1-2 LES PRINCIPES DEMOCRATIQUES
On ne peut avoir une définition assez correcte et
précise de la démocratie pour assurer le bon fonctionnement des
institutions sans pour autant savoir de quoi elle est composée. On peut
avoir des institution fiables et qui répondent aux attentes et aux
aspiration des citoyens, sans qu'elles respectent les principes fondamentaux de
la démocratie et ce, à partir du maintien de la dignité
humaine qui se traduit par la grande fermeté contre les anciens abus,
et une condamnation de privilèges à tel point que même la
déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a clairement
dit, dans son article 6 :
- «... la loi doit être la
même pour tous, sitôt qu'elle protège soit qu'elle
punisse... ». Comme on peut le constater, cette formule du
précédent article est exactement le contre-pied
des privilèges. La déclaration sus- mentionnée proclame
entre autres dans le même article, article VI :-
« tous les citoyens ont le droit de concourir
personnellement, ou par leur représentant, à la formation de la
loi, qui est l'expression de la volonté générale
»*, ce qui implique en principe dans cet article le suffrage universel.
Les genres de principes qui garantissent la transparence démocratique
sont doubles :
- d'abord, il existe le contrôle populaire sur les prises
de décisions et sur les décideurs, puis il y a le principe de
l'égalité devant les citoyens dans l'exercice d'un
contrôle.*
À la fois réel sur le premier principe, à
savoir le contrôle populaire sur la prise de décision et sur les
décideurs, il s'agit à cet effet de rendre le contrôle
populaire sur les décisions publiques à la fois réel mais
inclusif. Effectivement, il faut relire à l'élite le monopole de
le prise de décision et des bénéfices y afférents,
et surmonter les obstacles, tels que ceux-ci sont liés au genre,
à l'ethnie, à la religion, à la langue, à la
classe, à la richesse... etc. Ainsi, tout ceci se fait par rapport
à l'exercice équitable des droits des citoyens. Les principes
précédemment cités sont importants et forts de
signification, mais ils ont besoin d'être spécifiés avec
précision dans le cadre d'un système de gouvernance
représentatif.
C'est un gouvernement dans lequel d'anciens
dirigeants assignent à d'autres le droit de décider de la
politique publique en leur nom. C'est alors que ces deux principes fondateurs
protègent et servent les bonnes démocraties et le bon
fonctionnent des institutions. Au moyen de ces postulats, il nous faut
identifier un ensemble de valeurs médiatrices, à travers
lesquelles ces deux principes préalablement cités peuvent se
réaliser dans la politique. Pour citer ces valeurs- là, on peut
trouver entre autres :
_________________________
* S ALLEMAND, Les fondements de la
démocratie, Ed le seuil, Numéro 81
*Articles VI de la déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789
- la participation,
-l'autonomie,
-la représentation,
-la transparence,
-la sensibilité,
-la solidarité.
C'est en effet, à partir de ces valeurs, qu'on
peut dire que les institutions d'un gouvernement représentatif gardent
leurs caractères démocratiques, et ce sont même ces valeurs
à l'aide desquelles on évalue comment dans la politique, les
institutions fonctionnent démocratiquement. Alors, une relation à
double sens entre les valeurs et les institutions confère au processus
d'évaluation de la démocratie son fondement intellectuel et sa
validité. Cette double relation est schématisée dans le
tableau ci- dessous composé de quatre colonnes :
VALEURS MEDIATRICES
CONDiTIONS
REQUISESMOYENS ET
INSTITUTIONS
DE REALISATION
PARTICIPATION-Droit à participer
-Capacité et ressources pour les partis
-Culture de participation-Système de droit et
politique
-Droit économique et social
-Éducation en faveur des citoyens
AUTONOMIE-Validation de la constitution
-Choix des responsables
-Service / programme
-Contrôle du personnel élu existant sur le
personnel non élu-Référendum
-Élection libre et juste
-Système de subordination aux responsables
élus
REPRESENTATION-Législature des principaux courants
de l'opinion populaire : toutes les institutions politiques
représentatives de la composition sociale de
l'électorat-Système électoral et de parti, loi contre la
discrimination
- Une politique d'action affirmative
IMPUTABILITE-Des lignes claires d'imputabilité
légale, financière et politique pour assurer une prestation de
service et une intégrité judicaire efficaces et
honnêtes
-État de droit et séparation des pouvoirs
-Processus d'audit indépendant
des normes légales applicables
-Fort pouvoir parlementaire de
vérification
TRANSPARENCE-Gouvernement ouvert à un
contrôle législatif et public
-Législation sur la liberté d'information
-Média indépendants
SENSIBILITE-Gouvernement accessible par les
électeurs, et les différentes sections de l'opinion publique dans
le cadre de la conception et de la mise en oeuvre des politiques et des
prestations de services-Consultation publique systématique
-Réparation légale effective
-Gouvernement local proche de la population
SOLIDARITE-Tolérance de la
diversité
-Soutien des gouvernements
démocratiques populaires à
l'étranger-Éducation civique et sur les droits de
l'homme
-Loi sur les droits humains au niveau
international : agence des Nations-Unies ou autres- ONG
internationales
La colonne n°1 donne la liste des principes
comme valeurs médiatrices. Ensuite, la colonne n°2 présente
les conditions requises par ces valeurs pour être effectuées.
Trois colonnes énumèrent les institutions typiques, à
travers lesquelles ces conditions peuvent être remplies dans un
système de gouvernement représentatif. Et le tableau
résume ce qui doit être évalué, et les
critères par lesquels cette évaluation doit se faire.
1-3 CARACTERISTIQUES ET
ELEMENTS
Le choix institutionnel pour une démocratie
efficace est très important, pour qu'une démocratie au sens noble
du terme évolue d'une manière positive. Bien entendu, eu
égard à cette manière dont se fait ce choix, il
détermine inévitablement le bon fonctionnement d'une
démocratie. Ce qu'on va retenir surtout de ce chapitre, c'est la
relation très étroite entre les valeurs démocratiques et
le cadre institutionnel, dans lequel elles se manifestent. Les institutions
politiques et démocratiques définissent
généralement l'équilibre des pouvoirs entre les forces
politiques, et déterminent dans une large mesure la manière dont
fonctionne le cadre démocratique. Les choix institutionnels sont donc
extrêmement importants pour les pays en transition et pour les nouvelles
démocraties.
