II.2 La subsidiarité
«De même qu'on ne peut enlever aux
particuliers, pour les transférer à la communauté, les
attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et
par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en
même temps que troubler d'une façon très dommageable
l'ordre social, que de retirer aux groupements d'ordre inférieur, pour
les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang plus
élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir
eux-mêmes. L'objet naturel de toute intervention en matière
sociale est d'aider les membres du corps social, et non pas de les
détruire ni de les absorber».13
Tel est, résumé par Pie XI, le principe de
subsidiarité, qui a été probablement introduit dans
l'enseignement de l'Eglise suite aux efforts de Mgr. Wilhelm von Ketteler,
évêque allemand, à la fin du XIXème
siècle, peu avant Rerum novarum. Mais l'idée de
subsidiarité est beaucoup plus ancienne dans la philosophie
politico-économique, et on peut même en trouver quelques
prémices dans la Bible (voir annexe 3). Etymologiquement, le mot
subsidiarité vient du latin subsidium, qui signifie «
secours ».
Au niveau international, les pays industrialisés sont
chargés de soutenir les Etats les plus vulnérables ainsi que les
zones de guerre où les peuples souffrent. La subsidiarité,
à ce niveau, consiste justement à secourir les plus faibles sans
toutefois mettre la main sur les quelques seuls avantages comparatifs
(richesses naturelles, savoir- faire, etc.) dont le territoire dispose par
rapport au reste du monde. Il ne faut jamais priver les individus, les petits
groupes et les petits pays d'assumer leurs responsabilités quand ils
sont en mesure de le faire. Ceci implique une reconnaissance de leur initiative
privée. La « suppléance institutionnelle » ne doit ni
durer dans le temps, ni s'étendre au-delà du strict
nécessaire, ce qui n'est malheureusement pas le cas bien souvent
aujourd'hui, et ceci pour des intérêts géopolitiques ou
pour des raisons de monopolisation économique. Au niveau national, les
acteurs de la subsidiarité sont de plus en plus en interaction. Etat,
famille, école, corps intermédiaires, entreprise,
université, aucune de ses institutions ne peut effectuer la tâche
de l'autre, aucune ne peut fonctionner convenablement sans le
13 Pie XI, Quadragesimo anno, n. 79.
recours au service de l'autre, ni survivre sans servir «
sa collègue ». La subsidiarité exige une coopération
de proximité. Appliquée à l'entreprise, elle change la
nature de l'autorité dirigiste et centralisée telle qu'on l'a
connue avec Taylor et Ford. Elle consiste à valoriser chaque
collaborateur individuellement, en lui délégant une tâche
qu'on juge la meilleure à lui donner pour la réussite du projet,
mais aussi et avant tout pour la réalisation personnelle et
l'autosatisfaction de l'individu, car chaque personne est unique, et donc
source d'originalité et d'apport spécifique à la
communauté humaine. L'autorité existe toujours, mais elle se met
avant tout au service de la clientèle, de son personnel et de tout ce
qui participe à la réussite de l'activité de l'entreprise
et du climat économique global.
Le principe de subsidiarité est lui-même régi
par trois sous-principes :
a- Le principe de compétence, qui vise à
ce que l'échelon supérieur s'interdise d'effectuer toute
tâche qu'un échelon inférieur serait apte à prendre
en charge.
b- Le principe de secours, qui oblige l'échelon
supérieur à décharger l'échelon inférieur
des tâches que ce dernier n'est pas en mesure de réaliser.
c- Le principe de suppléance, qui interdit
l'échelon supérieur de se déresponsabiliser de certaines
tâches et décisions qui lui sont propres et exclusives.
Le grand défi de la subsidiarité, c'est de
pouvoir instaurer une stratégie de gouvernance d'entreprise compatible
avec ses fondements et ses exigences. Une telle stratégie fondée
sur la délégation est certainement défendue par respect de
la personne humaine, donc de la communauté sociale, mais aussi par souci
d'un fonctionnement efficace de la production.
II.3 La solidarité
Il s'agit de l'un des principes piliers qui ne peuvent
échapper à aucun livre d'éthique économique ni
à aucune lettre des souverains pontifes. La subsidiarité n'existe
pas sans la solidarité.
La liberté humaine ne se fortifie que «
lorsque l'homme accepte les inévitables contraintes de la vie
sociale, assume les exigences multiples de la solidarité humaine et
s'engage au service de la communauté des hommes.
»14 La solidarité opère sur un champ aussi vaste
que la planète : entre salariés et employeurs, entre
universités et entreprises, entre ONG et pays démunis, entre
syndicats et habitants, etc. Pour qu'il y ait solidarité, il faut
d'abord que règnent la liberté, l'autonomie et l'initiative. En
sciences économiques et de gestion, on parle de plus en plus de culture
d'entreprise, qui n'est qu'un synonyme de la culture de solidarité. Il
s'agit donc essentiellement d'un patrimoine partagé entre individus, qui
implique un partage et une mutualisation des risques. Dans le cadre d'une
entreprise, la solidarité peut être centralisée
(négociation entre les employés et le comité d'entreprise)
et décentralisée (négociation entre les employés
à travers leurs représentants et les organisations syndicales et
patronales). Les négociations mènent à des accords sur
consentement de la majorité des membres.
Notons que dans le monde actuel, la multiplication très
rapide des moyens de communication « en temps réel » et le
progrès informatique peuvent faciliter la solidarité. Mais il est
aussi bien triste de souligner les disparités qui existent toujours
entre les différents pays du monde. Un vrai engagement sur le plan
éthico-social doit accompagner l'interdépendance croissante de
toutes les institutions économiques.
Le Compendium de la DSE déclare que la
solidarité se présente sous deux aspects complémentaires:
celle de principe social, qui tend à la modification de toute loi du
marché allant à l'encontre de l'éthique humaine, et celle
de vertu morale, qui consiste en un engagement ferme à travailler pour
le bien commun dans le sens où tout le monde est responsable de chacun
et où chacun est prêt, au sens évangélique du terme,
à « `se perdre' pour l'autre au lieu de l'exploiter.
»15 La DSE exige que la solidarité règne
même là où prévaut une logique de fragmentation,
loin de tout individualisme. Les hommes sont endettés envers leur
société, qui leur procure tant de nouveautés pour le
développement de leur bien-être. En contrepartie, chacun se doit
de s'engager à soutenir
14 Concile OEcuménique Vatican II,
Constitution pastorale «Gaudium et spes», n. 31, §
2.
15 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 193.
son prochain afin de partager avec lui ses difficultés
et ses bonheurs. Solidarité implique pardon, réconciliation et
surtout gratuité. La solidarité, ce sont peut-être ces
paroles simples de la prière scoute : « Seigneur Jésus,
apprenez-nous à être généreux... à donner
sans compter ». Au sein d'une entreprise, il est certes
irréaliste de parler de gratuité absolue, mais les « petits
gestes » qu'un chef peut faire aux employés sans contrepartie
révèleraient son engagement à «donner sans compter
».
II.4 La destination universelle des
biens
« Tous les biens de la nature, tous les trésors
de la grâce appartiennent en commun et indistinctement à tout le
genre humain. »16
« La propriété des moyens de
production, tant dans le domaine industriel qu'agricole, est juste et
légitime si elle permet un travail utile ; au contraire, elle devient
illégitime quand elle n'est pas valorisée ou quand elle sert
à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne
provient pas du développement d'ensemble du travail et de la richesse
sociale, mais plutôt de leur limitation, de l'exploitation illicite, de
la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du
travail. Ce type de propriété n 'a aucune justification et
constitue un abus devant Dieu et devant les hommes. »17
Dieu a donné la terre à l'homme pour qu'il en
exploite les richesses et jouisse de ses fruits. Aucun n'est
privilégié, aucun n'est exclu. La terre est elle-même le
principal bien de subsistance que Dieu a offert à l'homme. Elle doit
aussi lui procurer, au-delà de la survie, les moyens nécessaires
à son plein développement. Ce droit de chacun de profiter
gratuitement du bien commun préexiste à toutes lois juridiques et
économiques, à la propriété privée des biens
et aux règles du libre commerce. C'est la propriété
privée qui doit se mettre au service de la destination universelle des
biens. Elle doit être un moyen et non pas une fin. Des
réglementations juridiques au niveau national et international doivent
en surveiller l'expansion pour la ramener à sa finalité
première. La
16 Léon XIII, Rerum novarum, n. 21.
17 Jean-Paul II, Centesimus annus, n. 43
c.
technologie et la production de masse doivent servir à
la multiplication des richesses pour un niveau supérieur de
bien-être de toute la population. Le progrès des uns ne doit pas
être un obstacle au développement des autres. La destination des
biens doit se faire de manière homogène et équitable pour
prévenir sa concentration entre les mains d'une minorité nantie
et l'exploitation de la majorité. L'acquisition des biens
matériels est légitime si elle dérive d'un travail digne
et d'une intelligence vertueuse pour que l'homme « s'assure une zone
indispensable d'autonomie personnelle et familiale. »18
La propriété privée est le principal
catalyseur de la responsabilité humaine. Pour être
légitime, elle doit, selon la DSE, être accessible à tous.
Au-delà des bénéfices personnels et familiaux, tout
patrimoine doit servir le bien commun. C'est pour cela que les
propriétaires se doivent de destiner leurs biens à la production,
à la reproduction et au développement, et de les
déléguer en particulier à ceux qui ont les
compétences d'en faire tirer les meilleurs profits, surtout que les
besoins vitaux, outre la nourriture, deviennent de moins en moins tangibles et
dénombrables, et de plus en plus complexes et développables. Pour
une destination universelle des biens, les monopoles économiques doivent
être estompés et les barrières rompues pour assurer aux
pays, jadis marginalisés, les chances élémentaires de
participer au bien commun en perpétuel perfectionnement. Ces biens
communs doivent venir en aide aux plus démunis, dont la misère
entrave également une croissance soutenable et
généralisée. « Vous avez reçu
gratuitement, donnez gratuitement. »19 Quel que soit le
niveau social d'un individu, il doit venir en aide à son prochain dans
le besoin, en respectant ce que la DSE appelle « l'option
préférentielle des pauvres ». « C'est là une
option, ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la
charité chrétienne (...) Elle s'applique également
à nos responsabilités sociales et donc à notre
façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de
manière cohérente au sujet de la propriété et de
l'usage des biens. » 20
La charité n'est pas un acte de don personnel. On rend au
pauvre ce qui lui est dû, c'est-à-dire une richesse qui lui est
vitale et que le capitalisme lui a arrachée pour
18 Léon XIII, Rerum novarum, n. 11.
19 Mt 10, 8.
20 Jean Paul II, Sollicitido rei socialis, n.
42.
satisfaire des ambitions secondaires. Cet amour pour les
pauvres est incompatible avec un usage égoïste des richesses et
tout chef d'entreprise doit s'engager à partager équitablement
les fruits du bien commun avec ses travailleurs.
II.5 Le travail
« Ora et labora » (Travaille et prie!)
Cette célèbre devise de Saint Benoît
résume quelque peu la priorité du travail sur le capital dans
l'enseignement social de l'Eglise. Cette priorité est bien
soulignée dans l'encyclique Laborem exercens de Jean-Paul II,
où la place de l'homme sujet et la subjectivité
inhérente au travail sont bien affirmées. Cette
subjectivité attribue au travail humain une dimension plus
éthique et plus digne. La DSE distingue la dimension subjective du
travail de sa dimension objective traditionnelle. Le travail a une
portée considérable sur le psychisme de l'homme, sur son
insertion sociale et sur sa participation au bien commun. Il évite au
travailleur de stocker des « capacités obsolètes » et
lui permet d'accéder à la requalification et à
l'accumulation de capital humain productif d'actualité. Les politiques
actives d'emploi sont donc recommandées par la pensée
chrétienne, qui ne prône point de couver le peuple par
l'assistanat ou de le protéger « à tout prix ».
Soutenir l'activité et créer des emplois sont des
éléments constitutifs du droit fondamental de chacun au travail,
notamment dans le secteur tertiaire, où l'Etat doit s'engager avec
perspicacité. Par ailleurs, les pouvoirs publics doivent adapter les
politiques de la famille et de l'emploi à la réalité
économique afin de ne pas décourager les travailleurs de fonder
une famille et d'y vivre harmonieusement et dignement. On sait que le
chômage a des répercussions matérielles et morales sur les
familles, et que les crises familiales diminuent la productivité du
travailleur et donc nuisent à l'entreprise. Le chômage est
déshumanisant. L'avenir et les conditions de vie des travailleurs ne
sont pas prédéterminés. Un travailleur a pleinement le
droit de faire ses preuves et d'assurer, par son travail, l'avenir qu'il
souhaite à son époux(se), à ses enfants et à toute
autre personne dont il a la charge. Si la terre est le premier don de Dieu,
« elle ne produit pas ses fruits
sans une réponse spécifique de l'homme au
don de Dieu, c'est-à-dire sans le travail. »21 Or, s'il fut un
temps où « la fécondité naturelle de la terre
paraissait être [...] le facteur principal de richesse [...], en notre
temps, le rôle de travail humain devient un facteur toujours plus
important pour la production des richesses immatérielles et
matérielles. »22 Le travail humanisé est la meilleure
chance que le travailleur puisse saisir pour faire ses preuves, éduquer
son sens de la responsabilité et « coopérer à
l'achèvement de la création divine. »23
Dans le livre de la Genèse, l'homme reflète Dieu
en accomplissant son mandat de travailler et de créer. La situation du
travail est positive et primordiale selon la pensée chrétienne,
alors que d'autres idéologies sont plus proches du sens
étymologique, où « labeur », qui dérive du latin
« labor », signifie peine et où « travail » renvoie
au latin « tripalium », « instrument à trois pals qui
entravait l'esclave et qui servait d'instrument de torture, » 24 et
est donc conçu comme une dure servitude et une pénible
aliénation. Selon l'Eglise, « le travail appartient à la
condition originelle de l'homme et précède sa chute ; il n'est
donc ni une punition ni une malédiction. »25
Le repos sabbatique, tout aussi valorisé que le
travail, « est un rempart contre l'asservissement au travail,
volontaire ou imposé, et contre toute forme d'exploitation,
larvée ou évidente. »26 Un verset du livre
de la Genèse affirme : «Au septième jour, Dieu
chôma après tout l'ouvrage qu'il avait
fait.»27 Dans l'Evangile, le Christ affirme : «
Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le
sabbat ! »28 Le jour de repos est aussi « une
fonction libératrice des dégénérescences
anti-sociales du travail humain. »29 Dans la tradition biblique, il y
avait même toute une année sabbatique qui devait permettre
à l'homme de participer à des activités socio-culturelles
et de servir la
21 Jean Paul II, Centesimus annus, n. 31.
22 Ibid.
23 Concile OEcuménique Vatican II,
Constitution pastorale «Gaudium et spes», n. 67, §
2.
