Le droit d'intervention de l'Union Africaine( Télécharger le fichier original )par Sylvain Christian FOPY Université de Dschang - DEA en droit communautaire et comparé CEMAC 2006 |
INTRODUCTION GÉNÉRALELa profonde mutation de l'ordre international et le développement sans pareil des concepts de droit de l'homme et de droit humanitaire ont fini, sinon par en venir à bout de la conception trop protectrice qu'avaient les Etats de leur souveraineté, du moins à en atténuer la puissance. Face à la quasi négation des droits de l'homme telle que connue dans l'histoire, et partant aux violations massives des droits humains1(*), des voix se sont élevées2(*) contre la passivité des Etats et autres acteurs de la scène internationale3(*). Ainsi pour ceux-ci le principe de la souveraineté ne saurait être un alibi pour s'empêcher de réagir face aux atteintes graves contre les droits de l'homme se produisant dans un autre pays. Grotius écrivait déjà, en évoquant le principe de la souveraineté des Etats, « Mais le droit de la souveraineté humaine ne sera pas exclu pour cela, lorsque l'oppression est manifeste : si quelque Busiris, Phalaris, Siomède de thrace exerce sur ses sujets des cruautés qui ne peuvent être approuvées par aucun homme équitable. C'est ainsi que Constantin prit les armes contre Maxence et contre Licinius ; que d'autres empereurs des romains les prirent, ou menacèrent de les prendre contre les perses s'ils ne cessaient de persécuter les chrétiens à cause de leur religion »4(*) De même on connaît la position de Vattel selon laquelle, « toute puissance étrangère est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demande son assistance »5(*). C'est sur de telles bases que s'est développée au XIXième siècle la doctrine de l' « intervention d'humanité » en vertu de laquelle, « Lorsqu'un gouvernement, tout en agissant dans les limites de ses droits de souveraineté, viole les droits de l'humanité,... par des excès de cruauté et d'injustice qui blessent profondément nos moeurs et notre civilisation, le droit d'intervention est légitime. Car quelque respectable que soient les droits de souveraineté et d'indépendance des Etats, il y a quelque chose de plus respectable encore, c'est le droit de l'humanité ou de la société humaine qui ne doit pas être outragé »6(*) Précisons que malgré la codification du droit d'ingérence par la charte des Nations Unis, la doctrine de l'« intervention d'humanité » n'a pas cessé de trouver de fervents défenseurs7(*). Quant à la formulation de « devoir d'ingérence », on la trouve pour la première fois8(*) en 1987 comme titre d'un ouvrage9(*) reprenant les conclusions de la « première conférence internationale de droit et de morale humanitaire » organisée à paris en janvier de la même année par Mario Bettati et Bernard kouchner, et clôturée par une résolution finale intitulée « résolution sur la reconnaissance du devoir d'assistance humanitaire et du droit à cette assistance ». Il faudrait déjà procéder à notre sens à des élucidations terminologiques pour mieux appréhender les notions de droit d'ingérence humanitaire et de droit d'intervention très souvent utilisées indifféremment. En effet le droit d'ingérence humanitaire est un droit qui vise à permettre une action internationale quand un peuple est menacé dans sa survie même. Il a été invoqué pour la première fois en 1992 afin de justifier l'intervention de l'ONU dans l'ex -Yougoslavie et en Somalie .L'on peut encore à ce niveau opérer une distinction entre le droit d'ingérence humanitaire et l'assistance humanitaire tout comme on pourrait le faire pour le droit d'ingérence humanitaire et l'intervention d'humanité. Pour ce qui est de la différence entre le droit d'ingérence humanitaire et l'assistance humanitaire, Monsieur Olinga10(*) pense que s'il existe une synonymie assez marquée des deux notions du fait de la communauté de leur champ d'action11(*), il n'en demeure pas moins que l'ingérence humanitaire est un instrument qui permet l'efficacité de l'assistance humanitaire étant entendu que l'assistance humanitaire concerne les actions qui visent à venir en aide aux victimes en cause. S'agissant de la distinction droit d'ingérence humanitaire et intervention d'humanité, on doit pouvoir dire qu'au-delà de leur filiation historique, 12(*) ces deux notions se distinguent à deux niveaux au moins selon le professeur Bettati : le but poursuivi et les moyens employés. Il écrit en effet : « elles (les interventions d'humanité) se distinguent des opérations d' « assistance humanitaire » de deux manières. D'une part elles mettent en oeuvre les forces armées alors que les secondes, même si elles font parfois participer les militaires, n'en déploient qu'un appui logistique. D'autre part l' « intervention d'humanité » vise généralement à protéger les nationaux de celui qui intervient alors que l'assistance humanitaire s'efforce de secourir toutes les victimes sans distinction, y compris celles de leur propre gouvernement. »13(*) Pour revenir à la distinction droit d'ingérence / droit d'intervention, il nous semble indiqué de partir des définitions données par le lexique des termes juridiques14(*) pour mieux en cerner les contours. L'intervention y est définie comme un acte d'ingérence d'un Etat dans les affaires d'un autre Etat pour le contraindre à agir selon sa volonté. En confrontant cette définition à celle du droit d'ingérence humanitaire telle qu'envisagée plus haut, on doit pouvoir dire que l'intervention n'est qu'une variante de l'ingérence en ceci qu'elle procède par des moyens coercitifs, généralement la contrainte armée, tandis que l'ingérence peut s'opérer par d'autres moyens15(*). Il est bon de préciser que la terminologie dans ce domaine est sans cesse évolutive, de sorte que la nouvelle doctrine ne parle plus de « droit d'ingérence », ni même de « droit d'intervention », mais plutôt de « responsabilité de protéger »16(*). Il faut dire en effet que c'est au sein de l'ONU,notamment à travers le discours du SGNU17(*) et du CSNU18(*), que la notion de responsabilité de protéger (autrement R2P19(*)) a été créée et développée très rapidement dans les années 199020(*). Il est à noter qu'au début, c'est-à-dire depuis 1999, la R2P était mise en discussion au titre de « la protection des civils en période de conflit armé ». Même si elle n'était pas dépourvue d'éléments juridiques, ses origines et ses développements sont toutefois marqués par le mouvement de reforme politique de l'état actuel du monde. La R2P marque une évolution par rapport à ses devancières en ceci qu'elle met l'accent sur la nécessité de « prévenir » la tragédie humaine, un aspect presque absent du débat traditionnel sur l'intervention humanitaire, qui n'a pour objet que de s'ingérer dans une situation déjà existante. Selon la CIISE21(*) par exemple qui admet l'intervention militaire dans les cas extrêmes, la responsabilité de « prévenir » l'emporte sur celle de « réagir » . Nous remarquerons que l'Union Africaine n'a pas cru bon d'intégrer la nouvelle terminologie dans ses instruments juridiques, lui préférant celle d' « intervention » et consacrant dans son acte constitutif le droit d'intervention de l'Union dans certaines hypothèses bien précises. On peut s'étonner de l'audace de cette nouvelle organisation internationale en ceci qu'elle est pratiquement l'une des premières organisations régionales à s'attribuer un tel droit. Les raisons de cette avancée ou mieux encore de cette innovation peuvent être recherchées dans l'histoire même de cette organisation régionale. En effet, l'ancienne OUA22(*), prédécesseur de l'UA23(*), avait démontré ses limites quant à sa capacité d'en venir à bout des conflits et des atteintes aux droits de l'homme sur le continent. La philosophie même de l'OUA était basée sur le principe de non-ingérence qui lui était cher, ce qui l'empêchait de prendre position par rapport aux conflits qui avaient cours en Afrique24(*) et par rapport aux différentes atteintes aux droits de l'homme25(*). Le président MUSEVENI s'insurgeait déjà contre cet état de fait dans l'une de ses déclarations à un sommet de l'UA : «over a period of 20 years three quarters million Ugandans perished at the hands of government that should have protected their lives (...) I must state that Ugandans (...) felt a deep sense of betrayal that most of Africa kept silent (...) the reason for not condemning such massive crimes had supposedly been a desire not to interfere in a internal affairs of a member state, in accordance with the charter of OAU26(*) and the united Nations. We do not accept this reasoning because in the same organs, there are explicit law that enunciates the sanctity and inviolability of human life»27(*). C'est partant de la volonté de vouloir surmonter les échecs de l'ancienne OUA qu'a été créée à Lomé au Togo l'Union africaine qui est entrée en vigueur en 2001. Le nouvel acte constitutif innove en consacrant en son art4 (h) et (j) le droit de l'Union d'intervenir pour protéger les droits de l'homme et pour restaurer la paix et la sécurité. L'intérêt de notre sujet tient à ceci que le droit d'intervention, communément reconnu à l'ONU28(*) en principe, en vient à être consacré au profit d'une organisation sous régionale dans sa variante la plus contestée qu'est le droit d'intervention. De plus, si la charte des Nations Unies reconnaît de façon globale ce droit aux