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Les enjeux géopolitiques de la "percée" chinoise au Sénégal

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par Xavier Aurégan
Institut Français de Géopolitique - Master 2007
  

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DEUXIÈME PARTIE : REPRÉSENTATIONS, CONFLITS
D'INTÉRÊTS ET RIVALITÉS DE POUVOIRS

CHAPITRE I. - LES CHINOIS IMPLANTES AU SENEGAL SONT

GENERATEURS DE CONFLITS

1. « Le Chinatown et le China Market » ou la représentation négative

Cette expression relevée d'une discussion85, place de l'Indépendance est caractéristique d'une certaine représentation. Derrière cette vision, cette conception, cette image des Chinois se cache des éléments objectifs et subjectifs. Il existe à Dakar, deux représentations quant à l'implantation des commerçants chinois. De ceux-ci exclusivement car seuls les boutiquiers entraînent, malgré eux, ces débats. Le « Chinatown » désigne le quartier de Gibraltar limitrophe, contigu du boulevard de Gaulle ; le « China Market » le boulevard lui-même et les deux autres territoires cités auparavant. Plus que les hommes et femmes vivant et travaillant dans ces lieux, c'est leur fonction, profession qui est visée. Cette représentation négative est portée essentiellement par un cercle social réduit et définis : les commerçants, le patronat et leurs mandataires.

Les commerçants sont les Libanais dont je parlerai dans le chapitre suivant. Le patronat et leurs mandataires sont les principaux protagonistes de cette représentation. Le patronat au Sénégal est l'UNACOIS, le CNP et la CNES86. Les différents entretiens réalisés auprès de ces instances apportent les réponses et arguments reflétant cette appréciation offensive quant au fait chinois sénégalais.

Que disent t'ils ? Quels sont leurs mots pour exprimer cette menaçante implantation asiatique ? Pourquoi et comment les combattre ? Premièrement, ces interlocuteurs défendent leurs intérêts. Ils représentent des commerçants, industriels et entrepreneurs. Que des personnes attaquent leurs rentes et ils se doivent de répliquer. Que ce soit des étrangers issus d'un pays lointain et

85 Mamadou, 31 ans. Durant mon étude de terrain, j'apprendrai beaucoup de ces innombrables discussions auprès des Dakarois.

86 UNACOIS ou Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal ; le CNP est le Conseil National du Patronat et la CNES est la Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal.

encore peu connu, qui ne connaissent pas particulièrement les rouages et commodités du système économique sénégalais sont d'autres arguments subjectifs à leurs charges.

L'argument principal donné est la concurrence déloyale : si les préjudices, soit, la moins- value, ne sont pas connus, tous l'affirme. Les Chinois utiliseraient tous les moyens en leur possession pour proposer ces prix défiant toute concurrence, y compris les moyens illégaux tels l'emploi de condamnés, le non-respect des règlementations et normes, de fausses déclarations, aux douanes, de la moitié des produits importés, la vente à perte, la fabrication illégale dans de petites unités de transformations. Que ce soit Youssoupha Diop (adjoint du directeur exécutif à la CNES ), Papa Nall Fall (président de la commission économique et financière et responsable au Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales au CNP), Oussynou Niang (secrétaire permanent de l'UNACOIS/Def), Diongue (secrétaire de la NSTS ) ou Moustapha Sakho (président de l'UNACOIS ), tous convergent en ce sens (se reporter à l'annexe entretiens).

A mes questions portant sur la qualité des marchandises asiatiques, les réponses sont unanimes : « oui mais avant le Sénégalais avait le goût de la qualité, aujourd'hui c'est juste un besoin de se satisfaire87 [...] le Sénégalais lambda ne fait pas la différence entre la mauvaise et bonne qualité. C'est dans tous les domaines mais aujourd'hui on ne fait plus la différence entre un robinet français et chinois, la copie est excellente ». Monsieur Niang affirme même : « on envoie des déchets au Sénégal, les limites de péremption sont dépassées ! ». Monsieur Diop, quant à lui : « comme vous dites oui, mais la qualité c'est autre chose, mais ça arrange la population... ». Il répondait à ma supposition : les Chinois ont eux contribués à baisser les prix des produits de première nécessité.

Qu'en est t'il de l'emploi crée par ces commerçants ? L'UNACOIS/Def parle d'exploitation, d'esclavage et accuse la communauté en général de ne pas investir, de ne pas proposer de transferts de technologie. Son collègue de l'UNACOIS est plus raisonnable et réaliste en avouant « on peut dire ça mais juste entre 300 et 500. Ce n'est pas bien, c'est de l'informel, ils ne payent pas d'impôts... ».

Je reviens quelques instants sur l'espace urbain occupé par les Asiatiques, dont le quartier résidentiel de Gibraltar. Éléments faisant partie intégrante de cette représentation, il sont soumis à une spéculation foncière sans précédent. Les locataires chinois payent jusqu'à un million et demi de FCFA (loyer annuel, ce qui représente plus de 2 000 euros). Quant au boulevard, et hormis l'espace libre disponible à l'arrivée des premiers détaillants à la fin des années 1990, « c'est évidemment parce que le boulevard est bien entretenu, c'est une fierté à Dakar le boulevard ! En plus, ici ils sont accessibles, le toubab [Blanc en wolof] n'est pas trop accosté », dixit M. Sakho.