24 Michel Falise et Jérôme
Régnier, Economie et foi, Centurion - Ed. Paulines, 1993, p.
59
25 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.256
26 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.258
27 Gn 2, 2.
28 Mc 2, 27.
29 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.258
communauté à sa manière. «
Pendant six ans tu ensemenceras la terre et tu en engrangeras le produit.
Mais la septième année, tu la laisseras en jachère et tu
en abandonneras le produit ; les pauvres de ton peuple le mangeront.
»30
Les autorités publiques n'ont aucun droit de priver les
citoyens de ce jour de repos et de culte divin pour des raisons de
productivité économique. Les employeurs ont le même devoir
envers leur personnel.
Les recommandations de l'Eglise sur le travail sont
intervenues très tôt, à l'ère des
sociétés agricoles. Aujourd'hui la société est
beaucoup plus dynamique et la révolution industrielle a modifié
le paysage. La question ouvrière reste toujours le principal objet du
débat, notamment leur exploitation dans le travail ainsi que ce qu'on
appelle souvent « l'exploitation idéologique
(socialiste/communiste) des justes revendications du monde du travail.
»31 Dans Rerum novarum sont identifiés les
prémisses des droits des travailleurs, de la protection des ouvriers,
notamment des enfants et des femmes, ainsi que la promotion des salaires et la
surveillance de l'hygiène et des conditions de travail.
La question féminine est centrale et nécessaire
dans toutes les dimensions de la vie sociale. Sa promotion commence par
l'accès inconditionné de l'être humain aux formations
initiales et professionnelles. Le travail en entreprise, quel que soit sa
nature, doit être organisé de manière à permettre
à la femme, tout en remplissant les tâches de son emploi, de ne
pas être retenue au « détriment de sa famille dans
laquelle elle a, en tant que mère, un rôle
irremplaçable. »32 L'Eglise note que les conditions
de travail inégales entre différents sexes restent surtout
apparentes au niveau des salaires et des assurances de santé.
Il en est de même pour le travail des enfants.
Léon XIII avait précisé que l'enfant ne doit entrer
à l'usine qu'après avoir suffisamment développé ses
forces physiques, intellectuelles et morales, phénomène qui ne
peut avoir lieu avant un certain âge. Le
30 Ex 23, 10-11.
31 Compendium de la Doctrine Sociale de l 'Eglise,
n.267
32 Jean Paul II, Laborem exercens, n. 19.
travail des enfants peut, sous certaines formes, être
utile à sa famille et à son expérience personnelle, mais
il ne doit en aucun cas prendre la forme d'une exploitation physique dans des
conditions de véritable esclavage. La DSE traite aussi des
problèmes de l'emploi et du chômage de masse, difficilement
compressible de nos jours.
En somme, et au-delà du « business is business
», l'entreprise et le département sont avant tout des
communautés de personnes, et « chaque chrétien est
invité a une double conversion : s'interroger sur ce que signifie pour
lui son travail, et participer par ses engagements à
l'amélioration des structures du travail. »33
II.6 La centralité de la personne
humaine
« La principale richesse de l'homme, c'est l'homme
lui-même. »34 L'économie doit alors se mettre
au service du développement intégral de l'homme, quel
que soit son origine, son sexe, son statut et ses capacités
innées. L'encyclique Mater et Magistra dénonce tout
système ou structure économique et social qui est « de
nature à compromettre la dignité humaine.
»35 La DSE reprend elle-même ce que la Bible
avait déjà proclamé depuis plus de deux millénaires
et que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) a
réveillé dans les esprits des peuples, à savoir que
l'être humain est unique, inimitable, libre. Toute personne
possédant corps et âme est « entièrement
confiée à elle-même, et c'est dans l'unité de
l'âme et du corps qu'elle est le sujet de ses actes moraux.
»36 C'est ainsi que chaque être humain, avec des
caractéristiques spécifiques, a une contribution exclusive
à apporter à son entourage. Il travaillera la matière
d'une manière unique et en remodèlera l'allure selon ses
aspirations, ses dons et ses qualités personnelles. Personne ne peut
nier que cet output « artisanal » a une valeur unique et bien plus
précieuse que celle d'un objet uniformément produit à la
chaîne tel un « frère jumeau ». C'est bien la
visibilité du travail lui-même dans l'objet produit qui
confère à ce dernier toute sa valeur et enrichit son unité
avec l'auteur humain.
33 Michel Falise et Jérôme
Régnier, Economie et foi, Centurion - Ed. Paulines, 1993,
p.63-64
34 L'entreprise au service de qui ?, Les
Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, 2005, p.47
35 Jean XXIII, Mater et Magistra, n.83
36 Jean-Paul II, Veritatis splendor, n.
48.
II.7 La participation
Quand il y a subsidiarité, il y a nécessairement
participation de l'individu à la vie économique, sociale,
politique et culturelle de la communauté à laquelle il
adhère. La participation est un droit mais aussi un devoir envers les
autres, afin qu'ils bénéficient de l'unique apport de chacun pour
l'élaboration et le développement du bien commun. L'exigence de
participation s'étend à tous, et surtout aux plus
défavorisés. C'est un pilier de la démocratie. Et la
démocratie exige aux supérieurs « d'informer,
d'écouter et d'impliquer les sujets dans l'exercice des fonctions qu'ils
remplissent. »37 Le principe de participation
appelle la contribution des membres d'une communauté au
développement du bien-être de tous. La syndicalisation est alors
plus que jamais nécessaire au moment où l'individualisme
règne et où la vie publique est encore écrasée dans
un bon nombre de pays à régime dictatorial.
A l'époque du Rerum novarum, on ne parlait que
de travail et de capital, et même plutôt de labeur et de capital.
C'est bien après que s'est créé le concept d'entreprise
sociale ou de communauté de personnes, et que les travailleurs sont
devenus partie prenante dans la production. Pie XI préconise, dans la
mesure du possible, que « le contrat de travail soit quelque
modifié dans le sens d'un contrat de partenariat
»38 sur lequel se règlera le contrat de travail.
Ceci permettra alors aux travailleurs de participer d'une certaine
manière « à la propriété de l'entreprise,
à sa gestion, et aux profits qu'elle apporte. »39
La participation a surtout gagné en intensité
après la deuxième Guerre Mondiale. On commence à parler de
co-gestion et de co-décision à travers un pouvoir externe que
sont les syndicats. « Le déploiement de l'activité de
chacun ne doit pas être totalement soumis à l'autorité
d'autrui », proclame Pie XII.40 Se préoccuper de ce
qu'on appelle aujourd'hui les ressources humaines, et l'élaboration de
comités d'entreprise, sont des
37 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 190
38 Pie XI, Quadragesimo anno, n 65.
39 Pie XI, Quadragesimo anno, n. 65.
40 Jean-Yves Calvez, L 'Eglise et
l'économie, Ed. L'Harmattan, 1999, p.61
développements beaucoup plus récents. Pie XII
insiste sur le fait que les rapports entre participants soient régis par
une justice distributive, de sorte que chacun puisse recueillir les
bénéfices de l'activité proportionnellement à sa
contribution. Il est certain que la décision finale revient aux «
managers », mais cette décision doit, au préalable, avoir
respecté l'avis de la majorité des travailleurs concernés,
car elle affectera avant tout l'organisation du travail et le
déroulement du système de production modifié.
II.8 La justice sociale
La justice sociale est un principe directeur de la DSE et
s'interpénètre avec le principe de solidarité.
Justice ne veut pas dire égalité
mathématique des revenus ou de traitement des contrats, mais
égalité du traitement de chacun selon ses compétences et
ses aspirations. Il faut tenir compte de la diversité des personnes et
des situations. La justice est purement économique lorsqu'il s'agit de
questions relatives aux salaires ou à d'autres rétributions des
employés, tel que leur « aide par un système
d'assurances publiques ou privées qui les protègent au temps de
la vieillesse, de la maladie ou du chômage. »41 Mais
elle devient sociale lorsqu'elle vise la participation des individus à
la gouvernance de leur communauté de personnes d'une manière
égalitaire mais pas forcément uniforme. Il ne s'agit pas d'une
distribution naïve, mais contributive, dans le sens où tout
individu doit bien mériter sa récompense grâce aux efforts
qu'il dépense de plein gré pour l'expansion de l'activité
de son entreprise. La pensée chrétienne est souvent
assimilée à une version modérée du socialisme.
Pourtant, il est bien dit dans Quadragesimo anno : « On ne
peut être en même temps bon chrétien et vrai
socialiste. »42 La principale nuance entre les deux
idéologies est que la pensée chrétienne a le même
souci social, mais elle renonce « aux actes d'hostilité et
à la haine mutuelle »43 et préconise «
une légitime discussion
41 Pie XI, Divini Redemptoris, n.52.
42 Pie XI, Quadragesimo anno, n.120.
43 Pie XI, Quadragesimo anno, n. 123.
d'intérêt, fondée sur la recherche de la
justice, »44 sans refus catégorique de
l'idée de propriété privée.
II.9 L'importance de la famille pour la
personne
Le tout premier livre de la Bible souligne l'importance du
couple et de la famille pour l'être humain : « Il n'est pas bon
que l'homme soit seul. »45 Eve a été
créée pour le compléter et former avec lui « une
seule chair, »46 et tous deux sont engagés dans la
tâche de la procréation, contribuant au dessein du
Créateur. La famille est ainsi le « lieu premier d'
`humanisation' de la personne et de la société. »47
C'est dans la famille que l'enfant s'éveille sur le
bien et le mal et sur les vices et vertus de la vie dans un cadre puéril
propre. La Compendium de la DSE considère la famille comme le «
prototype de tout ordre social »48 du moment qu'elle
est fondée sur le mariage et sur un amour conjugal pouvant contribuer
dignement à l'expansion et à la diversité de la
société. C'est au sein de la famille que l'enfant acquiert le
sens du prochain, et ce en raison de la gratuité des services
interpersonnels et du partage du bien commun familial. C'est aussi à
travers l'affection naturelle, la disponibilité inconditionnelle et la
bienveillance irremplaçable de la mère pour son foyer, son mari
et ses enfants, que l'enfant prend conscience de sa dignité humaine, de
sa personnalité unique, de sa responsabilité vis-à-vis de
l'entourage, et devient ainsi confiant en ses capacités. Une famille
digne de son nom est alors la première cellule vitale d'une
société saine et préfigure la grande famille humaine.
« Une société à la mesure de la famille est la
meilleure garantie contre toute dérive de type individualiste ou
collectiviste, car en elle la personne est toujours au centre de l'attention en
tant que fin et jamais un moyen. (...) Sans familles fortes dans la communion
et stables dans l'engagement, les peuples
44 Pie XI, Quadragesimo anno, n.123
45 Gn 2, 18.
46 Gn 2, 24.
47 Jean Paul II, Exhortation Apostolique Post-Synodale
Chistifideles laici, n. 40.
48 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 211.
s'affaiblissent. (...) C'est dans la famille (...) que se
transmettent le patrimoine spirituel de la communauté religieuse et le
patrimoine naturel de la nation. »49
La DSE affirme la « priorité de la famille par
rapport à la société et à l 'Etat. »50 Ce
sont ces dernières qui sont au service de la famille, et non le
contraire. En vertu du principe de subsidiarité, l'Etat ne peut
ôter à la famille les tâches qu'elle peut remplir par
elle-même, et doit simultanément lui assurer tout le support
matériel et moral nécessaire à son développement et
à son insertion sociale. Dans maints pays développés,
où la famille n'est plus une option préférentielle, on
assiste à un recul de l'assistance de l'Etat envers la famille en
matière d'éducation et de santé. Il en est de même
pour les politiques d'aide à la famille et à la mère de
famille, qui se retrouve souvent livrée à elle-même pour
jongler entre famille et travail afin de subvenir aux besoins essentiels de son
foyer.
La DSE décrit le mariage comme une «
institution » se fondant sur « la nature même de
l'amour conjugal qui, en tant que don total et exclusif, de personne à
personne, comporte un engagement définitif exprimé par le
consentement réciproque, irrévocable et public.
»51 Il en découle, pour le couple, des rapports mutuels
empreints de justice et du respect des droits et des devoirs
réciproques, et ces valeurs seront transmises aux enfants à
travers l'éducation. Malgré le développement des moeurs
sociales et l'avènement récent de structures conjugales
aberrantes, la famille bi-sexuelle reste l'unique cellule qui mérite le
nom de « micro-société humaine », et la seule capable
de discipliner l'ordre social à la source. Elle constitue aussi le cadre
adéquat pour l'adoption d'enfants démunis ayant perdu leurs
parents naturels prématurément.
La famille est la première école pour l'enfant
et contribue ainsi au bien commun. Elle offre à l'enfant une
éducation intégrale et lui inculque les valeurs fondamentales de
la vie sociale, fonction originale qu'aucune autre instance ne peut assumer.
Toutefois, les parents ne sont pas les seuls éducateurs de leurs
enfants. L'éducation en famille doit être complétée
par une socialisation de l'enfant, qui implique sa mise en interaction avec
49 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 213.
50 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 214.
51 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 215.
l'entourage immédiat dans un premier temps, puis avec
l'ensemble de la société ultérieurement. Pour cela, il est
du devoir des parents de confier leurs enfants aux institutions scolaires et
éducatives appropriées. Les parents ont le droit exclusif de
choisir ces institutions pour leurs enfants conformément à leurs
convictions religieuses et à leurs visions globales. Les pouvoirs
publics ont le devoir de garantir ce droit et d'assurer les conditions
concrètes de son exercice, et doivent orienter leur action politique et
législative en vue de la sauvegarde des valeurs de la famille.
