C- L'associationnisme italien
Le syndicalisme ouvrier
Les premiers immigrés italiens s'étaient
attiré les foudres des ouvriers français, car ils acceptaient
sans se révolter leurs dures conditions de travail et cherchaient
à ne pas faire de vagues. Les Français les méprisaient,
les taxant de « kroumirs » et de « briseurs de grèves
».
Mais à la fin du XIXème
siècle, ils participent activement au mouvement ouvrier, surtout
à Marseille. Sous l'influence considérable de Luigi Campolonghi,
le mouvement ouvrier italien devient un organisme puissant et fait entendre ses
revendications. Les Italiens se rallient par centaines aux syndicats et
participent massivement aux grèves, soucieux de faire preuve de
solidarité avec les ouvriers français :
"Dans toutes les manifestations, écrit le commissaire
spécial dans son rapport de synthèse, le drapeau italien est
déployé à côté du drapeau
français "43.
Bien que les rivalités et les rixes entre ouvriers
italiens et français n'aient pas disparu, l'investissement des Italiens
dans le syndicalisme les a atténuées. Dans un rapport daté
de 1900, le commissaire spécial note en effet :
"(...) une amélioration très sensible de leurs
rapports avec la population locale, une plus grande sécurité et
une augmentation très substantielle de leurs
salaires"44.
L'influence de Campolonghi, ses succès et sa
popularité le rendent dangereux aux yeux des autorités
françaises. Il sera donc arrêté puis expulsé en
1901.
Mais entre-temps, le socialisme italien s'est affirmé
dans les autres régions de France où la population italienne est
importante. Différents organismes voient le jour, comme 113 P
Dn:tDriD qui assiste les immigrés entres autres, par le biais du
Consorzio SI-L2lD2tXtI-lD2dI-HII-P IJrDzIRnI-2CI-12SDI-ii2ll X1RSD qui
distribue de l'argent, veillait à la mise en place de maison d'accueil
pour les migrants, envoyait des inspecteurs pour contrôler les conditions
de vie des immigrés. Ainsi, à la demande des mineurs italiens de
Lorraine, plusieurs inspecteurs seront mandatés en Lorraine, dont
Cavalazzi qui s'y installera et fondera le premier organe syndical en Lorraine,
Le
43 .
Pierre MILZA, Op.cit. p 242
44 Ibidem, p. 243.
réveil ouvrier, dans l'arrondissement de Briey.
Pour les mêmes raisons que Campolonghi, il sera reconduit à la
frontière en 1905.
L'engagement politique des Italiens de France :
Le parti communiste :
Sous la Terreur squadriste -- du nom des équipes
fascistes qui menaient des expéditions punitives dans les rues depuis la
prise de pouvoir de Mussolini -- qui les avait pris pour cible, de nombreux
militants du parti communiste italien se réfugient en France. Ils
n'abandonnent pas leur lutte dans l'exil et cherchent à rallier les
immigrés italiens à leur cause par le biais de journaux et les
incitent à s'inscrire à la Fédération des sections
communistes italiennes en France. En 1923, les fédérations
communistes étrangères sont supprimées, leurs membres
doivent donc rejoindre les «groupes de langue« du parti communiste
français. Les Italiens sont les plus nombreux et les plus actifs.
"Les I-11aR-MIII G-III XrIII 3 lib I-RIA1-III laJ
grX-gtIII X'-f aIA-gR-III G-III Dag -III (c) centuries prolétariennes
» organisées et encadrées militairement pour la seule ville
de Paris ». Sachant que mille hommes environ composaient une
centurie, on devine l'inquiétude du gouvernement français qui
réagit en procédant à de nombreuses arrestations et
expulsions en 1925.
Les organisations fascistes en France :
La force des organisations antifascistes a limité
l'implantation des fasci sur le territoire français. Mussolini,
soucieux d'établir de bons rapports avec la France, n'était pas
pour la propagande fasciste à l'étranger prônée par
les squadristes. Toutefois, le ralliement massif des immigrés à
l'antifascisme cause des tensions : les fascistes et les dirigeants du Parti
National Fasciste s'acharnent contre les opposants au régime. Des
groupes fascistes (fasci) naissent à Paris et à Nice en
1922, puis à Marseille en 1925.
