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Les enjeux géopolitiques de la "percée" chinoise au Sénégal

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par Xavier Aurégan
Institut Français de Géopolitique - Master 2007
  

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2. La France, ancienne colonie, actuelle puissance économique au Sénégal

Qu'est ce que le Sénégal pour la France ? De quelle France d'ailleurs ? Son peuple, hétérogène, façonné et modelé par les nombreuses migrations dont celle du continent africain (Afrique subsaharienne francophone en particulier) étant la dernière en date et celle qui suscite le plus grand nombre de débats, parfois xénophobes, individualistes, arrogants et dédaigneux ? Assurément non. Son gouvernement actuel, qui reprend tous les clichés, a priori et idées de la droite et de l'extrême droite française ? Non plus. C'est bien de l'État français et de son rapport avec l'Afrique colonisée d'où francophone, dont je veux et doit parler ici, ainsi que du secteur privé.

Quelques commentaires historiques ne sont pas superflus : la France s'installe sur la façade maritime africaine (de l'Ouest donc) en 1659 et fonde la ville et capitale de l'A.O.F.114, Saint-Louis, s'implantant de manière irréversible sur le continent ouest africain. Saint-Louis est avec la presqu'île du Cap-Vert (dont le symbole est l'île de Gorée) un des principaux territoires où les

114 Afrique occidentale française

esclaves Noirs embarquent pour le commerce triangulaire : la Traite est officiellement abolie le 29 mars 1815 mais perdurera jusqu'en 1848.

Une parenthèse : le commerce triangulaire est une forme de la Traite des esclaves africains : les nations coloniales européennes (Royaume-Uni et Irlande actuel, France, péninsule ibérique) naviguent vers la côte africaine (de l'Ouest toujours) afin d'y échanger des marchandises destinées au troc, contre les esclaves qui travailleront dans les colonies d'Amérique (côte Ouest dont les États-unis, les Antilles et le Brésil notamment).

Durant cette décennie (1840), la France conquiert l'ensemble du Sénégal sous l'impulsion de Faidherbe115, puis, ce qui deviendra l'A.O.F. à la fin du XIXe. Dakar, quant à elle, est fondée en 1857 et ne deviendra la capitale du Sénégal qu'en 1960, le 4 avril. Par ailleurs, elle devint capitale de l'AOF en 1902, preuve de son importance géostratégique. Le 4 avril 1960, le Sénégal devient juridiquement indépendant. Il est alors fédéré au Mali. Suite à l'échec probant de l'A.O.F. qui était une tentative de fédérer le Sénégal, le Soudan Français (Mali), la Haute-Volta (Burkina Faso) et le royaume de Dahomey (Bénin), De Gaulle qui est opposé au projet, accepte l'indépendance du Sénégal le 20 août 1960. Suite à l'adoption de la constitution du 25 août, Léopold Sédar Senghor devient président le 5 septembre 1960. En 1963, une nouvelle constitution instituant un régime présidentiel est approuvée en conséquence du coup d'État tenté par Mamadou Dia116. Si peu de problèmes sérieux se posent entre ce coup d'État et 1981, après cette date, le processus démocratique va s'accélérer : Abdou Diouf est élu en 1981, puis réélu en 1988 et 1993. Si la démocratie entre dans les moeurs à cette époque, les obstacles économiques et politiques demeurent. De plus, depuis 1982, les insurgés du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) compliquent la tâche déjà ardue du gouvernement. En mars 2000, les contestations grondent car A. Diouf brigue, en quelque sorte, une présidence à vie. Mais, c'est Abdoulaye Wade, se présentant pour la quatrième fois, qui obtient la majorité des suffrages au second tour (58,5 %). Le Sénégal aurait donc opté pour le xopi (changement). Mais, à la lecture de la presse sénégalaise, ce xopi se fait attendre : désillusion, hausse du niveau de vie trop timide, dérive au niveau gouvernemental (quasi culte de la personnalité, malheureusement trop fréquent sur ce continent), laïcité et liberté de parole très « encadrées » (même si le Sénégal possède les médias les plus libres du continent) et accusations fondées de détournements et abus de pouvoirs (Idrissa Seck et Karim Wade). Les électeurs ont donc, malgré tout, en février 2007, choisi la réélection, au premier tour, du chef d'État sortant.