87 Réponse démagogue étant donné le peu de moyens dont les foyers sénégalais disposent.

Sur les migrants eux-mêmes, la position commune à ces interlocuteurs est la réglementation. Le nombre de 800 commerçants et chinois semble être la limite acquise. Limite d'ailleurs proposée par A. Wade. Non renouvellement des cartes de séjour, contrôle stricte des entrées et augmentation des commissions (ce qui est en fait la licence commerciale) sont les principales revendications.

D'autres arguments sont avancés. La vente à crédit des marchandises importées de Chine (par les commerçants chinois exclusivement), le subventionnement par l'État chinois, la non- participation des migrants à l'économie locale, le rapatriement de devises achetées à une fois et demi du cours et la polémique au sujet des conteneurs. Le conteneur est associé à un patronyme sénégalais pour ne pas éveiller de soupçons et que ce faisant le commerçant chinois, payant un bakchich au passage, peut en toute quiétude récupérer ses marchandises sans avoir à passer par les contrôleurs et employés du port autonome de Dakar.

Les témoignages sont concordants. Afin de lutter dans la pratique, l'UNACOIS a organisé en août 2004 une manifestation de grande ampleur. Une manifestation dont le point de départ était, symboliquement, le monument de l'indépendance au début du boulevard du général de Gaulle (Nord de l'artère). Ce défilé anti-chinois s'est transformé en grève. Durant trois journées, les syndicats ont bloqué l'ensemble du territoire en baissant les rideaux de tous les commerçants, sénégalais et libanais. Mis à part ces derniers et les représentations citées plus haut, dont la CNES88, la Chambre de commerce participa également à ce tour de force.

Alors comment combattre politiquement ces Chinois, avec l'aide du gouvernement si possible ? A ma question - vous aviez interpellé le gouvernement ? - le président de l'UNACOIS répond « oui, Wade. Il nous avait dit qu'on ne peut pas interdire les Chinois parce qu'il y a des Sénégalais partout dans le monde. Il y a des Sénégalais en Chine qui font du transit... ». Le gouvernement ne reste pas sourd aux arguments, et agit en conséquence : « le ministre du Commerce, Mamadou Diop, a révélé à l'APS que plusieurs tonnes de marchandises convoyées par des commerçants chinois ne disposant pas de licence ont été confisquées par les services compétents [...] nous avons découvert lors des contrôles effectuées que près de 15 pour cent des commerçants chinois n'avaient pas de registre de commerce. Comme nous sommes dans un pays de droit, le ministère de la justice a été saisi et nous avons confisqué plusieurs tonnes de marchandises. Nous avons aussi constaté que les titres de séjour de beaucoup de commerçants arrivaient bientôt à expiration, a poursuivi le ministre, indiquant que c'est un problème qui touche plusieurs départements ministériels comme la justice, l'intérieur et le commerce »89. De même,

88 Paradoxe humoristique, son bulletin contient une publicité pour Espace Auto, dont le slogan est « Espace Auto est également le premier importateur en Afrique des plus grandes marques et automobiles chinoises. Symboles d'une nouvelle génération axée sur le design, la technologie et l'économie, les marques chinoises vont révolutionner le marché de la vente de véhicules neufs ». Annexe IIo, page 158.

89 APS du 4 août 2005.

en Octobre 2003, quatre bar-restaurants tenus par des ressortissants chinois furent fermés par les autorités compétentes (information obtenue par un commerçant libanais sur l'avenue Lamine Guèye).

Comment combattre judiciairement ces Chinois ? Ils saisirent la commission nationale de la concurrence (structure de la Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de Dakar, CCIAD). Soupçonnant, à raison, l'import de pièces détachées (et non de produits finis) afin de ne pas s'acquitter des taxes les plus élevées, les commerçants chinois se sont fait démasqués. Mais la douane, impartiale ici, a augmenté l'ensemble des taxes : les Sénégalais se sont placés en victimes.

Ceux-ci ont par ailleurs dénoncé les installations non légiférées des commerçants concurrents, les accusant de ne pas être en règle avec le ministère de l'Intérieur (services de l'immigration dont la direction de la police des étrangers et des titres de voyage).

Mais ces protagonistes ne sont pas totalement honnêtes car ils oublient de mentionner un fait : ce sont les commerçants sénégalais, au sens large, qui ont profité les premiers des produits made in China90.

Y a t'il des contacts entre les représentations officielles chinoises et eux ? L'Ambassadeur chinois s'est déplacé (à l'UNACOIS) en 2006 « pour résoudre les problèmes » mais les contacts se sont limités à cette entrevue.

Avant de conclure, que pèsent ces Chinois dans l'économie ? Peu en vérité, car ce sont de petits commerces, mais qui amplifient l'informel. L'économie parallèle est elle très affectée.

Quelle est la position officielle du CNP ? « Nous avons des rapports avec le MEDEF [Mouvement des Entreprises de France], alors ce serait anachronique d'être xénophobe ! ». Étonnante position, le MEDEF n'est pas singulièrement connu pour ses positions anti-racistes et c'était bien des commerçants chinois dont nous parlions à cet instant. Mais une phrase, de Youssoupha Diop, attirera mon attention : « ce pays est le notre, on a un devoir et une responsabilité citoyenne ». Je dois préciser que l'UNACOIS et ses partisans sont qualifiés de xénophobes par leurs opposants, dont j'expliquerai leur représentation dans le prochain point.

Enfin, une autre raison de défiance est l'aménagement urbain. Il y a là de véritables enjeux territoriaux, des rivalités de pouvoirs car les Chinois sont installés dans les rues et boulevards où l'on touche directement les symboles de l'identité nationale : militaire car c'est sur cette voie que

90 La cupidité des commerçants sénégalais n'est pas à démontrer. Jusqu'à l'arrivée des Chinois, ces premiers se sont enrichis grâce aux produits made in China : ils les revendaient jusqu'à trois fois plus cher que leurs actuels concurrents Asiatiques.

Concordant, ce témoignage de Momar Ndao (président national de l'ASCOSEN) : « oui, avant les Sénégalais faisaient même faire les photos en Chine et les revendaient 10000 francs [15 €] alors qu'aujourd'hui les Chinois les vendent 1000 [1,5 €]. Ils les vendent au prix réel. ».

défile ces derniers, idéologique et historique pour la population, et, c'est enfin une fierté nationale car ce territoire reste un des mieux agencés, plus entretenus et convoités.

Cette représentation est clairement hostile aux Chinois. Elle est relayée par deux pouvoirs, au combien importants au Sénégal et dans toutes les démocraties : les pouvoirs politique et médiatique.

L'échiquier politique dans cette République n'est pas scindé en deux camps, mais trois au minimum. Le parti d'Abdoulaye Wade (PDS ou Parti démocratique sénégalais) est sans conteste le plus armé et puissant pour conduire son leader au pouvoir suprême, étant donné sa réélection91. C'est ce qu'on peut nommer la droite libérale voire ultra-libérale, copiée sur le système étasunien. La gauche est représentée par Tanor Dieng, sous le Parti Socialiste (PS). Le troisième parti dont je parle est Rewmi, le parti d'Idrissa Seck, ancien Premier ministre sénégalais sous la première présidence Wade. Il existe également le AFP ou Alliance des Forces de Progrès, classé à droite. C'est son président, Moustapha Niasse qui, il est d'ailleurs le seul, (hormis naturellement A. Wade qui dut se prononcer), a se positionner en faveur ou à l'encontre des commerçants chinois - du moins à en débattre lors de la campagne présidentielle. Dans un article du journal Wal Fadjri, il, selon le journaliste Ndakhté M. Gaye, « promet de faire la lumière ». Son contenu est en annexe presse et citations, page 186. Ce geste en faveur de l'UNACOIS et du patronat sénégalais est éminemment politique. En effet, M. Niasse tente par là de s'attribuer les voix de ces derniers, qui représentent en comparaison, le MEDEF et la CGPME92 en France, ce qui durant une élection présidentielle, compte.

La presse est également d'une importance capitale dans cette représentation. Nouvel horizon est un magazine. Son N° 497 contient un dossier spécial sur les commerçants chinois, son titre : « le péril chinois ». Son introduction : « quand les commerçants sénégalais ont, pour la première fois, stigmatisé la présence de leurs « collègues » chinois, on a vite fait de crier à la xénophobie. Aujourd'hui que tous les secteurs ont fini par être gangrenés, il n'y a qu'un seul mot d'ordre qui vaille : vaincre le péril chinois au nom de la défense de l'économie nationale ».

D'autres journaux s'intéressent à ce débat, tels Le Quotidien, Wal Fadjri, Le Soleil,

L 'Observateur, Sud Quotidien, des journaux électroniques tels Afrik. com... Simplement, le seul média proposant une neutralité est Wal Fadjri. Ses articles prennent en compte les deux camps, les deux représentations et surtout donnent la parole aux « pro-chinois ». Fait rare dans la presse sénégalaise mais également dans les médias visuels. Deux titres d'articles peuvent être cités : « Sénégal : pour ou contre les commerçants chinois ? », daté du 13 août 2004 et « Sénégal: À Kolda, le cachet sous-régional pérennisé, l'absence des chinois déplorée » en date du 6 avril 2007.

91 Réélu en mars 2007 au premier tour avec 55,9 % des voix devant Idrissa Seck (14,9 %) et Ousmane Tanor Dieng qui recueillit 13,5 %. Moustapha Niasse obtint 5,9 % des suffrages exprimés.

92 Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises.

Les Chinois possèdent donc des alliés au Sénégal, et ils sont nombreux.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe