2. L'économie : un partenariat prometteur
Ce titre résume bien l'état des lieux
économique de la position chinoise au Sénégal. La Chine,
d'années en années, se positionne comme un partenaire non
seulement de plus en plus important, viable, mais surtout, comme un des tout
premiers importateurs et exportateurs.
En 2005, la Chine devient le quinzième importateur,
ou, pays client du Sénégal ; elle figurait à la
quarantième place en 2000. Identiquement, elle se classe au
septième rang des exportateurs en 2005 ; elle gagne cinq places en cinq
ans (voir graphique 1). La RPC devient donc incontournable dans
l'économie sénégalaise. Bien sûr, elle reste
considérablement en deçà du rôle économique
global de la France et des États européens. Mais sa
responsabilité est ailleurs. Elle se trouve dans l'économie dite
micro-économique (consommateurs) et dans ce domaine, son implication est
grande, même si la Chine en tant qu'État n'y joue que peu de
fonctions.
Il convient dans cette subdivision du premier chapitre
d'éclairer le lecteur sur la présence économique chinoise
au Sénégal. Pour ce faire, je vais décrire et analyser
cette section graduellement, en y appliquant une relation d'ordre
décroissante. La place de la Chine dans l'économie
sénégalaise en premier lieu en incorporant les importations et
exportations, les secteurs économiques où la Chine investit et
joue un rôle, les grandes réalisations chinoises au
Sénégal et en dernier lieu, la responsabilité directe et
indirecte de la Chine dans l'économie informelle dans la
République du Sénégal, dont les produits made in
China.
La place de la Chine dans l'économie
globale
Tout d'abord un peu de prospective. Si la Chine continue sur
la même évolution, elle sera au premier rang des exportations
sénégalaises en 2008 et en 2012 pour les importations. Bien
sûr, cette progression sera plus lente au fur et à mesure qu'elle
se hissera dans ce classement, mais tout de même, sur cette
période 2001-2005, l'ascension (graphique 1) est fulgurante et
prometteuse ! Si l'on fait la moyenne entre les rangs exportations et
importations, la Chine figure en 2005 à la 1 1e place, elle
se trouvait à la 26e cinq années auparavant.
La Chine et le Sénégal, au regard de ces
chiffres, n'ont pas attendu la reprise des relations en Octobre 2005 pour
commercer. Pourtant, ces échanges commerciaux restent modestes. Dans
l'annexe Ta page 147, sur la période 1996-2005, les exportations
sénégalaises vers la Chine ne dépassent pas les 2 %, les
importations 4 %. C'est peu, quasiment insignifiant. Toutefois, les
exportations comme les importations augmentent régulièrement. Il
faut nuancer. Les exportations du Sénégal vers la Chine restent
faibles. Les importations28, à l'opposé, sont plus
importantes comme le démontre le graphique 2. Le rouge
représentant les importations sénégalaises de Chine
l'établi. Les courbes, dans les deux cas, augmentent. Le graphique
3 propose la même tendance sur la période 1996-2005. Sur ce
dernier, un fléchissement est visible en 1997 et 2000. Le premier
correspond à la reconnaissance de Taiwan par le Sénégal,
le second est plus ardu à définir. S'agit t'il d'un fait
isolé au cas chinois ? Il semble que non.
28 Doing Business, pratique des affaires en
2006-créer des emplois, Éditions ESKA, Banque Mondiale,
2006.
Une parenthèse s'impose : il faut savoir que le
Sénégal figure en bonne position dans le classement «
où est-ce facile d'exporter » de la Banque
Mondiale, page 71. Il faut 6 jours, le Danemark en comparaison, premier
sur cette liste, est à 5. Par ailleurs, pages 120 à 122, le
tableau « commerce transfrontalier » nous indique certains
éléments : il faut 6 documents pour l'exportation au
Sénégal (6 en Chine et 7 en France) ; il faut 8 signatures (7 en
Chine et 3 en France) ; il faut donc 6 jours (20 vers la Chine et 22 en
France). Concernant l'importation, il faut 10 documents (11 en Chine et 13 en
France) ; 12 signatures (contre 8 en Chine et seulement 3 en France) et 26
jours (pour 24 en Chine et 23 en France). Une dernière donnée, la
« facilité de faire des affaires » classe le
Sénégal à la 132e position (la France est
44e, la Chine 9 1e).
Sur les graphiques 4 et 5, une légère
baisse dans les exportations et importations est visible. Concernant les
exportations, en 1997, une relative baisse s'opère pour l'Europe,
l'Amérique et l'Asie mais en 2000-2001, seules les régions Asie
et Afrique sont touchées. Il faut donc noter que la Chine n'est pas
isolée dans cette baisse des exportations sénégalaises et
notamment pour l'année 2000 (1996-1997 s'explique, principalement, par
l'arrêt des relations bilatérales). Pour les importations, la
même constatation s'impose : en 1996-1997, l'Asie et l'Amérique
sont touchées, en 2000, l'Europe, l'Amérique et l'Asie. Je
conclurai cette analyse en affirmant une relative décroissance des
échanges commerciaux du Sénégal en 1996-1997 et surtout en
2000.
Je reviens sur ces exportations sénégalaises
vers la RPC. En m'appuyant sur les graphiques 6, 7 et 8, je
démontre l'augmentation croissante de ces exportations. Le nombre de
produits (5 à 18), leurs valeurs (1 213 771 952 à 3 973 342 711)
ou leurs poids (1 584 834 à 6 564 911) en atteste29.
Quelles sont ces exportations, quelle en est la nature ?
C'est le secteur de la pêche qui accapare l'ensemble des produits. Le
coton en second, les « peaux brutes de bovins ou d'équidés
», les « dérivés halogènes des
hydrocarbures30 », les « autres produits » et les
« voiture de tourisme, autres véhicules de transport de personnes
» enfin31.
À ce sujet, les voitures chinoises, une
parenthèse s'avère nécessaire. Ces dernières
années, les constructeurs chinois, en retard technologiquement,
achetaient les moteurs japonais, réputés
29 Ces figures ont été
réalisées à l'aide des données de l'annexe
Ib, page 147.
30 Éléments chimiques tels que le
fluor, le chlore, le brome, l'iode et l'astate,
www.wikipédia.org
31 Annexe Ic, page 148.
fiables, pour les monter sur leurs automobiles bon
marché. La Chine vend d'ores et déjà des moyens de
locomotion en Afrique, ce n'est pas une nouveauté, elle vend des motos
et mobylettes à Douala, au Cameroun par exemple à trois fois
moins cher que ses concurrents : « les Camerounais se sont donc
équipés en masse pour développer un nouveau métier
: moto-taxi. » [...] « C'est bien ça a amorti la
pauvreté au Cameroun, maintenant c'est à la portée de
n'importe qui, n'importe quel Camerounais peut avoir une moto, les Chinois ont
gagné le marché, ils ont simplifié la vie, la vie est
devenue un peu moins cher »32. Mais la nouveauté, est la
création dans les usines chinoises de moteurs 100 % Chinois. La
découverte du tout premier concessionnaire en Afrique de l'Ouest, Espace
Auto, est importante. La vendeuse, peu formée à répondre
à des questions exigeant des réponses précises, m'apporte
cette seule information, qui vaut toutes les informations, sur ces
modèles (annexe Id, page 149) moins chers que la
Logan33 : après les scooters et autres deux-roues, ce sont
les voitures que la Chine tente d'exporter sur le continent africain, si besoin
est, en bradant la voiture.
Au sujet des importations, grâce à l'annexe
Ie, page 150, je peux distinguer les produits importés. Le
thé, le tissu, les chaussures, les « machines et appareils pour le
conditionnement de l'air », les « appareils récepteurs de
télévision, y. c. vidéo » et « autres produits
» représentent la majorité des importations.
Avant d'éclairer au mieux le lecteur et de
définir les principaux secteurs d'activité où la Chine
joue un rôle important ou du moins non négligeable, je dois
remettre la place de cet État au niveau international. La Chine fait
partie de la région géographique Asie. Quatre autres
régions sont analysées, l'Europe, l'Afrique, l'Amérique,
l'Océanie. Selon le classement de l'ANSD, certains partenaires
économiques, ne pouvant être intégrés dans ces
régions, sont classés dans Autres.
Quelle est l'évolution des exportations (graphiques
9, 10 et 11) et importations (graphiques 12, 13 et 14)
sénégalaises pour la période 2001-2005 selon les
régions ? Dans ces différentes figures, on perçoit bien la
place occupée par l'Asie : c'est la troisième région
cliente du Sénégal et de même pour les importations
sénégalaises, derrière l'Europe et l'Afrique, mais devant
l'Amérique et l'Océanie. L'Europe y est donc
prépondérante, s'expliquant par le facteur historique (Traite,
colonisation, décolonisation, néocolonialisme). L'Afrique de par
sa proximité géographique est de fait en seconde position, il est
naturellement plus aisé pour un État d'échanger, de
commercer avec les marchés voisins que distants.
32 Un oeil sur la planète, que fait la
France en Afrique ?, 5 Décembre 2005, France 2.
33 La Logan est une automobile Dacia (marque du
groupe Renault) fabriquée et destinée au marché Est
Européen (Roumanie et Bulgarie notamment puis au marché
Sud-américain). Son prix minimum s'accorde sur ses prestations minimums.
Les constructeurs chinois (Chery et GWM) et leurs voitures (Chery, Safe ou
Hover) sont les copies conformes de cette volonté d'inonder les
marchés africains et Sud-américains peu enclins à se
pourvoir d'autos européennes et américaines, inaccessibles.
La logique historique voudrait pourtant que ce soit
l'Amérique et en tête les États-unis qui devancent
économiquement les pays asiatiques. Mais la conférence de Bandung
y est pour une large part, responsable de ce constat (point 2. du Chapitre
II de la Troisième partie, page 132). D'ailleurs les
États-unis, plus soucieux de protéger leurs points d'ancrage
pétroliers et sécuritaires en Afrique Subsaharienne, en oublient
certains principes diplomatiques essentiels (et peu estimés de
l'actuelle équipe présidentielle étasunienne), dont
celui-ci : une bonne relation diplomatique commence par de bonnes relations
commerciales. L'Asie tient donc sa place. Mais dans cette Asie, que
représente la RPC ? Car c'est bien là une question essentielle.
Elle représente 2,84 % des pays clients (exportations du
Sénégal) et 16,42 % des pays fournisseurs (importations) sur
cette période. Soit, une moyenne de 9,63 %. La Chine représente
donc environ 9 % des échanges commerciaux du Sénégal avec
l'Asie, elle-même classée en troisième position des
régions partenaires du Sénégal34. C'est peu.
C'est modeste.
34 Données en Annexe If, page 151.
Je vais maintenant changer d'échelle et examiner la
position chinoise par rapport à certains États,
délibérément choisis. La France, les États-unis, le
Liban, la RPC, l'Inde, la République de Chine et le Brésil sont
ici étudiés en raison de leur particularités historiques
(France, États-unis et Liban) et économiques (Inde et
Brésil). J'aurai pu ajouter certains États africains tels le
Mali, la Côte d'Ivoire par exemple, pour leurs liens historiques et
économiques, toujours mais autres, avec le Sénégal, mais
ceci n'aurait eu comme effet que d'alourdir l'étude de données
non essentielles à la compréhension.
Les graphiques 15, 16, 17, 18, 19 et 20 et les cartes
C et D, pages 32 et 33 expriment l'idée de la place de la Chine en
comparaison de ces pays.
30
À l'export, elle se classe derrière l'Inde, la
France et devant les États-unis, Taiwan, le Liban et le
Brésil.
À l'import, elle est toujours en troisième
position mais cette fois derrière la France et les États-unis et
devant le Brésil, l'Inde, Taiwan et le Liban.
Cette période définie (2000-2005) permet de
faire une moyenne des exportations (3,61 %) et importations (7,86 %)
sénégalaises par rapport à la Chine continentale. Elle
permet par ailleurs une évolution des exportations (négative) et
des importations (positive). Par conséquent, le Sénégal
exporte de moins en moins et importe de plus en plus vers et envers la
République Populaire de Chine.
Je ne détaillerai pas plus ces graphiques, mais il
faut remarquer dans, l'Évolution des exportations
sénégalaises en millions de francs CFA par pays
étudié, que les pays sont scindés en deux groupes : le
groupe à évolution positive comprenant les États-unis
d'Amérique, l'Inde et la République de Chine et le groupe
à évolution négative où la France, le Liban, la
Chine et le Brésil importent moins de produits
sénégalais.
Sur la figure Évolution des importations
sénégalaises en millions de francs CFA par pays
étudié, aucune distinction hormis de par l'importance de ces
importations, ne peut être faite. Le Sénégal importe
beaucoup et de façon croissante et exporte peu, de façon
discontinue, selon ses partenaires.
De même, je peux démontrer à
l'échelle régionale les rapports économiques entretenus
avec le Sénégal (cartes E et F pages 36 et 37). L'Europe
ainsi que l'Afrique sortent du lot respectivement avec 37,2 % et 32,8 % pour
les exportations et 63,8 % et 18 % pour les importations. A l'export, l'Asie en
troisième position importe 18,5 % du total des exportations (en millions
de FCFA) et devance l'Afrique à l'import avec 18,6 %. Les
Amériques, l'Océanie et « Autre pays » sont de moindre
importance. Le lecteur pourra par ailleurs apprécier l'évolution
des échanges commerciaux sur les deux cartes. Concernant les
importations, l'Asie double son volume de 1996 à 2005.
Ayant je l'espère éclairci le lecteur par ces
données, il convient de synthétiser cela.
Premièrement, la balance commerciale
Sénégalaise est déficitaire, comme la majorité des
États d'ailleurs, les États-unis y compris. Sur le graphique
21, le Sénégal est seulement bénéficiaire avec
Taiwan (au troisième trimestre 2006) et de 150 millions de FCFA soit
environ 230 000 euros. Sur une échelle-temps plus grande (graphique
22), entre 2000 et 2005, seuls l'Inde et le Liban dans une moindre mesure
apportent une balance commerciale positive au Sénégal. La
conclusion est simple : l'Inde importe des phosphates (Deuxième
partie Chapitre II, page 109) et ne vend que très peu au
Sénégal. Le Liban de par sa communauté présente au
Sénégal, achète certains produits
finis. Les autres partenaires exportent beaucoup, importent
peu. La Chine plus précisément, exporte une quantité non
négligeable de thé, de textile, de matériaux de
construction pour ne citer que ces exemples. Ses importations
sénégalaises (pêche et tissus) ne comblent pas
l'excédent (Annexe Ib, page 147). Sur la période
2000-2005, elle importe pour 0,48 % des exportations totales du
Sénégal et exporte pour 3,11 %. Pour l'Asie, elle dépasse
les 15 % dans les importations sénégalaises mais est à
environ 2 % pour les exportations vers ce continent économique. Si
certains secteurs ressortent, la pêche, le textile, il n'en reste pas
moins que le poids chinois sur l'économie de l'État d'Afrique de
l'Ouest est ailleurs.
Ayant visualiser la place de la Chine dans l'économie
sénégalaise, je vais décrire les secteurs importants
rentrant en ligne de compte dans leurs relations commerciales : la pêche
et ses produits halieutiques, le textile, les matériaux de construction,
les marchandises made in China et les grands projets
gouvernementaux.
Pénétration chinoise dans les secteurs
économiques sénégalais : cas de la pêche
Le secteur de la pêche au Sénégal est
d'une importance capitale. Ce secteur participe à hauteur de 21,7 % des
recettes d'exportations ou 165 milliards de FCFA, en 2005.
La pêche artisanale permet à des milliers de
foyers de se nourrir, de vivre tout simplement35 : la population
active dans cette activité est de 103 843 dont 96 030 hommes. Environ 15
% de la population active sénégalaise vit de la pêche.
Il faut par conséquent distinguer la pêche
artisanale de la pêche industrielle, soit, comme dans tous les pays
à l'échelle monde. La pêche artisanale donc concentre 5 000
pirogues et 89 % des débarquements de la pêche maritime globale.
Il faut savoir qu'en parallèle de la raréfaction des ressources
halieutiques, le parc piroguier s'est vu amputé de 48 % : de 10 707
pirogues en 1997, il est passé à 5615 en 2005. Les
quantités débarquées représentent paradoxalement
406 248 tonnes en 2005 contre 394 996 en 2004. Les principaux produits sont les
poissons, les mollusques et les crustacés.
Ce secteur crée de l'emploi, occupé par les
hommes sur les pirogues (voir photo ci-dessous) et féminin pour la
transformation des produits. 58 % des produits alimentaires halieutiques sont
consommés au Sénégal. Les 42 % restants sont
exportés en Afrique de l'Ouest à 97 %, en Europe pour 2 %. Le
reste en Asie36.
Le poisson, fait partie intégrante de la culture et de
l'alimentation sénégalaise. Le Thieb bou Djen, plat
local très bon marché préparé à base de riz
et de poisson grillé en est l'exemple. La viande, de bonne ou mauvaise
qualité étant onéreuse, le poisson est le plat
indispensable à la santé (apport de protéines), restant
accessible à la majorité. Si la pêche artisanale correspond
à l'ensemble des débarquements de la pêche maritime
Sénégalaise, je ne vais pas négliger la pêche
industrielle, d'autant que c'est ce secteur qui m'importe dans
l'étude.
35 Selon la source ci-dessous [36].
36 Situation Économique et Sociale du
Sénégal Édition 2005, Agence Nationale de la
Statistique et de la Démographie (ANSD).
Preuve de l'importance de cette activité, le
village de pêcheurs en contrebas du palais présidentiel,
auprès de l'Océanium, sur le Plateau dakarois. Le 29
février 2007.
La pêche industrielle au Sénégal
représentait en 2005 138 navires, 36 097 débarquements. Elle est
strictement implantée à Dakar et inclut des armateurs
étrangers. Selon la Situation Économique et Sociale du
Sénégal de 2005, « elle ravitaille le frigorifique du
port, et les usines de transformation. La pêche chalutière, la
pêche thonière et la pêche sardinière constituent les
trois composantes de la pêche industrielle. Elles ont
débarqué en 2005, 50 900 tonnes avec une hausse de 12,8% par
rapport à l'année 2004. ».
La pêche chalutière assure 71 % des
débarquements, 2 % pour la pêche sardinière et 27 % pour la
thonière. Les exportations de produits halieutiques sont de 118 712
tonnes en 2005 (+ 1,1 % par rapport à 2004) pour une valeur de 165,14
milliards de FCFA (environ 250 millions d'euros). L'Europe importe à 66
%, l'Afrique, 25 % et l'Asie 7 % (+ 5,5 % par rapport à 2004) sont les
principaux clients. L'Asie importe pour 0,006 tonnes donc 6 kilos, soit environ
4 milliards de FCFA (ou environ 6 millions d'euros) en 2005.
Quelle est la place de la Chine dans ces statistiques ? Il
est difficile de le savoir. Les seuls chiffres plausibles sont 16 375 972 FCFA
de l'annexe Ib « Poissons plats (Pleuronectides, Bothides, Cynoglossides,
Soleides, Scophthalmides et Citharides) ». Selon une autre source, en
Annexe Ic, page 148, le total en 2005 des exportations
sénégalaises (halieutiques) vers la Chine serait de 561 998 679
millions de FCFA. Ce chiffre plus vraisemblable se rapprocherait de la
vérité.
Mais la Chine n'est pas seulement importatrice, elle
participe activement au développement du secteur de la pêche au
Sénégal, et bien sûr, à l'exploitation de ses
ressources. À ce sujet, le numéro 204 de l'hebdomadaire La
Documentation Africaine, du 26 octobre 1976, annonce déjà cet
enjeu37.
37 En annexe entretiens, page 182.
Les sociétés Sénégal Pêche
et Sénégal Armement « sont deux sociétés de
droit sénégalaises qui ont des partenaires Chinois. 51 % du
capital est détenu par le privé sénégalais.
»38. Ces entreprises détenues à 49 % par des
capitaux chinois (filiales de l'entreprise d'État China National
Fisheries Cooperation (CIFC), premier groupe chinois de pêche)
exercent depuis les années 195039. Sous contrôle
japonais et dirigée par une famille Italienne, ces
sociétés Sénégal Pêche et
Sénégal Armement sont revendues aux Coréens au milieu des
années 1970, la cause étant le coût de la main d'oeuvre.
Les Japonais deviennent négociants et vendent les navires aux
Coréens, moins exigeants en terme de salaires. En 1984, les
Coréens peu compétitifs et détruisant les ressources
halieutiques du Sénégal par surexploitation des fonds marins,
revendent les entreprises aux Chinois qui désirent investir en Afrique
du fait de la raréfaction des ressources sur la façade maritime
chinoise (Mer de Chine Méridionale). Ces derniers prisent un certain
poisson jaune devenu introuvable en Asie du Sud-Est. Selon M. Yin : « un
besoin intérieur, une opportunité extérieure ». Fin
1984, la première flottille chinoise (pavillons de
complaisance40) débarque à Dakar mais étendant
leurs zones de pêche jusqu'en Guinée Bissau, ils se font
notoirement remarquer et accusent certaines critiques.
Cette année, le président de la
société Africamer (qui ne m'aura jamais accordé
d'entretien malgré mes nombreuses relances) El Hadji Daouda Faye, actuel
ministre des Sports41, ne paie qu'une fois sur cinq la
société codétenue par les Chinois, d'où une
accumulation de dettes (10 milliards de FCFA) envers cette dernière.
S'ensuit une crise sociale, où environ 2000 emplois sont directement
remis en cause, comme en témoigne la presse locale42.
Heureusement, la bonne gestion de Sénégal
Pêche et Armement permet la sauvegarde des salaires, donnant aux
dirigeants chinois une image positive (65 % des créances sont
abandonnées, le reste dans les années suivantes). Actuellement,
la société possède 14 chalutiers glaciers et 12 chalutiers
congélateurs dont la moitié naviguent.
Plus simplement, une entité (Sénégal
Armement, premier armateur au Sénégal) exploite et l'autre
(Sénégal Pêche) transforme (c'est l'une des plus grandes
unités de transformation de poisson dans ce pays). Elles se distinguent
par leurs activités élargies, permettant de la pêche au
conditionnement, d'exporter les produits selon les normes internationales
(norme du froid). D'ailleurs, la transformation sur place occasionnant de la
valeur ajoutée et surtout, exportant au
38 Entretien avec Monsieur Dougoutigui Coulibaly,
secrétaire général du Groupement des Armateurs et des
Industriels de la Pêche au Sénégal (GAIPES).
39 Historique selon Monsieur Yin, entre autres,
propriétaire du restaurant La Noix d'Or à Dakar (cf
carte 0 page 180 et l'annexe entretiens page 161). Il travailla
à Sénégal Pêche.
40 Bateaux immatriculés au
Sénégal pour avoir accès aux eaux territoriales
sénégalaises.
41 Confirmation sur le site du Ministère des
sports,
www.sports.gouv.sn
42 Presse et citations page 182.
minimum à 80 % (par rapport au C.A.) permet d'obtenir
le statut de l'entreprise franche. Une réserve cependant,
Sénégal Armement ne bénéficie pas
d'exonérations (portant sur les avantages fiscaux et douaniers).
Toujours selon M. Yin, Africa Sea Food,
dirigée par un certain « Tian », eut le projet de créer
une usine spécialisée dans les sardinelles, financée par
la Banque Mondiale. L'usine sitôt construite fut fermée du fait de
contentieux à propos de la caisse de recouvrement. La presse locale
accusa la « mafia chinoise » de profiter des aides.
Toutefois, trois années après la reprise par les
actionnaires chinois, Sénégal Pêche devient le leader du
secteur et se permet de doubler son chiffre d'affaires par rapport à
Africamer. En 1999, année exceptionnelle s'il en est, 45
millions de FCFA sont comptabilisés grâce à «
l'année du poulpe »43 (généralement
l'entreprise est plutôt proche des 25 millions de chiffre d'affaires). En
1999 toujours, la société emploie 2000 employés dont une
quinzaine de Chinois originaires de la province du Henan.
En complément, je citerai la Direction de la
Protection et de la Surveillance des Pêches, en annexe, page
182.
Afin de conclure sur le secteur de la pêche, je citerai
certains faits et anecdotes intéressantes. Aujourd'hui, le
dépôt de bilan à Africamer est imminent.
Malgré une démarche auprès du président Wade et une
aide financière gouvernementale, l'entreprise stagne. La cause : ces
années de détournements imputables aux dirigeants
sénégalais. La pêcherie frigorifiée n'est plus
rentable. Elle aussi est en crise.
Un cas pourrait être approfondi, celui de Dakar
Marine. Cette société devant être privatisée,
les Chinois postulaient au rachat. Principaux clients, techniciens de cette
entreprise et des navires, ils étaient légitimes. Pourtant, la
France ou plutôt le secteur privé français refusa de
céder les parts, de crainte de voir ce secteur accaparé par les
gestionnaires asiatiques. C'est finalement des fonds portugais qui reprirent
l'activité, preuve de conflits d'intérêts et de pouvoirs
dans ce secteur précieux du Sénégal.
Il faut enfin noter la présence des entrepreneurs
chinois et de leurs employés durant cette période, 1984 à
de nos jours, malgré l'arrêt des relations bilatérales. Des
Chinois combattus par le GAIPES, mais plus soucieux de l'environnement que les
exploitants précédents (Japonais et Coréens) et
créant de la valeur ajoutée, créant des
emplois44, donc, attirant la bienveillance.
43 Confirmée par Monsieur Coulibaly.
44 Entretien avec M. Coulibaly : voir l'annexe
entretiens, page 174.
Le transit Asie-Afrique
Le secteur maritime sénégalais ne se limite pas
à la seule pêche. Un point sur lequel il faut se pencher est le
transit international, notamment d'Asie vers l'Afrique de l'Ouest45.
Ce transit fait débat chez les responsables sénégalais.
C'est par ce moyen et donc par les conteneurs que sont déchargés
les produits made in China destinés au marché
sénégalais.
Un exemple précis est la société
China Shipping Container Lines Shenzen Co., Ltd Dongguan Branch
(CSCL), dirigée à Dakar par Sogui Diop. Cette
société créée dans les années 1970 et qui
exerce la manutention, la consigne et le transit possède 70 navires,
dont un accostant tous les quinze jours à Dakar (mais aussi en
Côte d'Ivoire, au Ghana et au Nigéria). Les produits selon
Monsieur Diop, sont du « divers », « par exemple de
l'habillement pour l'import et du coton, sel et poisson à l'export
». Le textile est caractéristique des produits made in
China vendus à Dakar. CSCL est le seul pavillon chinois au
Sénégal. Les Chinois de Chine, je dois le préciser,
pragmatiques et ambitieux, voient un nombre croissant de conteneurs
appareillés dans les ports de Shanghai46 (le plus grand et le
plus exploité en RPC) à destination de l'Afrique et donc de
l'Afrique de l'Ouest : ils en tirent les conséquences et s'installent
directement à l'arrivée, ici Dakar. Pourquoi laisser des parts de
marchés aux concurrents français, espagnols ou panaméens ?
D'autant que la nouvelle voie maritime du Nord, passant par le Nord du Canada
sera un gain de temps sans précédents dans les échanges
maritimes internationaux. S'il faut encore quelques années et certaines
infrastructures pour voir aboutir ce projet rêvé par tous les
commerciaux asiatiques et européens, cette perspective est
également intéressante pour l'Afrique de l'Ouest.
45 Une nouvelle « ligne maritime
Tanger-Cotonou via Casablanca, Las Palmas, Dakar, Abidjan et Lomé
permettra de désenclaver le continent ». Elle va « intercepter
l'ensemble du fret qui va en Afrique », selon Taoufik Benjebara, le
directeur général du groupe marocain Comanav. « En ligne de
mire, les ports espagnols de Barcelone et Valence, où arrive une
majorité des bateaux venant d'Asie [...] en assurant la liaison entre la
ligne africaine et ses différents ports, nous allons croiser les deux
autoroutes maritimes du monde et ainsi ouvrir le continent ». « Les
opérateurs chinois cherchaient un nouvel armateur » car le fret
Asie-Afique est en augmentation de 15 % par an.
Jeune Afrique du 4 au 10 février 2007, N°
2404, p. 72.
46 Voir carte G, page 43.
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Le secteur du textile, autre domaine économique
à forte concurrence
Un autre secteur où la Chine et ses expatriés
détiennent un rôle économique est le textile.
Le textile représente 8 % des exportations totales
sénégalaises (en Chine)47 et une part non
négligeable des importations, difficile à estimer. Le textile qui
au Sénégal est surtout le vêtement, l'habillement, est
entré depuis l'apparition du textile en provenance de la Chine dans une
crise structurelle. Car c'est bien une évolution du marché qui
caractérise cette crise économique. Toutes les usines (il y en a
8, deux fois plus il y a vingt ans) sont en déficit. Pourtant, et c'est
le comble en quelque sorte : ce sont les Sénégalais qui
importèrent les premiers ces habits à prix défiant toute
concurrence locale.
Visitant des entrepôts et unités d'assemblages,
lorsque je demandais de quel pays était originaire le tissu, tous me
répondaient le Mali ou le Sénégal. Pourtant, les
inscriptions indiquant la provenance du textile parlent d'elles-mêmes
(voir photo).
Cartons made in (the people's republic of) China
déposés derrière un atelier d'assemblage
(pantalons et chemises), proche du marché
Sandaga, Plateau, Dakar.
Le 28 février 2007.
47 L'impact de l'émergence chinoise et
indienne en Afrique, Étude de cas sur le Sénégal,
Eric Hazard, Lotje De Vries, Mamadou Alimou Barry, Alexis Aka Anouan, Enda
Prospectives Dialogues Politiques, 2007
L'industrie locale est donc très affectée. Pour
preuve, les déclarations du secrétaire de la Nouvelle
Société du Textile Sénégalais (NSTS), Monsieur
Diongue48. Il déclare lors d'un entretien, à propos de
cette concurrence : « c'est de la concurrence déloyale ! Au niveau
de la main d'oeuvre, de l'électricité, des marges
bénéficiaires, des ingrédients, et cætera ! A cause
d'eux nos activités sont gelées ! Ce n'est pas un coût
analytique, les prix et marges sont fixés. ». Lorsque je lui
demande par quels moyens les fournisseurs chinois se permettent de vendre
à des prix défiant toute concurrence, il rétorque : «
ils se concertent avec le gouvernement ! En plus ils engagent des prisonniers
condamnés aux travaux forcés ! ».
Certes, Monsieur Diongue possède un avis
tranché. Mais il n'est pas le seul (Chapitre I de la Deuxième
Partie, page 84).
Le secteur du textile au Sénégal n'est pas
composé de la seule industrie. La confection artisanale et la friperie
rentrent en ligne de compte. La confection par les artisans résiste
mieux : les couturiers et tailleurs (estimés à 30 000), satisfont
à une demande particulière : les fêtes religieuses (et
coutumières) ainsi qu'à la pratique récurrente des
Sénégalais à ce corps de métier, pour confectionner
les habits traditionnels (et les renforcer, le textile acheté restant de
qualité très moyenne). Les artisans « eux ne sont pas
réellement révoltés [de la concurrence chinoise], ils sont
mécontents de la façon de faire des commerçants en
général : avec leurs marges notamment. Ah oui, en plus, ils ne
signent pas [made in Senegal] à la demande des
commerçants, pour qu'ils signent made in Italy par exemple !
». Momar Ndao, président national de l'Association des
Consommateurs du Sénégal (ASCOSEN) explique donc que les artisans
sénégalais, peu touchés, protestent contre tous les
commerçants sénégalais qui se permettent de confortables
marges au détriment de ces producteurs et, qu'en signant ceci, ils
dénaturent leur travail afin de toucher une plus large clientèle
car « selon les moeurs, les meilleurs produits viennent toujours de
l'extérieur ! ». La friperie quant à elle est directement
affectée.
La friperie est le textile vendu sur les marchés
locaux. Elle est de fait directement en concurrence avec les produits chinois,
de qualité et à prix bas : « le commerce des produits
textiles chinois pourrait bien se substituer totalement ou en très
grande partie à cette activité commerciale. ». A ma question
portant sur la présence positive ou négative des
commerçants chinois, Momar Ndao répond : « avant on achetait
dans des friperies, aujourd'hui pour 1000 francs, on habille un enfant. Au
Sénégal, c'est spécifique, pour les femmes, il vaut mieux
pouvoir changer de vêtements que de garder un habit longtemps : si une
femme met toujours les mêmes vêtements, elle sera mal vue. Donc,
elles préfèrent beaucoup de produits peu chers qu'un de
qualité cher ! ».
48 Voir l'annexe entretiens pour les
transcriptions des entretiens réalisés lors de l'étude de
terrain effectuée durant le mois de Février 2007, pages 161
à 179.
Vous l'aurez compris, la manière de se vêtir, la
fréquence à laquelle la gente féminine porte ses habits
déterminent le statut social de la femme sénégalaise. La
qualité devrait donc être un argument majeur à l'achat.
Mais c'est le paraître qui compte. Il n'y a pas de réflexe
consommateur sur le long terme, « le consommateur sénégalais
n'a pas de démarche logique, scientifique. Pour les textiles, on peut
acheter un tissu de basse qualité mais bien le coudre chez le tailleur.
». Enfin, en est t'il de même dans la sous-région ? «
Non, le Mauritanien est peu sédentaire. L'homme a toujours une robe
blanche et il ne change que les chemises, contrairement aux
Sénégalais qui se changent tous les jours. En Mauritanie, l'habit
à moins d'importance, ici, on est plus coquets, on suit une certaine
mode. ».
L'article annexé, page 183 de Malick Ndaw du
Sud Quotidien est quant à lui très critique (mais
réaliste d'après mes observations).
Une donnée intéressante est celle des prix
à la consommation. « Habillement et chaussures » est à
la baisse (-5,9 % de 2003 à 2005), cette baisse étant directement
imputable aux fournisseurs et commerçants chinois. Plus
précisément, l'inflation cumulée entre Décembre
2005 et Décembre 2004 est de -13,7 % pour les « tissus pour
habillement », -9,1 % pour les « vêtements pour enfants et
bébé », -4,5 % pour les « chaussures pour hommes »
et 0 % pour celles des femmes. Tous ces produits sont vendus par
l'intermédiaire des fournisseurs chinois, commerçants chinois,
Sénégalais et Sénégalais d'origine libanaise, et,
les bana-bana : ce sont des vendeurs ambulants, où la
gente féminine prédomine. Elles achètent aux
commerçants chinois ou libanais des produits qu'elles revendront dans
les quartiers périphériques et dans le centre (Plateau) de Dakar.
M'entretenant avec le président de l'Union Nationale des
Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS), Moustapha
Sakho, il déclare en parlant des bana-bana : « on ne
trouve plus de bonnes ! Elles viennent travailler une journée et l'autre
elles vont acheter sur le boulevard [du général de Gaulle,
à forte implantation de commerçants chinois] pour tel prix et
revendent dans les quartiers. »
L'influence positive (baisse du coût de la vie) des
produits made in China se ressent fortement ici, avec une
interrogation concernant les « chaussures pour femmes » cependant.
Ces chaussures ont envahi le marché intérieur du
Sénégal. On les trouve partout et en grosse quantité (voir
photo). Comment est-ce possible une inflation à 0 % ? Ce chiffre
perturbe, à mon sens, la qualité des données fournies par
l'ANSD.
Un autre chiffre, cette fois dans la logique de ce que j 'ai
observé, est celui des « articles de bijouterie, de joaillerie et
d'horlogerie » : l'inflation négative (- 4,2 %) respecte mon
raisonnement49. Mais, le secteur du textile ne serait plus un
investissement rentable pour les Chinois comme le confirme Monsieur Yin :
« le textile ça ne marche plus. ».
49 Op. cit. [36], p. 38.
Le témoignage de son épouse, Mme Yin,
précis et en connaissance de cause car elle travaille dans ce secteur
depuis cinq années, apporte certains éléments attrayants
(voir l'annexe entretiens, page 162). Elle produit en Chine et exporte
au Sénégal. Elle ne produit pas en Afrique car le tissage est
réalisé dans les mêmes conditions qu'en Afrique de l'Ouest.
Il existerait environ trente chaînes de montage pour la wax (tissu
traditionnel représentant moins de 10 % du marché
sénégalais) en Chine, dont la production est exportée au
Mali, en Côte d'Ivoire ou au Nigéria : et non au
Sénégal, car la wax est le signe qualitatif, d'où des
tarifs plus élevés. De plus, le marché
sénégalais est moins important que dans ces pays
susnommés.
Mais si les usines chinoises produisent et copient, elles
n'inventent pas : les dessins, figurés... ne sont que reproduits en
Asie. Mais le savoir-faire chinois est identique, notamment pour le batik
(technique de teinture du tissu). Où sont situées les fabriques ?
Mme yin apporte un élément de réponse : « dans la
province de Shandong [Nord-Est] où il y a une longue histoire du textile
».
Ce marché serait saturé, la rentabilité
ne serait plus assurée. Qu'en disent les professionnels du secteur ? Mme
Yin, spécialiste en la matière (ils sont trois Chinois au
Sénégal à importer et vendre), répond : «
avant 12 yards [unité de mesure] c'était 9500 [15 €]
aujourd'hui c'est 7000 [10 €], il n'y a plus de bénéfices
pour personne. Je suis la première à avoir importé de
Chine la wax et j'ai donc fait baisser les prix. Les Sénégalais
veulent toujours moins 100 francs [CFA] mais avant [l'arrivée des
Chinois] c'était plus cher, et en plus ils payent le tailleur pour 4000
francs [6 €] ! Au Mali, ils font la différence mais pas ici, ils ne
paient pas pour la qualité. Ici ils veulent des prix bas donc la
qualité est basse et on change les produits. En Chine, c'est la fabrique
du monde, les produits sont importés, transformés et
exportés, pas vendus dans le marché intérieur, c'est juste
pour la main d'oeuvre ».
Une question importante est celle de la vente. Au
Sénégal, les commerçants ou devrais- je dire, les
détaillants, vendent au détail, au mieux, en semi-gros. Elle,
vend toujours en gros, par conteneurs entiers. Quelques clients lui suffisent
afin de récupérer ses crédits. Et fait-elle crédit
justement ? « Non, comme ils n'épargnent pas, je ne fais pas
d'avances, il faut être clair dès le début. Par exemple si
une femme est enceinte, elle ne l'est pas d'hier ! Par contre, pour les
maladies c'est de l'imprévu, donc je fais des avances sur salaire.
». Il y a trois Chinois dans le textile au Sénégal.
Comme je la sollicite sur le contexte économique local
et sa représentation des Sénégalais, elle rétorque
« ici, il y a un problème immobilier, c'est trop libéral, en
plus il n'y a pas d'industries, de ressources contre l'inflation
générale, donc... Il y a toujours des problèmes d'argent,
ici, il n'y a rien, il faut tout importer, donc le Sénégal doit
toujours de l'argent, il investit donc la balance commerciale...Le droits de
douanes sont élevés donc les produits importés ne sont pas
réexportés vers la Gambie [Banjul] qui est un port franc, ou
Cotonou [Bénin]. Pourtant, le prix
du transport [Asie-Afrique] n'est pas cher, c'est moins de 10
% du prix total [...] ici, la productivité est faible, en Chine, ils
travaillent huit heures avec juste cinq minutes de pause toilettes. Ici, il
faut trois fois trente minutes pour la prière, ils font la sieste, ils
ne travaillent pas le week-end... ».
En complément, l'extrait de l'article de Sylvie Bredeloup
et Brigitte Bertoncello (annexe presse et citations, page 183).
Plus largement, je reviendrai sur l'ensemble des produits
made in China à la fin de ce chapitre.
Marché aux chaussures destinées aux
femmes, centre de Dakar. Les chaussures fabriquées en Chine occupent
l'ensemble du marché sénégalais. La raison, les prix
défiant toute concurrence (notamment française et italienne).
Marché Sandaga, Plateau, Dakar. Le 17 février
2007.
Le BTP au Sénégal, de profondes
mutations liées à une société chinoise
Le dernier secteur où la Chine et ses
représentants sont implantés est le secteur du BTP
(Bâtiments et Travaux Publics). Là encore, une étude
spécifique devrait être réalisée. Mais le manque de
temps et le manque de moyens m'obligent à en tracer seulement les
grandes lignes, à en ressortir les principaux points.
Le BTP est en plein essor au Sénégal. La
spéculation foncière y est importante. Les Chinois par
l'entreprise Henan Chine amènent les prix à la baisse et
s'octroient un nombre croissant de marchés. Voici ce qu'il faut
retenir.
Depuis le début du conflit larvé Ivoirien, en
Décembre 199950, le Sénégal connaît au
sein de sa capitale Dakar une spéculation foncière spectaculaire.
Quels liens ? La migration des représentations onusiennes et des
étudiants ivoiriens au Sénégal s'est doublée d'une
brusque augmentation des loyers. Abidjan n'est plus la capitale politique
officieuse de l'Afrique de l'Ouest, c'est Dakar, notamment pour les entreprises
et organismes officiels francophones. Bien sûr cette spéculation
est limitée au centre-ville, c'est-à-dire le Plateau. Quoique,
elle touche également le petit quartier de Gibraltar à l'Est du
boulevard du général de Gaulle (Carte H, page 53),
principal artère pour entrer sur le Plateau, boulevard historique et
connu de tous les Sénégalais car c'est la rue où tous les
ans est célébrée l'indépendance de la
République, jusqu'à l'obélisque (voir photo en point 1.).
C'est donc un axe capital, permettant d'accéder au Plateau au Sud donc
mais de remonter vers les quartiers résidentiels du Nord (quartiers HLM,
Grand Dakar, SICAP, Grand Yoff : Carte O de l'annexe entretiens, page
180).
Gibraltar est un quartier différent des autres (annexe
presse et citations, page 184). Leurs commerces se situant à
proximité, sous-entendu, sur le boulevard, il est logique de voir cette
évolution urbaine. M. Yin apporte quelques éléments de
réponse : « [le loyer] était de 50 [FCFA soit 76 €]
à 100000 [150 €], aujourd'hui c'est 400000 [600 €] et
les magasins de 500 [750 €] à 700000 [1050 €].
». Momar Ndao également : « oui, en moyenne c'est 20 %
d'augmentation par an ! Cela dépend de la demande. ». La question
qui est posée est combien de temps les Chinois et
Sénégalais pourront supporter cette inflation immobilière
?
Le BTP est donc en plein essor. Ses coûts sont revus
à la baisse depuis l'apparition des Chinois par l'intermédiaire
de l'entreprise Henan Chine (China Henan International Cooperation
Group Co.). Comme son appellation l'indique, elle est originaire de la
province du Henan (Carte G, page 43). C'est une filiale
sénégalaise de l'entreprise d'État chinoise
Chico. C'est une « entreprise privée de droit
sénégalais appartenant à 100 pourcent à la
société mère chinoise »51. Arrivée
en 1984 (années d'apparition des Chinois dans le secteur de la
pêche) au Sénégal pour construire le stade de
l'Amitié (renommé stade Léopold Sédar Senghor en
2001) et ses parkings en 1992, elle a également construit l'Ambassade de
Chine et l'Agence Nationale de la Banque Centrale des États d'Afrique de
l'Ouest (BCEAO).
50 En Décembre 1999, un putsch à
l'encontre du président Henri-Konan Bédié est
organisé. Commence un vide politique où le général
Robert Gueï puis Laurent Gbagbo dirigent le pays. L'élection de ce
dernier, contestée par l'opposition et notamment par Alassane Ouattara,
accusé de non-ivoirité, est encore remise en cause. Conflit
larvé, aux relents ethniques, nationalistes et xénophobes envers
les États voisins et leurs populations (surtout le Burkina Faso), cela
résume grossièrement ce litige. Bien sûr, le
décès d'Houphouët-Boigny en Décembre 1993 marque
certainement le début de cette paralysie politique Ivoirienne.
51 Historique selon l'étude citée en
note de bas de page [47], page 44, et mes connaissances acquises durant
l'étude de terrain.
De grandes réalisations donc (voir photos ci-dessous).
Les dernières réalisations sont l'autoroute à péage
qui doit permettre à Dakar de réguler les flux de circulation, un
chantier d'alimentation d'eau de Dakar et la réhabilitation de la voie
ferrée Dakar-Thiès. Pour l'autoroute, elle s'est associée
à l'entreprise Jean Lefebvre Sénégal (Henan Chine
possède les compétences dans les ponts et viaducs, J. L.
Sénégal, devenue depuis Talix Group, dans les
chaussées).
Durant la dizaine d'années où le
Sénégal et la RPC n'entretenaient plus de relations, elle est
tout de même restée (dans les locaux de l'Ambassade de Chine),
sans toutefois remporter les contrats. Alors comment fait-elle pour proposer
des tarifs aussi bas et remporter les appels d'offres ? Premièrement,
elle recoure exclusivement à des machines chinoises, moins
onéreuses que celles d'origine européenne. Les ingénieurs
et ouvriers ont donc un accès rapide aux pièces de rechange, et
à l'utilisation même (ce qui ne peut être le cas pour les
employés sénégalais). L'entreprise emploie et travaille
avec deux équipes : une de jour, une de nuit, ce qui, il est logique,
augmente la productivité et de fait, diminue les délais de
chantiers. Enfin, et c'est lié, les techniques étant chinoises,
elle emploie des techniciens chinois, dont les salaires sont égaux aux
ouvriers sénégalais.
Je proposerai, pour compléter, la question suivante :
le gouvernement du Sénégal cherche certes les prix les plus
accessibles, mais ne cherche t-il pas à favoriser certaines entreprises,
liées à certains États ?
La Chine par ses entreprises est relativement bien
implantée au Sénégal, pour preuve ce récapitulatif
(page suivante).
Le pont de Médina Ndiatbé relie l'île
à Morphil aux autres localités de la région de
SaintLouis52). La boucle de Dakar53 est un réseau
de ligne électrique, par la société China National
Machinery & Equipement Import & Export Corporation (CMEC).
Intranet 2 et l'équipement des zones rurales en téléphonie
fixe avec l'opérateur leader au Sénégal la
Sonatel (Intranet du gouvernement étendu aux ambassades,
sous-préfectures, préfectures et consulats.
Certaines réalisations sont directement financées
par Pékin (le théâtre, la boucle de Dakar et Intranet 2
sans omettre le stade de Dakar, l'hôpital Silence...).
52 Annexe Ig, page 152.
53 Selon le rapport produit par la mission
économique française au Sénégal, ce projet ne fut
soumis à aucun appel d'offre, faisant débat dans le milieu
d'affaires français et au détriment de l'entreprise Areva. Ceci
est révélateur. C'est aussi un délit d'initiés.
Concernant la centrale électrique au charbon, le même rapport
déclare « les experts chinois sont en effet sceptiques sur
l'opportunité de fournir une technologie si polluante car cela pourrait
nuire à l'image de la Chine dans la région et les coûts de
transport du charbon, d'installation et de fonctionnement de la technologie de
dépollution rendent le projet peu rentable pour le
Sénégal. ».
En résumé, plus de quarante projets, pour une
enveloppe financière globale d'environ mille milliard de FCFA ou
approximativement 1 milliard et demi d'euros, ont été
concrétisés (pour une vision plus synthétisée, se
référer à la carte B, page 16).
