La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines;lecture et reprise de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale( Télécharger le fichier original )par Barnabé Milala Lungala Katshiela Université de Kinshasa et université catholique de Louvain - Thèse de doctorat 2009 |
D. L'explication dialectiqueLa question posée ici est celle de savoir si la combinaison des explications causale, fonctionnelle et structurale peut devenir dialectique au sens où elle nous permet d'opérer le va-et-vient entre l'analyse et l'expérience concrète. Cette dichotomie est comprise comme la différence énigmatique entre expliquer et comprendre. Pour Robert Franck une fois de plus, « il s'agira de vérifier s'il existe une isomorphie entre le réseau abstrait de détermination qu'on est parvenu à construire, et l'ensemble réel qu'elle prétend refléter ».291(*) C'est ici que se situe notre question : est- il possible qu'un schème ou modèle ou tout simplement, qu'un langage des sciences sociales reflète la réalité ou, à l'inverse, peuvent-ils seulement construire la réalité ? Plus techniquement selon Franck ,« une telle isomorphie est comparable à celle (...) que proposait Ludwig Wittgenstein pour illustrer sa Bildtheorie ; mais elle peut aussi être de la nature de la relation qu'il y a entre la syntaxe d'une langue naturelle et une conversation prononcée dans cette langue , ou de la nature de la 292(*)relation entre les règles du jeu d'échecs et une partie d'échecs , ou de la nature de la relation entre une `loi' exprimée sous forme d'équation mathématique et un processus physique. Le réseau ou modèle prétendra refléter `l'arrangement `, la structure, qui commande les déterminations effectivement observées entre variables à chacun des niveaux et d'un niveau à l'autre ».293(*) 2.3.3. Le constructivisme linguistique et l'analyse de la situation de la parolePour comprendre la réalité, Jürgen Habermas théorise la société à la suite du paradigme de la philosophie du langage à travers les différentes phases du tournant linguistique, pragmatique et herméneutique. Au niveau du tournant strictement linguistique, l'objection centrale contre la philosophie de la conscience est dans la position suivante : « Nous ne sommes pas porteurs des pensées comme nous sommes porteurs de nos représentations ».294(*) En effet, les représentations sont les miennes ou les tiennes ; elles doivent être attribuées à un sujet identique dans l'espace et dans le temps, tandis que les pensées dépassent les limites de la conscience individuelle et conservent un contenu strictement identique, même si elles sont appréhendées par différents sujets, en des lieux et à des moments différents. Le monde en tant que somme des faits possibles ne se constitue que pour une communauté d'interprétation dont les membres, situés à l'intérieur d'un monde vécu intersubjectivement partagé, s'entendent sur quelque chose qui existe dans le monde.295(*) Les membres peuvent faire valoir les prétentions à la validité de leurs visions du monde par oui ou par un non. Charles Sander Peirce développe avant Habermas le tournant linguistique en tenant compte de l'utilisation du langage, de la catégorie de la communication ou plus généralement de l'interprétation des signes comme étant le centre de sa philosophie, et Habermas tente de le mettre au centre de la théorie sociale.« Les présuppositions contrafactuelles des acteurs qui fondent leurs actions sur des prétentions à la validité, acquièrent une importance immédiate pour la construction et le maintien des ordres sociaux ».296(*) Les pensées sont articulées sous forme de propositions. Peirce développe le tournant sémiotique de façon conséquente, en tenant compte du langage. Le concept binaire d'un monde représenté au moyen du langage est remplacé chez lui par le concept ternaire d'une représentation linguistique de quelque chose pour un interprète possible. La communauté d'interprétations en tant que savoirs communs d'arrière-plan, condition de possibilité d'un ordre social, renvoie au tournant herméneutique et pragmatique. Du concept binaire habituel : sujet -objet nous passons au concept ternaire d'une représentation linguistique de quelque chose pour un interprète possible.297(*) La transcendance ici est interne, immanente au langage même. Ces idéalisations inhérentes au langage lui-même acquièrent par ailleurs une signification pour la théorie de l'action, lorsque les forces de liaison illocutoires des actes de parole sont mises à contribution pour coordonner les plans d'action de différents acteurs. Les actes de langage (les promesses, les aveux, les serments, les bénédictions, les prières, les ordres au travail dans un chantier par exemple),... sont des actes illocutoires en tant qu'ils sont en même temps des interactions et des intercompréhensions langagières. Les forces de liaison illocutoires des actes de paroles sont mises à contribution pour coordonner l'action de différents acteurs. 298(*) Dans la même perspective d'une théorie de l'action, d'un point de vue de la philosophie fondamentale, John Searle fait usage de la logique pragmatique (ou illocutoire selon s terminologie). Or, les pensées sont articulées sous forme de propositions. Peirce, tel que cité par Habermas, développe le tournant linguistique de façon conséquente, en tenant compte du langage. Le concept binaire d'un monde représenté au moyen du langage est remplacé chez lui par le concept ternaire d'une représentation linguistique de quelque chose pour un interprète possible. Du point de vue scientifique, le programme d'élaboration d'une théorie générale des sciences sociales de John Searle parait être gouverné par la volonté ou l'exigence d'élaborer une théorie unitaire de l'esprit (la cognition), de l'action et du langage applicables aux sciences sociales. L'ambition ainsi exprimée vise ultimement à mettre ensemble la logique, la grammaire et la théorie de l'esprit (et donc aussi de l'action) en « analytisant » particulièrement le fonctionnalisme. Nous pouvons constater que sur le versant des sciences sociales, John Searle a des reconstructions multiples quelques fois difficiles à démêler. Sa théorie de la création de la réalité sociale au moyen de l'imposition de fonction -statut, que nous présenterons, semble être unique. Ainsi John Searle tente-t-il d'élaborer une théorie générale pour la connaissance de la société, une philosophie « transcendantale » du langage appliquée aux sciences sociales. Pour analyser du point de vue de son programme analytique la structure logique des forces illocutoires, John Searle a décomposé en ce qu'il appelle, logique illocutoire, chaque force en six espèces de composantes à savoir : un but illocutoire, un mode d'atteinte de ce but, des conditions sur le contenu propositionnel, des conditions préparatoires de sincérité, et un degré de puissance299(*). La poursuite des buts constitue la dimension de tout système d'action. Parsons classe dans cette catégorie toutes les actions qui servent à définir les buts du système, à mobiliser et à gérer les ressources et les énergies en vue de l'obtention de ces buts et à obtenir finalement la gratification recherchée. C'est précisément la capacité de se fixer des buts et de les poursuivre méthodiquement qui distingue le système d'action des systèmes de non - action, c'est-à-dire des systèmes physique ou biologique. Ceci est consécutif, dans sa philosophie analytique des sciences sociales ,au théorème fondamental de Talcott Parsons : « l'environnement symbolique et culturel qui propose des buts à atteindre et des moyens appropriés, établit des limites à l'action permise, des propriétés et suggère des choix ».300(*) Ainsi, la fonction du symbolisme a priori dans l'action sociale est justement de médiatiser les règles de conduite, les normes, les valeurs culturelles qui servent à guider l'action dans l'organisation de son action. En tant que tel, le projet de Searle - qui se ressource dans la double philosophie du langage et celle des états mentaux - touche à la recherche principielle de la théorie des systèmes d'actions. Il se cristallise dans un retour au paradigme structuro -fonctionnaliste, conceptualise la notion d'institution et tente d'unifier plusieurs approches. C'est le défi que sa philosophie toujours dynamique est appelée à lever. Justement, la notion d' « institution » est un des points de sa théorie sociale. Ainsi, à travers ces modes d'approches, nous traitons de la question de la nature, de l'origine, des fondements et celle du fonctionnement des institutions. Notre recherche tente de reconstruire philosophiquement, d'un point de vue historique et systématique, le structuro -fonctionnalisme et de remonter à la philosophie sociale analytique. Nous débouchons sur la nécessité de critiquer ces modes d'approches pour élargir l'espace théorique allant jusqu'aux théories actionnistes en sciences sociales. Nous abordons la possibilité d'une analyse plus ciblée de l'essai de dépassement du cadre systémique et structuro- fonctionnaliste, puisque nous plaçons John Searle dans la continuité de cette problématique générale de la causalité dans l'approche structuro -systémique et fonctionnaliste. Au demeurant, nous répondrons à l'exigence d'une illustration de la question de fondement par les modèles des systèmes en sciences sociales au travers du structuralisme, du fonctionnalisme et de la dialectique, pour autant qu'ils mettent en avant les rapports forme/matière, structure/relation,...modèles bien présents chez les africanistes en ethnologie. De ces dichotomies surviennent les déterminations logiques de l'analyse structurale. Ce débat philosophique rencontre l'ethnologie parce qu'« elle interroge en retour nos sociétés sur leurs fondements, et notamment notre mode de pensée ».301(*) De ce point de vue, elle se recoupe avec les préoccupations mêmes des philosophes. Notre recherche traverse, au demeurant, ces deux thèmes majeurs. Ici, John Searle critique implicitement, à la suite de Pierre Bourdieu avec qui il partage et/ou à qui il emprunte la notion de l'Arrière-plan ou de l'habitus, les appréhensions de Lucien Lévi -Bruhl sur la théorie prélogique. Logiquement, « les croyances, les désirs et les règles déterminent seulement des conditions de satisfaction - des conditions de vérité pour les croyances, des conditions de réalisation pour les désirs, etc. -relativement à un ensemble de capacités qui ne consistent pas elles -mêmes en phénomènes intentionnels ».302(*) Au demeurant, dans Normes et Faits, Pierre Livet explicite que : « les expériences qui permettent à un individu de comprendre la règle et donc de l'appliquer lui appartiennent en propre. (...) Cette règle exige donc une interprétation personnelle. Mais les règles doivent être réinterprétées par tous ceux à qui elles s `adressent. Les règles sont donc à double face. D'un côté elles semblent imposer à chaque individu un processus déterminé, une activité précise, et donc lui dicter ses intentions profondes, de l'autre, elles doivent pouvoir recouvrir des comportements effectifs très différents ».303(*) A ce propos nous nous attardons justement sur l'approche structuro- fonctionnaliste pour stigmatiser leur statut et leur portée face à une philosophie de l'identité à travers l'ethnologie. Nous avons examiné le statut scientifique d'une telle philosophie identitaire. Dans ce contexte justement, Willard Quine introduit la notion de « schème de pensée » relayé par Donald Davidson. * 291 Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » ,p.297. * 292 Ibidem. * 293 Ibidem. * 294 Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, p.24. * 295 Ibidem, p.28. * 296 Ibidem. * 297 Ibidem, p.29. * 298Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, p.31. * 299 Daniel VANDERVEKEN, « La structure logique des dialogues intelligents » in Bernard MOULI et al (éds.) Analyse et modélisation des discours. Des conversations humaines aux interactions entre agents logiciels, Collection Informatique, l'interdiscipline, Montréal, 1999, p.28 ,29. * 300 Guy ROCHER, Talcott Parsons et la sociologie américaine, édition électronique, Collection « Classique des sciences sociales », Centre de Recherche en droit public, Université de Montréal, Québec, 1998 , p.39. * 301 Patrick CHAMPAGNE et Olivier CHRISTIN, Mouvements d'une pensée, Pierre Bourdieu, Bordas, Paris, 2004, p.24. * 302 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.169. * 303 Pierre LIVET, « Normes et faits », dans L'Univers philosophique, Puf, Paris, p.129. |
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