La doctrine de la prestation caractéristique en droit international privé des contrats - une étude critique( Télécharger le fichier original )par Christian Robitaille Université Paris I - Panthéon-Sorbonne - D.E.A. droit international privé et droit du commerce international 1998 |
c) L' apriorisme inavoué de la doctrine de la prestation caractéristiqueSchnitzer reprochait à ses prédécesseurs d'avoir formulé une règle de rattachement a priori pour tous les contrats, affirmant qu'il fallait rechercher un rattachement qui tienne compte de la nature du contrat et des particularités du cas, afin de « trouver ce qui est in concreto l'essence du rapport juridique »80(*). Force est de constater, toutefois, que sa doctrine est doublement apriorique. Premièrement, il affirme qu'il faut rechercher ce qui est in concreto l'essence du rapport juridique. Prise au mot, cette directive obligerait à renoncer à formuler une règle, car elle ne pourrait être appliquée qu'au cas par cas, en appréciant a posteriori chaque situation concrète. Apparemment, toutefois, Schnitzer ne demande pas à être pris au mot car, quelques lignes plus loin, il entreprend de formuler une règle en fonction de la nature et des particularités de chaque catégorie de contrat. Il ne préconise donc pas une véritable analyse in concreto, mais plutôt l'examen de modèles contractuels abstraits qui ne peut aboutir qu'à une solution abstraite, donc aprioriste81(*). En somme, il préconise un apriorisme un peu plus raffiné. Deuxièmement, si l'on attribue au mot « concret » la connotation particulière que lui donne Schnitzer, on devrait logiquement s'attendre à ce qu'il procède à l'étude détaillée de chaque catégorie de contrat, quitte à en tirer ensuite une règle unique si ces analyses successives le justifient82(*). Cependant, là non plus, Schnitzer ne procède pas à l'analyse« concrète » qu'il annonce. En fait, il inverse complètement la démarche, en posant une règle générale pour tous les contrats. Cette règle générale est l'aboutissement de conclusions à l'emporte-pièce, fondées sur des prémisses générales qui ne résultent pas de l'étude de la nature et de l'essence particulières des différentes catégories de contrats. Elle est donc singulièrement aprioriste. d) ConclusionEn somme, les arguments décrits plus haut faisant appel, d'une part, à la nature et, d'autre part, à la fonction du contrat ne démontrent pas qu'un contrat synallagmatique comporte une prestation prépondérante qui peut être retenue comme seul facteur de rattachement. Cela dit, rien n'empêche que le rattachement auquel conduit la doctrine de la prestation caractéristique se révèle opportun. Nous examinerons donc à présent le deuxième volet de cette doctrine, à savoir le « rattachement fonctionnel ». * 80 SCHNITZER, RCDIP, 1955, p. 479. * 81 Sauf quand son système ne fonctionne pas, comme c'est le cas pour le contrat d'échange, pour lequel il suggère de revenir à une recherche véritablement in concreto de chaque cas particulier (cf. SCHNITZER, Les contrats, p. 603). Certains auteurs affirment d'ailleurs que lorsque les « trucs » de Schnitzer ne fonctionnent pas dans l'abstrait, il convient de rechercher in specie ce qui constitue la prestation principale du contrat (cf. RETTHMANN, Ch. et D. MARTINY, Internationales Vertragsrecht, 4e éd., Cologne, 1988, para. 74, p. 96-97 et para. 91, p. 108). Compte tenu des conclusions auxquelles nous arrivons quant à la nature et la fonction du contrat synallagmatique, que l'appréciation soit abstraite ou concrète, elle nous paraît tout aussi condamnable. On a souligné, par ailleurs, que cette approche véritablement in concreto sollicite la doctrine de la prestation caractéristique au-delà de ses limites (cf. Gunst, op. cit., p. 187). * 82 Cf. PATTOCHI, loc. cit., pp. 131-132. |
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