organisations internationales, l'acte constitutif de l'UA se le reconnaît de façon très explicite ce qui apparaît comme une nouveauté en droit international. Le problème alors est celui de l'efficacité de ce droit d'intervention. Quel est l'encadrement juridique que les textes de l'Union donnent à ce droit ? Quelles sont les difficultés que révèle sa mise en oeuvre ? Notre travail sera, pour répondre à ces préoccupations, orienté sur deux axes. Premièrement, il sera indispensable d'analyser l'institutionnalisation du droit d'intervention de l'Union (première partie) avant de voir ce qui rend difficile sa mise en oeuvre (seconde partie). * 1 Il faut dire que les régimes dictatoriaux se mettaient sous le couvert de leur souveraineté pour méconnaître pratiquement aux citoyens leurs droits fondamentaux. Il faut également pouvoir mentionner les atteintes sans pareil aux droits humains observées pendant les deux grandes guerres. C'est certainement ces atrocités qui ont permis à la communauté internationale de redonner un peu plus de considération aux droits de l'homme en amplifiant leur codification et en mettant en exergue le soucis de leur protection. * 2 Grotius( A.) , Le droit de la guerre et de la paix, livre II, chap. XXV, VIII, 2.Cité par Corten(O.)et Klein(P.),Droit d'ingérence ou obligation de réaction ? édition de l'université de Bruxuelle, 1992 p.1. * 3 Les organisations internationales notamment. * 4 Grotius, op.cit * 5 Vattel, le code diplomatique de l'Europe, vol2, II, p299. * 6 Rolin Jacquemyns ( G.), Note sur la théorie du droit d'intervention, R.D.I.L.C, 1876, p 63 * 7 Voy par exemple Perz-vera ( E. ), « La protection d'humanité en droit international » RBDI, 1969, p401-424 * 8 On attribue parfois la paternité de la formule à Eugène Ionesco ; Voy David, Eric<< droit ou devoir d'ingérence humanitaire>>, Journal des juristes démocrates, Bruxelles , NO 80 juin -juillet 1991 , page 1, §1. * 9 Bettati ( M.), et Kouchner ( B. ), Le devoir d'ingérence, Paris de noel 1988 * 10 Olinga ( A.D.), Contribution à l'étude du droit d'ingérence(l'assistance humanitaire et la protection des droits de l'homme face au principe de non intervention en droit international contemporain), Thèse de droit public, Université de Montpellier I,1993, P. 59 et ss. * 11 Ce champ d'action comprend d'abord les conflits internationaux et non- internationaux. Il déborde cependant ce cadre pour s'intéresser à toutes les situations qui mettent l'existence de la personne humaine en péril brutal ou en difficulté extrême. * 12 Ce qui relie les deux notions c'est certainement le discours humanitaire et la préoccupation des lois de l'humanité. C'est tout aussi leurs propensions à la protection de la personne humaine. * 13 Bettati ( M.), in Le débat, p6 ainsi que dans RGDIP, 1991/3, p645-646 * 14 Lexique des termes juridiques, 13e édition, Dalloz 2001 * 15 Ces moyens ne seront toujours pas de nature à contraindre par la force l'Etat en cause. * 16 Dai Tamada, L'obligation de prévenir le génocide : Equivaut-elle à la responsabilité de protéger ? Rapport soumis au 5e colloque du réseau francophone du droit international organisé du 26 Avril au 3 mai 2008 en Tunisie. * 17 Secrétaire général des Nations Unies. * 18 Conseil de Sécurité des Nations Unies. * 19 L'expression « responsabilité de protéger » est souvent abrégée en « R2P » sur la base de sa version anglaise, « responsability to protect ». Puisqu'il n'est pas impossible d'utiliser cette expression aussi en français, nous l'utiliserons donc pour signifier la « responsabilité de protéger ». * 20 S/1999/957, le 8 septembre 1999 : le premier rapport du SGNU au CSNU sur la protection des civils en période de conflit armé. Dans la résolution 1265 (le 17 septembre 1999), le CSNU a exprimé pour la première fois son intention résolue d'aborder le sujet de la R2P dans le cadre du maintien de la paix, pour lequel il engage la responsabilité primaire. * 21 Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats. * 22 Organisation de l'unité africaine * 23 Union africaine * 24 Les conflits des grands lacs par exemple ou les conflits qui aboutissaient à des coups d'Etats. * 25 Les exactions d'IDI AMIN en Uganda et de BOKASSA en RCA. Pire encore, le génocide Rwandais en 1994 * 26 Organisation of African union, autrement OUA en Français * 27 Président MUSEVENI d'Uganda, 22ième session ordinaire de l'OUA, assemblée générale des chefs d'Etats et de gouvernement, Addis Abeba, Ethiopie 1986, cité par Kioko ( B. ), dans « The right of intervention under the African Union's constitutive act » IRRC 2003, Vol 85, N°853. * 28 Organisation des nations unies |
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