La doctrine de la prestation caractéristique en droit international privé des contrats - une étude critique( Télécharger le fichier original )par Christian Robitaille Université Paris I - Panthéon-Sorbonne - D.E.A. droit international privé et droit du commerce international 1998 |
4.- Le rattachement fonctionnela) Le rattachement proposéDans l'hypothèse qui nous intéresse - un contrat synallagmatique ayant pour objet l'échange d'une prestation en nature contre une prestation pécuniaire -, la doctrine de la prestation caractéristique conduit à appliquer au contrat la loi du lieu de résidence habituelle de la partie qui fournit la prestation en nature. On trouve essentiellement deux justifications à cette solution. b) Justifications
i) Considérations d'ordre objectif
On affirme que ce rattachement conduit opportunément à faire régir le contrat par la loi de l'ordre juridique au sein duquel le contrat, et le débiteur de la prestation non pécuniaire, déploient leur fonction dans la vie économique et sociale83(*). ii) Considérations d'ordre subjectif D'autres considérations ne sont pas absentes des réflexions de Schnitzer. En fait, il écrit dès le départ que l'activité du commerçant doit faire l'objet d'une réglementation uniforme84(*), et il réitère cette idée à maintes reprises. On pourrait arguer que cette idée s'explique tout simplement parla volonté de rattacher le contrat à son milieu socio-économique et de permettre la standardisation des activités du commerçant, réalisant ainsi une meilleure allocation des ressources, dans le meilleur intérêt de tous. Toutefois, sans nier que Schnitzer ait pu penser en ces termes, celui-ci cherche aussi par là à satisfaire les intérêts du débiteur de la prestation caractéristique, comme le révèlent clairement ses commentaires au sujet de la convention du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels. II critique vertement l'article 3 paragraphe 2 de cette convention qui conduit parfois à faire régir le contrat par la loi de l'acheteur, en expliquant que les vendeurs « n'ont nullement envie de se soumettre à la loi souvent inconnue et imparfaite d'un pays parfois lointain »85(*). Ce commentaire montre bien que Schnitzer se préoccupe des intérêts, des attentes des parties, dans la résolution du conflit de lois86(*). c) AppréciationOn a fait remarquer, à juste titre, que l'idée de rattacher le contrat à son milieu socioéconomique ne reposait sur aucune démonstration scientifique sérieuse87(*). En l'état actuel des développements doctrinaux, en supposant, pour les fins de la discussion, qu'un contrat ait un milieu socio-économique naturel88(*), on peut s'interroger sur l'utilité de ce rattachement : quel avantage pourrait-il y avoir à soumettre le contrat à l'ordre juridique dans lequel il déploie sa « fonction socio-économique »? Qui y trouve son compte? Quels intérêts justifieraient ce rattachement? Tel que le critère est présenté, nous ne pouvons y déceler que les intérêts de la société et de l'économie correspondant à l'ordre juridique auquel on veut rattacher le contrat. Ce seraient donc les intérêts de la population d'un État, ou peut-être ceux de cet État. Or, il a été démontré de façon convaincante que les intérêts des tiers ne peuvent être pris en compte pour résoudre le conflit de lois en matière de contrats, et que ceux de l'État ne peuvent intervenir utilement pour trancher le conflit de lois qu'en ce qui concerne certaines catégories de contrats, qui ne nous intéressent pas ici89(*). Par conséquent, ce critère du rattachement à l'environnement socio-économique du contrat doit être rejeté. En revanche, la prise en compte des intérêts des parties nous paraît beaucoup plus justifiable90(*). Toutefois, si Schnitzer, à l'instar de Savigny, se souciait des attentes des parties, il est surprenant de constater que la prise en compte des intérêts du créancier de la prestation caractéristique dans la résolution du conflit de lois est à peu près absente des développements de Schnitzer91(*), et l'auteur ne semblait pas prêt à leur réserver quelque place que ce soit, car pour toutes les catégories de contrats visées par sa règle générale, il ne prévoyait aucune exception92(*). Or, s'il se peut que le débiteur de la prestation caractéristique ne soit « aucunement disposé » à voir le contrat régi par la « loi souvent peu connue et peu développée d'un pays exotique », il se peut fort bien que son cocontractant se retrouve dans une disposition analogue. Pourquoi la doctrine de la prestation caractéristique n'en tient-elle pas compte? Nous n'arrivons pas à nous défaire de l'impression que cela s'explique par le fait que Schnitzer a construit toute sa théorie en vue de justifier une solution qui lui paraissait opportune : appliquer une seule loi à l'ensemble du contrat et assurer l'uniformité de la réglementation des contrats par lesquels une entreprise réalise son objet93(*). Souvenons-nous que c'est là le point de départ de sa réflexion et que, à ce stade, son analyse ne portait pas sur la nature, l'essence ou la fonction du contrat commercial, mais plutôt sur le contexte dans lequel il intervient : le contrat commercial constitue le moyen habituel d'exercice de l'activité d'une entreprise commerciale. Il serait souhaitable que tous ces contrats, que l'entreprise conclut à répétition, soient soumis à la même loi Ce faisant, toutefois, on met systématiquement le risque de la loi applicable à la charge des clients. Comment le justifie-t-on? On indique que les contrats ne constituent que des actes isolés pour les clients. Pourtant, le fait qu'un client ne conclue qu'un seul contrat avec l'entreprise commerciale considérée n'exclut pas qu'il puisse être intéressé par la question de la loi applicable à ce contrat. Pour contrer cette objection, la doctrine de la prestation caractéristique n'offre que ses arguments relatifs à la nature, l'essence et la fonction du contrat. Mais puisque ces arguments, comme nous l'avons démontré, sont mal fondés, la doctrine de la prestation caractéristique reste sans réponse valable face à la question de savoir pourquoi on ne doit jamais tenir compte des intérêts du créancier de la prestation caractéristique quant à la loi applicable au contrat. * 83 Cf. SCHNITZER, Les contrats, p. 578-581. * 84 SCHNIT2ER, Handbuch des internationalen Handels, Wechsel- und Checkrechts, Zurich/Leipzig, 1938, 203 et s. * 85 SCHNITZER, Les contrats, p. 598. A cette version quelque peu édulcorée de son propos, nous préférons celle qu'il a livrée sur la même question dans les Mélanges Schonenberger, à la page 393 : « Solche Firmen [...] werden in keiner Weise geneigt sein, ihre Vertri ge, die in vielen Lândern geschlossen werden, zersplittert dem Rechte des Kauflandes zu unterstellen, oft eines exotischen Landen, mit wenig bekanntem und unentwickeltem Recht. » (nos italiques). * 86 Vischer, pour sa part, affirme beaucoup plus clairement la prise en compte des intérêts des parties aux fins du rattachement fonctionnel (cf. VISCHER, op. cit., p. 109-111). * 87 H. U. JESSURUN D'OLIVEIRA, « `Characteristic Performance' in the Draft EEC Obligation Convention », (1977) 25 Am. J. Comp. Law 303, p. 313; PATTOCHI, loc. cit., p. 132. * 88 Certains avouent leur incapacité à saisir le sens de cette formule (cf. MORSE, C. G. J., « The EEC Convention on the Law Applicable to Contractual Obligations », (1982) 2 Yearbook of European Law 123, 131, et DIAMOND, « Conflict of Laws in the EEC » (1979) 32 Curr. Legal Problems, 155, p. 168-169. * 89 Cf. Vincent HEUZÉ, La réglementation française des contrats internationaux, Etude critique des méthodes, Paris, GLN Joly, 1990, nos 453-498, p. 213-227, et nos 546-548, p. 244-245. * 90 Infra, II. * 91 Sauf, comme nous l'avons mentionné, en matière de crédit immobilier, où tout à coup, c'est le besoin de crédit qui devient le critère déterminant. À notre avis, il ne s'agit là que d'un tour de passe-passe maladroit qui vise à concilier la doctrine de la prestation caractéristique avec le besoin de faire régir le contrat par la lex rei sitae. * 92 93 II préconisait, en effet, l'abandon de la formule des liens les plus étroits, pour ne plus retenir que le critère de la prestation caractéristique, ce qui, dans son système, aurait aboutit à un rattachement passablement rigide (SCHNITZER, Les contrats, p. 576-577). En dernier lieu, cependant, il semblerait qu'il ait assoupli sa position, puisque le « projet de loi de droit international privé » qu'il publiait en 1980 comportait une clause d'exception (cf. SCHNITZER, « Gegenentwurf für ein schweizerisches IPRGesetz », Revue suisse de jurisprudence 1980, p. 309 et s. * 93 Il est intéressant de noter qu'un auteur, par ailleurs favorable au rattachement à l'aide de la prestation caractdristique, écrit : « it must be admitted that the description for determining the characteristic performance, i. e. of the essence and the function of the obligation involved, is turgid. It conceals the real purpose of the exercise which is the search for one place of performance in order to concentrate the legal relationship there. » (Kurt LIPSTEIN, « Characteristic Performance - A New Concept in the Conflict of Laws in Matters of Contract for the EEC », (1981) 3 Northw. J. Int. Law & Bus. 402, p. 410). |
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