I.1- Une situation plurilingue.
A- Coexistence de plusieurs langues au sein des
communautés italiennes (dialectes/ italien)
Contrairement à la France, où les dialectes ont
pratiquement tous disparu en raison de « la chasse aux patois » mise
en oeuvre dès la fin du XVIIIème siècle,
surtout dans le Nord du pays, en Italie, ils ont constitué le seul moyen
de communication jusqu'en 1960, date à laquelle la
télévision a fait entrer l'italien dans les foyers des Italiens.
Ils subsistent aujourd'hui encore17, et si la plupart des jeunes ne
connaissent que quelques mots de dialecte, ils le comprennent parfaitement.
Dans certaines régions, deux dialectes coexistent en plus de l'italien,
c'est pourquoi on peut effectivement parler d'une situation plurilingue et non
pas bilingue.
L'unification linguistique de l'Italie n'existait pas au
moment des premières vagues d'immigration. D'après le linguiste
De Mauro, vers 1860, les italophones ne représentaient que 20 % de la
population adulte. L'Italie a d'ailleurs été faite par un roi
francophone qui parlait à ses soldats en piémontais. Ceux-ci
n'arrivaient d'ailleurs pas à se faire comprendre dans les
régions du sud de la Péninsule qu'ils avaient conquises !
L'italien était une langue littéraire, à laquelle la
population n'avait pas accès. En outre, il n'y avait pas en Italie de
sentiment national, c'est pourquoi Massimo D'Azeglio aurait
déclaré après la proclamation de l'Unité italienne,
« l'Italie est faite, il reste à faire les Italiens ». Des
traditions culturelles très différentes opposaient le Nord et le
Sud de la Péninsule ; l'analphabétisme et la pauvreté des
méridionaux suscitaient souvent le mépris des septentrionaux.
Il était urgent de faire en sorte que les Italiens ne
parlent qu'une seule langue ; le nouveau gouvernement, le fascisme, les
militants antifascistes et les intellectuels de gauche, tous oeuvrèrent
dans ce sens, par le biais d'une nouvelle littérature visant un large
public. L'italien s'est donc peu à peu imposé comme un outil de
communication. Mais son usage n'a pas marqué l'abandon des dialectes ni
effacé l'attachement à la région natale.
17Cf. Annexe 2 : les dialectes italiens
Aujourd'hui encore, l'esprit de clocher - il
campanilismo - est très vif, les Italiens se définissent
d'abord par l'appartenance à leur région, voire à leur
ville, les rivalités très fortes qui ont opposé dans le
passé des villes voisines, comme Florence et Pise, subsistent encore.
Ces éléments nous permettent de comprendre les
difficultés linguistiques auxquelles ont été
confrontés les immigrés italiens : On imagine aisément la
difficulté que représentait l'apprentissage du français
pour ces immigrés qui n'avaient pas été - ou très
peu - scolarisés dans leur pays, dont la langue maternelle
n'était pas l'italien mais un dialecte incompréhensible pour les
immigrés provenant d'autres régions !
L'absence de cohésion nationale explique que les
méridionaux aient été victimes du racisme, non seulement
de la part des Français, mais des Italiens du Nord qui les
méprisaient et les considéraient comme des terroni, des
paysans.
On comprend alors la nécessité pour ces
immigrés provenant des régions méridionales de l'Italie de
s'intégrer rapidement dans la société française,
puisqu'ils étaient même rejetés par leurs compatriotes.
Pour eux, la clef de l'intégration était une acquisition parfaite
de la langue française.
Toutefois, il convient de nuancer notre propos : si ceci est
vrai pour les Italiens du Sud de la Péninsule qui se sont
installés dans le Nord ou le Nord- Est de la France, la situation a
été bien différente pour les immigrés qui se sont
installés en Provence. En effet, la Provence est la région la
plus proche de l'Italie sur le plan géographique (climat, paysages),
culturel (mode de vie, gastronomie...) et linguistique puisque le
provençal reste en vigueur jusqu'à la seconde guerre mondiale et
avait acquis dès le début du siècle un prestige
littéraire qui l'avait élevé au statut de
langue18. Nous verrons plus loin que cette proximité
favorisera indiscutablement l'intégration des nouveaux venus.
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