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Les enjeux géopolitiques de la "percée" chinoise au Sénégal

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par Xavier Aurégan
Institut Français de Géopolitique - Master 2007
  

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CHAPITRE II. - LeS ChInOIS ne SOnt PaS SeUlS

1. L'influence de la communauté sénégalo-libanaise sur l économie

Les Chinois ne sont pas seuls et pour cause, ce sont les derniers migrants. Mais en l'espace d'une décennie, ils sont en passe d'évincer le oligopole sénégalo-libanais, dans le secteur commercial j'entends. Il est difficile de déterminer le réel poids des sénégalo-libanais sur l'économie, la politique et la société civile sénégalaise. Intégrés, possédant la nationalité sénégalaise101, ils sont donc comptabilisés dans les chiffres et données générales du Sénégal. Dans le domaine commercial, il suffit d'observer : le plus grand nombre des commerces sont tenus à Dakar par les Sénégalais d'origine libanaise et les Chinois (je parle des commerces de taille relativement importante, construits en dur, les petits commerces étant sénégalais). Dans le domaine industriel, ce sont les Libanais qui ont investi, avec les Français. L'indépendance politique n'a en aucun cas permis une indépendance économique. Les Libanais contrôlent l'industrie de

101 La double nationalité en fait car ils conservent la nationalité libanaise, transmise par la voie paternelle.

l'emballage, de l'agro-alimentaire (SIAGRO, Société industrielle agroalimentaire : elle produit l'eau minérale Kirène), les Français : le reste102. Une industrie très faible, un secteur tertiaire en voie de développement et un secteur primaire à la peine, le Sénégal n'est pas la future économie mondiale, c'est peu de le dire. Aucun État ne peut se développer sans une politique industrielle. L'Histoire en témoigne103. Les Libanais l'ont compris.

Un historique s'impose : les premiers Libanais débarquent à Dakar entre 1850 et 1900. Ce sont des maronites, qui tentaient de rejoindre la côte Ouest des États-unis. Le Sénégal sous tutelle française accueillent donc ces maronites, puis chiites. Ces émigrés ont des points communs avec les Sénégalais : ils sont dominés par la France, parlent donc la même langue et pratiquent pour les mêmes religions, chrétienne et musulmane. Ce sont en fait les colons français qui amenèrent les premiers Libanais sur le sol Ouest-Africain. Pourquoi ? Pour imposer au peuple autochtone des partenaires commerciaux viables. Les Libanais débutent en commerçant l'arachide (plus généralement des produits vivriers marchands) et en vendant à crédit les intrants nécessaires à sa culture. Peu à peu, ils se développent et deviennent des détaillants, à l'aide cette fois des crédits français. Je précise que durant cette période, les Sénégalais n'avaient accès aux registres de commerce. De fait, une classe sociale apparaît : les commerçants et intermédiaires libanais, entre les paysans sénégalais et les comptoirs français. Je remonte les années : à l'indépendance du Sénégal, en 1960104, les Libanais investissent dans de petites et légères industries (le plastique notamment). Leurs statuts ? Certains ne possèdent pas de papiers, certains sont français (par l'armée), certains sont sénégalais. La majorité restent Libanais car, je l'ai dit, au Liban, le droit du sang par le père apporte la nationalité, si toutefois l'enfant est dès sa naissance inscrit à l'ambassade. À cette époque, ceux ayant réussi dans le commerce installent leurs familles au Sénégal, créant un réseau naturel libanais105. A la fin des années 1970, un fort besoin de se structurer en tant que communauté apparaît, d'autant que des classes sociales naissent, des conflits d'intérêts se révèlent (entre Libanais ayant réussi et ceux étant resté au statut de simple commerçant). La religion va fédérer les Libanais : le cheikh local devient le médiateur moral, intervient auprès du pouvoir dans l'intérêt de ses fidèles : il est reconnu « grand marabout » par les marabouts sénégalais. Cette première organisation libanaise est contestée. Une seconde apparaît : laïque, elle est toutefois composée de la minorité chrétienne maronite et comprend de riches et puissantes familles telles les Bourgi (cf. photo en fin de point), Sharara, Gandour (dans les cosmétiques)... Les Bourgi sont craints, respectés et pratiquent la politique (un des fils, Ramez, était candidat à la mairie de Dakar). Ce sont les premiers à avoir installer les cinémas au Sénégal par exemple. L'Alliance (ou Mission Notre

102 Hormis l'exploitation minière (Inde), les entreprises d'État et le secteur artisanal.

103 Angleterre, France, Allemagne, États-unis d'Amérique, ex-URSS.., et aujourd'hui la Chine.

104 Le 20 août 1960 suite au démembrement de la Fédération du Mali (comprenant le Sénégal et le Soudan français ou actuel Mali).

105 Les Libanais étaient présents sur l'ensemble du Sénégal car les Français avaient besoin de liens dans tout le pays.

Dame du Liban), car c'est son appellation, devient par la suite une simple association caritative, des conflits de pouvoir ayant empêché son développement. Monsieur Samir Jarmache en est le vice- président (voir plus bas). Plus généralement, dans les années 1980 puis 1990, les Libanais se coupent socialement du Sénégal : ils n'envoient plus leurs enfants à l'école publique, et surtout, en 1996, une femme de ménage se fait assassiner : elle travaillait pour un Libanais. Des manifestations éclatent à Dakar mais rapidement la police arrive à une conclusion différente de celle véhiculée par les palabres sénégalaises : c'est un Nigérian, toxicomane.

Avant de conclure cet historique106, voici quelques informations : à la différence des Chinois, les Libanais consomment et investissent dans l'économie locale (les Libanais au Sénégal sont généralement fiers et aiment extérioriser leurs richesses : automobiles, habillement). Ils occupent des postes stratégiques et des professions libérales (médecins, enseignants, avocats...). La population d'origine libanaise est composée à 90 % de chiites. Au plus fort, dans les années 1980, ils étaient 30 000 ; ils sont aujourd'hui environ 10 000. Majoritairement, ils quittent le Sénégal pour la France et les États-unis (études et emplois) et certains pour la Côte d'Ivoire, pour investir dans le cacao et le café. Une anecdote : en 2000 lors de l'élection présidentielle, la France avait dépêché un navire dans le cas où ses ressortissants et les Libanais s'étaient trouvés dans une situation difficile (à l'image des extraditions au large de Beyrouth durant l'été 2006), et, la RPC avait également affrétée deux navires, au large des îles de Gorée et de la Madeleine.

Un témoignage capital pour appréhender la population d'origine libanaise est celui de S. Jarmache107. Confirmant cet historique, il possède lui aussi une représentation très précise de la communauté chinoise : « la Chine il y a vingt ans, c'était un phénomène. De toute façon ici tous les Asiatiques sont Chinois. Ils vivent comme des fourmis [...] l'Afrique c'est le continent où la Chine va faire des miracles ! C'est un véritable ouragan ! [...] Il y a maximum cinq ans, les Chinois ont débarqué par familles entières. Mais au départ c'est les Libanais qui sont partis en Chine avec les conteneurs. Comme toujours, les Libanais sont les initiés, ils ont appris où et comment partir aux Sénégalais, la filière et le chemin à suivre. Le problème c'est que les Sénégalais sont autorisés à frauder, pas les Libanais, ils se sont donc enrichis de manière extravagante ! Du coup ils se plaignent aujourd'hui, mais ce sont eux qui ont amené le loup dans la bergerie ! [...] Le Chinois prend le pain de la bouche du Sénégalais qui l'a lui-même pris de la bouche du Libanais ! [...] Le Libanais veut un minimum de confort, les Chinois non, ils s'en foutent, ils dorment entre eux, font la loi entre eux... [... ] Ils pénalisent le commerce [... ] c'est l'État chinois qui subventionne.

106 Selon Wael Haidar (employé à Batiplus, société de BTP) et présent au séminaire de Niassam.

107 Vivant au 79 de la rue Galandou Diouf, il est propriétaire de quatre commerces et vice-président de l'Alliance.

Ils vendent les invendus ici. Il y a 5000 conteneurs qui attendent un marché à Hong Kong [...] les Chinois sont partis pour conquérir l'Afrique et rien ne pourra les arrêter ! Les Libanais eux veulent la paix ». Il est aisé de comprendre qu'il soutint l'UNACOIS dans sa démarche : « on était avec eux, on a fait grève en baissant les rideaux. Mais l'accord avec Wade on ne l'a jamais vu de quoi il en était ».

S. Jarmarche certifie l'historique qui ne débuterait selon lui qu'à partir de 1900 : « la diaspora est à l'origine de la misère à cause de l'Empire Ottoman. En 1914-1918, la France, l'Allemagne et l'Angleterre repoussent l'Empire Ottoman. Des pays arabes deviennent indépendants. La France va alors orienter intelligemment les Libanais vers l'Afrique et donc le Sénégal. Les Libanais croyaient aller rejoindre leurs parents aux États-unis mais s'arrêtaient en Afrique de l'Ouest [...] première génération, entre 1900 et 1960 ».

L'article de Luc Ngowet108 confirme.

Les Libanais sont principalement implantés dans le secteur industriel. Mais, avec le temps, certains Libanais ou Sénégalais d'ethnie libanaise109, parviennent à se hisser au rang de simple Sénégalais, comme en témoigne l'article de L'Express (annexe, page 187).

Un autre homme est Haïdar El Ali, élu homme de l'année 2002 ! Il dirige l'association Océanium (où j'ai d'ailleurs logé durant une bonne partie de l'étude de terrain ), sur le Plateau, route de la Corniche Est. L'Océanium est un club de plongée mais représente en fait la principale organisation environnementale au Sénégal : Haïdar est reconnu de la Casamance à St Louis pour ses actions en faveur de la sauvegarde des ressources halieutiques et de l'environnement en général. Très courtisé par le milieu politique, il soutint Ousmane Tanor Dieng, le premier secrétaire du PS.

Enfin, comment parler des Libanais sans évoquer Adnan Houdrouge. Ce milliardaire vivant aujourd'hui à Monaco possède un parcours atypique. Ayant vécu au Sénégal jusqu'à l'obtention de son baccalauréat, il part en Suisse à la fin des années 1960. Il est désormais dirigeant de Mercure International (distribution), une multinationale de 500 millions d'euros. Il est le secrétaire général de la Chambre de commerce et de développement de Monaco et vice-président et actionnaire de l'A.S.Monaco F.C.110 Décoré de la Croix Saint Charles pour « service rendu à Monaco », par le Prince Rainier Albert II, qu'il accompagne lors de ses voyages diplomatiques (Shanghai) et qui lui a confié la création de « Peace and sport » (Paix et sport), il ne revient au Sénégal que dans le cadre de projets économiques. Il est propriétaire des supermarchés Score depuis 1995, aujourd'hui Casino

108 Annexe presse et citations, page 187.

109 Selon Fayçal Sharara, premier vice-président de la CNES et dirigeant une conserverie de thon, la société Pêcheries frigorifiques du Sénégal et Amerger Casamance, une usine de filetage.

110 Association sportive de Monaco Football Club, http://www.asm-fc.com/organigramme.aspx

(seuls supermarchés au Sénégal), du nom du même groupe. Voici donc un homme qui agit en profondeur sur l'économie sénégalaise, mais contrairement à ses semblables, a choisi de ne pas rester dans son pays originel111.

Globalement une question ressort, c'est la suivante : comment une communauté vivant au Sénégal depuis plus d'un siècle peut-elle parvenir à s'assimiler, à s'intégrer. Et, comment une communauté arrivée il y a moins de 10 ans pourrait t'elle le faire ? Les Chinois seraient t'ils les nouveaux souffre-douleur des Sénégalais (après les Libanais) ? Le Sénégal, pays hospitalier, n'a-t-il pas en réalité un double langage, une double pratique ? S'agit t'il de la couleur de peau ? Non, selon plusieurs discussions, les émigrés Noirs (des pays limitrophes) sont également peu reconnus, d'autant que beaucoup mendient et propagent cette mauvaise image du Sénégalais pauvre, sollicitant sans arrêt le toubab.

Ayant fait le tour de cette question libanaise, quels sont dorénavant les liens et possibles antagonismes apparaissant entre les Chinois et Libanais ?

Les liens sont évidents : les Libanais étant les premiers Sénégalais a avoir importé les marchandises made in China, ils sont naturellement les premiers à avoir négocié et rencontré les Asiatiques. Arrivés au Sénégal, ces derniers qui détiennent les réseaux commerciaux Chine-Sénégal n'ont pas la nécessité des services Libanais. Pourtant, ceux-ci connaissent, et pour cause, le terrain et les acteurs. C'est dans ce but que les Chinois qui comptent s'allient et investissent dans le secteur du textile et du BTP.

Les différends sont plus fréquents. Les Chinois ont fait chuter les marges et l'éventuelle croissance des échoppes sénégalo-libanaises. Aujourd'hui, force est de constater que les commerçants originaires du pays du cèdre se fournissent tous auprès des Chinois112, malgré leur réticence à l'avouer, ce qui remet en cause leur place et légitimité même.

Mais ces deux communautés ont un avenir prometteur : les Chinois, nouveaux rois du commerce et les Libanais, dont leur histoire est intimement liée à cette profession, peuvent dorénavant s'unir et investir ensemble. Les objectifs et les moyens se cumulant et s'associant, cette coopération pourrait en l'espace d'une dizaine d'année refonder et bouleverser le tissu économique local, si toutefois les investisseurs chinois osent le faire dans le secteur dont le Sénégal a réellement besoin : l'industrie.

Les Libanais occupent donc un rôle complexe mais essentiel et majeur au Sénégal. Cette population dont les restaurants proposant les chawarmas113 ou kebabs, est historiquement liée à la France et ses ressortissants.

111 Selon l'article de Sud Online, http://www.sudonline.sn/spip.php?article2894

112 Annexe entretiens, page 178.

113 J'ai recensé cinq restaurants libanais dans le centre-ville dakarois.

Rue Bourgi, grande famille libano-sénégalaise. Le 19 février 2007.
Un projet immobilier libanais, place de l'Indépendance. Le 19 février 2007.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard