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Les enjeux géopolitiques de la "percée" chinoise au Sénégal

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par Xavier Aurégan
Institut Français de Géopolitique - Master 2007
  

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CHAPITRE II. - LA « DIASPORA » CHINOISE

La diaspora est la dispersion d'un peuple, d'une ethnie à travers le monde69. D'après Emmanuel Ma Mung, « deux caractères morphologiques objectifs définissent au minimum une diaspora : la multi polarisation de la migration d'un même groupe national, ethnique ou religieux entre différents pays et l'interpolarité des relations, c'est-à-dire les liens migratoires, économiques, informatifs ou affectifs »70.

« Longtemps limité à la diaspora juive, le mot tend à s'appliquer à toute dissémination : diaspora arménienne, libanaise, indienne. L'existence d'une diaspora tient : à une dispersion contrainte, en l'absence de pays propre ; à une difficulté d'existence plus ou moins momentanée (diaspora portugaise, irlandaise) ; ou à un choix d'activité et de mode de vie, comme pour les « Levantins », Indiens, Haoussa, qui ont choisi des professions d'intermédiaires dans une certaine étendue, voire dans le Monde entier »71.

On peut donc, d'après ces définitions, parler de diaspora chinoise. Seulement, elles ne proposent pas de chiffres minimaux, alors à partir de combien de migrants ce qualificatif peut-il être proposé ? Serai-ce plus scientifique de la qualifier de communauté ? Assurément au regard du Petit Larousse illustré : « groupe social ayant des caractères, des intérêts communs ; ensemble des habitants d'un même lieu, d'un même État ». La population chinoise établie à Dakar (et au Sénégal pour le premier point) est donc une communauté ou diaspora en devenir. Le titre provocateur est donc prospectif.

Une certitude, tous sont des « huaqiao » : les hua qiao sont les Chinois d'outre-mer qui ont conservé leur nationalité. Plusieurs appellations couvrent ce terme : des migrants temporaires (les techniciens, experts et employés, et, les commerçants), des ressortissants chinois résidant outremer (les Chinois qui comptent et les commerçants, classés dans ces deux catégories) mais également des Chinois d'outre-mer naturalisés mais dont le sentiment d'appartenance reste chinois, ainsi que leurs relations économiques et familiales et enfin les Chinois d'outre-mer naturalisés et plus ou moins assimilés. Ces deux dernières catégories ne peuvent qualifier les ressortissants chinois vivant au Sénégal. Hua qiao vient de qiao désignant les émigrés temporaires.

69 Dictionnaire encyclopédique Larousse

70 Ma Mung. E., La diaspora chinoise, géographie d'une migration, Géophrys, Paris, 2000, pages 8 et 9

71 Brunet, Roger, Ferras, Robert, Théry, Hervé, « Les mots de la Géographie - Dictionnaire critique », Reclus - La Documentation Française, Montpellier-Paris, 2001, p. 158.

Si un groupe social émane de l'ensemble de ces acteurs, elle est divisible par trois : Les techniciens, experts et employés ; les Chinois qui comptent, installés depuis un certain temps et s'étant intégré dans l'économie et la société locale et, les commerçant

1. Techniciens, experts et employés

Ce n'est pas un classement démographique, social ou économique. Les techniciens, experts et employés sont plus nombreux que les Chinois insérés dans la vie socio-économique sénégalaise mais inférieurs en nombre que les commerçants. Ils sont moins fortunés que les deux groupes suivants, moins intégrés également. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Où exercent-ils ?...

Les techniciens et experts sont directement envoyés par le Parti Communiste Chinois (PCC).

Ils sont originaires de la RPC, mais des villes évidemment. Car il existe toujours en Chine une frontière sociale entre les citadins et ruraux. Cette affectation sociale est transmise par les liens du sang. Ainsi, chacun est à sa place : un Chinois né en campagne ne peut a priori vivre en ville et accéder à de hautes fonctions administratives et politiques. Mais l'urbanisation exponentielle des cités chinoises est la conséquence de ces millions de ruraux, au chômage dans leurs territoires d'origine, venus s'installer dans les bidonvilles et autres baraquements situés dans les quartiers Ouest des villes chinoises. Cet article (en annexe page 185) résume le sort de ces « parias chinois ».

À leur sujet, il m'est difficile d'apporter des éclaircissements précis et nombreux. Le témoignage de Monsieur Liou, diplomate à la mission économique chinoise apporte des réponses. Ces Chinois ne travaillant pas pour des sociétés ou organismes, ils sont envoyés au Sénégal sur ordre du gouvernement. Ils travaillent essentiellement dans l'agriculture, la santé et le BTP. Ils, car ce sont des hommes, s'installent pour une durée de une à deux années, remplacés par leurs confrères. Un « roulement » est fait.

Que font-ils ? « Ils donnent une assistance technique, des cours, forment. Ils vont dans les campagnes donner des cours pour le riz et les légumes. Ça marche bien, même si la terre est trop salée ou sablée. On apporte la technique. ».

Les Chinois forment par ailleurs des fonctionnaires sénégalais, « une trentaine déjà. ».

Comment sont-ils choisis, ces stagiaires sénégalais ? « On adresse une note verbale au ministère des Affaires étrangères et il transmet aux différents ministères. ». Dans le domaine administratif et de la gestion, ils (les Sénégalais) reçoivent une formation, un savoir-faire.

La Chine où l'administration, bridée par le gouvernement, est importante (en nombre et en pouvoir), apporte sa technique, sa pratique et ses procédés à une administration sénégalaise où les lacunes sont omniprésentes. Les ingénieurs et scientifiques sont majoritairement issus de formations agronomes, hormis à Dakar et sa périphérie où des médecins et ingénieurs (dans le BTP) exercent à l'hôpital principal de Pikine et sur les grands travaux (autoroute, théâtre, stade...). Là encore, que ce soit les fonctionnaires, les agronomes et techniciens, le rôle chinois est d'apporter le savoir- faire, apporter une participation concrète aux relations diplomatiques et, suppléer à l'hégémonie française.

Ces Chinois permettent aussi d'apporter une aide directe - hôpitaux, agriculture - et indirecte - techniciens du BTP - à la population sénégalaise. L'aide directe est intéressante : le Sénégal est un des rares pays africains à posséder les moyens d'une autosuffisance alimentaire dont l'aliment essentiel est le riz. Les connaissances millénaires de la Chine à ce sujet sont primordiales. Le riz est cultivé en Casamance et dans une moindre mesure le long du fleuve Saloum. Ces écosystèmes sont des mangroves : « formation végétale caractéristique des régions côtières intertropicales, constituée de forêts impénétrables de palétuviers, qui fixent leurs fortes racines dans les baies aux eaux calmes, où se déposent boues et limons »72.

Les agronomes dispensent également des cours et pratiques aux agriculteurs sénégalais dans les cultures céréalières (blé) et légumineuses (arachide). Les céréales font l'objet d'une priorité économique, dixit Cheikh Tidiane Gadio le ministre des Affaires étrangères : « nous avons aussi décidé que la coopération agricole entre les 2 pays aille dans les 2 sens, parce qu'avant, la coopération agricole chinoise était une grande assistance au Sénégal en termes d'expertise. Maintenant, le Sénégal aussi est intéressé à trouver des débouchés à ses produits céréaliers en Chine »73. Les techniciens interviennent aussi dans le domaine sanitaire et social. La mission médicale a l'hôpital Silence de Ziguinchor et surtout, l'aide à la lutte contre le paludisme : « maladie parasitaire produite par un protozoaire parasite du sang, le plasmodium (ou hématozoaire de Laveran), et transmise par un moustique des régions chaudes et marécageuses, l'anophèle »74.

Sur la carte B, page 16, où je représente spatialement l'ensemble des réalisations, aides et financements chinois apportés dans le cadre diplomatique et économique sino-sénégalais, les techniciens et experts asiatiques occupent l'ensemble du territoire. Les régions administratives

72 Petit Larousse illustré, 1990.

73 Déclaration issue de l'accord de coopération économique, durant la visite du ministre chinois des Affaires étrangères Li Zhaoxing les 12 et 13 janvier 2006.

74 Petit Larousse illustré, 1990.

de Saint-Louis, de Thiès et de Dakar sont logiquement surreprésentées, de par le nombre d'habitants au kilomètre carré et la richesse de ces régions administratives75.

Ces informations, faibles, seront dans le futur proche, enrichies, je l'espère pour la population rurale sénégalaise, par de nouveaux projets et accords sino-sénégalais. A ce jour, il y a approximativement une vingtaine de techniciens et experts chinois oeuvrant sur l'ensemble du territoire. Il me reste dans ce point, à aborder le rôle des employés chinois.

Les employés sont les salariés (de sociétés chinoises) implantées au Sénégal. Ils sont une trentaine par entreprises, selon M. Liou. Henan Chine, les sociétés Sénégal Pêche et Armement et Huawei sont les principales firmes. Si, lors de la construction du stade de l'Amitié, les ouvriers étaient majoritaires, ce n'est plus le cas aujourd'hui, pour plusieurs raisons. Premièrement, la présence d'ouvriers chinois est très mal perçue par les Sénégalais qui accusent le gouvernement de ne pas appliquer la « préférence nationale », donc de pourvoir en travail des Chinois plutôt que des Sénégalais. Tous les entretiens révèlent la volonté de remédier au principal maux local, et avec la corruption : le chômage. Si la Chine investit au Sénégal, elle doit créer de la valeur ajoutée, de la richesse. Les ouvriers doivent de fait être de nationalité sénégalaise.

Deuxièmement et c'est lié, lorsque les ouvriers chinois s'installent dans un pays africain, ils sont confinés sur des territoires, à proximité des chantiers, dont ils ne sortent pas ou peu. Ils n'achètent pas, je devrais dire jamais, de nourriture locale, de fournitures locales... Aucune valeur ajoutée là encore.

Enfin, ces ouvriers travaillent par équipes de jour et de nuit et sont payés suivant la législation chinoise, soit deux fois moins chers que les Sénégalais. Ceci dérange fortement les moeurs, des Sénégalais et autres peuples de ce vaste continent subsaharien. Ces employés chinois rentrent pour la plupart en Asie leur contrat respecté, mais certains s'installent ayant des perspectives économiques. Monsieur Yin est l'un d'entre eux. Ceux-ci ne deviennent pas commerçants au sens détaillants du mot, mais investissent dans l'industrie, le textile, le bâtiment, la restauration. Ces hommes et femmes vont devenir au fil des années les Chinois insérés dans la vie socio-économique sénégalaise ou les Chinois qui comptent

75 La population de ces régions est respectivement de 764 347, 1 385 058 et 2 452 656 habitants. La densité est de 40, 208 et 4484 habitants par kilomètre carré. Ces régions accueillent les plus grandes villes, d'où, créations de richesses.

ANSD.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand