La diaspora est la dispersion d'un peuple, d'une ethnie
à travers le monde69. D'après Emmanuel Ma Mung, «
deux caractères morphologiques objectifs définissent au minimum
une diaspora : la multi polarisation de la migration d'un même groupe
national, ethnique ou religieux entre différents pays et
l'interpolarité des relations, c'est-à-dire les liens
migratoires, économiques, informatifs ou affectifs
»70.
« Longtemps limité à la diaspora juive, le
mot tend à s'appliquer à toute dissémination : diaspora
arménienne, libanaise, indienne. L'existence d'une diaspora tient :
à une dispersion contrainte, en l'absence de pays propre ; à une
difficulté d'existence plus ou moins momentanée (diaspora
portugaise, irlandaise) ; ou à un choix d'activité et de mode de
vie, comme pour les « Levantins », Indiens, Haoussa, qui ont choisi
des professions d'intermédiaires dans une certaine étendue, voire
dans le Monde entier »71.
On peut donc, d'après ces définitions, parler
de diaspora chinoise. Seulement, elles ne proposent pas de chiffres minimaux,
alors à partir de combien de migrants ce qualificatif peut-il être
proposé ? Serai-ce plus scientifique de la qualifier de
communauté ? Assurément au regard du Petit Larousse
illustré : « groupe social ayant des caractères, des
intérêts communs ; ensemble des habitants d'un même lieu,
d'un même État ». La population chinoise établie
à Dakar (et au Sénégal pour le premier point) est donc une
communauté ou diaspora en devenir. Le titre provocateur est donc
prospectif.
Une certitude, tous sont des « huaqiao » : les
hua qiao sont les Chinois d'outre-mer qui ont conservé leur
nationalité. Plusieurs appellations couvrent ce terme : des migrants
temporaires (les techniciens, experts et employés, et, les
commerçants), des ressortissants chinois résidant outremer (les
Chinois qui comptent et les commerçants, classés dans ces deux
catégories) mais également des Chinois d'outre-mer
naturalisés mais dont le sentiment d'appartenance reste chinois, ainsi
que leurs relations économiques et familiales et enfin les Chinois
d'outre-mer naturalisés et plus ou moins assimilés. Ces deux
dernières catégories ne peuvent qualifier les ressortissants
chinois vivant au Sénégal. Hua qiao vient de
qiao désignant les émigrés temporaires.
69 Dictionnaire encyclopédique Larousse
70 Ma Mung. E., La diaspora chinoise,
géographie d'une migration, Géophrys, Paris, 2000, pages 8
et 9
71 Brunet, Roger, Ferras, Robert, Théry,
Hervé, « Les mots de la Géographie -
Dictionnaire critique », Reclus - La Documentation
Française, Montpellier-Paris, 2001, p. 158.
Si un groupe social émane de l'ensemble de ces
acteurs, elle est divisible par trois : Les techniciens, experts et
employés ; les Chinois qui comptent, installés depuis un certain
temps et s'étant intégré dans l'économie et la
société locale et, les commerçant
Ce n'est pas un classement démographique, social ou
économique. Les techniciens, experts et employés sont plus
nombreux que les Chinois insérés dans la vie
socio-économique sénégalaise mais inférieurs en
nombre que les commerçants. Ils sont moins fortunés que les deux
groupes suivants, moins intégrés également. Qui sont-ils ?
Que font-ils ? Où exercent-ils ?...
Les techniciens et experts sont directement envoyés par
le Parti Communiste Chinois (PCC).
Ils sont originaires de la RPC, mais des villes
évidemment. Car il existe toujours en Chine une frontière sociale
entre les citadins et ruraux. Cette affectation sociale est transmise par les
liens du sang. Ainsi, chacun est à sa place : un Chinois né en
campagne ne peut a priori vivre en ville et accéder à de hautes
fonctions administratives et politiques. Mais l'urbanisation exponentielle des
cités chinoises est la conséquence de ces millions de ruraux, au
chômage dans leurs territoires d'origine, venus s'installer dans les
bidonvilles et autres baraquements situés dans les quartiers Ouest des
villes chinoises. Cet article (en annexe page 185) résume le sort
de ces « parias chinois ».
À leur sujet, il m'est difficile d'apporter des
éclaircissements précis et nombreux. Le témoignage de
Monsieur Liou, diplomate à la mission économique chinoise apporte
des réponses. Ces Chinois ne travaillant pas pour des
sociétés ou organismes, ils sont envoyés au
Sénégal sur ordre du gouvernement. Ils travaillent
essentiellement dans l'agriculture, la santé et le BTP. Ils, car ce sont
des hommes, s'installent pour une durée de une à deux
années, remplacés par leurs confrères. Un « roulement
» est fait.
Que font-ils ? « Ils donnent une assistance technique,
des cours, forment. Ils vont dans les campagnes donner des cours pour le riz et
les légumes. Ça marche bien, même si la terre est trop
salée ou sablée. On apporte la technique. ».
Les Chinois forment par ailleurs des fonctionnaires
sénégalais, « une trentaine déjà. ».
Comment sont-ils choisis, ces stagiaires
sénégalais ? « On adresse une note verbale au
ministère des Affaires étrangères et il transmet aux
différents ministères. ». Dans le domaine administratif et
de la gestion, ils (les Sénégalais) reçoivent une
formation, un savoir-faire.
La Chine où l'administration, bridée par le
gouvernement, est importante (en nombre et en pouvoir), apporte sa technique,
sa pratique et ses procédés à une administration
sénégalaise où les lacunes sont omniprésentes. Les
ingénieurs et scientifiques sont majoritairement issus de formations
agronomes, hormis à Dakar et sa périphérie où des
médecins et ingénieurs (dans le BTP) exercent à
l'hôpital principal de Pikine et sur les grands travaux (autoroute,
théâtre, stade...). Là encore, que ce soit les
fonctionnaires, les agronomes et techniciens, le rôle chinois est
d'apporter le savoir- faire, apporter une participation concrète aux
relations diplomatiques et, suppléer à l'hégémonie
française.
Ces Chinois permettent aussi d'apporter une aide directe -
hôpitaux, agriculture - et indirecte - techniciens du BTP - à la
population sénégalaise. L'aide directe est intéressante :
le Sénégal est un des rares pays africains à
posséder les moyens d'une autosuffisance alimentaire dont l'aliment
essentiel est le riz. Les connaissances millénaires de la Chine à
ce sujet sont primordiales. Le riz est cultivé en Casamance et dans une
moindre mesure le long du fleuve Saloum. Ces écosystèmes sont des
mangroves : « formation végétale caractéristique des
régions côtières intertropicales, constituée de
forêts impénétrables de palétuviers, qui fixent
leurs fortes racines dans les baies aux eaux calmes, où se
déposent boues et limons »72.
Les agronomes dispensent également des cours et
pratiques aux agriculteurs sénégalais dans les cultures
céréalières (blé) et légumineuses
(arachide). Les céréales font l'objet d'une priorité
économique, dixit Cheikh Tidiane Gadio le ministre des Affaires
étrangères : « nous avons aussi décidé que la
coopération agricole entre les 2 pays aille dans les 2 sens, parce
qu'avant, la coopération agricole chinoise était une grande
assistance au Sénégal en termes d'expertise. Maintenant, le
Sénégal aussi est intéressé à trouver des
débouchés à ses produits céréaliers en Chine
»73. Les techniciens interviennent aussi dans le domaine
sanitaire et social. La mission médicale a l'hôpital Silence de
Ziguinchor et surtout, l'aide à la lutte contre le paludisme : «
maladie parasitaire produite par un protozoaire parasite du sang, le plasmodium
(ou hématozoaire de Laveran), et transmise par un moustique des
régions chaudes et marécageuses, l'anophèle
»74.
Sur la carte B, page 16, où je
représente spatialement l'ensemble des réalisations, aides et
financements chinois apportés dans le cadre diplomatique et
économique sino-sénégalais, les techniciens et experts
asiatiques occupent l'ensemble du territoire. Les régions
administratives
72 Petit Larousse illustré, 1990.
73 Déclaration issue de l'accord de
coopération économique, durant la visite du ministre chinois des
Affaires étrangères Li Zhaoxing les 12 et 13 janvier 2006.
74 Petit Larousse illustré, 1990.
de Saint-Louis, de Thiès et de Dakar sont logiquement
surreprésentées, de par le nombre d'habitants au kilomètre
carré et la richesse de ces régions
administratives75.
Ces informations, faibles, seront dans le futur proche,
enrichies, je l'espère pour la population rurale
sénégalaise, par de nouveaux projets et accords
sino-sénégalais. A ce jour, il y a approximativement une
vingtaine de techniciens et experts chinois oeuvrant sur l'ensemble du
territoire. Il me reste dans ce point, à aborder le rôle des
employés chinois.
Les employés sont les salariés (de
sociétés chinoises) implantées au Sénégal.
Ils sont une trentaine par entreprises, selon M. Liou. Henan Chine,
les sociétés Sénégal Pêche et Armement et
Huawei sont les principales firmes. Si, lors de la construction du
stade de l'Amitié, les ouvriers étaient majoritaires, ce n'est
plus le cas aujourd'hui, pour plusieurs raisons. Premièrement, la
présence d'ouvriers chinois est très mal perçue par les
Sénégalais qui accusent le gouvernement de ne pas appliquer la
« préférence nationale », donc de pourvoir en travail
des Chinois plutôt que des Sénégalais. Tous les entretiens
révèlent la volonté de remédier au principal maux
local, et avec la corruption : le chômage. Si la Chine investit au
Sénégal, elle doit créer de la valeur ajoutée, de
la richesse. Les ouvriers doivent de fait être de nationalité
sénégalaise.
Deuxièmement et c'est lié, lorsque les ouvriers
chinois s'installent dans un pays africain, ils sont confinés sur des
territoires, à proximité des chantiers, dont ils ne sortent pas
ou peu. Ils n'achètent pas, je devrais dire jamais, de nourriture
locale, de fournitures locales... Aucune valeur ajoutée là
encore.
Enfin, ces ouvriers travaillent par équipes de jour et
de nuit et sont payés suivant la législation chinoise, soit deux
fois moins chers que les Sénégalais. Ceci dérange
fortement les moeurs, des Sénégalais et autres peuples de ce
vaste continent subsaharien. Ces employés chinois rentrent pour la
plupart en Asie leur contrat respecté, mais certains s'installent ayant
des perspectives économiques. Monsieur Yin est l'un d'entre eux. Ceux-ci
ne deviennent pas commerçants au sens détaillants du mot, mais
investissent dans l'industrie, le textile, le bâtiment, la restauration.
Ces hommes et femmes vont devenir au fil des années les Chinois
insérés dans la vie socio-économique
sénégalaise ou les Chinois qui comptent
75 La population de ces régions est
respectivement de 764 347, 1 385 058 et 2 452 656 habitants. La densité
est de 40, 208 et 4484 habitants par kilomètre carré. Ces
régions accueillent les plus grandes villes, d'où,
créations de richesses.
ANSD.