Quel rôle pourrait alors jouer l'entreprise pour la
promotion de la vie familiale et l'éducation des enfants ?
Dans Laborem exercens, Jean-Paul II souligne que la
famille est un « terme de référence
»52 important pour l'organisation du travail de
manière éthique et socialisée, notamment au sein des
entreprises. Le travail est une condition essentielle pour fonder une famille
lorsque sa source de subsistance première est le fruit de ce travail. Le
salaire familial est donc une notion primordiale qui devrait être prise
en compte dans les politiques salariales des entreprises. Ce salaire doit
être en mesure d'assurer de dignes conditions de développement
pour les personnes dans leurs foyers. Il peut se traduire par des allocations
familiales et autres contributions pour les personnes à charge, ainsi
que par des aides à la maternité et à l'éducation
des enfants. Outre le salaire, la flexibilité des horaires est
essentielle afin que chaque parent puisse assumer sa fonction,
irremplaçable, au sein de son foyer. A travers une stratégie de
gestion adéquate des ressources humaines, tout patron doit aider ses
employés à préserver et à améliorer leur
épanouissement familial, principal catalyseur de leur paix
intérieure, de leur créativité et de leur
productivité. De plus, les entreprises se doivent de soutenir les
associations de parents qui se regroupent pour débattre de tout obstacle
économique et social allant à l'encontre de l'harmonie familiale
et de la paix sociale, notamment en ce qui concerne la protection de leurs
enfants contre la délinquance.
52 Jean-Paul II, Laborem exercens, n. 10.
Enfin, et en vue de concrétiser leur vocation à
la charité chrétienne, les entreprises doivent engager une partie
de leurs bénéfices dans l'éducation des enfants de
familles nécessiteuses, et épauler les écoles dans les
moments de crise pour assurer à tous les enfants en bas âge
l'exercice de leur droit fondamental à l'éducation
élémentaire.
* * *
Les principes de la DSE visent à orienter les
comportements des agents économiques et à leur indiquer des
normes de conduite. Ils recommandent de respecter la personne humaine dans son
intégralité, de lui déléguer un maximum de
responsabilités et de valoriser sa contribution au développement
du bien commun à travers sa participation, en toute solidarité
avec les autres, à la réalisation d'objectifs communs, et ce dans
un cadre assurant à tous l'égalité des chances, un salaire
digne de la contribution de chacun et la protection de la vie familiale
à tous les niveaux.
III. Les fondements d'un modèle de
management chrétien
Dans ce qui précède, nous avons mis en
perspective les enseignements de l'Eglise et les interventions et
recommandations du Magistère dans le monde du travail et des affaires
d'une part, et l'éthique « laïque », codifiée en
particulier dans les pays développés indépendamment de
tout confessionnalisme, d'autre part. Dans quelle mesure cette éthique
laïque de plus en plus universelle ressemble-t-elle à ce que
recommande l'Eglise ? Les entreprises à toile de fond chrétienne
révèlent-elles des indices particuliers et communs pour
être repérées dans la société ? De telles
questions s'imposent lorsqu'on tente, entre autres, de dresser le
portrait-robot d'une entreprise chrétienne, en distinguant ses
principaux piliers qui, à la base, sont communs à toutes les
entreprises dans le monde quelle que soit leur toile de fond religieuse, mais
dont la nature et les fonctions sont spécifiques et directement
inspirées des recommandations de la doctrine sociale de l'Eglise ou du
contexte historique de cette dernière. L'ambiance au sein d'une
entreprise est alors d'autant plus saine que ses normes de conduite
reflètent la personnalité du dirigeant, et d'autant plus
chrétienne que le dirigeant l'est dans sa vie professionnelle,
privée, familiale et civique, et qu'il arrive à
réconcilier en permanence fatalité du capitalisme et exigences
sociales.
III.1 - Le leadership chrétien
A l'époque du taylorisme, le chef d'entreprise
était un gestionnaire exerçant son autorité grâce
à son know-how et ses compétences techniques. On avait alors un
modèle de management à chefs sourds et subordonnés muets.
Aujourd'hui, on exige d'un dirigeant qu'il soit doué de qualités
morales qui ne relèvent ni de la science, ni de sa formation
professionnelle. Il doit, certes, savoir gérer des biens
matériels pour les développer, mais aussi gouverner des hommes
pour qu'ils se développent. Le vrai leader représente alors cette
personne « multi-tâches », qui applique les règles de
son entreprise tout en mettant son savoir-faire au service de la
communauté d'hommes dont les exigences sont multiples et dont il a
mérité d'être le tuteur. Un leader efficace est avant
tout celui qui délègue et qui sait gagner la
confiance de ses subordonnés. C'est celui qui conçoit son
organigramme dans une perspective plutôt humaine qu'hiérarchique.
Le leader chrétien est celui qui arrive à être en
même temps exigeant, précis, collaborateur et flexible dans ses
prises de décision. Il sait aussi accepter qu'il ne puisse pas
être omniprésent et qu'il ne puisse que gouverner. De ce fait, il
admet que la consultation d'experts plus versés dans les
stratégies et les processus de production lui soit indispensable pour
ses prises de décision. Il comprend que chaque décision prise par
l'entreprise soit en elle-même le plus sacré des biens communs. Le
concept de l'autorité est très particulier dans la pensée
chrétienne ; c'est une autorité indulgente qui arrive à
incarner dans une même personne la personnalité d'un capitaliste
dirigeant et celle d'un animateur social. Le mot autorité vient du latin
« augere » et signifie augmenter : augmenter les
capacités techniques et humaines, et encadrer un terrain de travail de
plus en plus élargi d'une manière souple et socialement
acceptable tout en faisant régner la discipline sans devoir recourir
à la force.
L'autorité chrétienne n'est pas
l'autorité gendarme comme celle que prône la conception
libérale. Elle est, au contraire, celle qui sait mobiliser les bonheurs
individuels et les mettre au service de la prospérité du bien
commun qui, à son tour, se met au service du bien-être de chacun.
Elle s'insère dans un mode de régulation qui admet un
organigramme désormais « plat » et que l'on retrouve dans
toute entreprise moderne.
L'autorité chrétienne assume trois fonctions
fondamentales, informer, motiver et éduquer. Informer, c'est
orienter les salariés vers les objectifs centraux de l'entreprise, qui
constituent sa raison d'être, et situer la place de chacun ainsi que son
rôle exclusif dans le processus d'ensemble dont dépend le
rendement de l'entreprise. Motiver, c'est coordonner harmonieusement
et avec tolérance l'action des salariés pour aller au-delà
de ce qu'exige la contrepartie salariale à travers leur adhésion
et leur implication dans les risques et profits d'un projet partagé
ayant acquis l'unanimité de ses parties prenantes. Eduquer,
enfin, c'est former, pour des raisons économiques et humaines à
la fois, à l'égalité entre les personnes d'une même
organisation pour que toutes et tous participent activement et de plein
gré aux démarches « qualité » de
l'entreprise.
La qualité de « leadership » n'est pas
forcément inhérente au patron, auquel cas il serait un chef
« charismatique par nature ». Cette qualité peut aussi
s'acquérir par l'expérience.
Le leader doit apprendre à reconnaître ses points
forts, qu'il découvre en concrétisant ses projets, et avoir une
vision d'ensemble réaliste pour tester la compatibilité de ses
idées aux contours bien définis. Il doit être visionnaire,
c'est-à-dire projeter l'avenir de son entreprise, tracer sa trajectoire
souhaitée et mettre à exécution la stratégie
envisagée. Le leader doit avoir le don d'écouter ses
collaborateurs et ne jamais s'auto-proclamer « leader », mais laisser
à la communauté de travail elle-même le soin de le faire en
toute satisfaction grâce à ses mesures judicieuses et à son
engagement entier. Le leader est un sage interlocuteur et un bon
conférencier. Il sait justifier la pérennité de son
entreprise par des bilans transparents qui illustrent la trajectoire et la
raison d'être de sa communauté d'hommes. Dans ses paroles, il
désigne toujours par « nous » au lieu de « je » le
sujet des actions et a le courage d'avouer qu'il est incapable de faire
survivre l'entreprise par son seul commandement. Il sait féliciter ses
collaborateurs pour leur souci d'innover, admet les idées fructueuses et
encourage leur réalisation. Un bon leader est également celui qui
apprend à perdre. Cet échec le confronte à une
série de leçons susceptibles de lui faire éviter les
mêmes erreurs. Il lui donne surtout la force et la volonté,
stimulées par son espérance chrétienne, de se redresser et
de poursuivre la réalisation de sa vocation de vie.
Les théories actuelles du leadership en ont
axiomatisé plusieurs types, dont les principaux sont :
A - Le leader « autoritaire et souverain »,
qui ne confie aucune responsabilité aux subordonnés, jugés
incapables de l'assumer. Le leader dicte exactement ce qui doit être
exécuté, et le dialogue avec les membres de l'entreprise est
inexistant. Ce premier type ne ressemble assurément en rien au
modèle du leader chrétien.
B - Le leader « animateur et bon vendeur »
qui, tout en délégant quelques tâches aux membres du
groupe, estime qu'il doit d'abord les former pour une exécution
professionnelle et efficace et les motiver en permanence par la suite afin de
consolider une confiance en eux-mêmes jugée encore fragile. Ce
second modèle ne semble pas encore assez digne d'un leader
chrétien.
C - Le leader « participant et source de soutien
» qui, ayant des membres capables d'assumer des
responsabilités mais à qui il n'en avait point confié dans
le passé, propose maintenant à ses employés une
collaboration mutuelle au moment où le malentendu et la
désaffection règnent, et ce afin de rétablir sa
renommée personnelle au sein de l'entreprise. Il est clair ici que le
leader aurait dû écarter le risque d'une telle frustration bien
avant. Pour ne pas l'avoir fait, il représente un piètre cas de
figure par rapport à la conception chrétienne.
D - Le leader « délégateur et confiant
» qui se voit tenu en conscience, afin d'assurer la
prospérité de son entreprise, de déléguer des
responsabilités aux membres, légitimement appelés «
collaborateurs ». Ils en sont jugés capables, car ils y ont
été entraînés dès leurs débuts, et le
leader a déjà pris le temps et le recul nécessaires pour
éprouver leurs qualités administratives et leur capacité
d'apporter des idées nouvelles. Pour un tel leader, la
compétitivité de l'entreprise passe forcément par la
motivation des employés et par l'implication de chacun dans la gestion
de l'entreprise. Ce cas de figure serait le portrait idéal du leader
chrétien, qui s'engage dès le départ à bâtir
sa stratégie de gestion sur des piliers humains solides pour que les
incertitudes du marché soient incapables de compromettre la
stabilité de son entreprise.
La formule-clé pour devenir un bon leader est,
contrairement à la tendance actuellement prédominante qui est
braquée sur les qualités de plénitude, de ne jamais cesser
de se perfectionner et de se recycler, de délaisser les pistes
habituelles lorsqu'elles deviennent obsolètes, et d'accepter la
nouveauté si son contexte est favorable. Un leader digne de ce nom doit
être en mesure d'avouer ses échecs et de se lancer en toute
confiance dans de nouvelles directions inexplorées.
III.2 La co-gestion, la délégation
et la subsidiarité
Les trois principes de co-gestion, de délégation
et de subsidiarité se situent dans le droit prolongement du leadership
chrétien et sont interdépendants. De plus, ils s'articulent sur
tous les autres principes constitutifs du modèle de management
chrétien. La co-gestion, actuellement connue dans le vocabulaire
managérial sous le nom de « corporate governance »,
est, entre autres, le résultat d'une authentique culture d'entreprise,
explicitée ci-après, qui se soucie aussi bien des exigences du
marché que des intérêts légitimes du personnel. Pour
pouvoir réaliser une co-gestion harmonieuse, il faut que règne
avant tout « une culture de confiance, »53
où les représentants d'intérêts différents
ont la volonté d'aboutir à un compromis dans « un esprit
de tolérance mutuelle »54 pour atteindre un
objectif valorisant le bien commun.
La co-gestion consiste en une pyramide organisationnelle plate
et en une décentralisation des responsabilités, confiées
aux personnes qualifiées directement concernées. La confrontation
des idées hétérogènes de ces dernières
s'avère alors nécessaire et salutaire pour répondre
à une demande plus exigeante, plus diversifiée et plus
compétitive du marché ainsi que pour satisfaire de nouveaux
besoins, promouvant l'offre de l'entreprise et lui faisant gagner de nouvelles
parts de marché.
La co-gestion est régie par le conseil
d'administration, qui cherche la rentabilité économique, et
contrôlée par le comité d'entreprise, qui prône la
cohésion sociale. Le problème d'absence de co-gestion se pose
dans les petites entreprises du secteur tertiaire ainsi que dans l'industrie
robotisée, à effectif réduit, où le comité
d'entreprise est inexistant. En l'absence d'une co-gestion apte à leur
assurer des emplois de longue durée où ils pourraient, à
terme, en récolter les fruits, les salariés sont moins
syndicalisés et leurs carrières moins protégées. De
plus, la flexibilité du temps de travail ainsi que la
discontinuité des emplois réduisent l'efficacité de la
co-gestion dans ses efforts visant à
53 Recommandations de la Commission Cogestion,
Cogestion et nouvelles cultures d'entreprise, Verlag Bertelsmann
Stiftung, Gütersloh, 1998, p.4
54 Ibid.
réaliser un projet de coopération de durée
plus longue que le contrat de travail des collaborateurs.
La modernisation des stratégies de gestion des
ressources humaines a entraîné des effets contradictoires sur
l'efficacité de la co-gestion. Cette dernière est, d'une part,
défendue pour son rôle prépondérant dans la
croissance continue de l'entreprise, mais elle devient, d'autre part, un
phénomène de plus en plus volatile à l'heure actuelle. En
effet, les décisions concernant une entreprise sont prises à un
niveau de plus en plus décentralisé, de sorte que l'effectif
« effectif » de l'entreprise est en baisse et devient de plus en plus
hétérogène. De plus, cet effectif réduit est
remplacé de plus en plus par des fournisseurs et des sous-traitants, et
les liens entre employeurs et salariés ainsi que les
responsabilités de chaque partie prenante deviennent très mal
délimités. Le corpus humain de l'entreprise est ainsi en
perpétuelle désagrégation et risque d'effriter la
cohésion sociale et la collaboration interne et directe.
