Riches en nombre car ce sont les clients qui eux-mêmes
sont les consommateurs sénégalais qui sont des citoyens donc des
électeurs. Le second allié des Asiatiques est le gouvernement.
Les consommateurs doivent se regrouper pour unir leurs forces et
fédérer les mots d'ordre, les revendications et perspectives :
c'est l'ASCOSEN. Ces trois groupes sont, en quelque sorte, les amis des
Chinois. Ils défendent leur cause par d'hétéroclites
procédés, mais, la finalité est analogue. Il ne sont pas
les seuls, mais sont le véritable rempart contre les attaques du camp
opposé, hostile à la présence chinoise au
Sénégal.
J'ai, dans les lignes et chapitres précédents
abordé le thème des consommateurs. Ici, c'est le rôle et la
ou les positions de l'Etat sénégalais qui m'importe, avec l'appui
de l'ASCOSEN et de son président Momar Ndao. Que dit Abdoulaye Wade
à ce sujet ? Fustigeant la thèse de l'invasion chinoise en
Afrique et de ses produits, il souhaite commercer avec l'État asiatique
sans pour autant « écraser notre industrie pour renvoyer à
l'inactivité nos milliers de commerçants ». Abordant le
conflit sino-sénégalais, il déclare que son gouvernement a
agi avec clairvoyance, que les commerçants chinois sont tous en
situation régulière. Toutefois, il estime le nombre de ces
détaillants correct, mais si à l'avenir, celui-ci augmentait
« cela poserait problème ».
À un niveau supérieur, il souhaite créer
une zone franche en faveur des industries chinoises, rappelant que d'autres
pays y ont accès. Enfin, il condamne les protagonistes exerçant
« une certaine propagande [et] des réflexes négatifs de peur
», en soutenant à l'inverse la coopération entre les deux
États93.
Son appréciation ne laisse pas de place au doute quant
à sa représentation envers les Chinois. Mais le président
reconduit dans ses fonctions laisse un goût amer aux amis de l'UNACOIS.
Il leur avait en effet promis d'être intransigeant et ferme avec les
futurs migrants, en contrôlant les entrées sur le territoire
sénégalais. Mais ses paroles ne furent suivies d'aucun acte,
exception faite des contrôles douaniers. C'est donc une politique
officielle bienveillante à l'égard de la population chinoise. Une
politique ouverte, réfléchie et réaliste.
93 Le discours est disponible sur le site Internet de
Xinhua du 11 avril 2006.
J'aimerai, avant la description de l'ASCOSEN, proposer un
résumé de la perception des consommateurs
sénégalais : « si les Chinois n'étaient pas
là, ce n'est pas avec mon salaire et avec les cinq enfants que j'ai que
je pourrais aller dans les supermarchés ! 94». Les
Dakarois sont dans leur majorité, très bienveillants quant
à la présence des échoppes et de leurs patrons chinois. Si
certains s'agacent sur la forme de leur implantation (regroupée et sur
des artères historiques), ils apprécient tout autant leurs
tarifs. Ils offrent des emplois aux jeunes, louent au prix fort les maisons et
échoppes, sont discrets et honnêtes.
Les commerçants originaires d'Asie sont tout autant
perspicaces, comme l'enquête l'a démontré. En annexe
presse et citations, page 186, l'article de l'APS donne quelques
ressentiments de ces derniers.
Les détaillants chinois sont donc réalistes et
connaissent, pour certains du moins, l'instabilité de leurs statuts de
commerçants étrangers non intégrés. Ils sont
soutenus par plusieurs organisations dont l'ASCOSEN, la RADDHO, la CSA, la
CNDPA, l'ONDH et l'UNCS95. Ces six associations et organisations ont
participé à l'appel du premier, à la marche en soutien aux
commerçants chinois qui répondit à la manifestation et
grève, menée par l'UNACOIS début août 2004. Cette
manifestation d'environ 300 personnes96 (départ à
l'Obélisque et fin devant les locaux de la RTS sur le boulevard de
Gaulle et intitulée contre « l'intolérance, le racisme ou la
xénophobie de l'UNACOIS ») vit également le soutien de
l'Association des employés de commerce des Chinois, le Regroupement des
distributeurs de produits chinois et l'Amicale des dockers commis au
débarquement des produits chinois. Des individus, comprenez des
consommateurs sénégalais, vinrent par ailleurs soutenir leurs
détaillants favoris. Si les opposants affichent indiscutablement leurs
arguments et rejets envers les commerçants asiatiques, les partisans de
la représentation positive, par la voix de Momar Ndao97 qui
siège également à l'UEMOA sous le mandat de
président des associations de consommateurs, ne manient eux non plus la
langue de bois.
Premier point, la perte par les commerçants
sénégalais du marché dakarois par leurs «
collègues » chinois. En fait, les Chinois ont simplement investi
là où les Sénégalais auraient, à terme,
perdu. Car ces derniers ne disposent pas des atouts qu'un Chinois lambda
possède : la maîtrise de la langue, la connaissance du terrain, de
la conjoncture économique et des filières commerciales. Ils se
sont donc fait, logiquement, doublé. Ceci a entraîné des
rejets et une frustration
94 Phrase prononcée par un père de
famille étonné de mon étude, sur le boulevard de
Gaulle.
95 La RADDHO est la Rencontre africaine des droits
de l'Homme ; la Confédération des syndicats autonomes (CSA) ;
Conseil national pour la défense du pouvoir d'achat du citoyen (CNDPA) ;
l'Organisation nationale des droits de l'Homme (ONDH) et l'Union nationale des
consommateurs du Sénégal (UNCS).
96 Selon l'APS, donc d'après le
ministère de l'Intérieur.
97 En annexe entretiens, page 172.
qui peu à peu peut être qualifiée de
xénophobe. De plus, une vérité est apparue, celle de leurs
tarifs exorbitants imposés à la clientèle : les Chinois
ont divisé par deux ou trois ces marges.
Second point, la qualité. Momar Ndao l'affirme, «
oui, la qualité est relative. Ça dépend de la satisfaction
du consommateur. Comme c'est le paraître qui compte... Il n'y a pas de
calculs sur le long terme, le consommateur sénégalais n'a pas de
démarche logique, scientifique. Pour les textiles, on peut acheter un
tissu de basse qualité mais bien le coudre chez le tailleur ». La
qualité est donc moyenne pour ne pas dire mauvaise, mais est ce
imputable aux Chinois ou aux consommateurs : c'est bien la demande qui
détermine l'offre.
Donc, l'implantation des commerçants est positive :
« oui avant on achetait dans des friperies, aujourd'hui pour 1000 francs
[1,5 euros], on habille un enfant. [...] Ils les vendent au prix réel.
». L'accès aux produits s'est démocratisé, permettant
à ces consommateurs sénégalais de pénétrer
dans la société de consommation, d'entrer dans la
mondialisation.
Troisième point, les accusations portant sur les
conditions d'entrées et règlementations : « oui mais tout
commerçant doit avoir ses documents et si le Chinois le possède
c'est bon. Pareillement, tous les étrangers doivent respecter la police
aux frontières et les conditions du séjour [...] les visas sont
étudiés par les ministères au cas par cas. Même
quand il n'y a pas d'ambassade [exemple : Chinois de la République
Populaire de Chine en 2000] ». Cette position est donc la même que
celle du gouvernement.
De plus, l'UNACOIS asserte la présence d'ateliers dans
les villas et les échoppes chinoises : « non, les
commerçants ne sont pas des fabricants ! On ne peut pas tout remettre en
cause ! Par contre c'est vrai qu'ils assemblent certains produits sur place
».
La spéculation foncière leur est elle imputable
? « en moyenne c'est 20 % d'augmentation par an ! Cela dépend de la
demande. Mais la réelle raison est l'arrivée des organisations
onusiennes ! » et selon lui « la plupart des riverains du boulevard,
étant des retraités, ils trouvent des ressources à travers
la location de magasins aux commerçants chinois »98.
Cette manne financière est capitale pour la grande majorité des
bailleurs. Je rappelle le prix des loyers : 400 000 FCFA (600 €) pour une
maison et de 500 (750 €) à 700000 (1050 €) pour les
échoppes, selon M. Yin. L'APS estime à 100 000 environ le loyer
du commerce et à 500 000 FCFA la maison.
Quels sont les moyens de pression ? L'ASCOSEN dispose d'une
émission télévisée, en wolof, intitulée
Nay Leer (que ce soit clair). Surtout, les associations de
consommateurs sur l'ensemble du territoire : 30 000 membres dans toutes les
régions. Les militants et relais des associations et organisations
citées plus haut sont également précieux. Et leurs
revendications ? « la
98APS du 11 août 2004.
qualité des produits, des services, un bon
environnement, des banques de développement, la santé,
l'administration, la sécurité des biens, les transports...
».
Septième et ultime point, à la question, que
feriez-vous pour lutter contre cette concurrence Chinoise ?, Momar Ndao
répond : « il faut influer sur les Chinois, faire des
micro-industries, des usines d'assemblages, même artisanales [...] des
transferts de technologie, de la valeur ajoutée. Par exemple, on a du
sable et pour faire le verre il nous faut juste des fours ! ».
Cette représentation bienveillante à
l'égard des Asiatiques est subséquemment soutenue par le
gouvernement, la population et certaines associations de consommateurs et
humanistes. Sans pour autant rentrer dans les clichés, je peux proposer
une classification, en d'autres termes, les réfractaires aux marchands
sont conservateurs, affichent un nationalisme économique : ce sont des
réactionnaires. A l'opposé, l'ONDH, l'ASCOSEN... sont
généralement des unions classées à gauche,
progressistes donc. Au Sénégal pourtant, les clivages sont moins
essentiels et évidents que dans les États européens
(Espagne, Italie, France) : le besoin social et de service public est tel que
la droite (A.Wade, I. Seck) et la gauche (O. T. Dieng) s'affrontent plus sur
l'image des présidentiables que sur les programmes. Bien sûr,
l'héritage politique socialiste99 de L. S. Senghor reste
omniprésent au P.S. sénégalais.
Le point terminal de ce chapitre, Les conflits
d'intérêts ou le rejet des responsabilités est
consacré à une tentative de synthèse de la première
partie et des représentations.