Il n'y a pas eu d'organisations fascistes dans les autres
régions d'immigration italiennes, malgré quelques tentatives en
Lorraine sous l'influence des missions catholiques.
La lutte entre fascistes et antifascistes provoque plusieurs
épisodes violents, l'assassinat du chef du fascio Bonservizi
à Paris en 1924 déclenche une vague d'attentats,
d'expéditions punitives, des complots se trament contre Mussolini.
Suites à ces violences, les organisations sont reprises
en main, épurées de leurs membres les plus extrémistes.
Mais le fascisme s'impose peu à peu dans toutes les régions
françaises, à forte concentration italienne. Ce sont surtout des
notables (commerçants, industriels, médecins, avocats,
journalistes...) qui adhèrent au fascisme, les ouvriers sont très
minoritaires. Le fascisme s'infiltre dans les milieux immigrés, en les
séduisant grâce aux avantages qu'il comporte : l'adhésion
au fascisme donne droit à des soins gratuits en cas de problèmes
de santé, à une aide pour la recherche d'un emploi, au
rapatriement pour ceux qui voudraient retourner dans leur pays mais n'en ont
pas les moyens. Par le biais des organisations (associations d'entraides,
d'anciens combattants, consulats, Maisons d'Italie, Dante Alighieri)
le gouvernement fasciste offre des colonies de vacances aux enfants
d'immigrés, leur distribue des jouets et des bonbons pour les
fêtes de fin d'année. Cette stratégie politique fonctionne
: en 1938, on compte 274 fasci en France.
Au lieu de mener une propagande directe, ces organismes
cherchent à préserver l'italianité des immigrés et
le culte de la Mère Patrie. Ils font donc obstacle au processus
d'assimilation.
· Les associations culturelles
Les associations italiennes se sont surtout multipliées
en France après 1945, sur 322 associations dénombrées par
le ministère des Affaires étrangères en 1980, 233 ont
été créées après cette date.
Le besoin de se retrouver entre Italiens peut s'expliquer par
un désir de retour aux sources, de valorisation de sa culture et par un
besoin de s'unir face aux manifestations d'italophobie auxquelles les Italiens
ont été confrontés avant et après le conflit :
"L'effet préventif des associations est réel.
L'intégration passe aussi par le besoin de se
retrouver. Une fois qu'on est rassuré sur ses
origines, c'est plus facile d'aller vers les autres
"45
45 Magaly HANSELMANN, citée par Aline ANDREY dans «
Les associations italiennes pourraient servir de modèle aux nouvelles
migrations », Le Courrier, 28 février 2008 [en ligne].
Il vient peut-être aussi une réaction contre les
politiques d'assimilation menées par le gouvernement français.
Les autorités exercent d'ailleurs un contrôle très strict
sur les associations étrangères, dans le but de limiter les
regroupements des militants politiques.
Comme nous l'avons souligné dans le paragraphe
précédent, les consulats avaient favorisé les missions
religieuses pour influencer les immigrés, limiter leur francisation et
les inciter à retourner en Italie sous le régime fasciste. Depuis
lors, le gouvernement français s'est montré très
méfiant à l'encontre des activités consulaires. Les
associations d'anciens combattants étaient étroitement
surveillées. Certaines associations précisaient dans leur statut
leur caractère apolitique afin ne pas être
inquiétées : en 1958, le comité de Draguignan de la
Dante Alighieri par exemple, stipule dans l'article 2 de ses statuts
l'interdiction de toute discussion politique en son sein. Son objectif est de
diffuser la culture italienne, en proposant des cours d'italien, en organisant
des conférences ou en projetant des films.
Les petites communautés italiennes de France
étant souvent composées d'immigrés provenant de la
même région italienne - voire du même village - des
associations régionales voient le jour à partir des années
70. Les autorités régionales italiennes favorisent ces organismes
- les associations sardes de l'étranger reçoivent une aide
financière du gouvernement Sarde par exemple - car elles contribuent
à leur dynamisme économique et au développement du
tourisme.
"En favorisant l'associationnisme, le pouvoir politique
régional poursuit alors un double objectif : le maintien des liens
entre les migrants et leur région d'origine et l'intégration
dans
le pays d'accueil dans une démarche qui vise au
développement du tissu socio-économique régional
v46.
Cependant comme le souligne Antonio Da Cunha :
"L'association devient un lieu de repli si elle ne se
tourne pas vers la société d'accueil. Mais
n'oublions pas que l'intégration est un processus
réciproque."47
Or, dans la mesure où leur caractère apolitique
était bien défini, les autorités françaises ne se
sont pas opposées aux associations car elles transmettaient
également un message de solidarité entre immigrés et
Français.
46 Stéphane MOURLANE, cahiers de la
Méditerranée, vol.63, Villes et solidarités, 2001 [en
ligne].
47 Antonio DA CUNHA, président du forum pour
l'intégration des migrantes et des migrants, cité par Aline
ANDREY, Le Courrier, 28 février 2008 [en ligne].
Ainsi, l'association Italia Libera déclare dans
ses statuts qu'elle vise à
"resserrer les liens d'amitié entre les deux peuples
et [à] combler le fossé créé par la politique
néfaste du fascisme qui a séparé les deux pays".
Certes, toutes les associations n'affirment pas cette
volonté de rapprochement avec le pays d'accueil, mais les
activités qu'elles proposent sont ouvertes à tous et invitent
à l'ouverture sur les autres. Lors des matchs par exemple, les
équipes ne sont pas exclusivement constituées de joueurs
italiens.
Le festival de Villerupt, créé en 1976 pour
redonner vie à la ville après la fermeture des usines, a permis
aux immigrés italiens de revoir leur pays par le biais du cinéma,
mais a aussi fait découvrir l'Italie et les grands réalisateurs
italiens aux Français. Tous avaient bien besoin, en pleine crise
sidérurgique, de s'évader et d'oublier leurs problèmes le
temps d'une comédie. Le succès du festival (3 000 spectateurs) a
donné lieu à une seconde édition, et le nombre de
spectateurs ne cessant de croître, il a été reconduit
d'année en année. Dès les premières
éditions, l'organisation du festival a réuni Italiens et
Français, de tous âges et de toutes catégories sociales.
Cette manifestation a donc concilié la revalorisation de
l'italianité et le rapprochement avec la société
d'accueil. Sa renommée dépasse les frontières de la
Lorraine, il a attiré presque 35 000 spectateurs en 2008 et fêtera
son trente-deuxième anniversaire en octobre 200948.
Si les associations italiennes sont encore très
dynamiques dans le Nord et l'Est de la France (70 en Moselle, 10 à 15 en
Meurthe-et-Moselle) et dans le Nord (48) ou en Île-de-France (40), Pierre
Milza observe en revanche que "l'associationnisme italien si vigoureux au
début du siècle est complètement tombé en
désuétude dans le Sud- Est". En effet, il ne dénombre
que 9 associations dans les Bouches-du-Rhône.
En revanche, Laure Teulières note un nouveau dynamisme
associatif italien dans le Sud- Ouest à partir des années 80 :
des manifestations et des échanges scolaires sont organisés, des
jumelages sont réalisés.
Aujourd'hui, les cours de langue italienne sont souvent
fréquentés par les enfants ou les petits-enfants
d'immigrés qui éprouvent le désir de renouer avec leurs
origines. Les voyages organisés au sein de ces associations rencontrent
également beaucoup de succès auprès des
Français.
48 Cf. Annexe 6: Affiche de la 32ème édition du
festival de Villerupt.
1.3- L'intégration : facteurs « facilitateurs
» et obstacles.
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