Une entreprise à vocation chrétienne est tenue
de s'adapter aux évolutions et normes de l'environnement dans lequel
elle opère, mais elle doit aussi veiller à ce que son union
interne reste maintenue. Pour atteindre cet objectif, elle doit cultiver un
dialogue social régulier et continu, inséré dans sa
culture d'entreprise, pour assurer une unanimité dans la prise des
décisions après consultation de toutes les parties, y compris les
sous-traitants, les fournisseurs, les clients et les co-contractants
d'outre-mer. Le chef d'entreprise se doit d'être un chrétien
éclairé, tout en protégeant les valeurs directrices de sa
foi contre les mauvaises surprises. Pour qu'elles soient valides et efficaces,
la cogestion et la co-responsabilisation des salariés et
non-salariés concernés exigent un partage des
bénéfices résiduels ex-post ainsi qu'une participation
croissante des parties prenantes à la propriété de
l'entreprise. Ceci se répand à l'heure actuelle grâce
à l'actionnariat et à la réduction du nombre d'entreprises
purement familiales ou individuelles. Il est alors dans l'intérêt
des dirigeants de favoriser une image saine de leur culture d'entreprise pour
attirer des actionnaires économiquement fiables et prêts à
s'engager dans une activité entrepreunariale mue par des exigences
humaines.
III.3 La culture d'entreprise
La notion de culture d'entreprise est apparue assez
tardivement. Auparavant, on croyait que l'histoire, les valeurs et les
spécificités de l'entreprise faisaient partie des « secrets
du métier » et qu'il fallait les écarter du terrain de la
concurrence. Mais à partir de 1980, la culture d'entreprise s'affirme
dans le langage du business contemporain et se mondialise.
La culture d'entreprise consiste en un ensemble complexe de
valeurs partagées et de normes de conduite communes à un ensemble
humain collaborant pour la prospérité du bien commun.
Au-delà du fait qu'elle oriente les comportements stratégiques de
l'entreprise, la culture d'entreprise englobe tout son historique, rappelle les
noms et « biographies » de ses fondateurs, ses traditions et ses
rituels liés à son contexte socioculturel, ses symboles et
idéologies, ainsi que tout ce qui fait référence à
son identité particulière (logo, tenue vestimentaire, etc.) et
à sa vocation suprême. Il est évident qu'une entreprise ne
peut pas décider de mettre en place du jour au lendemain une culture
d'entreprise. Cette dernière doit s'enraciner graduellement dans le
temps et prendre forme dans le cadre socio-culturel où elle
s'insère. Les recommandations de cette culture sont codifiées
dans une charte qui est constamment remise à jour à la
lumière des développements importants dans l'entreprise.
La charte comprend des valeurs générales, dont
les résultats sont significatifs à l'échelle nationale et
universelle, des valeurs spécifiques, qui sont directement
inspirées des charismes personnels des fondateurs, et des valeurs
opérationnelles, qui inspirent toutes les stratégies de travail
ainsi que les comportements des individus dès la signature de leur
contrat de collaboration. Dans le langage éthique, on parle aussi de
« modérateurs situationnels »55
spécifiques au climat éthique de l'entreprise. Ces
modérateurs affectent les « modérateurs individuels
»56, façonnés par l'environnement familial et
social de l'employé, pour remettre ses actions sur la bonne voie.
55 Samuel Mercier, L'éthique dans les
entreprises, Ed. La Découverte, 2004, p.39
56 Ibid.
La culture d'entreprise doit guider la manière
d'aborder les problèmes quotidiens de management mais aussi et surtout
les situations de changement radical en passant d'une stratégie à
une autre. La culture d'entreprise doit pénétrer tous les
départements d'une entreprise, en particulier dans les affaires du
personnel et les stratégies et décisions concernant la
destinée des ressources humaines. Elle doit orienter les systèmes
de formation et de promotion, jouant un rôle décisif dans les
politiques centrales de l'entreprise.
On a déjà mentionné le risque de
relâchement de la responsabilité individuelle si elle n'est
qu'accessoire par rapport à la responsabilité collective. Dans le
cadre de la culture d'entreprise, les coutumes et rituels risquent d'estomper,
d'une part, cette responsabilité personnelle s'ils sont trop
envahissants, et de figer, d'autre part, les stratégies d'entreprise
face à des problèmes dont la résolution nécessite
une flexibilité dans les processus ou une souplesse dans la modification
de l'organigramme exécutif.
En tant que chrétiens formant le noyau dur d'une
entreprise, toutes les parties prenantes sont engagées à
respecter leur culture d'entreprise, et ce sont les supérieurs qui sont
les premiers responsables de tout comportement non éthique. En effet,
les jeunes débutants, piliers et facteurs d'espoir pour un avenir
prospère, sont très sensibles au comportement exemplaire de leurs
chefs. A travers des enquêtes menées en 1984 auprès de
mille quatre cents managers, Posner et Schmidt ont montré que les
facteurs qui influencent le plus les comportements des employés sont les
comportements de leurs supérieurs et collègues du même
niveau. Mercier écrit, dans une même veine, que « la
focalisation sur la dimension formelle ne permet de disposer que d'une vision
limitée de l'éthique organisationnelle. L'éthique
informelle qui s'exprime dans les comportements et qui sous-tend les relations
interpersonnelles est bien évidemment déterminante.
»57
La culture d'entreprise est alors d'autant plus inspirée
par la moralité et imprégnée de spiritualité que
les membres d'une entreprise ont reçu une solide éducation
57 Samuel Mercier, « La formalisation de
l'éthique en entreprise, un état des lieux », dans
L'éthique d'entreprise à la croisée des chemins,
J. Lauriol et H. Mesure (dir.), Paris, L'Harmattan, 2003, p.67-87.
religieuse dès leur petite enfance et qu'ils sont en
mesure de résoudre les problèmes dans les délais et
s'adapter de manière réaliste aux mutations des marchés
tout en respectant les injonctions de leur foi et de leur morale sans rester
bloqués par des traditions entravant leur créativité.
III.4 Le dialogue social
Il y a dialogue social lorsque les parties prenantes se
réunissent ensemble de manière régulière pour
débattre des défis et enjeux éventuels de l'entreprise
dans une atmosphère sereine, professionnelle et mutuellement
enrichissante. Un dialogue social nécessite de l'écoute, de
l'attention et une ouverture d'esprit. Le mot dialogue, qui vient de
dia-logos, signifie être traversé par une parole. Son
objectif premier est de favoriser la participation démocratique. Le bon
« dialoguiste » est alors celui qui tient compte du point de vue des
autres pour avancer dans sa réflexion, désormais plus nourrie et
plus riche, devenant ainsi capable de dépasser ses
préjugés personnels. Le dialogue social est le pendant naturel
à la responsabilité croissante qui est désormais
confiée aux salariés. Si on demande à ces derniers de
participer davantage au projet d'entreprise, ils sont en droit de s'attendre
à une palette d'informations plus large et « c'est au dirigeant
de s'assurer que la boucle vertueuse -
écoute/discernement/décision - soit pratiquée à
tous les niveaux. »58 Toutes les parties prenantes sont
engagées dans le dialogue social, et chacun a le droit d'y intervenir
dans la mesure où son statut et son expérience confèrent
à ses avis la crédibilité nécessaire. Cette
dernière est acquise et reconnue grâce à une maîtrise
du terrain de travail, à une connaissance minutieuse des rouages de
l'entreprise et à un flair éprouvé pour l'identification
de solutions adéquates aux problèmes qui peuvent survenir.
