irrationnel. Cependant, il est possible de déterminer certains schémas, qu'il nomme " idéal type", qui sont une simplification du réel et ne permettent pas de tout comprendre. Mais classer des régimes politiques, ce n'est donc pas seulement les comprendre, mais il existe toujours une part de jugement de valeur. En particulier, chez Montesquieu, un mauvais régime sera celui où il n'y aura pas de séparation des pouvoirs. Toute la pensée constitutionnelle du XXe siècle sera fondée sur ce postulat qu'un bon régime politique est un régime assurant une séparation équilibrée des pouvoirs. Pour Max Weber, en 1894, la classification des régimes répond à deux questions : d'abord qui gouverne ? C'est là justement qu'intervient l' idéal- type : pour savoir qui gouverne, il s'agit de déterminer comment une personne peut arriver au pouvoir, (de quelle façon est transmise l' autorité), (27). Weber souligne qu'il existe l'Autorité coutumière ou traditionnelle, il suppose que :- « la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l'autorité par ces moyens » (28). Ce sont en particulier les rois qui constituent une autorité charismatique. Celle-ci repose sur :- « la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne, ou encore émanant d'ordres révélés ou émis par celle-ci », (29). Il s'agit d'une personnalité qui fascine : son pouvoir est alors transmis à ses héritiers, mais de façon dégradée, car il y a routinisation, (système naturellement entropique, sans incertitude). Ce peut être des dictateurs, des prophètes ou des sages qui forment une autorité légale-rationnelle : - « la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens», (30). Ce sont les régimes politiques contemporains, dans lesquels l'autorité arrive au pouvoir par des mécanismes de droit perçus comme justes, (élection), ce qui permet aux élus d'avoir de l'autorité, c'est-à-dire le pouvoir de légiférer des lois qui soient considérées par tous comme justes et qui sont donc respectées. De quelle manière est aménagé le pouvoir ? C'est-à-dire qui est celui qui a le véritable pouvoir et quels sont les rapports qu'il a avec les autres pouvoirs. Le problème est que souvent ces deux questions sont confondues, alors qu'elles répondent à deux logiques différentes. _________________________ 27 * Max WEBER, Économie et société, tomes 1 et 2, Plon, 1921, (publication posthume), p.289 et les suivantes 28 *Ibid. 29 *Ibid. 30 *Ibid. Ainsi, la classification des régimes selon Weber qui apparaît ci-dessous et qui suscite deux questions : qui gouverne, et de quelle manière est aménagé le pouvoir ? Régime parlementaire Parlement Chef du gouvernement Régime présidentiel Président Parlement
Compte tenu des deux régimes de séparation des pouvoirs qui sont parlementaires ou présidentiels, on peut constater que la conception de Sieyès est relativement différente de celle de Montesquieu sur ce propos. D'après Sieyès, on va considérer que la forme de distinction des pouvoirs de Montesquieu était une forme de séparation souple, à l'opposé d'une séparation des pouvoirs stricte ou rigide, qui qualifiait la séparation présentée par Sieyès. Cette différence entre les deux se traduit dans les régimes politiques par une différence entre : d'une part, les régimes parlementaires où il y a interdépendance des pouvoirs, (moyens d'action réciproques que sont la dissolution de l'assemblée et la responsabilité du gouvernement devant le parlement) et collaboration dans les fonctions, (les pouvoirs se partagent toutes les fonctions). Et d'autre part, les régimes présidentiels où il y a indépendance des pouvoirs, (pas de moyens d'action réciproques) et spécialisation des fonctions, (monopole d'un pouvoir sur une fonction). Régime parlementaire Régime présidentiel Interdépendance Indépendance Collaboration Spécialisation Néanmoins, cette distinction classique est imparfaite, puisque certains régimes ne peuvent être classés avec ces seuls critères, en particulier à cause de l'évolution des régimes. D'autre catégories sont alors venues se rajouter au couple régime présidentiel / régime parlementaire, mais ces catégories sont également critiquables. Alors qu'au départ, une multitude de critères jouaient pour la distinction entre régimes présidentiels et régimes parlementaires, (correspondant respectivement à une séparation stricte ou souple des pouvoirs), on n'en retient aujourd'hui généralement plus que deux : l'absence ou la présence de moyens de révocabilité mutuels, que sont le droit de dissolution, (du parlement ou d'une de ses chambres) exercé par l'exécutif et la responsabilité gouvernementale, (devant le parlement); c'est-à-dire que l'on ne prend plus en compte que le seul critère de l'indépendance ou interdépendance des pouvoirs.
Ceux qui sont pour le renforcement du gouvernement dont Robert Walpole, estiment qu'il est légitime qu'ils aient un soutien au parlement et vont prôner un régime parlementaire avec séparation des pouvoirs souple. Selon lui, même s'il y a de la corruption, celle-ci n'est pas criminelle. De plus, elle a un énorme avantage : elle permet de donner de l'élasticité ou de la souplesse à la séparation des pouvoirs, car les positions des trois organes du king in parlement,( c'est une formation politique de la curia regis), sont harmonisées : le roi, accompagné de quelques juges conseillers, (qui deviendront plus tard le cabinet) : ce sont les représentants de la noblesse, (chambre haute du parlement), les représentants du peuple, (chambre basse). Par la suite, le gouvernement lui-même deviendra un facteur d'assouplissement, car le cabinet sera conçu comme l'intermédiaire entre la couronne et le parlement. Ce sera la position adoptée par la Grande-Bretagne. Ceux qui sont contre la corruption des parlementaires par la couronne vont adopter une position de séparation des pouvoirs stricte, d'où va résulter le régime présidentiel américain. Elle sera défendue notamment par Henri Saint Jean de Bolingbroke ( 1678- 1751), parlementaire opposé à Walpole. Il donne une valeur constitutionnelle, (donc s'imposant aux différentes institutions étatiques, en particulier le roi), au principe d'indépendance mutuelle des pouvoirs, ( couronne, chambre des communes et chambre des lords). La couronne, par la corruption, devient un danger pour le principe d'indépendance mutuelle des pouvoirs. Si elle réussissait à obtenir un soutien parlementaire, il y aurait un risque de retour à l'absolutisme, (qui a déjà provoqué deux révolutions). Le roi pourrait alors faire adopter toutes les lois qu'il souhaiterait, même à l'encontre de la liberté des sujets. Henri Saint Jean de Bolingbroke* en particulier, développe une théorie selon laquelle, les parlementaires corrompus, au lieu de préserver le principe de représentation du peuple qui est à leur charge en matière de vote de tout nouvel impôt, vont augmenter ceux-ci, car il leur est favorable de faire prévaloir les intérêts de la couronne qui les corrompt, étant donné que la couronne a plus d'argent, et que cet argent leur revient lorsqu'elle les paye pour les corrompre. Cette théorie, qui ne sera pas appliquée au Royaume-Uni, sera pourtant reprise par les colons des États-Unis, où la majorité des contestataires partirent. Dans les régimes parlementaires incluant la séparation souple des pouvoirs, on constate que les pouvoirs ont des moyens d'actions les uns sur les autres, (système de poids et contrepoids), notamment la possibilité pour l'exécutif de dissoudre le parlement, qui est la contrepartie de la responsabilité du gouvernement devant le parlement. On note le critère d'interdépendance, qui est le critère principal d'un régime parlementaire et qui à son tour possède des moyens d'action réciproques entre l'exécutif et le législatif. Ainsi, ils ont (le gouvernement et le parlement) des possibilités de révocabilité mutuelle, que la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement devant le parlement illustre parfaitement, (ce mécanisme de mise en jeu de la responsabilité permet au législatif de s'opposer à l'exécutif et à sa politique en le renversant). Cette mise en jeu peut se faire à l'initiative du législatif comme la rédaction d'une m otion de censure contre l'exécutif, (vote censurant le gouvernement par une majorité renforcée).Par ailleurs, la question de confiance signifie que, le législatif répond à la question en lui signifiant la défiance, auquel cas le gouvernement démissionne, ou en le soutenant, auquel cas le gouvernement est conforté. En revanche, la mise en oeuvre du droit de dissolution, que l'exécutif remet en cause le législatif en procédant à la dissolution d'une chambre ou de l'ensemble du parlement. Le peuple joue alors le rôle d'arbitre entre les pouvoirs :Soit il réélit la même chambre, (par exemple, au début de la IIIe république après la dissolution de la chambre par McMahon, celui-ci dut se soumettre face à une chambre de même bord); soit il soutient l'exécutif en changeant le bord politique de l'assemblée, (par exemple, les dissolutions de 1981 et de 1988 par le Président de gauche nouvellement élu François Mitterrand). Ces moyens permettent de résoudre une crise institutionnelle, (sans passer par la violence d'un coup d'État), contrairement au régime présidentiel, où il est nécessaire qu'il n'y ait pas de crise pour que le régime puisse subsister, ce qui amène à systématiser les compromis. C'est en collaboration avec l'objectif principal de Montesquieu, qui prône que les pouvoirs s'équilibrent. Chacun peut agir sur l'autre ; les pouvoirs doivent "aller de concert" et "s'arrêter mutuellement", (31). La répartition des pouvoirs s'effectue entre plusieurs organes : -D'abord, un exécutif bicéphale fonctionne de la façon suivante : un chef d'État, (roi ou président) ,un gouvernement (ou cabinet), avec à sa tête un chef de gouvernement, (principal ministre, premier ministre, chef de cabinet, président du conseil ou chancelier), constituent un organe collégial distinct du chef de l'État et qui ont des pouvoirs et une autonomie propres. Puis, un législatif de préférence bicaméral* se définit par la limitation de ses pouvoirs, (on veut éviter l'évolution vers un régime d'assemblée), afin qu'il équilibre l'exécutif bicéphale. Chaque pouvoir participe aux différentes fonctions : l'exécutif a l'initiative de la loi, ( projet de loi, par opposition à la proposition de loi), du droit d'amendement des projets ou propositions de loi. Le législatif ratifie les traités négociés et signés par l'exécutif. C'est un régime très répandu et d'applications variées. Les régimes parlementaires sont, de loin, les régimes de séparation des pouvoirs les plus répandus dans le monde, quoique l'on puisse situer leur foyer initial dans l' Europe occidentale. On peut en retrouver ainsi au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suède, en Italie, mais aussi au Japon ou encore au Canada. Le régime parlementaire résulte d'une lente évolution. Il débuta dans la Grande-Bretagne monarchique au XVIIe siècle. On peut dégager deux étapes, qui suivent l'évolution chronologique de l'affaiblissement du pouvoir du roi. Les catégories de régimes parlementaires sont dualistes ou monistes. Dans le régime parlementaire dualiste, il y a un exécutif dualiste (d'où le nom), qui comporte le gouvernement et le chef de l'État qui est non responsable, mais il n'est pas effacé, car il possède notamment le droit de dissolution : le régime parlementaire dualiste naît avec l'apparition de la responsabilité politique des ministres, supplantant leur responsabilité pénale. Cette transformation résulte de la question de confiance posée aux parlementaires par le gouvernement, qui transforme le procès pénal devant les chambres en un procès symbolique, puisque le coupable potentiel, (le gouvernement), culpabilise le parlement en jouant la carte du "si vous ne votez pas pour moi, je démissionne". Le gouvernement est alors pensé comme un organe de liaison entre l'exécutif et le législatif : c'est un moyen d'assouplir la séparation des pouvoirs. Sa double responsabilité, devant le roi et le parlement, lui permet de jouer le rôle de " fusible", ce qui empêche une crise des institutions en cas de désaccord grave entre le parlement et le roi. Un législatif, le parlement, qui est généralement bicaméral (chambre haute et chambre basse), est ici pour pouvoir agir comme un `'pendant'' avec ce dualisme de l'exécutif. Dans le régime parlementaire moniste, le gouvernement supplée plus ou moins le chef d'État qui s'est effacé : pour l'exécutif, il n'a plus qu'un rôle protocolaire, certes prestigieux. Deux situations sont alors possibles : le chef d'État peut tout de même conserver un certain poids sur la politique : on parle alors de magistrature d'influence. Par exemple, au Royaume-Uni, la reine, qui connaît toutes les affaires politiques, peut adresser ses observations aux ministres en privé, (certes, ses ministres ne sont pas tenus juridiquement de suivre ses avis, mais politiquement oui, du fait qu'elle occupe ses fonctions depuis plus longtemps qu'eux, n'étant pas sujette aux aléas de la politique comme les ministres, ces derniers tiennent compte de ses opinions). Le chef d'État n'a plus aucun rôle politique comme au Japon ou en Suède : on parle alors d'un monocéphalisme. De fait, le gouvernement n'est plus responsable que devant la chambre, (plus de double responsabilité devant la chambre et le roi). Le chef de gouvernement est le chef de l'exécutif et il détient l'essentiel des pouvoirs, en particulier le droit de dissolution, législatif : Le parlement peut être aussi monocaméral*. Il en existe des exemples, mais depuis le directoire, on se risque à associer monocaméralisme avec le régime d'assemblée, (ce qui est contesté, puisque la nature du Directoire n'est pas certaine : voir infra, des régimes inclassables). _______________________________ 31 *Charles MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, livre XI C'est pourquoi le bicaméralisme est employé pour éviter les débordements du législatif, alors même que la pratique a démontré que le régime d'assemblée pouvait tout aussi bien s'instaurer avec le bicaméralisme (ce fut le cas sous les IIIe et IVe Républiques); ce sont les régimes les plus répandus au monde, mais même ainsi, la chambre basse a tendance à dominer la chambre haute. Par exemple, au Royaume-Uni, la chambre des Lords a perdu son pouvoir financier, (le plus important des pouvoirs du parlement), en 1911. En France, la chambre haute, le Sénat, est également limité vis-à-vis de l' Assemblée nationale. L'évolution de l'un,(monocaméralisme),vers l'autre(bicaméralisme) s'opère graduellement :-« ainsi, l'on passe progressivement d'une monarchie absolue à une monarchie modérée, (avec respect des lois fondamentales et un certain pouvoir du parlement autonome), puis d'une monarchie modérée à un régime parlementaire »*, comme l'explique M. Maurice Duverger (32) .Ces régimes parlementaires eux-mêmes ont évolué. D'une part, ils se sont démocratisés, alors qu'à l'origine la base électorale était limitée ( vote censitaire), elle s'est progressivement élargie à toutes les couches de la société, (le suffrage universel, direct ou indirect, est aujourd'hui devenu la norme dans les régimes démocratiques). D'autre part, la nature des régimes parlementaires elle-même a évolué, puisque l'on passe de régimes parlementaires dualistes à des régimes monistes. Tout au long de cette évolution, la logique suivie par le parlement était qu'il fallait limiter le pouvoir du roi. Le régime parlementaire dualiste répond à la double question : comment maintenir un roi, qui par son essence ne peut être responsable de ses actes, (à cause de son caractère sacré), et répondre aux exigences de la représentation, (concilier roi et représentation populaire) ? Pour répondre à cela, deux mécanismes vont se dégager dans la pratique : la constitution d'un gouvernement, dans lequel les ministres du roi se réunissent, et peu à peu forment un organe distinct de lui. C'est le cabinet, qui fera le lien entre le roi et les chambres. Cela se manifeste dans le contreseing ce qui veut dire la signature du cabinet engageant ainsi la responsabilité des ministres du roi. Le contresignataire, (le ministre), endosse la responsabilité de l'acte du roi devant les chambres. Mais ce régime dualiste est un régime transitoire : il est peu durable car les possibilités de conflits au sein de l'exécutif sont grandes et celles-ci ne peuvent être résolues que par l'effacement de l'un des organes, (historiquement, le roi). Ainsi, Léon Gambetta, (chef du parti républicain aux débuts de la IIIe, à propos du président Mc Mahon, en opposition avec la chambre), disait de ce dernier qu'il lui fallait : - « se soumettre ou se démettre ». On n'en retrouve donc que peu d'exemples. : _________________________ 32 * Maurice DUVERGER, Théorie sur l'Influence des partis politiques sur la séparation des pouvoirs, l'Encyclopédie libre Maurice Duverger (né le 5 juin 1917 à Angoulême), est un juriste, politologue et professeur de droit français, spécialiste du droit constitutionnel -la Grande-Bretagne pré -victorienne (de 1714, où l'on voit apparaître un soupçon de responsabilité politique du gouvernement, à 1824- 1834), le règne de la reine Victoria marquant le passage du dualisme au monisme par son effacement progressif de la scène politique. Il faut également rajouter la constitution de la Ve République,(voir infra, Un régime mixte : la France sous la Constitution de 1958), qui est un régime dualiste où l'exécutif est distribué entre le Président de la République et le Premier ministre : chaque pouvoir a une seule fonction, strictement distincte. Effectivement, le pouvoir exécutif exécute seul la loi et le pouvoir législatif fait seul la loi. Mais les pouvoirs ne sont pas totalement séparés grâce à l'existence de moyens qui les mettent en relation, qui permettent de les arrêter, et qui sont appelés poids et contrepoids, (checks and balances). Ce sont notamment le droit de veto du président à l'égard des lois votées par le parlement, le refus des chambres de voter les recettes nécessaires à la politique du président, (le pouvoir financier est historiquement le premier des pouvoirs du législatif). Un régime fragile est donc rare. Ainsi, le régime présidentiel est un régime d'équilibre des pouvoirs : aucun pouvoir ne peut dominer durablement l'autre, car ils se font contrepoids et se freinent. Cependant, le pouvoir qui a le plus de légitimité, (celui dont le mode d'élection permet la meilleure représentation du peuple), aura tendance à prédominer sur la scène politique. Contrairement à ce que semble indiquer son nom, ce n'est donc pas un régime qui consacre l'omnipotence du président, puisqu' au contraire, l'exécutif peut-être diminué face au législatif, ce qui cause l'échec des régimes présidentiels. C'est ce qu'on appelle la perte de l'équilibre des pouvoirs, qui peut se présenter comme suite : -L'instauration de la responsabilité du gouvernement devant le législatif entraîne invariablement un glissement du pouvoir du chef de l'État, (président ou roi), vers le chef du gouvernement, qui peut être appelé indifféremment premier ministre, principal ministre, chef de cabinet, chef du conseil ou encore chancelier, ce qui, à terme, signifie un régime parlementaire, en application du principe selon lequel celui qui est responsable, ( le premier ministre) est celui qui a le pouvoir politique, ( souverain). C'est le cas des deux constitutions de la Suède*, qui a une évolution lente et sera concrétisée par la Constitution de 1974, et de la Norvège, (33) , où s'est produit la révolte de la Storting, (le législatif), contre les conditions politiques imposées par les Suédois.(34) (Entre 1859 et 1872, Charles xv poursuit cette politique et octroie une constitution libérale en1865, c'est la raison pour laquelle en 1905 la Norvège se sépare de la Suède). Toutefois, la démocratie qui découle du fonctionnement d'une institution politique peut nuire à celle-ci, car elle peut avoir des faiblesses, mais la démocratie au sens moderne peut y remédier. C'est ce que nous étudierons par la suite. ______________________ 33 *La constitution de 1814 34 *La constitution de 1809
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