C- Le sport
Comme nous l'avons vu précédemment, les
immigrés italiens de la 1ère génération
s'attiraient souvent l'hostilité des Français à cause de
leur ardeur au travail. Ils ne s'octroyaient pas de loisirs, leur
priorité étant de faire vivre leur famille et d'envoyer un peu
d'argent en Italie, à leurs parents restés au pays. Mais dans les
années 30, la diminution du temps de travail et l'instauration du repos
dominical, laisse un peu de temps libre aux ouvriers pour s'adonner à
une activité sportive.
· un frein à l'intégration :
Le sport a d'abord été utilisé par les
missions catholiques et par les autorités italiennes qui cherchaient
à préserver l'italianité des immigrés. Certaines
53 Ralph SCHOR, « le facteur religieux et
l'intégration en France (1919-1939),Vingtième
siècle, revue d'Histoire, 1985, volume7, numéro 7, p 107.
54 Pierre MILZA, Op.cit, p 403.
associations, subventionnées par le gouvernement
italien, visaient à freiner l'assimilation des immigrés à
la société française, en limitant les échanges avec
les autochtones : ainsi les équipes de football ne comportaient, dans un
premier temps, que des joueurs italiens et la compétition
créée par l'Union Vélocipédique italienne
était réservée exclusivement aux Italiens.
? Le sport, un terrain d'égalité :
Cependant, peu à peu, le sport a rapproché Italiens
et Français, surtout les enfants, car dans ce domaine, ils
étaient enfin sur un pied d'égalité :
"L'espace réservé au sport est celui
où l'enfant d'immigré se trouve en totale égalité
avec les petits Français. En effet, si les « Ritals » peuvent
avoir des difficultés dans les matières intellectuelles, pour des
raisons bien compréhensibles, ils ne rencontrent dans les
activités sportives, aucune barrière du mr me ordre. Pas à
l'aise en classe, ils deviennent la coqueluche des cours de
récréation. Le sport leur permet de renverser les valeurs et de
faire preuve de leurs qualités."55
C'est à l'école que les enfants commencent
à s'initier au sport, mais la rue devient rapidement leur terrain de jeu
favori. Les enfants d'immigrés oublient ainsi leurs dures conditions de
vie et affrontent les petits Français dans des matchs France- Italie qui
marquent un premier pas vers l'intégration. Le plus important pour les
enfants, c'est de jouer, la nationalité de l'adversaire ou du
coéquipier importe peu. Ce qui compte, ce sont les qualités
sportives.
Dans une interview, Michel Platini souligne l'importance du
football dans la vie des jeunes enfants d'immigrés :
"Le foot a toujours été un lieu
privilégié dans les quartiers populaires. À mon
époque, les immigrés étaient italiens. Nous vivions la
mrme chose qu'aujourd'hui. Mon père s'est occupé du club de J uf
pendant 30 ans, à une époque où ce n'était pas
facile. Avec les Ritals et ce côté un peu difficile de
l'intégration. Le foot n'a jamais cessé d'aider les jeunes
à se trouver des passions pour qu'ils vivent mieux leur vie
"56.
55 Ibidem p 150.
56 Michel PLATINI, interview, L'Humanité, 9
décembre 2005.
· Les sports pratiqués par les ouvriers
italiens :
Les Italiens pratiquent différents sports (marche,
natation, boxe, lutte, catch), mais leur préférence va
généralement au football et au cyclisme, domaines dans lesquels
certains d'entre eux s'illustreront brillamment.
D'après un témoignage recueilli par Nicolas
Violle57 le sport pratiqué est lié à
l'activité professionnelle :
" D'après M. To., les menuisiers du faubourg
Saint-Antoine à Paris XIIe, faisaient plutôt du cyclisme ; les
maçons, plZtriers, terrassiers, carreleurs, m an uvres... du football ;
et les chauffeurs de taxi (Valdôtains pour la plupart des Italiens de
cette profession) plutôt de la marche ou de la course".
Après la victoire du Front Populaire en 1936, qui
accorde quinze jours de congés payés aux ouvriers, le cyclisme
connaît un véritable succès : la bicyclette permet de se
déplacer rapidement, de se promener, on peut l'utiliser en ville ou
à la campagne et elle symbolise la réussite des ouvriers
immigrés. Le tour de France créé en 1903 et très
médiatisé rend le cyclisme encore plus populaire.
Entre les deux-guerres, le sport pénètre les
milieux ouvriers. Les patrons encouragent la pratique du football, qui permet
de rapprocher les ouvriers, de développer leur sens du travail en
équipe et surtout de les éloigner du syndicalisme :
"Le football requiert une bonne compréhension des
règles simples, un véritable esprit d'équipe, et confirme
chaque joueur dans un rôle précis, profitable au travail de toute
l'équipe dans la recherche d'un but commun : la victoire. (...). Le
patron préfère savoir ses ouvriers au stade plutôt
qu'à la réunion du parti ou du syndicat. Il
apparaît aussi comme un bon vecteur pour calmer les tensions
sociales."
· L'influence positive du sport sur l'image des
immigrés :
La renommée des joueurs d'origine italienne qui
excellent dans le football français (Roger Piantoni, Pierre Repellini,
Michel Platini...) joue un rôle important dans l'intégration :
"L'évocation répétée de leurs
patronymes, liée à celle de leurs performances va créer
une accoutumance à ces noms à consonance étrangère
(...) ils deviennent familiers, puis reconnus comme ceux des membres de
l'équipe qu'on supporte (...) si l'origine étrangère ne
s'estompe pas complètement, l'attachement à l'équipe de
son c ur, que ce soit un club ou une équipe nationale, est suffisamment
fort pour qu'elle s'estompe et que l'effet produit rejaillisse sur l'ensemble
des attitudes vis-à-vis de la population de même
origine."58
57 Nicolas VIOLLE, « Le rôle du sport pour
l'intégration des Italiens en France » dans Babel
n°11, textes réunis par Isabelle FELICI dans Regards culturels
sur les phénomènes migratoires, Université
Toulon-Var, 2005, p 144.
58 Nicolas VIOLLE, Op.cit. p 157.
En faisant l'éloge de ces champions, la presse,
contribue à changer l'image des immigrés italiens,
"désormais moins autres qu'avant, [qui] apparaissent comme les
cousins transalpins, plus tout à fait étrangers
59".
Le succès retentissant du Tour de France est dû
en grande partie à sa médiatisation : on peut suivre les exploits
des coureurs dans la presse, à la télévision mais aussi en
direct à la radio ! Les journalistes font des vainqueurs de
véritables héros :
"Après la guerre, mon c ur s'est rallié
à Fausto Coppi. Sur un lit, à l'Hôpital de Bicr tre, j'ai
suivi son Tour royal de 1952 ! Tous les malades s'arrr taient presque de
souffrir pendant le reportage de Georges Briquet. Fausto gagnait contre la
montre (...) Les Français l'avaient adopté. Tous les mauvais
souvenirs de la guerre, de Mussolini, des vilains ritals alliés aux
Fritz, étaient effacés grâce à Fausto. Rien que pour
cela il devrait bien avoir sa rue dans toutes les villes de France."
Les Italiens qui sont arrivés en France après les
années 50, ont bénéficié de cette revalorisation de
leur image.
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