Animer un dialogue n'est pas évident, surtout quand il
s'agit d'une nouveauté auparavant inexploitée. De prime abord,
les collaborateurs sont réservés, parfois méfiants. Bon
nombre d'entre eux pourraient n'avoir eu, dans le passé, qu'à
exécuter leurs tâches mécaniquement. Elles n'ont jamais
été reconnues comme des personnes
58 Nicolas de Coignac, « Management et dialogue
social », Revue des EDC, Numéro 20, 2006, p.19
créatives pouvant receler une mine d'idées.
Engager le dialogue et le revivifier en permanence est un enjeu majeur pour
l'animateur chrétien. Dieu a appelé l'homme à la parole et
à la faire partager avec d'autres. L'animateur doit commencer par
insuffler de la confiance aux participants, en leur montrant qu'il
s'intéresse réellement à ce qu'ils peuvent apporter pour
la prospérité de la communauté, mais aussi à leurs
problèmes personnels et familiaux qui déstabilisent leur
dynamisme physique et leur santé morale.
Un dialogue social interne enrichit certes l'entreprise, mais
reste souvent insuffisant. Le dialogue social n'est vraiment crucial, et de ce
fait fructueux, que lorsqu'il tourne autour de principes qui s'étendent
au-delà du cadre de l'entreprise pour toucher des politiques nationales
mettant patrons et organisations ouvrières face à face. Un
dialogue social digne de ce nom doit également prendre en compte les
avis et besoins divers de la clientèle. En outre, et avec la
mondialisation grandissante et l'ouverture des frontières, le dialogue
social revêt un nouvel aspect multinational et pluriculturel qui exige
une tolérance sans précédent vis-à-vis de
religions, coutumes et croyances souvent contradictoires. Comme le rappelle le
Compendium, « la doctrine sociale se caractérise par un
constant appel au dialogue entre tous les croyants des religions du monde, afin
qu'ils sachent rechercher ensemble les formes les plus opportunes de
collaboration. »59 La culture d'une entreprise est donc d'autant plus
riche que l'est le dialogue social en son sein, et ce dernier, pour être
pris au sérieux, doit être encadré par des organisations
patronales et syndicales reconnues sur le territoire.
III.5 L'importance des
syndicats
Selon la pensée chrétienne, la lutte des
syndicats n'est pas une lutte de classes mais « une lutte pour la
justice sociale... [qui] doit être comprise comme un engagement normal
« en vue » du juste bien ... ; elle n'est pas une « lutte contre
» les autres. »60 L'Eglise est « vivement
engagée»61 pour le rôle des syndicats, tout
en précisant les contours de leur action : « Etant avant tout
un instrument de solidarité et de justice, le
59 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.537
60 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.306
61 Jean-Paul II, Laborem exercens, n.8
syndicat ne peut abuser des instruments de lutte ; en
raison de sa vocation, il doit vaincre les tentations du corporatisme ; savoir
s 'auto-réglementer et peser les conséquences de ses choix par
rapport à l'horizon du bien commun. »62 La doctrine
sociale prône donc un syndicalisme de « mutuelle
compréhension, de discussion bienveillante et de pacification
»63 et non un syndicalisme de guerre froide. «
L'erreur capitale, c'est de croire que les deux classes sont
ennemies-nées l'une de l'autre, comme si la nature avait armé les
riches et les pauvres pour qu'ils se combattent mutuellement dans un duel
obstiné. »64
Dans une perspective chrétienne, les syndicats sont les
porte-parole de la paix publique. Ils sont chargés de sensibiliser
régulièrement les acteurs économiques aux exigences
sociales à respecter, et de hausser le ton quand les cols bleus se
sentent étranglés. Ils adressent un discours clair, voire
musclé, aux décideurs de tous niveaux, y compris le niveau
national, influençant ainsi la législation en amont. Toutefois,
l'Eglise recommande aux syndicats de garder une certaine distance
vis-à-vis des partis politiques65 et de ne pas s'impliquer
dans des courants idéologiques, mais surtout de veiller aux droits du
travailleur multiconfessionnel et « multi idéologique » au
coeur de ses préoccupations, et prendre particulièrement soin des
conditions de traitement des contrats, notamment des contrats atypiques en
vogue actuellement à cause des fusions, restructurations et autres
délocalisations d'entreprises qui mettent les employés
irréguliers et « intermittents » en grand danger.
La palette des sujets que les syndicats ont le devoir de
défendre s'élargit de plus en plus avec l'augmentation et la
diversification des responsabilités qu'on demande au personnel. Les
syndicats interviennent évidemment dans les politiques salariales, mais
aussi dans celles touchant à la sécurité sociale, aux
conditions d'hygiène, à la culture nationale, à la
régie des moyens de transports, et à tout ce qui peut
améliorer la vie au travail et même la vie privée de la
population active.
62 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.306
63 Léon XIII, Libertas, n.7
64 Léon XIII, Rerum novarum, n. 15
65 L'inquiétude de l'Eglise de voir les
syndicats se mettre au service de fins politiques particulières est
surtout évoquée dans les encycliques Quadragesimo anno
et Laborem exercens.
L'arme syndicale par excellence a toujours été
la grève, constat douloureux d'un échec du dialogue et d'une
défaillance dans la promotion du rôle réel des
travailleurs. « Les travailleurs devraient se voir assurer le
droit de grève et ne pas subir de sanctions pénales
personnelles pour leur participation à la grève »,
souligne Jean-Paul II dans Laborem exercens tout en ajoutant que
« l'abus de la grève (...) est contraire aux exigences du bien
commun de la société. »66
L'Eglise a évidemment appuyé et parrainé
la fondation de syndicats chrétiens, mais elle conseille
également aux différentes organisations syndicales d'associer
leurs forces quand la démocratie est en jeu. Dans ce cas, Jean XXIII
prône une « action qui s'étend au monde du travail tout
entier où elle diffuse de justes principes de pensée et d'action
et fait sentir l'influence bienfaisante du christianisme.
»67 Il ajoute toutefois qu'un « tel cartel n'est
licite qu'à la condition qu'il se fasse seulement dans certains cas
particuliers, que la cause qu'on veut défendre soit juste, qu'il
s'agisse d'accord temporaire et que l'on prenne toutes les précautions
pour éviter les périls qui peuvent provenir d'un tel
rapprochement. »68 Ces précautions ne doivent en
aucun cas empêcher la solidarité entre travailleurs à
l'échelle mondiale «là où l'exigent la
dégradation sociale du sujet du travail, l'exploitation des travailleurs
et les zones croissantes de misère et même de faim.
»69
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