Quelles circonstances ont amené Taiwan à
s'investir en Afrique ? Je dois préciser en préambule, que les
évènements intérieurs (en RPC) jouèrent un
rôle prépondérant dans la politique extérieure
chinoise.
La révolution culturelle chinoise de 1966 à
1969 va marquer un temps d'arrêt dans les relations RPC-Afrique, qui
avaient pourtant été productives durant les quinze
dernières années. Éprouvant de sérieuses
difficultés sur son territoire, la Chine n'a plus la capacité
d'intervenir largement en Afrique. Elle s'isole également en adressant
des reproches pernicieux et virulents à l'égard des Russes. De
fait, car elle s'éloigne aussi des pays trop intimes des
Étasuniens, elle va s'isoler diplomatiquement et politiquement. Ceci
entraîne une levée de boucliers chez ses amis Africains, la
jugeant trop critique. Mais compte tenu de ses principes, la Chine apportera
pendant ces trois années, sa solidarité avec les mouvements de
lutte nationale en alimentant ces derniers en armes : Angola, Mozambique,
Afrique du Sud. Elle s'éloigne donc progressivement des pays africains
jugés trop proches d'un des deux blocs (Tunisie, Kenya,
République Centrafricaine et royaume de Dahomey ou actuel Bénin)
mais conserve d'excellentes relations avec le Congo Brazzaville, la Somalie, la
Tanzanie, la Guinée, la Zambie et le Mali.
Cependant, le travail effectué par Zhou Enlai porte
ses fruits et permet au ministère des Affaires étrangères
de compter 19 États africains parmi ses relations diplomatiques. Ces
États sont les suivants : Maroc, Algérie, Tunisie et
Égypte pour l'Afrique du Nord, Guinée (Conakry), Mali Ghana et
Bénin en Afrique de l'Ouest, République Centrafricaine et Congo
Brazzaville en Afrique Centrale, Éthiopie, Somalie, Kenya et Tanzanie en
Afrique de l'est et Angola, Zambie, Mozambique et Afrique du Sud pour l'Afrique
Australe. Madagascar est donc le dernier pays ayant des relations diplomatiques
officielles avec Pékin. Ces 19 partenaires pourraient être plus
nombreux si l'on compte ceux ayant des relations appuyées avec Beijing,
en particulier le Sénégal qui officialisera ses relations en
décembre 1971.
Le bilan chinois en Afrique est donc plutôt positif sur
le plan idéologique et politique, avec des revers toutefois en
Algérie, Égypte et Guinée. Sur le plan économique,
ce sont surtout les effets d'annonce de sommes peu élevées pour
ne pas dire dérisoires qui constituent l'ensemble des flux financiers
entre les deux parties. Pour l'Afrique, ce bilan économique est
nettement moins positif car ceux-ci ont été dans l'obligation de
baisser leurs taux de change voire leurs revenus réels du fait de la
concurrence sur les marchés tiers et sur les marchés africains
eux-mêmes (produits alimentaires dont le riz, produits industriels dont
le textile). Baisse des prix et concurrence chinoise
entraînant une régression relative du volume des
exportations sont donc les points négatifs qu'entraîne
l'implantation chinoise dans l'économie africaine.
La Chine à par-dessus tout apporter une assistance
militaire (conseils et ventes d'armes) et idéologique dans les conflits
opposant les États africains aux occidentaux. Nonobstant, elle a
construit des stades et bâtiments officiels. Si une diaspora est
présente en Afrique du Sud et Madagascar elle n'est pas encore
implantée dans les arrière-pays. L'évolution et la
croissance des échanges commerciaux et humains va être faible
jusqu'au soudain intérêt taiwanais pour ce continent au
début des années 1990. La Chine va dès lors se positionner
en Afrique dans l'intention de contrer son rival. Rival qui va s'atteler
à déséquilibrer la Chine continentale en la
concurrençant sur son terrain, l'aide au développement du
continent africain.
Avant de développer ce paragraphe, il est
indispensable de faire une parenthèse : je ne vais, dans cette
étude, pas prendre position sur le statut de Taiwan146. En
effet, ceci demanderait un long développement, inutile dans ce
mémoire. Si l'on veut défendre telle ou telle position, on pourra
dire que la RPC ne respecte pas idéologiquement ses engagements
(autodétermination des peuples) et, inversement, que l'île de
Taiwan est dirigée par un gouvernement nationaliste et provocateur,
jouant sur la politique du chéquier pour convaincre de sa
légitimité.
Cette rivalité commence en 1949. C'est l'année
de la création de la RPC. Taiwan conserve néanmoins son
siège à l'ONU, ayant ratifié la charte des Nations Unies
de 1945. Seulement, au fil des années, la Chine continentale gagnant en
popularité et influence, va convaincre au niveau international de sa
pertinence à posséder ce siège, ce qu'elle parvint
à faire le 25 octobre 1971, avec l'aide des Soviétiques. Cette
résolution 2758 (XXVI) évince la République de Chine ou
Taiwan, qui est donc remplacée par la RPC.
Le rôle des États africains fut d'une importance
capitale, car leurs votes représentèrent 32,9%147.
Dès cette admission, la Chine, nantie de son siège, aurait due
prouver sa reconnaissance aux pays l'ayant aidé à obtenir ce
dernier. Il n'en est rien. Les relations sino-africaines vont au contraire
être dirigées unilatéralement, et surtout, dirigées
dans les coulisses par les forces exogènes que sont l'URSS et les
États-Unis. L'URSS, en premier lieu, car la Chine tente à se
démarquer de son allié historique en raison de la politique russe
jugée par trop impérialiste et non conforme au socialisme
maoïste. En coopérant avec les États en conflit avec l'URSS
ou indirectement, en
146 Devenue de facto indépendante à la suite de
la prise de pouvoir par le Guomindang (en 1949 lorsque ce gouvernement se
délocalise suite à la création du gouvernement communiste
de Mao Zedong), elle ne l'est pas selon la République Populaire de
Chine. Elle ne l'est pas au niveau international car elle perd son siège
et sa reconnaissance par l'ONU en 1971 au profit de la Chine continentale qui
considère l'île comme une province rebelle, aidée en ce
sens par de nombreux États, dont ceux d'Afrique.
147 La Chine continentale obtint son siège par 76 voix
pour, 35 voix contre et 17 abstentions. 25 états africains
votèrent en faveur de la RPC.
accordant d'importantes aides aux États en conflits avec
les pays soutenus par Moscou, Pékin joue pleinement son rôle de
troisième force internationale, au profit bien sûr de
Washington.
Les États-Unis d'ailleurs sont la priorité
chinoise. La visite du président américain Richard Nixon en
février 1972 va permettre aux deux parties d'engager des relations
diplomatiques, officiellement établies en 1978, et, de lever l'embargo
commercial qui affecte la Chine. De plus, ces relations seront une des
conditions de l'ouverture économique chinoise des années 1980,
favorisée par les réformes économiques
opérées par Deng Xiaoping à la mort de Mao en 1976.
La concurrence sino-soviétique fait donc rage sur le
continent africain, la Chine soutenant financièrement les pays proches
de l'URSS tels que l'Égypte, le Congo Brazzaville, la Somalie, la
Zambie, le Soudan et la Tanzanie où la construction du chemin de fer
reliant la Tanzanie à la Zambie (Tanzam) accapare à elle seule la
moitié des aides. Cette construction plus politique qu'économique
(pour la Chine) lui donne une image positive et positionne le pays comme,
dorénavant, indiscutablement décisif et incontournable.
En 1972 et 1973, la manne chinoise s'élargit au
Bénin, à Madagascar, à Maurice, au Cameroun, au
Burkina-Faso, au Zaïre (actuelle République démocratique du
Congo), à la Tunisie, au Togo, au Nigeria, au Rwanda et au
Sénégal. Dans les années 1980, changeant de politique,
Pékin va soutenir cette fois des pays proches de l'Union
Soviétique, tels la Libye, l'Éthiopie et le Lesotho. Elle
soutient également le combat Sud-africain, la lutte contre
l'apartheid.
Au milieu des années 1980, un changement
irréversible va s'opérer : la politique intérieure
chinoise va réguler la politique extérieure. Le PCC qui avait
entamé en 1978 une réforme économique voit les
conséquences de son action : l'économie planifiée,
importée d'URSS, fait place au socialisme de marché. La
collectivisation de l'agriculture est remplacée par la
responsabilité individuelle, l'industrie d'état voie
l'arrivée du patronat, en fait, une libéralisation plus ou moins
contrôlée s'opère. L'économie marchande prend le pas
sur l'économie planifiée par le PCC. Ce glissement vers le
capitalisme contrôlé à sauvé le régime mais
entraîne d'innombrables problèmes économiques tels que
l'endettement des banques publiques, de gérants d'industrie
légère, de paysans... que le gouvernement doit rembourser.
L'économie mixte est de rigueur (en 1992, le système
économique devient économie de marché socialiste), c'est
l'époque de l'enrichissement des provinces situées sur les
façades maritimes, endettement des autres. Donc, en 1985, ces
réformes accaparent l'ensemble des dépenses publiques, laissant
peu de marge de manoeuvre au ministère des Affaires
étrangères.
L'Afrique en général est directement
touchée. Quatre ans plus tard, soit en 1989, intervient
l'évènement de la place de Tian An Men, évènement
qui provoque immédiatement des sanctions internationales (sans parler du
séisme diplomatique). Cette période est par ailleurs
marquée par l'effondrement de l'Union des Républiques Socialistes
Soviétiques le 26 décembre 1991.
Ces données vont considérablement changer la
donne géopolitique mondiale. La Chine va rechercher de nouveaux soutiens
car la fin de la guerre froide et ses besoins énergétiques
l'obligent à intervenir massivement en Afrique et au Moyen Orient. Ce
dernier étant instable géopolitiquement et saturé
économiquement (par les États-unis et les États
européens), le choix africain est rapidement effectué.
Parallèlement, ce continent à également des besoins
primordiaux et directs : obtenir des capitaux et financements, du savoir-faire
et des produits peu chers, bon marché, en résumé, chinois
!
A l'aube des années 1990, l'ensemble des pays
composant le continent africain ont des relations diplomatiques avec
Pékin. Seulement, c'est sans compter sur l'île qui désire
depuis son éviction des Nations Unies se repositionner et obtenir un
statut officiel auprès de l'ONU et de la scène internationale.
Pour ce faire, elle va en premier lieu faire les yeux doux aux
États-Unis qui lui apporte en échange une reconnaissance
partielle. Ensuite sa stratégie va s'appliquer à nouer avec les
pays africains des relations diplomatiques, essentiellement basées sur
les aides financières.
De fait, dès octobre 1989, le Libéria noue des
relations avec Taiwan, suivit du Lesotho en avril 1990, de la
Guinée-Bissau en mai, la République Centrafricaine en juillet
1991, le Niger en juin 1992, le Burkina Faso en février 1994, la Gambie
en juillet 1995, le Sénégal en janvier 1996, Sao Tomé et
Principe en mai 1997 et avec le Tchad en août 1997.
Isoler diplomatiquement Pékin est le principal souci du
gouvernement taiwanais. Taiwan réussit donc un petit exploit en
récupérant ainsi, grâce à sa manne, ces pays
antérieurement alliés de Beijing. Toutefois, le succès est
relatif car dès 1994, le Lesotho répond aux avances de la RPC,
soit, environ quatre années après la volte-face taiwanaise. Le
Niger quant à lui retourne sa veste en 1996, l'Afrique du Sud, la
République Centrafricaine et la Guinée Bissau en 1998, le
Libéria en 2003, le Sénégal le 25 octobre 2005 et
dernièrement le Tchad en août 2006. Début 2007, il ne reste
donc que cinq États africains (carte K, page 131) ayant encore
des relations diplomatiques avec Taiwan, soit, le Burkina Faso, la Gambie, le
Malawi et Sao Tomé et Principe. Mais, étant donné
l'influence de Pékin, sa détermination à s'approvisionner
énergiquement, son panel d'offres et aides, pour combien de temps encore
ces cinq irréductibles continueront à affirmer envers et contre
tous l'existence des deux Chines ?
La RPC est donc en 2007 en passe de réaliser un
objectif principal : évincer Taiwan, la circonscrire sur la scène
internationale. L'Afrique est pour elle autant qu'un enjeu économique
est un enjeu géopolitique. Les récents sommets en sont la
preuve.