La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines;lecture et reprise de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale( Télécharger le fichier original )par Barnabé Milala Lungala Katshiela Université de Kinshasa et université catholique de Louvain - Thèse de doctorat 2009 |
2.3. Actualité du constructivisme socialLe constructivisme social connaît actuellement un renouveau comme courant contemporain dans l'optique analytique de la philosophie du langage à travers le livre de John Searle, La construction de la réalité sociale ,qui traite aussi de l'ontologie sociale en tant qu'étude de la nature des théories sous-jacentes de la réalité sociale. La conception analytique du constructivisme est philosophique et donne la primauté aux formes a priori du langage. Le livre de Searle reformule déjà la question qui nous occupe : « la question fondamentale est celle-ci : comment construisons -nous une réalité sociale objective ? »205(*) Dans le premier chapitre du livre intitulé : les pierres de construction de la réalité sociale, Searle va un peu plus loin dans l'explication de sa question principale : « il y a des choses qui n'existent que parce que nous y croyons. Je pense à des choses comme l'argent, les propriétés foncières, les gouvernements, et les mariages. Pourtant bien des faits relatifs à ces choses sont des faits « objectifs », au sens où ils n'ont rien à voir avec vos ou mes préférences, évaluations ou attitudes morales. (...) Des faits totalement indépendants de toute opinion humaine ».206(*) Nous tentons de relever ses questions principales du début du livre et avançons progressivement. Dans ce livre justement, John Searle tente de répondre à la question principale suivante : « comment peut-il y avoir un monde objectif d'argent, de propriétés foncières,... »207(*) Cette question reprend en sourdine le rapport sujet-objet qui est au coeur de l'explication de la science sociale et fait partie d'un ensemble des questions qui ne sont pas nouvelles, elle est au centre des sciences sociales, du moins au point de départ des fondateurs des sciences sociales. Nous tenterons, pour montrer son grand intérêt, de la présenter du point de vue des auteurs tels qu'Emile Durkheim, Claude Lévi-Strauss, etc. 2.3.0. Langage et ontologie sociale 2.3. L'ontologie sociale. 2.3.1. Le retour et la reconstruction des sources philosophiques des sciences socialesBeaucoup d'études innovatrices en Rd Congo sont souvent en prolongement critique avec les approches suivantes : le fonctionnalisme, le structuro -systémique et la dialectique qui, au demeurant, recèle une grande teneur philosophique. Pour nous, les innovations profondes ne sont possibles que si nous rentrons aux sources philosophiques antiques et au plus profond de leurs présupposés. Reprenons brièvement, trois de ces exemples d'études qualifiées de novatrices reprises par Ntumba Lukunga pour illustrer ce prolongement. J.J.Fromont dans Le schéma sociologique ; essai de systématisation et de schématisation de la réalité sociale, Lubumbashi, éd., Locale, 1977, articule la continuité entre le biologique et le sociologique. En premier lieu, pour lui le schéma sociologique permet de « systématiser la réalité sociale dans le prolongement de l'écosystème, les conditions de systématisation étant fixées par les conditions de passage entre deux systèmes ».208(*) La réalité sociale apparaît ainsi fondamentalement comme un système que nous visualisons et verbalisons. Etre en situation c'est voir, et l'image constitue le fondement de la pensée sociologique. En deuxième lieu, le schéma sociologique constitue la transposition du système social, c'est-à-dire « construire un modèle général qui représente en profondeur, en étendue et en globalité par niveaux, par paliers et sur plans, les éléments constitutifs du système, leur arrangement structural, le fonctionnement de leur dynamique, l'ensemble devant constituer un tout cohérent et significatif ».209(*) Ce schéma permet ainsi « d'appréhender et de traiter dans l'espace et dans le temps sociologiques les problèmes de l'existence, de l'expérience et de la transcendance des individus vivant en communauté ».210(*) Il y a deux niveaux d'analyse essentiels : étude du langage et des systèmes. On peut y intégrer le niveau de conscience. Nyunda Ya Rubango sur la sociolinguistique immédiate à travers son étude sur « le vocabulaire politique du Zaïre (1959-1965) » s'incruste dans un élan postmoderne à visée déconstructive à propos des discours politiques zaïrois portant les marques de la colonisation, de la tradition, du modernisme, de leur matrice occidentale belge et française - « j'ai montré comment ce langage enraciné dans une tradition et une culture déployait une rhétorique et un imaginaire spécifique et féconds et était remarquablement dominé par le christianisme.»211(*) En tant que telle la démarche a comme objectifs de lutter contre l'infirmité des sciences sociales et humaines africaines due en majeure partie à l'esprit du conformisme et à la peur de l'innovation et surtout celle de commettre le « meurtre du père », entendez de dépasser radicalement le colonisateur. Il dénonce finalement : l'exercice scientifique « par procuration » ; la production et la reproduction des discours aliénés et aliénants et l'inhibition théorique et méthodologique chez le scientifique africain ; etc.212(*) En effet, il est possible, à la suite de ce qui précède, de constater les innovations à partir des débats repris aux fondateurs philosophes et spécialistes des sciences sociales qui ont permis des ruptures ou des continuités plus opératoires des notions. Le contexte de l'approche dite de la « construction sociale » fait que cette étude participe, d'un point de vue théorique, à un retour aux sources en sciences sociales, comme le pensent par ailleurs Michel De Coster, Bernadette Bawin et Marc Poncelet, en particulier à propos de la sociologie, « le retour aux sources se révèle utile à bien asseoir les fondements de cette discipline et à préciser les ambitions ».213(*) C'est dans cette même veine que nous voulons examiner le projet philosophique de quelques fondateurs des sciences sociales, en l'occurrence Emile Durkheim, le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, l'évolutionnisme biologique, mais aussi des approches actuelles que Searle intègre (constructivisme radical, connexionnisme et cognitivisme). John Searle veut justement reconstruire ces approches et en déconstruire d'autres, tel que le marxisme. L'objectif de la série de sections qui suivent immédiatement culmine dans la comparaison de quatre approches dominantes en Afrique (le fonctionnalisme, le structuro -systémique et la dialectique, Searle touche aussi à l'évolutionnisme et repousse le marxisme), à partir des sources philosophiques notamment avec l'approche intentionnalitico - langagière de John Searle. En somme, ici se situe l'importance de cette enquête, le « livre de Searle La construction de la réalité sociale tente de répondre à un ensemble de questions traditionnelles ».214(*) Pour en saisir la portée, nous allons examiner ces approches. Nous commençons avec le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et nous posons la question de savoir : quels sont ses présupposés ? * 205 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.11. * 206Ibidem, p.13. * 207Ibidem, p.10. * 208 Ibidem, p.58. * 209 Ibidem. * 210 Ibidem. * 211 Ibidem. * 212 Ibidem. * 213 Voir De Michel De COSTER, Bernadette BAWIN-LEGROS, Marc PONCELET, Introduction à la sociologie, De Boeck, Bruxelles ,2001 * 214 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.10. |
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