Les deux options les plus importantes, auxquels sont
confrontés les architectes des nouvelles constitutions
démocratiques, sont l'alternative entre des élections pluralistes
et la représentation proportionnelle d'une part, et entre une forme
parlementaire et une forme présidentielle de gouvernement d'autre part.
Si chaque option présente des atouts et des faiblesses, le plus
important pour les sociétés en voie de démocratisation,
voire même pour celles dites démocratiques, est d'adopter
des systèmes électoraux favorisant une démocratie de
conciliation, plutôt que de confrontation, et des politiques du secteur
public, garantissant ainsi l'inclusion effective des minorités et non
leur exclusion. En outre, pour consolider la démocratie dans un cadre
institutionnel, il faut que les acteurs politiques et le public parviennent
à accepter, que la résolution des conflits se fasse
nécessairement dans le cadre des lois, des procédures et des
institutions adoptées par le nouveau processus démocratique, et
non par d'autres moyens anti démocratiques.
Par conséquent, la durabilité de la
démocratie dépend plus que du simple choix de bonnes institutions
démocratiques. Elle dépend aussi de l'interaction entre les
cultures, voire même des traditions locales et des institutions
politiques. On ne peut ni exporter, ni importer facilement la démocratie
comme un produit. En effet, les processus et les institutions doivent prendre
en compte l'héritage de l'histoire, les traditions et les cultures
locales. Alors que les valeurs de la démocratie sont universelles, la
démocratie elle-même est obligatoirement locale, au sens local du
terme bien-sûr. De ce fait, la démocratie ne peut
être imposée d'en haut ; elle doit être soutenue au
niveau local et dépend de l'engagement des acteurs nationaux :
- « c'est le rôle du citoyen et la mise en
perspective d'une citoyenneté mondiale qui pourrait servir de fil
conducteur », (42).
____________________________
42 * Gustave MASSIA, Entretien sur une gouvernance
démocratique, Paris
Comme la démocratie doit être
compatible avec le contexte local, elle prend inévitablement des formes
institutionnelles différentes selon les régions et les pays. On
peut signaler un aspect qu'on pourrait ignorer de plus en plus, dont la
stabilité de la démocratie dépend : c'est bien les
attitudes et les comportements des élites politiques et du public. Pour
consolider la démocratie, il faut en faire « la seule option
possible », (43)*. Cela signifie qu'aucun groupe ou acteur politique
ou social important ne devrait dépenser de ressources importantes pour
essayer de renverser le régime pour le remplacer par un régime
antidémocratique, ni recourir à la violence pour se
séparer de l'État.
Cela implique aussi, qu'une forte majorité
de l'opinion publique doit être convaincue, que les procédures et
les institutions démocratiques constituent la meilleure façon de
prendre des décisions collectives, et que le soutien à des
solutions de remplacement du régime démocratique est relativement
faible.
Non seulement, les défenseurs de la démocratie
doivent aider à construire le cadre institutionnel démocratique,
mais aussi soutenir le renforcement de la culture démocratique, et
encourager l'adoption des valeurs démocratiques. Ils doivent aussi
créer des incitations, pour que les dirigeants et les autres acteurs de
la vie politique respectent leurs obligations démocratiques.
Il existe aussi un autre élément important dans
les sociétés modernes : la démocratie ne peut
s'organiser sans les partis politiques. D'une manière
générale, les partis servent à intégrer les groupes
et les individus dans le processus démocratique. Plus
précisément, les partis politiques sont des instruments
importants, sinon essentiels, d'un certain nombre de fonctions
démocratiques :
-la représentation des
circonscriptions et des intérêts politiques,
-la formulation et le rassemblement des
revendications et des préférences,
-le recrutement des candidats à des
fonctions publiques et leur socialisation,
-l'organisation de la compétition
électorale pour le pouvoir,
-l'élaboration de politiques de
rechange,
-la formation de gouvernements efficaces,
-la mise en oeuvre des politiques publiques.
Certaines de ces fonctions peuvent aussi être
remplies par d'autres organisations, mais les partis sont les seuls à
combiner un rôle représentatif et un rôle institutionnel,
puisqu'ils représentent la population, tout en étant les
coordonnateurs et les gestionnaires des procédures démocratiques.
__________________________
43 * Mme Ingrid VAN BIEZEN, document de
réflexion, Université de Birmingham, (Royaume-Uni)
Les partis représentent donc le principal
mécanisme de liaison entre la société civile et
l'État, puis entre la société et la gouvernance
démocratique.
Construire et consolider la démocratie
implique donc nécessairement de renforcer les partis politiques dans
leurs rôles tant représentatif qu'institutionnel, en s'attachant
en priorité aux fonctions de représentation, qui sont
confrontées à la menace la plus grave et la plus
immédiate.
Même si les partis politiques sont
considérés comme nécessaires au bon fonctionnement de la
démocratie correctement instaurée, cela ne signifie pas qu'ils
sont beaucoup aimés ou respectés.
En fait, dans les démocraties
contemporaines, les partis politiques représentent probablement le
maillon le plus faible, ce qui est peut-être un paradoxe. Bien qu'ils
constituent le lien essentiel avec la gouvernance démocratique, la
population ne croit pas nécessairement qu'ils servent les meilleurs
intérêts du public en général. Cette attitude est de
plus en plus répandue dans les anciennes comme dans les nouvelles
démocraties, où les partis sont considérés
maintenant comme représentant l'institution la plus corrompue, et
à l'une de celles, à laquelle le public fait de moins en moins
confiance.
C'est ainsi que dans l'Union européenne, le
public a bien moins confiance dans les partis politiques que dans toute autre
institution privée ou publique, et moins encore que dans les grandes
entreprises ou les syndicats, et aussi beaucoup moins que dans les institutions
comme l'armée ou la police, ou même enfin moins dans l'institution
des Nations-Unies ou celle de l'Union européenne.
D'ailleurs, la méfiance à l'égard des
partis politiques est aujourd'hui si grande qu'elle n'est pratiquement plus
mesurable. Pour renforcer les institutions démocratiques et promouvoir
la gouvernance démocratique, il faut absolument résoudre d'abord
cette crise de confiance dans les partis politiques. En effet, la formation de
partis politiques est capable d'exposer et de représenter les
intérêts et les revendications de la société, de les
transformer en programmes politiques, et de les mettre en oeuvre de
manière efficace, ce qui constitue donc une priorité
essentielle.
Une autre priorité majeure concerne
l'établissement de mécanismes et de procédures efficaces
pour éradiquer, ou du moins réduire le plus possible, les
pratiques de corruption dans les milieux politiques.
La conception et la construction du cadre institutionnel de la
démocratie, le renforcement des valeurs et des comportements
démocratiques constituent un processus complexe et de longue haleine.
C'est pourquoi il a fallu aux démocraties
libérales les plus anciennes des décennies, sinon des
siècles, pour se consolider. De ce fait, il ne serait pas
réaliste de supposer qu'une démocratie durable puisse être
assurée uniquement par des interventions à court terme.
Le renforcement de la démocratie exige un engagement
permanent, une éducation politique continue, puis la volonté de
parvenir à des compromis et d'accepter de progresser par des changements
successifs, et c'est enfin une évolution au coup par coup.
1-4 L'INSTITUTION ET LA
VOLONTÉ GÉNÉRALE
Au cours de leur histoire, les institutions
démocratiques ont fait appel à divers types de compétences
morales des citoyens, pour les motiver dans l'accomplissement de leurs
obligations civiques envers le corps politique, tout comme envers leurs
concitoyens.
Les plus éminentes de ces compétences morales
sont la vertu, la raison et l'intérêt. Quoi qu'il en soit, les
auteurs de la constitution américaine n'ont pas choisi de mettre
l'accent sur la vertu et la raison, que l'on considère comme fondements
inébranlables de la République, (cf. Pangle Thomas). Et ils
étaient tout à fait sceptiques, quant aux capacités de la
raison à gouverner la volonté collective du peuple. Madison
lui-même, (44)*, doutait de la notion de volonté collective, car
il tenait pour impossible qu'une telle volonté puisse émaner
librement d'une société civile homogène. Il y voyait
plutôt l'attribut d'un gouvernement héréditaire ou
autocratique. Il ne déplorait d'ailleurs nullement cette
impossibilité d'une volonté unitaire émergeant du sein de
la société civile, car il voyait dans la fragmentation et la
désunion de celle-ci un garant de la préservation de la
liberté universelle.
Il se basait effectivement sur le fait :-
« qu' il existe nécessairement diverses sortes
d'intérêts chez les diverses classes de citoyens »* et
que , « malgré le fait que toute l'autorité... sera
dérivée de la société et dépendra d'elle, la
dite société sera divisée en tant de partis,
d'intérêts et de classes de citoyens, que les droits de
l'individu, ou de la minorité, ne seront guère menacés par
les combinaisons intéressées de la majorité »*
(Fédéraliste : 51/323, 324). Ainsi, la démocratie
américaine déchargeait-elle le peuple souverain du lourd fardeau
de mener à bien la tâche presque sacrée de définir
et de réaliser le bien commun. Sinon, le modèle se restreignait
à la création d'institutions, (telles que le droit à la
propriété privée et la séparation des Pouvoirs),
susceptibles de permettre aux individus de promouvoir leurs différents
intérêts et leur idée particulière du `'Bonheur'',
tout en évitant simultanément le danger, qu'un gouvernement
tout-puissant impose son idée du `'Bonheur collectif '' au peuple. Au
lieu d'« unifier » les citoyens sur la base d'un quelconque
vouloir collectif, les pères fondateurs ont jugé plus prometteur
de s'engager dans la direction contraire, afin de favoriser la diversité
et la fragmentation des intérêts.
__________________________
44 * Marbury v. Madison (Marbury contre Madison) est un
arrêt de la
Cour
suprême des
États-Unis,
(arrêt 5 U.S. 137) rendu le
24
février
1803. C'est à bien des
égards, le plus important des arrêts rendus par la cour, ce
principe donne à la cour son pouvoir le plus important, et fait d'elle
la première
cour
constitutionnelle de l'Histoire.
*Ibid.
*Le Fédéraliste, (les pères fondateurs du
fédéralisme), chapitre51, p 323- 324.
D'une certaine façon, on peut considérer
ces institutions comme de la vertu à l'état
`' congelé `' ou'' sédimenté `', on
peut dire que les pères fondateurs font par là même de la
pratique de vertus, telles que la sincérité, la sagesse, la
raison, la justice, et pour tout autre qualité morale exceptionnelle, un
exercice relativement facultatif, tant de la part des gouvernants que des
gouvernés.
Cette ingénieuse machinerie est
évidemment bien moins exigeante sur le plan moral que ne le serait un
autre type de démocratie -ce serait celle qui prendrait en charge
l'aspiration du peuple à une rédemption profane à travers
une révolution plus ou moins permanente des conditions sociales, qui
exposent les hommes à la souffrance, à la pauvreté
,à l'oppression, à l'humiliation, à la dépendance,
à l'ignorance, et à la superstition-
On rencontre ce type d'aspiration dans le principe de la
Révolution française, qui fut avant tout un enchaînement de
révolutions sociales entre autres -ce fut, soit
successivement une révolution de la noblesse, une révolution de
la bourgeoisie, soit une révolution des masses urbaines et une
révolution paysanne (Lefebvre) -tout au long de cet enchaînement,
le sort de chaque individu apparaissait inéluctablement lié
à celui de tous les autres.
Par ailleurs, l'élément religieux en
l'occurrence à sans doute jouer un rôle mobilisateur, où
règne la conviction que toutes les âmes sont égales devant
Dieu. Et ce n'est pas par l'excellence et la supériorité
personnelles que l'on obtient le salut, mais en fait celui-ci est l'expression
de la miséricorde Divine à l'égard des pauvres et des
malheureux :
Un tel credo, quand il est sécularisé, nourrit
l'idée d'une émancipation collective à travers la
révolution sociale. (Notons en passant que l'impact d'une
Théologie politique innervée par le concept de révolution
sociale, et donc d'émancipation collective, est particulièrement
vigoureux dans les pays catholiques, comme dans le Tiers-Monde, et surtout en
Amérique latine). La notion de souveraineté populaire
était donc associée dès l'origine à une
souveraineté, qui se voulait divisible d'un corps collectif, qu'il
s'agisse de la Nation, de la République, ou du Peuple uni, tandis que
les médiations et les mécanismes institutionnels passaient pour
secondaires.
« Peu importe comment une nation veut, il suffit
qu'elle veuille ; toutes les formes sont bonnes et sa volonté sera
toujours la loi suprême », (45)*, proclamait l'abbé
Sieyès - qui était d'ailleurs un théologien catholique -
à la révolution. Il ne fait pas de doute que pour Sieyès
la volonté de la nation
___________________________
45 *SIEYES Emmanuel Joseph, op.cit. Vicaire
général, (prêtre assistant de l'évêque...),
partisan d'une monarchie constitutionnelle, devenu l'un des consuls
provisoires, il présente un projet de constitution qui ne fut pas
retenu. Après la Restauration, (la restauration de la monarchie de 1814
à 1830), Sieyès est proscrit pour avoir voté la mort de
Louis XVI. Le régicide s'exile alors à Bruxelles. Il rentre en
France en 1830 et meurt six ans plus tard à Paris
était intrinsèquement raisonnable, car il
était inconvenable - surtout à l'époque des
Lumières - qu'une volonté arbitraire puisse devenir loi.
Pas plus que la volonté de dieu, la
volonté du peuple ne pouvait errer, par la simple venue du fait qu'elle
était celle du peuple, cette volonté ne pouvait être
que« raisonnable », « juste » et
« vertueuse ». Cette équation était
évidemment influencée par la façon, dont Rousseau
déduit la volonté générale dans le Contrat
social. Quand Rousseau formule l'idée
que :- « la volonté
générale est toujours bonne et vise toujours le bien
commun », (46)*, rappelant que c'est lui aussi qui
disait que : - « le mal
général ne peut être que dans le
désordre », (II/3).* Cela n'implique pas pour lui, comme
certains commentateurs l'ont prétendu, que la volonté empirique
du peuple soit intrinsèquement bonne ou morale par essence.
Il dispose en fait d'un meilleur argument,
à savoir d'un argument proprement procédural. Car, il
radicalise-en l'inversant - une clause établie par Montesquieu pour
garantir le caractère raisonnable de la loi. D'après Montesquieu,
en régime démocratique, les législateurs devraient
toujours être soumis à leurs propres lois. Rousseau retourne ce
principe, puisqu' au lieu de déclarer que : -
« les auteurs des lois doivent également y être
soumis ». Il inverse la proposition en formulant l'idée
que : - « le peuple qui est soumis à la
loi doit également en être l'auteur », (II/6)*, (47).
Quelle est l'implication de cette inversion et que
signifie-t-elle ? D'après chacune de ces maximes, la loi est
générale, si elle s'applique aux gouvernants-législateurs
comme aux gouvernés.
Mais le principe de Montesquieu n'exclut pas la
possibilité qu'un législateur qui s'avérerait- en raison
de caractéristiques particulières, (masochisme, par exemple), ou
de sa situation économique privilégiée-incapable
d'être affecté négativement par le contenu de la loi impose
des souffrances illégitimes aux gouvernés. Dans ce cas, bien que
la loi s'applique également au législateur, les
conséquences de son application ne sont pas les mêmes pour lui que
pour tous les autres .On ne pourrait éviter une telle
éventualité que si la situation économique, les
intérêts, les besoins, les sentiments, et les
préférences du législateur, puis ceux des citoyens sont
suffisamment semblables, pour que la loi les affecte de la même
manière.
________________________________
* ROUSSEAU Jean-Jacques, Le contrat social,
46*Ibid., II, p .3
*Rousseau dit que les contradictions viennent des
intérêts particuliers, et Les motifs secrets sont les ennemis de
la volonté générale. La faute est d'éteindre en soi
l'expression de la volonté générale qui est toujours
connue, qui est toujours une, qui n'est connue que par l'intuition (et non les
raisonnements) et qui vise le bien commun
47 *Ibid.» « The Social
Contract ». (Le contrat social), Harmonds- worth Penguin Books,
II, 1968, p .6
*Ibid.
C'est précisément là l'objet de
la maxime de Rousseau, étant donné que c'est le même sujet,
qui respecte la Loi, et qui en est l'auteur. En effet, ce sujet n'est autre que
les classes populaires, vu que chaque individu participe au processus de
formation de la volonté législatrice, et participe aussi au
processus de libéralisation sur le contenu de la loi. C'est pourquoi
Rousseau considère en premier lieu la situation de ses semblables, (et
ne prête donc guère attention aux éventuelles conditions
« exceptionnelles » d'ordre économique, ou autres
sous lesquelles la loi pourrait s'appliquer). Par conséquent, l'impact
social de la loi tendra à être extrêmement égalitaire
par le seul effet des procédures employées.
Il ne s'agit pas là d'une simple
inclination psychologique des législateurs ordinaires, mais de la
condition normative d'une loi substantiellement juste, ou,
(« démocratique »), et donc effectivement
contraignante. Si nous avons consacré ces quelques paragraphes aux
conceptions respectives de la souveraineté populaire des pères de
la constitution américaine, et de Rousseau, ce n'est pas seulement pour
expliquer, que le rapport entre la souveraineté et la raison a des
racines bien distinctes dans les deux traditions révolutionnaires, mais
également parce que ces incarnations contemporaines sont largement
affectées par ces traditions.
A première vue, on peut être surpris, que ce
soit précisément par la théorie de la démocratie,
qui présuppose l'égalité la plus poussée des
citoyens, qui ait pu nourrir la révolution dans un pays
caractérisé par une extrême inégalité des
conditions, tandis que la théorie de la souveraineté populaire
qui a prévalu dans les colonies américaines, où les
inégalités économiques et sociales étaient
plutôt limitées, excluait catégoriquement la
possibilité d'une volonté et d'un intérêt communs
émanant d'un peuple unifié.
Ce paradoxe s'explique pourtant, si l'on considère le
caractère social de La révolution française, contrairement
à la révolution américaine qui, outre le fait qu'il
s'agissait d'une lutte pour l'indépendance nationale, était une
révolution purement constitutionnelle, et explicitement conservatrice du
point de vue économique et social. Une révolution sociale
détermine le destin du peuple tout entier, et par là même,
relie étroitement celui de chaque individu au sort de sa
catégorie sociale.
Quand Rousseau dit que personne ne peut travailler pour
soi-même, sans travailler simultanément pour la communauté,
il ne se contente pas de présenter une version sécularisée
de l'injonction chrétienne d'aimer son prochain comme soi-même,
mais il se fait le précurseur inconscient des dimensions sociales de
réciprocité et de solidarité. Les libéraux pensent
cela mais autrement. Cette conception de la démocratie et l'idée
de révolution sociale se renforcent mutuellement, car la perception du
peuple comme une personne morale accentue le caractère collectif de son
destin et l'authentique égalité de ses membres, orientant ainsi
leurs espoirs vers l'idée d'émancipation
sociale :-« l'image d'une multitude...réunie en un seul
corps, et guidée par une unique volonté, était l'exacte
description de ce qu'ils étaient dans les faits, car c'était la
quête du pain quotidien, qui les mettait en mouvement, et le cri de ceux
qui exigent du pain est toujours articulé d'une seule
voix »*,(Arendt, H 1963, 89).