Réalisations
|
Coûts
|
Société
|
Grand théâtre national
|
18,5 milliards de FCF ou 28 millions d'euros
|
|
Autoroute Malick Sy-Diamnadio
|
23 milliards ou
35 millions d'euros
|
Henan Chine
|
Pont de Médina Ndiatbé
|
7 milliards de FCFA,
plus de 10 millions d'euros
|
|
Boucle de Dakar
|
35 milliards de FCFA, 53 millions d'euros
|
CMEC
|
Intranet 2 et l'équipement des zones rurales en
téléphonie fixe
|
55 milliards de FCFA, 84 millions d'euros
|
Huawei Technology
|
Centrale de charbon (puissance de 250 Méga Watt)
|
175 milliards de FCFA, 167 millions d'euros
|
Metallurgical Construction Corporation
|
Réseau téléphonique en zones rurales
|
18,5 milliards de FCFA, soit 28 millions d'euros
|
Huawei
|
Usine de lubrifiants
|
|
|
Plate-forme de services aux entreprises (pétrole)
|
10 milliards de FCFA, plus de 15 millions d'euros
|
|
Raffinerie (cinq millions de tonnes)
|
250 milliards de FCFA ou environ 380 millions d'euros
|
|
|
Mais la Chine qui malgré ces réalisations, est
encore modeste en comparaison de la France, tente d'activer ses relais
diplomatiques pour s'introduire dans le plus grand nombre de secteurs
économiques. L'accord de coopération agricole, d'un montant de
37,5 milliards de FCFA (57 millions d'euros), le traitement douanier
préférentiel, les sociétés de bâtiment et
d'architecture, les sociétés King Long United Automotiv
Industry (bus, sans oublier Espace Auto concessionnaire
d'automobiles chinoises) et Prima (télévisions)
démontrent les perspectives chinoises. Ces derniers jours (Avril-Mai
2007), une mission d'experts procèdent à des études pour
la réfection des onze stades régionaux et au mois de Juillet 2007
démarreront les travaux du stade omnisport
de Pikine (Est de Dakar)54. Mais la
compétition entre sociétés chinoises va permettre à
l'État sénégalais de casser les prix car la CGC (China
Geo-engineering Corporation) serait en passe de s'installer sur le
territoire sénégalais où elle a d'ores et
déjà réalisé des conduites d'eau sur 12 km : c'est
une concurrente directe d'Henan Chine. Ces sociétés
peuvent enfin profiter de l'expérience acquise dans ces pays africains :
l'Afrique est un territoire expérimental pour ces futures grandes
multinationales.
www.atepa.com
www.senegal.free.fr
L 'Agence Nationale de la BCEAO (boulevard du
général de Gaulle) à Dakar
et le stade Léopold Sédar Senghor
(route de Yoff dans le quartier des Parcelles assainies):
deux réalisations chinoises au
Sénégal
.
La pêche, le textile et le BTP sont les principaux
secteurs économiques où la Chine et ses représentants sont
implantés au Sénégal. Mais plus que ces derniers, ce sont
les produits et marchandises originaires de Chine qui forment l'essentiel du
pied a terre chinois dans la République d'Afrique de l'Ouest.
54 Le Soleil,
http://www.lesoleil.sn/article.php3?id
article=24247
53
Les produits made in China
La liste des marchandises issues du pays de l'Asie du Sud-Est
est longue et en perpétuelle évolution. J'ai (en Annexe
1h, page 153) listé les produits relevés. J'ai tenté
un classement de ceux qui apparaissent régulièrement, de ceux qui
sont les plus recherchés et vendus. Ces articles sont proposés
à la vente selon un ordre hiérarchique et décroissant. En
haut de cette pyramide (carte I, page 55) je propose les fournisseurs et
exportateurs chinois installés en RPC. Les importateurs chinois,
sénégalais et libanais font transiter ces produits par conteneurs
vers le Sénégal. A l'arrivée, les grossistes revendent en
gros et semi gros aux détaillants. Eux-mêmes, les
commerçants, échangent avec les bana-bana qui
parcourront les rues de Dakar (voir photo ci- dessous). Les chalands pourront
enfin négocier leurs achats une fois utilisés pour monnayer les
marchandises d'occasions à certains vendeurs établis sur les
trottoirs, ne proposant que ces produits d'occasion. Voici l'évolution
des fabrications d'origine chinoise, les made in China. Les photos en
Annexe 1h suite, page 154, représentent ces articles.
Femmes sénégalaises négociant
les marchandises chinoises (échoppe du boulevard de
Gaulle) qu'elles revendront quelques heures ou
quelques jours plus tard dans les rues et quartiers de
Dakar.
Le 15 février 2007.
Des faits sont indispensables à signaler tels :
l'emploi systématique de jeunes hommes sénégalais servant
de traducteurs et donc de vendeurs dans les commerces chinois55
(voir photo suivante). Souvent seuls, ils peuvent selon la taille de la
boutique être jusqu'à trois. M'étant entretenu avec eux,
ils déclarent pour la majorité aimer travailler avec les
commerçants originaires d'Asie. Certains avouent être mieux
payés (jusqu'à 50 000 FCFA mensuel - 76 euros, correspondant au
SMIC sénégalais), d'autres autant que leurs confrères
travaillant chez les Libanais (salaire se rapprochant du SMIC : un
commerçant libanais affirme les payer jusqu'à 100 000 FCFA, 150
euros). Quelques uns d'entre eux diront tout de même qu'il est plus
difficile d'oeuvrer pour eux, étant donné le volume horaire
travaillé et le sens particulier qu'accordent ces commerçants au
mot travail, différent dans les moeurs sénégalaises.
Également, la lutte au niveau de la Direction des
Douanes contre la contrefaçon56. Un exemple est la pile. La
Sigelec (Société industrielle de
générateurs électriques) est en Mars 2007 au bord du
gouffre financier. 300 emplois sont en jeu. Les piles contrefaites ont petit
à petit grignoté
55 Ils sont employés pour faire la jonction
commerciale entre les clients sénégalais et le
propriétaire chinois. Ils vendent, assurent la sécurité et
la surveillance de la boutique et parfois assurent les livraisons.
56 Annexe Ii, page 155.
ce marché. La cause : les importateurs
sénégalais qui fabriquent en Chine de fausses piles. La
conséquence : un tiers de production en moins et une main d'oeuvre
remise en cause et soucieuse de son avenir au sein de cette
société. Contrefaçon et fraude favorisent
l'économie informelle.
Il n'y a pas que les piles. Canton (ou Guangzhou,
capitale de la province du Guangdong, Sud-Est de la RPC) est la ville la plus
africaine de Chine. Des milliers d'immigrants originaires de l'Afrique
francophone, notamment, s'y sont installés. Textile, loueurs de DVD, ils
sont intégrés. Les Chinois ont désormais adopté ces
« diables noirs », à tel point que certains se reconvertissent
dans la coiffure afro. Le système est le même qu'au
Sénégal, à l'opposé : « les patrons sont
africains, les vendeuses chinoises : « Tous mes clients sont africains.
Ils ont davantage confiance si les vendeurs sont chinois », dit le jeune
patron d'Africa Best Company, vente en gros de maillots
d'équipes de basket américaines. ». De même, «
pas la peine de parler mandarin, les calculettes remplacent les palabres »
57.
Il faut somme toute comprendre que l'économie
informelle, ou « populaire58 » qui représenterait
de 40 à 70 % de l'économie dite formelle, permet à des
millions de foyers de vivre. Les commerçants chinois et leurs produits
à bas prix permettent de créer des emplois directs
(traducteurs-vendeurs) et surtout indirects (bana-bana, vendeurs
installés devant la boutique, vendeurs de produits d'occasion : ils
octroient un second salaire, féminin en majorité) et enfin
amènent les prix à la baisse des biens de consommation courante
et indispensables. À leur sujet (les bana-bana), il faut savoir
qu'en décembre 2004, l'État sénégalais, dans le
cadre de la promotion de la mobilité urbaine, a chassé les
commerçants ambulants, ou bana-bana, du rond-point Petersen
(gare ferroviaire)59.
Pour conclure, je vais mentionner certaines phrases,
recueillies lors des entretiens, qui résument parfaitement certaines
idées : « grâce à la concentration humaine, les
produits sont pas chers et tout le monde est équipé [comprendre
en Chine]. [...] C'est certain qu'ils sont de mauvaise qualité mais que
veux-tu, les Sénégalais achètent et demandent des
qualités toujours moins chers, alors les Chinois fournissent » ;
« Comme je dis toujours, à Noël, tous les enfants peuvent
avoir un cadeau, même s'il dure deux jours ! » 60.