115 Louis Léon César Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 et de 1863 à 1865.

116 (1910-) Il fut député de l'Assemblée Nationale française en 1956, Premier ministre du Sénégal en 1958 et créa le premier plan de développement économique. Amnistié en 1976 suite à son arrestation dans le cadre d'une tentative de coup d'État (1962), il sera défendu par un certain Abdoulaye Wade. Incarnant l'opposition (paradoxale car dans le gouvernement) au président historique, L. S. Senghor, il fut un des premiers à critiquer ouvertement l'actuel chef d'État. Il reste donc, avec A. Diouf, un des principaux responsables politiques sénégalais encore en vie.

La France n'a officiellement plus de droit de regard et d'ingérence au Sénégal. Mais la réalité est toujours différente et plus complexe. Bien sûr, personne ne verra un responsable politique français affirmer, devant les médias internationaux, que le Quai d'Orsay tient toujours une place prépondérante dans les grandes décisions gouvernementales sénégalaises. Bien sûr, ces mêmes médias ne diront jamais que de hauts responsables français travaillent à la présidence (cabinet politique du président) : du personnel hautement qualifié se défendront les autorités, des enjeux géopolitiques j'affirmerai pour ma part.

La France a donc laissé un héritage culturel, politique, économique et administratif conséquent. N'étant pour autant pas l'adepte de la vision unique, il est irréfutable que les métropoles ont apporté des bienfaits à leurs colonies d'alors. Mais, seulement sur la forme : les routes et voies ferrées, hier servant aux déportations, sont extrêmement utiles aujourd'hui ; l'administration, hier coloniale et dirigée par les gouverneurs, sont aujourd'hui bien souvent les seules formes d'organisation...

Mais, tous ces « apports » ont été effectués dans un cadre politique unilatéral et dans le cadre du système capitaliste, objectivement parlant. Or, les réalistes diront qu'il est indispensable de s'adapter à ce système, car devenu mondial d'où, obligatoire : même le dernier des grands États totalitaristes communistes, la Chine, s'y rallie. Ma réponse est courte : les peuples africains, dans toute leur diversité, ne sont culturellement et socialement pas individualistes. D'où le fossé qui les sépare de ce système libéral, aggravé par le pillage continuel (et sans retombées sociales) de ses ressources et bien entendu par la création d'un produit unique destiné à l'exportation (arachide, coton dont les cours se sont effondrés parallèlement aux deux chocs pétroliers117), par leurs classes politiques formées et soutenues par les ex-métropoles, par leurs dettes contractées auprès du FMI et de la Banque Mondiale.

Je change toutefois d'échelle pour me recentrer sur le cas franco-sénégalais.

Démographiquement, les français sont la première communauté étrangère : en 2005, plus de 18 000 étaient inscrits au registre118. Ce sont en partie ce que les Sénégalais nomment amicalement les « sénégaulois ». Économiquement, selon la même source, « il existe environ 337 entreprises à participation française (ou ayant des liens avec une entreprise en France, ou encore créées localement par des investisseurs français). ». Il suffit d'observer le classement des vingt premières entreprises sénégalaises pour comprendre le poids économiques des sociétés françaises. La Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (Sonacos) est la troisième société en terme de chiffre d'affaires, la Société Nationale des Télécommunications du Sénégal (Sonatel) est

117 1973 (guerre du Kippour opposant Israël à l'Égypte et à la Syrie) et 1979 (Révolution iranienne, instituant une république théocratique islamique, par l'Ayatollah Ruhollah Khomeiny).

118 Registre des Français établis hors de France, Maison des Français de l'étranger, http://www.mfe.org/?SID=5598

classée au rang 4, Total au 7e rang, la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) au 8e , les Grands Moulins de Dakar (GMD) au 10e, la Société de commercialisation du ciment (SOCOSIM) au 1 1e, au 12e rang la Sénégalaise des Eaux (Saur Internationale), au 13e Laborex et au 14e la Compagnie Sahélienne d'entreprise (CSE). Les trois dernières sociétés classées sont respectivement Colgate Palmolive, Nestlé Sénégal et Scac Delmas Vieljeux. Douze sociétés sur les vingt les plus conséquentes sont françaises ou à capitaux français.

La Sonacos est une société agro-alimentaire. L'actionnaire principal et majoritaire est le groupe français Advens (66,9 % des actions), spécialisé dans le négoce, le stockage et la logistique de produits agroalimentaires. Le groupe possède également D Smet, groupe belge leader mondial dans la construction de raffineries d'huile de table et la société sénégalaise SODEFITEX (Société de Développement et des Fibres Textiles évoluant comme son nom l'indique dans le coton), dont 49 % du capital est détenu par la filiale française DAGRIS.

La Sonatel est un groupe affilié à Orange, soit France Telecom (téléphonie fixe, mobile et Internet) et a réalisé un C.A. d'environ 400 milliards de FCFA (quasiment 610 millions d'euros) en 2006. Sonatel réalisa cette année un bénéfice net de 146,6 milliards de FCFA (environ 223 millions d'€).

Total qui n'est plus à présenter réalisa 60 000 euros de C.A. en 1997.

La CSS est une entreprise française qui produit et exporte le sucre issu de la canne à sucre, dans le secteur de l'agro-alimentaire (C.A. d'environ 49 millions de FCFA en 2001, soit environ 74 700 €).

Les GMD est la première société dans le secteur alimentaire, avec un C.A. en 2001 d'environ 42 millions de FCFA (un peu plus de 64 000 €).

La SOCOCIM, appartenant au groupe VICAT (2 083 millions d'euros dans huit pays : la France et le Sénégal donc, les États-Unis, l'Italie, la Suisse, la Turquie, l'Égypte et le Mali) est elle aussi leader, mais dans le BTP : environ 146 millions d'euros en 2006.

La Sénégalaise des eaux (Saur) appartient désormais au groupe Bouygues très implanté en Afrique de l'Ouest, à 73 %, à EDF International pour 14 % et aux fonds d'investissement à 13 %. Multinationale, elle est présente, hormis dans l'hexagone, en Espagne, en Pologne, en Russie, en Argentine, en Chine et au Sénégal. Son C.A. global est de 1,4 milliard d'€ en 2005.

Laborex, 60 % de part de marché, est le principal importateur de produits pharmaceutiques. Si son capital est totalement sénégalais, elle entretient des liens très étroits avec la France : son bureau d'achat est à Rouen. Son C.A. était de 23, 8 millions de FCFA en 2000 (ou 36 000 €).

La CSE est détenue à 45 % par la société française de travaux publics Fougerolles (un des leaders du marché). Son C.A. est d'environ 30 milliards de FCFA (45 millions d'euros).

Colgate Palmolive, dans le secteur des produits d'entretien effectuait en 1997, environ 21 000 euros de chiffre d'affaire.

Nestlé Sénégal (agro-alimentaire) réalisa 20 000 euros de C.A., approximativement, en 1997.

Enfin, Scac Delmas Vieljeux (transports maritimes) appartient à un autre groupe très bien implanté en Afrique (70 sociétés dans 35 pays) : Bolloré. Le C.A. était quelque peu inférieur à 20 000 euros en 1997119.

Parmi ces sociétés, certaines figurent en bonne place au sein du classement des investissements sur la période 1992-2001 : la SOCOCIM, 3e , a investi 64 573 millions de FCFA, la CSS, 4e , 44 695 millions, Colgate Palmolive en 6e position, avec 10 714 millions, en 8e je retrouve les GMD qui ont investit 10 008 millions, la SODEFITEX 11e avec 8365 millions et Nestlé Sénégal avec 5 394 millions en 14e position. Ce classement regroupe 44 sociétés et est proposé en annexe IIp, page 158.

A un niveau plus global, je proposerai de se reporter aux cartes C et D, pages 32 et 33 ainsi qu'aux graphiques 15 à 22, pages 29 à 35. Il est entendu qu'elle est la première destination et provenance des échanges sénégalais. Elle importe pour 13,07 % et exporte au Sénégal pour 33,22 %. Principal pays client et fournisseur, la France est par ses entreprises privées très bien implantées au Sénégal et ce dans tous les domaines, secteurs de la vie économique : agro- alimentaire et agro-industrie, BTP, télécommunications, hydrocarbures, eau, parachimie, produits d'entretien et transports. Et ce n'est pas un hasard si Mme Viviane Wade, épouse du chef d'État, se déplace à la commémoration du 80e anniversaire de la société Fougerolles, en janvier 2007. Fougerolles appartient au groupe Eiffage, troisième fleuron français dans le BTP120.