Elle s'attache à mettre au diapason les origines du
totalitarisme avec la société de masse et ce, pour faire sortir
l'homme de sa condition humaine, dans laquelle il est exploité, et faire
de ce dernier le moteur de toute société).
CONCLUSION
L'on ne cesse de répéter que les
institutions dans toutes leurs dimensions, ne peuvent être
démocratiques, si on ne prend pas en considération la
manière avec laquelle on conjugue le bien commun comme expression de la
volonté générale. C'est qu'il lui faut présupposer
des conditions extrêmement exigeantes pour assurer l'harmonie de la
volonté du peuple comme exercice d'une tâche commune et du bien
commun, tandis que la théorie démocratique de type
américain risque au contraire de s'avérer trop peu exigeante, en
ce qu'elle réduit le concept de bien commun à n'être plus
que l'agrégation des préférences individuelles.
Mais, même dans la version la moins exigeante de la
tradition libérale américaine, la promotion des
intérêts particuliers de chaque citoyen doit se faire de
façon " civilisée ", soit strictement dans le cadre des
règlements et des procédures qui en garantissent le
caractère équitable et pacifique, ce qui fait que dans chacune
des deux traditions, quoiqu'à des degrés très variables,
il est nécessaire de prévoir des institutions destinées
à la purification et l'affinement des penchants " bruts " et non
civilisés des acteurs sociaux.
Dans la version la plus exigeante, il s'agit de conditionner
les citoyens à être de ''bons'' citoyens, capables de devenir les
sujets actifs de la volonté commune. Dans la version la moins exigeante,
il s'agit de contraindre les citoyens au respect de la loi et de la
constitution, au cours de leur activité intéressée.
Dans l'histoire de la démocratie moderne, plusieurs
stratégies institutionnelles ont été mises en oeuvre afin
de civiliser les citoyens. Les institutions et les pratiques effectives des
démocraties libérales modernes ne correspondent ni à la
tradition française, ni à la tradition américaine. Le plus
souvent, plutôt que de résoudre le problème de l'affinement
de la volonté empirique du peuple, la stratégie dominante a
consisté à mettre entre parenthèses et à ignorer le
dit problème, et à négliger les solutions
envisagées par l'une ou l'autre version de la théorie classique.
C'est du moins ce que nous entendons démontrer dans la discussion qui
suit, au sujet de deux des institutions-clés des démocraties
contemporaines, le droit de vote et l'État-providence*.
Quant au droit de vote et la représentation des
citoyens, il va falloir dire que l'idée que le suffrage universel est le
trait distinctif et déterminant des régimes démocratiques
est aujourd'hui un truisme. Il y a trois façons de justifier le droit
de vote. La justification la plus fondamentale et la plus ancienne repose sur
l'idée, soutenue par Rousseau, que le caractère contraignant de
la loi est conditionné par l'universalité du suffrage. La
volonté générale doit émaner « de tous
les citoyens afin
de s'appliquer à tous les citoyens »
(Rousseau : II/4)*. Mais en deuxième lieu, la théorie
américaine originelle de la représentation virtuelle estimait que
le caractère contraignant de la loi ne repose pas nécessairement
sur le droit de vote de tous les citoyens, .mais qu'il peut être garanti
par une " juste " représentation. Sur cette base, l'universalisation du
suffrage nécessite un autre type d'argumentation, et il convient alors
de faire porter l'accent sur la valeur que ce droit confère à
l'individu. Dans le cadre de cette théorie, le droit de vote institue la
citoyenneté pleine et entière, et détermine qui compte
dans la communauté. Enfin, il y a toujours eu dans la justification du
droit de vote une référence plus ou moins implicite à la
qualité du processus politique censé en résulter.
De ce point de vue, le droit de vote est
justifié par la présupposition, pour rendre les citoyens plus
conscients de leurs responsabilités à l'égard du bien
commun. Rousseau soutenait que la volonté générale tend au
bien commun parce que, « chacun se soumet nécessairement aux
mêmes conditions qu'il impose aux
autres », (Rousseau : II/4) (48)*. En raison de cette
réciprocité, nul ne sera tenté d'imposer aux autres des
devoirs et des sacrifices injustes sous peine de se voir-rendre la pareille-
sauf si ces devoirs sont strictement et intelligiblement nécessaires au
bien commun. Bien entendu, un simple coup d'oeil sur la réalité
historique des processus démocratiques montre clairement que c'est
l'inverse qui a prévalu dans 1a pratique.
Plutôt que de s'appuyer sur l'hypothèse
risquée, selon laquelle l'extension de la participation
conférerait automatiquement à ses bénéficiaires le
statut de citoyen responsable et éclairé, les praticiens de la
démocratie du XIXe siècle s'en sont tenus à
l'hypothèse plus sûre, que seuls ceux, qui ont
démontré qu'ils étaient des citoyens responsables de
premier plan,(en payant des impôts, en accédant à un niveau
d'éducation ou de réussite professionnelle élevé,
etc.) sont habilités à participer. C'est en effet seulement
après la première Guerre Mondiale, que l'universalisation du
droit de vote fut considérée comme possible par la plupart des
démocraties ouest-européennes.
_______________________________
48 *ROUSSEAU J-J, le contrat social II, 4
*Ibid.
*GOODIN, R.E. Reasons for Welfare,(les raisons de l'Etat-
providence). The Political Theory of the Welfare State (la
théorie politique de l'Etat- providence), Princeton. N.J,
Princeton University Press. 1988
*MARSHALL, T H. Citizenship and social class (la
Citoyenneté et la classe sociale), Cambridge University Press,
1949
Si l'on laisse de côté ces
ambiguïtés concernant la justification du droit de vote,
l'extension du suffrage se traduit par le développement d'une
dialectique bien connue. Plus la participation politique s'étend, plus
elle devient dépendante de l'introduction de médiations
représentatives, (que Rousseau considérait comme des
hérésies), telles que les partis politiques et les corps
législatifs.
La théorie du pluralisme des partis et de
la représentation parlementaire a justifié cette introduction non
seulement par la nécessité de faire face au nombre et à la
dispersion des citoyens censés participer sur toute l'étendue du
territoire des États nationaux, mais également par le fait
qu'elle assurait un plus haut degré de compréhension et de
prévoyance - en somme, plus de rationalité politique du processus
décisionnel.
Le processus séculaire de l'extension de la
participation politique - et simultanément celle du caractère
médiat et indirect des formes concrètes de cette participation -
est l'un des deux grands processus structurels cumulatifs de l'histoire de la
pratique démocratique. L'autre grand processus s'inscrit dans une
dimension plus substantielle que sociale : après que des
catégories de gens de plus en plus larges ont accédé
à la citoyenneté active par l'intermédiaire du premier
processus, des aspects de plus en plus nombreux de la vie de la
société civile, en particulier dans le domaine de la production
et de la redistribution, sont passés sous le contrôle de la
volonté politique collective.
La Constitution française de 1791 excluait du suffrage,
les travailleurs salariés et toutes les autres catégories
d'individus dépendants du suffrage, parce que l'on considérait la
pauvreté et la dépendance comme des obstacles à la
possession d'une volonté raisonnable ; et donc à la participation
à la formation de la volonté collective de la nation. Par
conséquent, l'objectif de la démocratisation* en vint à
inclure l'abolition de la dépendance matérielle et de la
pauvreté grâce à la réalisation de
l'égalité économique et sociale, qu'il s'agisse
d'introduire des formes de cogestion et de démocratie industrielle ", ou
que l'on mette en place une régulation étatique des politiques
d'aide sociale, et de " démocratie économique ".
Un des arguments sous-jacents à l'extension de la
démocratie aux sphères de l'économie, de la redistribution
et de l'éducation, postulait que celle-ci aurait des conséquences
positives pour le processus politique en améliorant les qualités
rationnelles, le sentiment de sécurité matérielle - qui
libère des angoisses et des peurs anciennes - et la confiance en soi de
chaque citoyen appelé à participer non seulement aux affaires de
la politique proprement dite, mais également, par l'intermédiaire
de la politique économique et sociale de l'État, à celles
de la sphère de l'économie.
Cette seconde extension de la démocratie passait pour
suivre une logique strictement analogue à celle de la
première : plus de participation citoyenne, dans le but de faire de
" meilleurs citoyens ". Malheureusement, " on ne peut nullement établir
la conclusion que l'extension de la participation enclenche automatiquement une
nouvelle qualité du développement humain, et qu'elle mène
à des résultats politiques notables et souhaitables ", (Held
1987 ; 280, 281)*. En réalité, au cours du
développement de l'État-providence*, les politiques
ré-distributives ont, de moins en moins, été
utilisées comme un moyen. Effectivement, elles sont
considérées comme une fin supérieure-
l'élévation de tous les individus au statut de citoyen
responsable- et sont de plus en plus, un but en soi. L'État-providence
et sa politique de sécurité sociale, et de redistribution peuvent
même entrer en conflit avec l'idéal démocratique de la
raison civique :
- si le schéma de redistribution des revenus n'est pas
couplé avec le principe universaliste de promotion du bien commun,
- et s'il est au contraire dirigé par les
stratégies de groupes, qui veulent s'approprier des portions du PNB, aux
dépens des autres.
Qui plus est, les institutions de l'État-providence ont
été justement critiquées pour leur tendance à
nourrir des attitudes clientélistes et parasitaires chez le citoyen.
L'hypothèse exagérément optimiste, selon
laquelle l'extension de la participation des citoyens, doit naturellement
accroître la qualité cognitive et morale de leurs
compétences décisionnelles, pourrait également être
contestée par un argument inverse : à savoir que la
participation politique, (et les chances d'accéder collectivement
à des biens matériels qui en sont le corollaire), risque en
réalité de corrompre les citoyens en faisant appel à leur
égoïsme. C'est une hypothèse extrêmement pessimiste,
qui amènerait à penser que seuls les citoyens, qui ont su
prouver, qu'ils sont responsables, pourraient voir leur participation
étendue.
La première alternative repose sur l'idée, que
la doctrine de Rousseau est toujours valide :
plus les intérêts des individus sont
politisés par leur transfert à la souveraineté populaire,
moins ils sont vulnérables aux inclinations particularistes, et plus les
volitions, qui confluent au sein de la volonté collective, seront
responsables (1/6). L'autre alternative est de type lockéen :
c'est la force de l'intérêt personnel, qu'il investit dans ses
affaires privées, qui seule peut nourrir - et contribuer à
maintenir durablement - le sens de la responsabilité de l'individu ; et
inversement, plus la sphère des réglementations et des politiques
publiques est étendue, plus les capacités civiques rationnelles
des individus auront tendance à s'appauvrir, (cf. Thompson : 44ff).*
_______________________________
*ARENDT Hannah, (1906.1975), Condition de l'homme
moderne
*Ibid. propos tenus en 1987, p280, 281
*THOMPSON William, économiste anglais, (1780-1833), on
peut le considérer comme un précurseur
de la théorie marxiste de la plus -value ; il a aussi
préconisé une redistribution égalitaire des revenus,
(Recherches sur les principes de la distribution des richesses,
(oeuvre écrite en 1824), et il s'oriente vers le
coopératisme, Le Travail
récompensé , oeuvre écrite en 1827
Tout comme dans le cas d'une
distribution plus universelle et plus égalitaire du droit de
participation politique, la redistribution égalitaire des droits et des
ressources économiques soulève la question suivante :
est-ce que oui ou non, (et si oui, par quel mécanisme
causal ?), plus d'égalité entre les citoyens favorisera le
développement de leurs compétences morales et rationnelles et par
là même, éventuellement, l'amélioration des
résultats du processus de décision collective ?
En posant cette question, nous n'avons bien entendu
nullement l'intention de contester la légitimité d'une
justification des politiques économiques et sociales par d'autres
arguments, que ceux de la théorie démocratique proprement dite,
tels que l'abolition de la misère et de la pauvreté, par exemple.
Mais du point de vue de la théorie de la
démocratie, il est nécessaire d'examiner avec soin et rigueur les
raisons pour lesquelles - et sous quelles conditions - on doit
considérer l'égalité entre les individus comme une
condition préalable et nécessaire de la rationalité
collective. Comment pouvons-nous être à la fois égaux et
meilleurs ? Donc systématiquement " raisonnables ", et on doit
encore être justifié comme tel. Comme nous avons essayé de
le démontrer, il y a eu successivement, au cours du développement
des démocraties libérales modernes, et de leurs
interprétations théoriques, deux façons de résoudre
ce paradoxe : la représentation et l'État-providence. Avant
de mettre en relief ces deux aspects, une notion est fondamentale dans
l'approche de John Rawls*, toujours dans l'humanitarisme, influencé par
beaucoup de philosophes à l'image de Socrate. Il signifie dans
sa théorie de la justice, que les institutions doivent
encourager les individus à se construire pour eux-mêmes un plan de
vie réalisable. N'avoir aucun plan de vie serait en un sens, le signe
d'un non-respect de soi-même.
La théorie de la représentation, faisant partie
de la tradition de la théorie démocratique, permet d'assouplir le
principe selon lequel, pour qu'une décision soit raisonnable, il faut
qu'en dernière instance ses auteurs soient eux-mêmes raisonnables,
en vertu du fait qu'il existe une convergence nécessaire, entre la
volonté du peuple et le bien commun. En effet, il suffit que les membres
des assemblées représentatives et législatives,
adéquatement constituées, proclament la souveraineté de la
raison au nom du peuple, dont l'énorme majorité ne saurait
être présumée raisonnable. Une autre tradition de la
théorie démocratique, qui s'est faite entendre avec une force
croissante dans l'entre-deux-guerres, a commencé à
dénoncer comme illusoires et naïfs les espoirs nourris par la
tradition classique de Rousseau au sujet de l'impact éducatif et
civilisateur du droit de vote. Le citoyen étant considéré
comme fondamentalement incapable d'affiner sa volonté de façon
autonome, il fallait mettre en place un mécanisme subsidiaire, (appui),
d'affinement des préférences. Simultanément, le
mécanisme de la représentation était supposé servir
de barrière aux " inputs ", (synonyme de intrant qui désigne un
élément entrant dans la production d'un bien), irrationnels, qui
pourraient interférer dans la qualité du processus
décisionnel. Robert Michels, Max Weber, Carl Schmitt et Joseph
Schumpeter, malgré leurs orientations politiques et philosophiques
très différentes, partageaient tous ce point de vue de plus en
plus désabusé, et souvent même ouvertement cynique, au
sujet de la capacité des institutions démocratiques, de
transformer la volonté empirique du peuple en quelque chose de plus
raisonnable et éclairé. Ils considéraient, au contraire,
cette volonté comme quelque chose d'intrinsèquement irrationnel,
sujet à toutes les manipulations "césaristes ", et pouvant tout
au plus servir de caisse de résonance au discours d'un chef
charismatique, ou de mécanisme de sélection aux entrepreneurs
politiques. L'homme, dit en effet Kant, conserve en permanence le respect,
qu'il a de lui-même : - « Le sujet habité par la
liberté n'est pas le sujet habité par la souffrance ».
Selon Kant*, toujours, dans la métaphysique des moeurs,
l'humanité a une dignité, car l'homme ne peut être
utilisé par aucun autre homme ; c'est en cela que consiste la
dignité de l'homme et c'est par le biais d'elle, qu'on peut
s'élever au-dessus de tous les autres .C'est dans ce cadre que la
vision kantienne accorde de l'importance au respect de l'homme.
______________________________
*John, RAWLS (1921-2002), philosophe
américain, il analyse les rapports difficiles entre la justice sociale
et l'efficacité économique. L'auteur, de la théorie de
la justice. Sociale 1971, tente de formuler les principes d'une
société juste, c'est- à- dire celle à laquelle
toute individu souhaiterait raisonnablement adhérer.
* Emmanuel, KANT Les fondements de la métaphysique
des moeurs, dans la doctrine de la vertu.
*Pierre MANENT, Cours familier de philosophie
politique, 2004, Gallimard, tel, p 321.
BIBLIOGRAPHIE
ARENDT Hannah, La crise de la culture, Gallimard, 1972, p.
123
ARISTOTE, La politique, livre VI, 4, 14, Paris,
J. Vrin, 1995, p.438-4
ARISTOTE, La politique, livre VI, 4, 14, Paris, J. Vrin, 1995,
p.438-439
ARISTOTE, les politiques, livre IV, chapitre IV,
trad. P. Pellegrin, paris, GF-Flammarion, 1993, p. 294-295
ARISTOTE, Les politiques, III, 11, 128 1b ,3-8
BERNARDI Bruno, La démocratie, Edition
Flammarion, Paris, 1999, p 58, 155,156
BOURDIEU Pierre, L'Université syndicaliste, sur la
sociologie des institutions novembre 1999, n°510, p.4
CONSTTANT Benjamin, De la liberté des anciens
comparée à celle des modernes, (1819). Edition de Marcel
Gauchet, Pluriel, 1980, p.501
CONSTANT B, De la liberté dans anciens
comparée à celle des modernes, Paris, GF- Flammarion, 1986,
p 265
DEBARBIEUX B. et VANIER M. (dira.), 2001, Ces
Territorialités qui dessinent, collection La Tour d'Aigues,
Éditions de l'aube
DOUGLAS Mary, anthropologique des institutions, ainsi
pensent les institutions, Ed Brochée, 1986
FREYMOND N, Travaux de science politique, nouvelle
série, N15, 2003, p.1
HARRIOU M, Théorie de l'institution, revue
droit et société, N0 30-31 ,1995 MAUSS M objet et
méthode, article écrit en collaboration avec Faucconet Paul,
Collection les auteurs classiques, 1901
HENNINGER Julien, MARBURY V. MADISON James, (arrêt 5
U.S. 137), sur l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis,
Presses Universitaires de Strasbourg, 2006, p118.
HERMET Guy, La démocratie, collection
dirigée par Michel Serres et Nayla Farouki, Edition Flammarion1997, p116
-119
QUILLIEN P- Jean, Histoire de la démocratie,
section d'édition flammarion2006, p.34
MANENT Pierre, Cours familier de philosophie
politique, 2004, Gallimard tel, p. 321
MARIN Louis, « Le portrait du roi », p. 12-13. Sur
la représentation et le pouvoir au XVIIème siècle, cf.
encore J. A
MARIN L, Le portrait du roi, Paris, Ed. Minuit, 1981,
p. 11
Ibid., p. 12. Sur le même thème, cf. aussi
MARIN L, Pour une théorie baroque de l'action
politique, introduction à G. Naudé,
Considérations politiques sur les Coups d'État, Les
Éditions de Paris, 1988, p.19-38
MANIN Bernard, Princes du gouvernement
représentatif, Calmann-Lévy, 1999
MECHOULAN Evelyne, L'État baroque.1610 - 1652,
Paris, Vrin, 1985
MARIN L, Le portrait du roi, op.cit. p. 13
MONTESQUIEU Charles, De l'esprit des lois, livre
XI
ROUSSEAU, J.-J. 1968.The Social Contract, (Le contrat
social), Harmondsworth : Penguin- Edition
ROQUEFORT Daniel, le rôle de
l'éducateur, Harmattan, Semptembre1976, p.133
ANNEXES
ARENDT Hannah, (1906.1975), Condition de l'homme
moderne, 1958, traduit de l'anglais par Georges Fradier, préface
par Paul Ricoeur, paris, Éditions presses pocket, collection Agora
DOUGLAS M anthropologie des institutions, ainsi penses les
institutions, Edition Brochée, 1986.
FUSTEL de COULANGES N.D, La Cité antique,
1864, Professeur d'Émile Durkheim
LANDEMORE Hélène, [07-Mars
-2008].Réflexion sur la démocratie représentative,
est- elle démocratique ?
L'expression a été utilisée pour la
première fois par Alexandre Hamilton en 1777, dans une lettre au
Gouverneur Morris. La Révolution américaine, contrairement
à la Révolution française, n'a pas fait
l'expérience d'un conflit dramatique entre souveraineté populaire
et représentation, et a sans doute fourni le premier effort
décisif pour dissocier la démocratie des Modernes de celle des
Anciens, c'est-à-dire la démocratie
« représentative » de la démocratie
« pure »
MARAVALL José Antonio, La cultura del Barroco. Analisis
de una estructura historica, (la culture baroque, analyse de la structure
historique), Barcelona, éditorial Ariel, 1975
LEFEBVRE G. Quatre-vingt-neuf, 1970. Paris :
Éditions Sociales
MADISON J. président des États-Unis,
(1809-1817), fut un homme politique américain, et l'un des
créateur du Parti républicain
MARSHALL T.H. 1949, Citizenship and social class, (La
Citoyenneté et la Classe Sociale), Cambridge University Press
Rencontre avec Jürgen Habermas, in le Monde des livres,
10 Janvier 1997
RAWLS J, Une théorie politique de la justice
,1971
RANCIERE Jacques, le maître ignorant, Cinq
leçons sur l'émancipation intellectuelle, Éditions Fayard,
1987
MARCH J.G. et OLSEN, J.P. 1989. « Rediscovering
Institutions, (La Redécouverte des Institutions). The
Organizational Basis of Politics , (La base de l'organisation de la
politique), New York, Free Press
SCHMITT C. Les institutions démocratiques
peuvent-elles faire usage `'efficace'' des ressources morales ?,
1965.Verfassungslehre.4th. Edition Berlin
-Article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen, du 26 Août 1789
QUELQUES DEFINITIONS
ET DATES
*Bolingbroke : la corruption qui menace la balance des
pouvoirs.
*Bicaméral : L'évolution de l'un vers
l'autre
*Monocaméral :
Se
dit d'
un
système
politique
parlementaire
dans
lequel
il n'y a
qu'
une
seule
chambre
*Walpole,(Robert Walpole 1676-1745) : la corruption comme moyen d'harmoniser
les pouvoirs
*La racine du mot Politeia, Poli renvoie
à la réalité concrète de la cité
(communauté politique dans la Grèce antique)
*L'exécutif : Se dit d'une autorité
chargée, au sein de l'État, du gouvernement proprement dit,
à distinguer selon la division opérée par Montesquieu au
XVIIIe siècle, du pouvoir législatif des assemblées
lesquelles font les lois, et du pouvoir judiciaire qui administre la justice
*Le Régime parlementaire : se dit d'un
système démocratique dans lequel la direction du gouvernement
revient, normalement aux forces politiques qui détiennent la
majorité à l'assemblée et où se gouvernement est
responsable devant celle - ci (la Belgique)
*Le Régime présidentiel : il s'agit d'un
système politique dans lequel le chef de l'État dirige le pouvoir
exécutif en vertu d'un mandat personnel, indépendamment des
assemblées(Les États -Unis)
*Le Suffrage universel : est une situation dans laquelle
tous ceux qui possèdent la nationalité d'un pays donnée y
jouissent du droit de vote. Ce droit à été
réservé et accordé qu'aux hommes(en 1948 (en France et en
Suisse), et que le suffrage n'est devenu vraiment universel
que lorsque les femmes l'ont obtenu(en 1946 en France)
*La Démocratisation :il signifie soit
l'approfondissement de la qualité démocratique d'une
communauté politique, soit l'accès à un régime
démocratique d'un pays soumis au paravent à un régime
autoritaire ou totalitaire
*1762 : Rousseau, dans le contrat social, donne
sa justification philosophique à la notion de souveraineté
populaire
*1748 : Montesquieu énonce, dans L'Esprit des
lois, les principes du régime parlementaire reposant sur la
division des pouvoirs
*1690 : Locke, dans ses Traites de
gouvernement, fonde la légitimité de l'autorité
politique sur le consentement des gouvernés
ARTICLES
CONNEXES
Auteurs majeurs :
ARISTOTE, classification des pouvoirs
DE TOQUEVILLE Alexis, séparation verticale des
pouvoirs, (répartition territoriale), et troisième (associations)
et quatrième (presse et médias) pouvoirs
DUVERGER Maurice, influence des partis politiques sur la
séparation des pouvoirs
EMMANUEL-JOSEPH Sieyès, La séparation
stricte des pouvoirs
LOCKE John, balance des pouvoirs
SECONDA
Charles Louis de baron de La
Brède, et de Montesquieu : balance des
pouvoirs
S ALLEMAND, Les fondements de la démocratie,
Ed le seuil, Numéro 81
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
p3
I-PREMIERE PARTIE : L'INSTITUTION
p5
A) -Les conceptions de l'institution
p5
B) -Les définitions de l'institution
p7
B1-En sociologie
p7
B2-En politique
p8
B3-En anthropologie
p12
1-1Quelle réflexion sur les institutions
p15
1-2 Quelles institutions caractérisent une cité
démocratique
p18
1-3- L'exemple athénien
p19
1-3-1 Structure et synergie des institutions politiques de la
cité p22
1-4 Représentation et sens de pouvoirs
p24
II-DEUXIEME PARTIE : LES LIMITES DE LA
DEMOCRATIE ATHENIENNE ET L'AVENEMENT DE LA DEMOCRATIE
MODERNE...................................................p37
1-1 Vers la démocratie représentative
p40
1-2 Les principes démocratiques
p43
1-3 Caractéristiques et éléments
p43
1-4 L'institution et la volonté
générale
p46 CONCLUSION
p51
Bibliographie
p57
Annexes
p58
|