1-2 QUELLE INSTITUTION CARACTERISE UNE CITE
DEMOCRATIQUE
C'est dans la prévalence des institutions sur les
hommes que réside la meilleure garantie de la démocratie. Si
celle-ci est bien née dans un contexte culturel donné, son
universalisme repose sur l'adoption d'un système d'institutions; parler
de la `'culture démocratique `' (17), est un peu une
reconstruction après coup. La culture démocratique ne
précède pas les institutions, car elle en est
l'intériorisation; c'est-à-dire que le fonctionnemnt des
institutions approprient cette culture démocratqiue pour en être
la manifestation, et finalement être adaptée aux aspirations et
aux attentes des citoyens.
Si on prend les institutions athéniennes, on remarque
sans doute qu'à l'époque des philosophes rois, la
démocratie telle qu'on l'entend aujourd'hui est loin d'être
exemplaire.
C'est à ce juste titre qu'on peut faire l'etat des
lieux des institutions dites démocratiques et voir leur
conformité ideologique avec l'espace publique,civique.
________________________
17* P-Jean QUILLIE , dans son oeuvre écrite,
Histoire de la démocratie
1-3 L'EXEMPLE
ATHENIEN
Ce qu'on va voir à présent, dans le
modèle athénien, c'est la question qui s'impose à nous ;
à savoir jusqu'à quel degré de validité l'esprit
des institutions grecques correspond à la démocratie au sens
noble du terme : la représentation des citoyens par les citoyens
et pour les citoyens ?
.
En effet, l'institution athénienne est composée
de tous les citoyens mâles âgés de plus de dix-huit ans
(18) ; l'ekklêsia athénienne se
réunit sur la colline de la Pnyx au moins quarante fois par an. Elle a
pour ainsi dire tous les pouvoirs, sauf celui de changer un homme en
femme, comme la désignation et le contrôle des principaux
magistrats, vote des lois et des décrets, décision de faire la
guerre et la paix ; choix des alliances ; préparation de la
guerre, organisation des finances, jugement des affaires les plus graves,
notamment des atteintes à la sûreté de
l'État...etc.
En outre, chaque citoyen peut proposer une motion à
l'assemblée ou prendre la parole dans un débat. Sans doute, la
terrible menace de l'accusation pour illégalité, (lagraphê
para nomôn), (19), a pour objet de punir celui qui propose une loi
contraire aux lois existantes). Cela traduit plus simplement le sentiment
d'incompétence et la peur du ridicule, et dans ce cas, le régime
de l'Assemblée limite-t-il les initiatives
individuelles ? Sachant que la démocratie antique ne
reconnaît aux citoyens aucun droit individuel, naturel et
imprescriptible, et de surcroît, les écrivains du Ve et du IVe
siècle ne donnent pas une image très flatteuse des
délibérations populaires.
Dans l'Assemblée des femmes, Aristophane compare les
décrets de l'assemblée à des actes commis en état
d'ivresse. Cinquante ans plus tard, Isocrate reproche à ses concitoyens
de changer plusieurs fois d'avis dans une même journée et
d'adopter des mesures qu'ils ne tardent pas à blâmer. Pour assurer
la continuité de la souveraineté populaire, l'assemblée
délègue une partie de ses pouvoirs à un conseil permanent
qu'on appelle la boule et un nombre de cinq cents, les bouleutes, qui sont
chaque année tirés au sort à raison de cinquante par
tribu, parmi les citoyens volontaires. Au sein de ce conseil populaire, il
existe une sorte de présidence collégiale et tournante.
Pendant 1/10 de l'année, les cinquante bouleutes
de chaque tribu exercent la prytanie (20). Les prytanes sont chargés de
convoquer le conseil et de garder la cité, de jour comme de nuit. C'est
pourquoi, pendant le temps de leur prytanie, ils logent dans un édifice
qui leur est spécialement affecté à la Tholos.
En dehors de ses importantes compétences judiciaires,
les fonctions essentielles de la boule consistent à préparer et
à exécuter les décrets de l'ekklêsia, mais aussi, en
cas d'urgence, à pouvoir prendre des décisions autonomes. Au Ve
siècle, elle paraît le véritable centre de toute
l'administration de la cité, dont elle surveille les magistrats, la
politique étrangère, l'organisation militaire et les finances.
Elle est chargée de
l'exécution des lois ; les magistrats sont des
délégués du peuple souverain. En principe, les
magistratures sont ouvertes à tous ; elles sont annuelles et
collégiales.
La misthophorie, c'est-à-dire la
rémunération des fonctions publiques, a précisément
pour objet de permettre à chacun de servir la cité pendant un an
et par conséquent, un droit reconnu à tous et de plus, de
nombreuses responsabilités sont attribuées par un tirage au sort,
selon une procédure compliquée qui assure une
égalité de représentation entre les différentes
tribus.
Même si les dieux de la cité président
à ce mode de recrutement, tous les philosophes, à commencer par
Socrate et ses disciples, (Antisthène aussi bien que Platon), ont
critiqué et rejeté un système aussi hasardeux, susceptible
de promouvoir le plus demeuré ou le plus malhonnête des citoyens.
A partir de ce point de vue, on peut penser que les démocrates
athéniens, sensibles aux inconvénients du procédé,
profitaient de la procédure de la docimasie, (examen de
l'« éligibilité » du magistrat,
préalable à son entrée en fonction), pour effectuer une
certaine sélection.
D'autre part, la rémunération des magistrats
est trop modeste pour assurer à elle seule leur subsistance, alors que
les citoyens les plus aisés financièrement qui sont capables de
négliger leurs loisirs toute une année, devaient donc constituer
la majorité des candidats. En fait, Athènes n'a jamais connu la
démocratie absolue qu'Aristote définit dans La
Politique en un régime où toutes les charges sont
ouvertes à tous ; et l'esprit d'égalité régnait en
maître.
Pour les fonctions les plus importantes, notamment les
stratèges et les trésoriers, des conditions de sélections
sont imposées, car les détenteurs sont en effet appelés
à répondre sur leur fortune personnelle des fonds confiés
par la cité.
Le mécanisme de sélection consiste à
réserver certaines magistratures aux membres d'une ou de plusieurs des
quatre classes censitaires instituées par Solon, dont le revenu
annuel, en mesures de blé, n'est pas inférieur à 500
médimnes, hippeis, « cavaliers »,
c'est-à-dire assez riches pour entretenir un cheval; zeugites capables
d'entretenir un attelage (21) , zugon, de
boeufs, thètes.
D'autre part, les magistratures essentielles, militaires et
surtout financières, sont soumises à l'élection. C'est
pourquoi elles continuent en fait d'être assumées par les membres
des familles aristocratiques, tels Périclès, ou en tout cas
aisées, comme par exemple Démosthène, qui ont pu se former
et se préparer au métier politique en étudiant notamment
la rhétorique. En effet, au Ve siècle, les stratèges, au
nombre de dix, sont les principaux magistrats de la cité.
Ils sont chargés de la conduite de la guerre, ils
doivent sans cesse défendre leur politique devant l'assemblée.
Orateurs habiles, ils influencent, voire contrôlent toute la politique
extérieure et intérieure (notamment financière). C'est
comme stratège que Thémistocle gouverne Athènes pendant la
deuxième guerre médique. C'est bien sûr
Périclès qui, en exerçant la stratégie sans
discontinuer pendant quinze ans,
achève d'en faire la magistrature suprême.
Jusqu'au début du IVe siècle, tous les grands noms de l'histoire
politique athénienne sont ceux de stratèges.
Ensuite, ces magistrats tendent à retrouver leur
spécialisation militaire. Si le plus ancien tribunal d'Athènes
est l'Aréopage, (composé d'anciens magistrats), compétent
au Ve siècle en matière religieuse et criminelle, le plus
important est sans conteste l'Héliée. Plus qu'une simple cour de
justice, ce tribunal populaire constitue un véritable organe de la vie
politique.
Chaque année, on tire au sort 6 000 juges, (600 par
tribu), parmi les citoyens de plus de trente ans qui se portent volontaires.
Les séances plénières sont exceptionnelles.
Généralement, les héliastes jugent en
sections de taille variable : un jury ordinaire, comme celui qui condamne
Socrate, comprend 501 citoyens. Ce sont souvent des hommes âgés et
peu fortunés, pour qui le misthos (22) constitue un complément de
ressources non négligeable. Si l'on en croit Aristophane dans Les
Guêpes, les critiques des philosophes, les plaidoiries des orateurs,
ce tribunal populaire ne brillait pas par l'équité ni par la
rationalité de ses jugements. Quand les juges n'étaient pas
achetés, ils persécutaient les citoyens les plus riches : au
IVe siècle, leur salaire est financé par la vente des biens
confisqués ! On le voit, la démocratie athénienne,
même au siècle de Périclès, n'est pas le
régime idyllique chanté par certains auteurs de manuel.
Elle connaît bien des limites, dont l'allure est
paradoxale. D'une part, l'assemblée et le tribunal populaires ne sont
pas représentatifs de l'ensemble du peuple athénien. Sur les
30 000 à 40 000 citoyens que compte la cité, seuls
quelques milliers se pressentent régulièrement aux séances
de l'ekklêsia. Le quorum de 6 000 votants exigé pour les
décisions les plus importantes indique assez que ce nombre
n'était pas ordinairement atteint.
La plus grande partie des citoyens,
peut-être les 4/5 au début du IVe siècle, sont des paysans
tirant péniblement leur subsistance d'un petit lot de terre, qu'ils
cultivent eux-mêmes avec l'aide d'un ou deux esclaves. D'après
Aristophane aussi bien qu'Aristote, ils hésitent à se rendre en
ville pour participer aux assemblées, sauf si la décision
débattue les concerne directement. Le démos urbain,
composé d'hommes habitant dans les faubourgs d'Athènes et du
Pirée, fournit le gros bataillon de ceux qui fréquentent
l'assemblée avec assiduité. Dans le Protagoras de Platon, Socrate
mentionne surtout des forgerons, des charpentiers, des cordonniers, des petits
marchands, souvent âgés, qui viennent chercher dans les salaires
publics un complément à leurs maigres revenus. C'est pourquoi les
théoriciens politiques de l'Antiquité présentent souvent
Athènes comme un régime où les pauvres, détenteurs
du pouvoir, font la guerre aux riches, sur qui pèsent de lourdes charges
fiscales et militaires. Au sommet de l'État, pourtant, les classes
supérieures dominent d'une façon écrasante. Les plus
grands noms de l'histoire athénienne, de Clisthène,
(Alcméonide) à Alcibiade, (apparenté aux
Alcméonides, pupille de Périclès) en passant par
Périclès (Alcméonide), appartiennent à des familles
nobles ou riches, en tout les cas influentes.
A l'école de Protagoras, d'Isocrate ou de
Platon, ils se sont donné les moyens de réussir dans la
carrière politique. Ils ont appris à argumenter, à
convaincre, à séduire leurs concitoyens. Vivant de leurs rentes,
ils peuvent consacrer la plus grande partie de leur temps à la gestion
des affaires de la cité. Thucydide, qui, il est vrai, appartient au
parti aristocratique, décrit le régime institué par
Périclès comme une monarchie élective, qui n'a de
démocratie que le nom, tant le stratège exerce une forte
domination. A la fin du Ve siècle, le terme démagogue,
`' meneur de peuple `', fait son apparition, pour désigner
l'orateur habile qui, magistrat ou non, détermine par ses discours le
vote populaire. H. Arendt distinguait le moteur de l'obéissance au sein
de la cité de ceux qui agissant dans l'empire ou la nation, en la
décrivant comme conséquence de la force de persuasion.
Arendt :-« présuppose l'égalité et
opère par un processus d'argumentation »*.L'exemple le plus
tristement célèbre est sans doute celui de Cléon, à
jamais cloué au pilori par Thucydide et Aristophane.
Par ailleurs, même si on note quelques
défaillances dans le choix du régime institué, à
savoir que la cité athénienne n'a pas utilisé le rapport
au pouvoir émanant de la souveraineté, il n'en demeure pas moins
vrai qu'elle a réussit à développer une synergie
basée sur la logique institutionnelle. C'est une synergie, dans laquelle
les institutions de la cité ont donné naissance à une
forme de démocratie directe.
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