B) - LES DEFINITIONS DE L'INSTITUTION
Sous la lumière des conceptions
données par les uns et les autres sur la forme et la nature que peut
avoir l'institution, alors que celle-ci peut se présenter sous la forme
d'une personne morale de droit public (État, Parlement), ou de droit
privé ( association), ou d'un groupement non personnalisé, ou
d'une fondation, ou d'un régime légal tel que la tutelle, la
prescription, la faillite, l'expropriation pour cause d'utilité
publique. Montesquieu dans son livre, De l'esprit des lois, a donné une
définition à double sens des institutions, en disant que : -
« Les lois sont établies, les moeurs sont inspirées ;
celles-ci tiennent plus à l'esprit général ;
celles-là tiennent plus à une institution particulière ;
or, il est aussi dangereux de renverser l'esprit général que de
changer une institution particulière (...) » (7). Nous avons dit
que les lois étaient des institutions particulières et
précises du législateur, les manières des institutions de
la nation en général. Montesquieu ajoute dans son livre XI, en
analysant la liberté et la séparation des pouvoirs : « c'est
une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est
porté à en abuser(...) pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il
faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir
» (8).
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FUSTEL DE COULANGES Numa Denis, Professeur d'Émile
Durkheim, l'a bien, (définition de l'institution), exprimé dans
son ouvrage sur, La Cité antique ,1864
*LIVET Pierre, Les institutions, au- delà du holisme et
de l'individualisme, p.191
6 * TOCQUEVILLE A, De la démocratie en Amérique,
entre 1935 et 1940
7 *MONTESQUIEU C, De l'esprit des lois, livre XIX, où
il détaille ce qui peut influencer les lois : à savoir les
moeurs, le climat,
la recherche de la liberté
8 *Ibid., livre XI. *Dans cette étude qui n'a jamais
été surpassée, Fustel de Coulanges illumine de ses
connaissances et de son intelligence les questions d'organisation politique et
sociale
B1-En Sociologie
Sociologiquement parlant, c'est le concept
d'institution selon le sens que lui a attribué le sociologue
français Émile Durkheim dans Les règles de la
méthode sociologique, oeuvre écrite en 1871.
L'institution permet par conséquent la
construction de la sociologie comme une science sociale autonome ; il rajoute
dans la même optique que la sociologie est la science des institutions,
de leur genèse et leur fonctionnement*. C'est la raison pour laquelle
les institutions sont des manières collectives d'agir et de penser alors
que les moeurs sont rattachées à des pratiques ancestrales, les
institutions ont leur existence propre en dehors des individus.
Pour Émile Durkheim, les faits sociaux ne sont
pas naturels ; ils sont immédiatement intelligibles mais doivent
être compris à travers l'expérimentation et l'observation.
C'est à ce titre que les faits sociaux s'expriment et agissent à
travers les personnes et ce, autant que la conscience collective. Les
institutions en Grèce à titre d'exemple ont une solidité
qui résiste aux siècles, aux croyances de leur origine et par
conséquent, les institutions sont devenues opaques (fermées sur
elle- mêmes) mais subsistent quand même.
La société est réglée
par les institutions. En effet, l'institution est un ensemble
d'activités instituées que les individus trouvent en elle
comparable à la fonction de l'ordre biologique, car l'homme est en
situation de demande permanente, de même que la science de la vie est
celle des fonctions vitales.
Du point de vue du rapport qui existe entre la science
de la société et celle des institutions ; Marcel Mauss et Max
Weber sont parmi les fondateurs de l'École Allemande de sociologie. En
effet, pour eux : - « l'institution se rapproche de l'idée
d'association ; c'est un groupement dont les règlements statutaires sont
octroyés avec un succès relatif à l'intérieur d'une
zone d'action délimitant à tous ceux qui agissent d'une
manière définissable selon les critères
déterminés » (9). Ils veulent dire par là que
l'institution a la fonction d'un régulateur des rapports sociaux. Et par
conséquent, le terme d'institutionnalisation est le processus qui tend
à organiser les rapports aux modèles sociaux. Pour Ewing
Goffman, (1922-1982), sociologue, linguiste américain d'origine
canadienne, le terme d'institution concerne les organismes sociaux
différents. Cette forme d'organisation n'implique pas des obstacles mais
les érigent entre ceux qui sont dehors et ceux qui sont dans
l'institution.
En terme juridique, l'institution telle qu'elle est
vue par Maurice Hauriou en 1925, dans sa théorie de l'institution et la
puissance publique, est une idée évolutionniste selon ce penseur
; c'est-à-dire que : - « l'institution est un projet d'oeuvre ou
d'entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social
; pour la réalisation de ce projet, un pouvoir s'organise et lui procure
des organes, (...). Il se produit des manifestations de communication
dirigée ou organisée par des pouvoirs et réglée par
des procédures » (10).
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9 *Marcel MAUSS, Objet et méthode, article
écrit en collaboration avec Paul Fauconnet, Collection, Les auteurs
classiques,
1901
Il remarque une lente évolution sociale qui s'installe
et identifie deux types d'institutions ; à savoir :
les institutions vivantes et les inhérentes.
Les institutions inhérentes résultent d'un double processus
d'incorporation et de personnification. L'incorporation, c'est un pouvoir
organisé.
Une institution cesse de se réduire aux
individus ; elle a une individualité. Quant à la
personnification, c'est la communauté effective, la manifestation de
deux communions de l'institution et des personnes. C'est un lien étroit
entre les institutions et le droit. Autrement dit, les institutions vivantes
ont besoin du droit pour exister et par conséquent, on note trois types
de droit : institutionnel (organisationnel), statutaire (de rôle) et
disciplinaire (règles de conduites) ; ces trois types de droit sont
utilisés par les institutions. L'État est une institution
complexe formé d'un ensemble d'institutions articulées en termes
de science politique.
Pour revenir à Weber, l'État
moderne exerce une domination légale rationnelle qui repose sur
l'autorité de la loi et l'administration impose une forme commune
à ses agents mais on observe des variantes de culture administrative
dans les administrations.
Toujours selon Weber, à l'intérieur
du cadre administratif général, se développent des
secteurs par des spécificités culturelles. Au sein même
d'un ministère par exemple, on note des différences en termes de
culture administrative. Pour le ministère des Finances, des
différences de culture apparaissent entre la direction du trésor
et celle de l'impôt.
L'identification de ces cultures n'est, ajoute
Weber, possible que dans l'appareil interne de l'État. L'individu
externe ne se rend pas compte de ces fragmentations et de ces divisions, car
l'individu est sublimé par le principe d'unicité de
l'État.
En effet, ces spécificités peuvent
être observées entre administrations identiques de
différents États. Les agents introduisent des traits de culture
spécifiques liés à leurs traits ou traditions nationales
et si on compare différents secteurs de différents États,
on a des traits culturels très différents ; en d'autres termes,
le rapport à l'ordre hiérarchique, le rapport entre
collègues, et le mode de travail diffèrent. Ces cultures
évoluent selon l'évolution de la société.
Dans ce cas, la notion de culture des institutions
est souvent instrumentalisée ; d'où la nécessité
d'améliorer le management des institutions ou des organisations ;
à savoir inventer de nouveaux équilibres humains. C'est à
cet égard qu'on comprend la volonté d'introduire une nouvelle
culture dans les institutions.
B2-En Politique
Avant de définir l'institution, on peut
néanmoins souligner que la science politique est égale à
trois notions : Politique, c'est le politique au sens de gouvernement ; c'est-
à- dire l'état des institutions. Cette définition
apparaît restrictive, car c'est le politique à travers ces
structures.
Cela néglige la vie politique, le jeu politique
; cela n'engage pas toute l'approche politique et la science politique. Ici
Policy veut dire que le politique a le sens de « les politiques ».
À travers le Policy, on s'intéresse à la production de
l'État ; autrement dit aux institutions c'est-à-dire aux
politiques publiques.
Cela permet de comprendre l'action de l'État au
sens sectoriel. Cela signifie une approche décisionnelle.
Avec le troisième élément dont parle
Harriou, on s'intéresse aux acteurs, aux conflits, aux rapports
égaux entre les acteurs et les institutions. L'analyse porte moins sur
les structures que sur les acteurs et les stratégies. Cette
définition apparaît restrictive ; c'est le politique à
travers ses structures. Alors comment s'exerce le gouvernement à travers
ses structures ? L'analyse des institutions s'inspire de chacune des trois
définitions. Le mot Polit désigne les institutions comme une
forme de politique et constituent les structures de bases. C'est dans cet
ordre d'idée que Harriou*dit que :- « l'institution c'est ce qui
est institué d'une part; l'organisation, dés lors que
l'institution est un concept essentiel de l'analyse que l'on peut
décrire comme objet, et d'autre part, l'institution est un processus qui
institut un groupe humain » (11).
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10 * M, HARRIOU, Théorie de l'institution.
Revue droit et société, N0 30-31 ,1995
*Une théorie formulée par le doyen toulousain au
début du siècle, devenue particulièrement stimulante pour
une analyse du droit et pour une compréhension de sa dimension
sociale
11 *Ibid.
*L'institutionnalisme, dont fait partie M. Harriou, est une
école de pensée économique, se concentre sur la
compréhension du rôle des institutions établies par les
hommes pour modeler le comportement social
Alors, dans ce cas, l'accent est porté sur
le phénomène social de l'engendrement et de la durée de
cette organisation. L'institution est visée par Harriou comme un outil
immédiat d'analyse et aussi comme objet.
Le fonctionnement du gouvernement et de la
société auquel renvoie Policy veut dire les institutions qui
président des politiques et forment le processus de décision
politique. En fait, les institutions politiques, administratives,
européennes sont un lieu d'expérimentation de la politique et un
lieu de conflit vers une stratégie de renouvellement. Quant à ce
qu'appelle Hariou Politis, c'est un processus qui attribue
l'autorité et qui permet de régler les conflits menaçant
la cohésion sociale. Dans son ouvrage,
M. Douglas critique la séparation entre les primitifs et les
sociétés modernes. Son oeuvre débute sur la
réflexion :- « Quelle est la capacité des institutions
à penser par elle-même ? ». Elle ajoute :-
« la personnalité juridique ne suffit pas de donner à
un groupement ou une institution une pensée ou un sentiment
déterminé » (12). Ce n'est pas l'existence
légale d'une institution qui lui donne un comportement propre.
Cette idée est en rupture avec d'autres théories
qui sont marxiste, individualiste ou rationaliste. Pour le
marxisme*, « on suppose qu'une classe sociale agit,
perçoit »* et ce, en fonction de ses propres
intérêts, donc les institutions sont le reflet des conflits de
classe. Le rationalisme présente l'action collective qu'à partir
d'une fonction de calculs coûts avantages des individus. Pour M. Douglas,
elle estime que les personnes contribuent à la société
sans intérêt mais de Postulat.
En développant son approche des institutions, elle
conclut pour dire que les institutions sont créatrices
d'identité. Mais ces mêmes institutions se souviennent et
oublient.
En effet, si on revient à l'aspect
sociologique, les institutions font des classifications au sein de la
société. Douglas reprend l'approche de Durkheim
qui tente d'expliquer comment les institutions effectuaient des
classifications. Pour Durkheim, c'est le sacré qui crée
l'institution. En effet, les formes sociales élémentaires,
(rites, dogmes, cérémonies, mythes) sont des
éléments qu'on ne peut envisager qu' à partir d'un tout ;
ils n'ont ni constitution, ni roi, ni aucune autorité suprême
coercitive ; pourtant au sens d'a priori ont bien du sacré d'absolu, car
c'est le privilège du sacré sur le bien, sur le vrai.
__________________________
12 * Mary DOUGLAS, anthropologie des
institutions « ainsi penses les institutions »,
Edition Brochée, 1986
*Carl Marx, Marx considère que
`' les idées dominantes d'une époque n'ont jamais
été que les idées de la classe dominante `'
(Manifeste du parti communiste)
MARX estime que l'Humanité doit instaurer une
société sans division en classes sociales, empêchant ainsi
la domination d'une classe dominante. Le capital, Livre I,
section 8 et '' Le manifeste du parti communiste''
C'est à travers ces classifications
qu'on nous permet de penser. Ces classifications sont déjà
fournies toutes faites en même temps que notre vie sociale, et par
conséquent, elles sont incorporées par les personnes.
Elles sont même opérationnelles à
tous les niveaux de la société. Au sommet, on trouve les
règles sociales les plus générales qui déterminent
les catégories de pensée : c'est précisément
l'ensemble de notre
vision, de notre façon de penser et de notre
comportement qui en dépendent. Autrement dit, l'institution peut
être la famille ; au sein de celle-ci, les personnes reproduisent les
schémas d'autorité, de division du travail et constamment, nous
pensons en fonction de ces catégories et classifications des
institutions.
Il faut faire un travail sur soi pour mieux penser ces
catégories. Les individus ne contrôlent pas les classifications.
Leur seule marge de manoeuvre c'est de faire des choix en leur sein. On peut
tirer une conclusion de cette analyse de Douglas inspirée de Durkheim
qui peut se résumer à quatre étapes :
- les personnes construisent collectivement les
institutions,
- les institutions créent les classifications,
- les classifications donnent en retour des principes
d'identification des citoyens,
- Ces principes d'identification permettent aux personnes de
se penser dans la société et de penser la société,
et le monde.
B3-En Anthropologie
Pour le courant d'anthropologie lancé par
Marc Abélès , ethnologue français qui a
crée un laboratoire de recherche à Paris qui s'appelle le
laboratoire d'anthropologie des institutions et organisations sociales.
La démarche d'Abélès s'intéresse
à la façon dont l'institution construit son territoire et
définit un espace politique. Il s'agit pour lui surtout d'observer des
phénomènes collectifs mobilisant les ressources culturelles des
individus dans l'espace déterminé. Cela se présente sur
plusieurs registres : affectif, symbolique, intellectuel, et pratique.
Pour le registre affectif, on trouve un rapport qui se
déploie entre institution et individus dans le cadre politique entre
autres. Par ailleurs, le registre symbolique ainsi que le registre
intellectuel s'inscrivent dans le rapport qu'il y a entre la production
des idées, et enfin le registre de pratique : quelle est la
pratique de l'individu dans l'institution ; cette spécificité
montre comment les institutions produisent des cultures, de la culture.
Le lien entre culture et institution peut apparaître
contradictoire car il existe une présentation de la culture comme une
mise en cohérence globale d'une société alors même
que l'institution est issue non pas d'un processus de cohérence mais de
fragmentation marquée par la division du travail et la
professionnalisation.
Pour revenir à la définition de la
culture d'une institution, Abélès*dit que l'institution est un
ensemble d'aptitudes et de comportements acquis au sein de l'institution, et
pour lui la culture de l'institution ne se joue pas seulement dans l'espace
interne de l'institution, mais elle va au-delà. Pour Max Weber :-
« la bureaucratie est un ensemble rationnel des activités
sociales » (13). Pour lui :- « l'institution se rapproche
de l'idée d'association ; c'est un groupement dont les règlements
statutaires sont octroyés avec un succès relatif à
l'intérieur d'une zone d'action délimitant à tous ceux qui
agissent d'une manière définissable selon les critères
déterminés » (14) ; la démarche
wébérienne, c'est faire en sorte que ses activités soient
orientées méthodiquement, (d'une manière rationnelle),
vers un objectif.
_____________________________
13 * WEBER M. Définition de
l'institution, fondateur de l'école allemande de sociologie
Institution (Sociologie), WIKIPEDIA,
l'encyclopédie libre
14 *Ibid. Définition de l'institution
*ABELES Marc, dans l'introduction à la sociologie des
institutions
Par conséquent, l'approche en termes de
culture dans des institutions traite de façon importante le ou les
langages des institutions. Et de ce point de vue, le langage est une
manifestation immédiate des propriétés culturelles des
institutions.
Pour étayer ce propos, on parle de langage
de la Banque Mondiale (BM) ou du Fond Monétaire International (FMI) ;
donc si le langage est le reflet de la pratique collective de l'institution,
alors il peut avoir des effets secondaires en termes de production
intellectuelle des institutions et sur leur transformation en
général.
A cet effet, les anthropologues
s'intéressent alors à la vie quotidienne au sein des institutions
et aux modes de relations entre les personnes dans les institutions. La
méthode ethnographique, il s'agit de séjourner dans l'institution
au moyen de l'observation participante et par conséquent, l'approche
anthropologique peut se résumer :
A partir de pratiques et de discours de ses
représentants, il s'agit d'étudier ces idées et cultures
en relation avec les différentes cultures d'institutions. Ces
mêmes cultures d'institution ne produisent pas d'identités
globales, totales ou uniques, car, un individu peut être de plusieurs
institutions. Ces appartenances peuvent évoluer.
Il faut se garder de considérer l'individu
comme représentant d'une seule culture, d'une seule institution ; dans
ce cas on parle de danger culturaliste ; à savoir de doter l'individu
d'une seule culture. Le danger peut être aussi observé dans
l'analyse des institutions ; à savoir de donner à une seule
personne toute les propriétés du général. Certes,
on peut discuter de l'influence du général, mais les
propriétés du particulier demeurent.
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