Il est flagrant que ces consommateurs à revenus
modestes accèdent avec ces produits à la société de
consommation et plus largement à la mondialisation. Il est enfin
également incontestable que Dakar et ses habitants, toute proportion
gardée bien entendu, se sinisent.
57 Libération du 3 novembre 2006.
58 « Économie populaire » selon Oussynou Niang
de l'UNACOIS-Def.
59 Voir l'annexe des citations, page 184.
60 Monsieur Yin et Monsieur Papa Nall Fall,
président de la commission économique et financière (du
Conseil National du Patronat) et responsable au Conseil de la République
pour les affaires économiques et sociales.
Traducteurs-vendeurs sénégalais
travaillant pour les Chinois propriétaires des
commerces
situés sur le boulevard de Gaulle. Le 15
février 2007.
Les grands travaux de Abdoulaye Wade
L'ultime point abordé dans ce premier chapitre et
cette partie économique est les grands travaux de
l'ère61 Abdoulaye Wade. Le 10 juillet 2000 (date essentielle
pour le Sénégal), le décret n° 2003-562 fixe «
les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Agence nationale
chargée de la Promotion de l'Investissement et des Grands travaux (APIX)
».
Cette agence62 devient le guichet unique pour tout
investissement étranger (centralisation des pouvoirs et moyens). Huit
grands projets sont proposés et à l'étude : le nouvel
aéroport international, l'autoroute à péage, la
cité des affaires de l'Afrique de l'Ouest, le chemin de fer à
écartement standard, le port du futur, le port minéralier de
Bargny, la réhabilitation du port de Saint-Louis et l'exploitation des
mines de fer du Sénégal Oriental (se reporter en annexe
IIn page 158)
Ces projets amènent directement à diverses
réflexions. Désenclavement de la capitale, rayonnement culturel
mais aussi et bien sûr des financements considérables de ces
possibles éléphants blancs... Qui va produire ces grands travaux
est bien la question essentielle. Certains d'entre eux retiennent
l'attention.
61 Élu en 2000 et réélu en
2007.
62 Annexe Ij, page 155.
Le nouvel aéroport international de Diass (Est de
Dakar) doit déconcentrer la capitale. L'actuel aéroport
Léopold Sédar Senghor se trouve au Nord-Ouest de la
cité63. Un aéroport exige des structures
adaptées : une empreinte au sol suffisante et des voies de communication
correspondantes. Si des réserves émanent de l'opposition
socialiste dont le leader est Ousmane Tanor Dieng (rentabilité d'un tel
projet alors que l'aéroport actuel est déjà peu
productif), je pense pour ma part que ce n'est pas totalement inutile et vain :
gain de dizaines d'hectares reconvertibles en logements et
désenclavement du Nord-Ouest de la capitale, si l'autoroute devant
relier Diass à Dakar est réalisée dans de bonnes
conditions. La directrice générale de l'APIX, Mme Aminata
Niane64, en parlant du Sénégal, veut « faire de
notre pays une zone géopolitique touristique en Afrique de l'Ouest
»65 . Mais le journal Wal Fadjri rapporte des faits très
intéressants66.
Cette affaire de corruption, fréquente au
Sénégal (je peux ajouter indulgence inconvenante et clanisme),
n'est pas isolée. Déjà, au commencement des travaux de
l'autoroute à péage, le consortium Henan Chine et Jean
Lefebvre Sénégal arrêtent les travaux suite à la
révélation de l'affaire de Thiès : dans le cadre de la
réhabilitation de Thiès, ville située à 70 km
à l'Est de Dakar, de gargantuesques chantiers sont ouverts. L'enveloppe
consentie par le président de la république, Maître Wade,
est de 20 milliards de FCFA, plus de 30 millions d'euros. Idrissa Seck, maire
de Thiès et premier ministre de l'époque, en 2004, doit
rénover sa cité pour accueillir la fête de
l'indépendance délocalisée selon les voeux du chef
d'État. I. Seck détournera 26 milliards de FCFA (près de
40 millions d'euros). Il sera condamné par la Haute Cour de Justice pour
atteinte à la défense nationale et à la
sûreté de l'État. Mais c'est bien le Sénégal
et sa classe politique qui en sortent perdants. S'en suit une atmosphère
de doutes et de scepticisme quant aux autres chantiers.
Ce ne sont pas les seules mésaventures qui atteignent
la Chine et ses Hommes installés au Sénégal, l'affaire
dite des passeports sénégalais en est la preuve. Le 31 juillet
1998, le corps d'une Chinoise de 32 ans est découvert le long des berges
de la Seine à Bonnières (Yvelines). Elle est enveloppée
dans du tissu et des larges bandes de Scotch, à la manière d'une
momie. L'autopsie révèle qu'elle est décédée
de neuf coups de couteaux avant d'être égorgée. En octobre
1998, à Colombes (Hauts-de-Seine), une Chinoise de 4 ans est
retrouvée dans les mêmes circonstances. L'analyse ADN
révèle le lien de parenté entre ces deux victimes. La
gendarmerie nationale découvre que deux jours auparavant la
découverte de la mère,
63 L'aéroport étudie la
possibilité d'une ligne directe Dakar-Beijing. Les Chinois sont donc
obligés de transiter par Paris, Madrid ou Milan afin de se diriger vers
Dakar. La ligne Shanghai-Dakar via Paris Charles de Gaulle semblerait la plus
usitée.
64 Que j'ai tenté en vain de rencontrer.
65 L'Observateur du 21 décembre 2006.
66 Se reporter en annexe, page 184.
un promeneur avait repérer un sac rose contenant des
documents en langue chinoise, une carte de Sécurité sociale, des
idéogrammes porte-bonheur et un numéro de téléphone
mobile. Ce numéro appartient à un habitant du « Chinatown
» parisien dont l'appartement est loué par un couple, ayant une
fille, et dont les murs ont été nettoyés. Ce sont donc la
mère et la fille retrouvées dans la Seine. L'agence
immobilière a photocopié leurs passeports,
sénégalais. L'affaire judiciaire devient une affaire
d'État car Dakar, lors de la rétrocession de Hong Kong à
la Chine, en juillet 1997, crée un organisme « destiné
à inciter des Chinois à investir au Sénégal »,
le Fonds de Développement Économique et Social, FODES). Pour
investir, ils doivent, une fois à Dakar, recevoir un « passeport de
service sénégalais » et régler « 20 000 dollars
par personne ou par couple et 5 000 par enfant ». « Le FODES va
brasser des centaines de milliers de dollars, [car] nombre de résidents
cherchent à tout prix des papiers étrangers, pour échapper
à l'emprise de Pékin [...] mais une partie - on évoque 600
000 dollars - se serait évaporée entre Hongkong et Dakar,
provoquant une affaire d'État au Sénégal ».
L'article67 conclu « la mort de Mary et Linda Chen est- elle
directement liée à ces passeports ? [...] deux pistes : soit
Boyson Wong et sa famille n'auraient pas remboursé l'argent
avancé par la mafia chinoise pour l'achat des précieux papiers,
soit ils étaient venus en France pour monter des « affaires »
qui auraient empiété sur les activités d'une bande rivale.
».
L'état des lieux que je présente ici (cf
carte B, page 16) est autant que je puisse le faire complet et
détaillé. La principale entrave à la réalisation de
ce premier chapitre est le manque et le sérieux des chiffres,
données et informations recueillies. S'il est fréquent d'entendre
et lire « le principal problème (en Afrique) est la
fiabilité des chiffres », c'est malheureusement un a priori
vérifiable dans mon cas.
Ces partenariats diplomatiques et économiques ne
pouvant se réaliser sans les Hommes, je vais à présent
décrire cette « diaspora » chinoise présente dans cet
État de l'Afrique Subsaharienne qu'est le
Sénégal68.
67 L'express du 16 janvier 2003.
68 Je dois préciser que certains
éléments du premier chapitre seront repris et approfondis dans
les chapitres et parties suivantes.
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