Paris est en quelque sorte la capitale officieuse des États africains francophones. Elle accueille les sièges du CIFAS et du CIAN (Club des investisseurs français au Sénégal et Conseil français des investisseurs en Afrique). Ces organisations, comme leur appellation le laisse entendre, aident les nouveaux investisseurs français. Elles publient à cet effet des rapports : le MOCI (CIAN) par exemple où les conjonctures économiques des États africains sont analysées par zones (Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Afrique centrale, Afrique australe, et, Afrique orientale et océan Indien. Au sujet du Sénégal, voici leur compte rendu : « les entreprises prévoient un chiffre d'affaires en légère augmentation et aucune ne s'attend à une baisse d'activité pour 2007. Quant aux résultats financiers, ils restent très proches de ceux de l'an dernier, puisque cette année encore 1 entreprise sur 2 est nettement bénéficiaire, mais seulement 1 sur 4 faiblement bénéficiaire ou à

119 Les sources permettant d'obtenir ces informations sont les sites Internet des sociétés citées. Également, http://www.senegalonline.com/francais/economie/20-entreprises.htm, pour le classement des 20 premières entreprises.

120 Nettali du 2 janvier 2007, http://www.nettali.net/spip.php?article2068

l'équilibre. Les investisseurs sont supérieurs à ceux de l'exercice écoulé avec une reprise annoncée pour 1 société sur 2. Enfin, un tiers estime que les créances de l'État sont encore élevées.

Dans l'environnement des affaires, les infrastructures portuaires et aériennes, les télécommunications, le secteur bancaire, la qualité du personnel de maîtrise et la sécurité sont toujours les points les plus satisfaisants. Le niveau de corruption est relativement bas. En revanche, le mauvais état du réseau ferroviaire, la fraude douanière, les jugements arbitraires et les coûts très élevés de l'énergie restent les principaux sujets de préoccupation des entreprises. ». Certaines similitudes avec mes propres observations apparaissent. L'objectif reste, cela s'entend, mercantile : « dans une Afrique, tant décriée, le CIAN rappelle notamment par ce rapport et sa lettre trimestrielle, que dans ce continent si proche de l'Europe par l'histoire et la géographie, des initiatives se développent, des entreprises y prospèrent et que c'est une erreur grave de négliger cette partie du monde à laquelle s'intéressent de plus en plus de nouveaux acteurs [comprendre, la Chine, l'Inde, le Brésil...] »121.

Paris c'est aussi l'Élysée et sa « cellule africaine ». Si elle n'a aucune existence juridique, légale, elle est néanmoins présente depuis les années 1950-1960, depuis les indépendances. C'est le général de Gaulle qui le premier crée ce réseau de diplomates, hommes d'affaires et politiciens. Jacques Foccart (1913-1997) est le principal représentant de cette organisation diplomaticoéconomico-politique parallèle (avec Michel Dupuch, Charles Pasqua, Michel de Bonnecorse...). Financements de partis politiques français, détournements occultes au profit de multinationales (ELF), assistances lors des coups d'État, ces faits aujourd'hui avérés sont le côté sombre de la politique africaine de l'État français. Le nouveau gouvernement, n'ayant aucune culture politique africaine, voire internationale, promet un virage dans les relations franco-africaines. N'étant pas essentiel, je ne détaillerai pas plus.

L. S. Senghor, A. Diouf (secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie depuis 2002) et A. Wade ont étudié en France, et ont tous, malgré la tentative de A. Wade de trouver des alternatives à l'ex-métropole (chronologiquement les États-unis et la Chine), lié de profonds liens politiques, économiques et culturels avec la France. Que dit justement ce dernier (cf annexe presse et citations, page) ? La France et le Sénégal, plus largement l'Afrique, sont indissociables et ont des intérêts et perspectives communs : l'immigration, le développement, le terrorisme, l'environnement et le partenariat eurafricain. Il faut cependant écarter des relations le syndrome colonisateur-colonisé.

C'est également le point de vue de Geneviève Lancu, le Consul général de France à Dakar : « la France entretient une coopération extrêmement importante avec le Sénégal. La qualité de nos

121 Le MOCI - les entreprises françaises et l'Afrique, 2007, 18e rapport, N° 1783-1784 du 28 décembre 2006 au 4 janvier 2007

relations de coopération et la place que ce pays occupe aussi bien au niveau administratif que dans le coeur des français n'est plus à démontrer ».

Au niveau étatique, la France est très présente. Elle allège par exemple sa dette extérieure (également appliquée par les créanciers du Club de Paris) qui se voit ramenée à 41,4 % du PIB en 2004 (elle sera à 15 % après l'Initiative du G8)122.

Les sommets France-Afrique font partie intégrante des relations bilatérales. Le dernier en date, le 24ème , des 15 et 16 février 2007, à Cannes, accueillit 48 représentants sur 53 possibles. Quel est l'enjeu d'un tel rassemblement ? Quels en sont les dossiers ? « L'Afrique et l'équilibre du monde » en étaient le thème, les matières premières, le conflit du Darfour, le développement, la lutte contre l'immigration clandestine sont les principaux leitmotiv abordés.

Ce fut donc le dernier sommet de « Chirac l'Africain ». Critiquées, ces rencontres sont organisées afin de remplir certains objectifs : réaffirmer la position française en Afrique et notamment dans son « pré-carré » (Afrique francophone), impulser de nouvelles dynamiques diplomatiques et économiques (contrats, aides, projets de développement), et si possible, faire passer un message à la nouvelle puissance africaine qu'est la RPC. Le prochain sommet, qui se déroulera en Égypte en 2009, promet une participation à la baisse étant donné le peu de maîtrise dont dispose M. Sarkozy sur ce continent. A ce propos, les deux candidats du second tour de l'élection présidentielle en mai 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, avaient promis une nouvelle politique africaine, basée sur plus de transparence. Est-ce à dire que l'ancien président, Jacques Chirac, entretenait un système opaque ?

Pour conclure sur ce sujet, si les principaux domaines étasuniens sont l'approvisionnement en matières premières et la lutte contre le terrorisme, le nouveau gouvernement français souhaite surtout contrôler l'immigration. Le Sénégal est en première ligne. Une phrase d'une mère me marquera : « on en a marre que nos fils partent mourir en mer, maintenant, on va prendre les choses en main [...] on leur dit de rester, que ce n'est pas l'eldorado ! ». Des centaines de vie seront je l'espère ainsi épargnées (les jeunes hommes embarquent en pirogue au large de Saint-Louis, se dirigeant vers la porte de l'Europe : les îles Canaries).

Le Sénégal reste et devient, par le conflit ivoirien, un territoire clé pour la France, géopolitiquement j'entends. 1200 militaires y sont stationnés, ce qui représente la quatrième force militaire française en Afrique, après la Côte d'Ivoire (contingent d'environ 4200 militaires : opération Licorne), la Réunion (4100), Djibouti (2900), à égalité avec le Tchad et devant le Gabon

122 Le club de Paris est un groupe informel de créanciers publics qui a pour but de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiements de nations endettées. www.wikipedia.fr

Le G8 est une organisation regroupant les pays les plus industrialisés, donc riches. Composé des États-unis, du Canada, de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Russie et du Japon, il verra sous peu l'apparition de l'Espagne et du Brésil. La Chine pose plus de difficultés, étant donné la nature même de son régime politique. Mais, seuls les intérêts comptent...

avec 1000 fonctionnaires. Une base y est implantée et un accord de défense est signé123. L'ambassade de France, située au Sud-Est du port, est de par sa taille, la plus imposante de toutes. Sa sécurité est également sans rapport avec l'ambassade des États-unis ou de la RPC par exemple. Comment ne pas aborder un des points les plus simples mais si essentiel : la langue. Le français est la langue administrative officielle au Sénégal (comme elle l'est au Mali, en Côte d'Ivoire...), le wolof l'étant pour les affaires : « oui tout le monde parle français au Sénégal, mais c'est que pour l'administration. Le wolof c'est pour le business ! », dixit un Sénégalais d'âge mûr rencontré sur le boulevard de Gaulle.

La France tente également de réaffirmer sa présence en Afrique. Malmenée au Rwanda, en Côte d'Ivoire, elle déploie ses activités économiques dans les pays anglo-saxons (Afrique du Sud, Nigéria...). Son double discours, politique et économique l'atteste : politique dans l'Afrique francophone, économie dans les pays colonisés par le Royaume-Uni. Ce continent est indispensable : le plus rentable de tous. Il existe plus de 2600 entreprises dont 80 % sont bénéficiaires, les privatisations ayant été une véritable aubaine pour certaines...

La France investit dans tous les domaines possible : l'agriculture, l'environnement, l'industrie, le tourisme, la santé, l'éducation et la culture.

L'agriculture est prédominante car les importations françaises représentent environ 20 % du total (des importations françaises). La canne à sucre, l'arachide, les produits halieutiques et les fruits et légumes sont les principales importations agricoles.

L'industrie, je l'ai décrite, est régie par les Français et Libanais. La santé est domaine élémentaire. Elle est cruciale dans un pays où un simple anesthésique est difficile à se procurer. L'hôpital principal de Dakar est d'ailleurs en étroite collaboration avec la France, devenu autonome en 2004. C'est, et de loin, l'infrastructure la plus adaptée et fonctionnelle au Sénégal.

Le secteur touristique : 49,6 % des touristes sont français, en 2005. Les complexes touristiques sont nombreux, du Club Méditerranée sur la pointe Ouest du Cap-Vert, aux petites chambres proposées par les « sénégaulois ».

L'éducation est bien entendu un autre domaine de coopération. Pour exemple, l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar détient des accords universitaires avec une trentaine d'Universités françaises.

123 Le Monde du 13 avril 2006, http://abonnes.lemonde.fr/web/infog/0,47-0@2-3212,54-761588@51-751452,0.html

Accord datant de 1974, les FFCV (Forces françaises du Cap-Vert) sont installées à Dakar, sur sa côte Est, à proximité du port. Il s'agit du 23e bataillon d'infanterie et de marine (Bima).

Rfi du 2 février 2005, http://www.rfi.fr/actufr/articles/062/article 33706.asp

Ce point qui requière à lui seul un mémoire, ne peut être détaillé ici. La France possède de nombreux avantages par rapport à son concurrent direct, ou qui est en passe de le devenir, la Chine. La langue, partagée par les deux parties, son implantation multisectorielle, ses liens politiques et diplomatiques forts et la représentation des Sénégalais vis-à-vis des Français, plutôt positive, bienveillante. Ceci s'explique notamment par l'aide au développement apportée : en 2004, elle s'élève à 410,3 millions d'euros dont 124,2 hors annulation de dettes. Le Sénégal est de fait le premier bénéficiaire de l'APD (Aide publique au développement) : il perçoit 9,4 %124 . Selon cette source, les « secteurs de concentration de l'aide française » sont l'éducation, le secteur productif (« subventions, prêts non souverains concessionnels et non concessionnels, garanties, lignes de refinancement bancaire, expertises, mise à niveau environnementale et sociale des entreprises, partenariats publics/privés, etc. »), les infrastructures, la santé, le développement rural, «la consolidation de l'État de droit et l'amélioration de la gouvernance institutionnelle », l'enseignement supérieur et la recherche (par l'Institut de recherche pour le développement (IRD) par exemple) et « la promotion de la diversité culturelle et du français ».

Un dernier sujet démontrant le poids économico-politique français est le franc CFA. Lors de la ratification par la France des accords de Bretton Woods en 1945, la monnaie en Afrique de l'Ouest alors essentiellement colonisée par la France est le franc des colonies françaises d'Afrique. En 1958, elle est renommée franc de la communauté française d'Afrique, appellation moins coloniale et impérialiste qui n'enlève rien au pouvoir que la France garde sur cette monnaie qu'elle dévalue selon ses besoins (le 11 janvier 1994, quatorze États de la zone franc dévaluent leur monnaie sous pression du FMI et de la Banque Mondiale. C'est la France qui l'annonce et pour cause : les spéculations sont françaises et viennent majoritairement des grandes sociétés implantées en Afrique de l'Ouest). Elle changera de nom pour franc de la communauté financière d'Afrique (pour les membres de l'Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine ou UEMOA) et franc de la coopération financière en Afrique centrale (pour les membres de la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale ou CEMAC). L'UEMOA regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. La CEMAC le Cameroun, le Congo (Brazzaville), le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République Centrafricaine et le Tchad.

Les deux monnaies (euro et franc CFA) sont liées par une parité fixe, le franc s'apprécie donc en fonction de la monnaie européenne. Cela entraîne la chute des prix des matières premières, celles-ci étant fixées en dollar US moins fort que l'euro, d'où, une baisse des exportations

124 Ministère des Affaires étrangères, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france 830/aide-au-developpement 1060/politiquefrancaise 3024/instruments-aide 2639/documents-cadres-partenariat-dcp 5219/document-cadre-partenariat-france-senegal-dcp2006-2010 40403.html

(agricoles, de coton...). Cette monnaie forte est avantageuse à l'export, mais contre-productive à l'import, or, la balance commerciale sénégalaise est nettement déficitaire.

La France est membre fondateur de l'Union Européenne. L'U.E. importe 47,28 % des marchandises et exporte pour 92,31 %. Elle est quasiment en situation de monopole, chez les pays fournisseurs ! Quelle est la place française ? Elle totalise 36,01 % (des exportations sénégalaises vers l'U.E. donc) et 51,95 % des importations sénégalaises. Deux autres pays sortent du lot, l'Espagne et l'Italie. S'agissant de l'U.E., se référer aux cartes et graphiques en annexe.

Un procédé navrant, ajouter les annulations de dettes au chiffre global de l'aide attribuée aux États africains, devient fréquent. Selon le rapport de l'organisation Concord, l'Europe accorde en 2006, 48 milliards d'euros125. Mais 13 proviendraient directement des dettes annulées, soit, près de 30 % !

Monsieur Wade comprenant les enjeux d'un tel partenariat, affirme que quatre puissances domineront le monde de demain, soit, les États-unis, la Chine, le Brésil et l'Inde. Il exclue donc l'U.E. qui ne possède pas de réservoir démographique mais encourage les liens entre cette dernière et l'Afrique qui elle possède ces ressources humaines. Un « grand ensemble » géopolitique où l'indépendance de tous sera le gage de relations politiques productives et multilatérales (au contraire du paternalisme français ou anglo-saxon)126. Objectivement, ce type de déclarations permet surtout d'attirer l'attention.

Il est somme toute logique que la première économie mondiale (l'Union européenne) attire et exporte l'ensemble des capitaux. Liens historiques et proximité géographique ne sont pas étrangers à cette prépondérance. La Chine, l'Inde, le Brésil et les partenaires du Maghreb et du Proche et Moyen Orient apparaissent donc dérisoires vis-à-vis l'ex-métropole, cependant, c'est bien un enjeu à moyen terme.

En résumé, la France n'est aucunement menacée au Sénégal (ce n'est pas le cas dans tous les États francophones). À court terme cependant, car les pays dits émergents gagnent chaque année des contrats et du terrain politique. Comme je l'ai brièvement décrit, les sociétés hexagonales sont leaders, mais le BTP, les télécommunications, les activités de la pêche sont trois secteurs d'activités où la Chine joue désormais, à travers son secteur privé, un rôle important. Il en est de même dans d'autres activités...

125 Rfi du 17 mai 2007, http://www.rfi.fr/actufr/articles/089/article 51903.asp

126 L'hebdomadaire du 21 mars 2007, http://www.lhebdomadaire.info/Senegal-Abdoulaye-Wade-appelle-a,1257

Un exemple est les télécommunications. China Télécom est une des plus grandes sociétés, elle compte 25 millions d'abonnés en Chine. Actuellement deux groupes se partagent le marché : la Sonatel (capitaux mixtes, 33,3 % pour France Télécom et 66,7 % revenant à l'État sénégalais) et un groupe privé du nom de Sentel. L'entreprise chinoise serait la troisième mais est en concurrence avec la société saoudienne, Saudi Bin Laden Group. Il est évident que China Télécom dispose d'un atout remarquable : son marché potentiel chinois ! De fait, jouant sur le nombre, elle pourra à terme proposer des tarifs attrayants. De fait également, elle investira des sommes conséquentes dans la recherche, l'un des nombreux secteurs dont la Chine souhaite développer (NTIC pour Nouvelles technologies de l'information et de la communication)127.

Un autre exemple est la participation française à la 17e Fidak (Foire internationale de Dakar).La foire, du 30 novembre au 11 décembre 2006, accueillit des centaines d'exposants. L'information utile ici, est le retour des privés français qui avaient déserté cette réunion l'année précédente pour cause de manque de professionnalisme. Ils n'étaient pas les seuls, les étasuniens, belges ou encore marocains avaient suivi leur exemple. Alors pourquoi revenir ? Pour faire face aux pays asiatiques ! D'ailleurs, l'invitée d'honneur était l'Inde.

Je vais parcourir le globe terrestre afin d'analyser sommairement les partenaires que sont les NPI, nouvelles économies ou encore pays émergents, et en premier lieu, vers l'Est, vers l'Inde.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote