I.3.d Ethique et responsabilité des
salariés
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les
salariés subordonnés et en situation défavorable par
rapport à leurs dirigeants ne sont pas exclus de la
responsabilité sociale envers les autres. Les obligations entre
collaborateurs d'une même entreprise se font toujours dans les deux sens.
Certaines obligations des salariés sont déjà
mentionnées dans le contrat de travail, donc dès le début
de la relation de travail, tandis que d'autres sont ajoutées au fur et
à mesure selon le profil, le comportement, la famille, la
ponctualité, la présence et l'assiduité du salarié.
L'employeur fixe alors, en plus du règlement intérieur
général, des normes de conduite supplémentaires à
chaque catégorie de parties prenantes pour orienter leurs comportements
avec les autres collègues au sein de l'entreprise ainsi que leurs
rapports avec les acteurs externes.
En interne, un salarié doit respecter son
collègue, notamment son subordonné, et favoriser le dialogue dans
le microgroupe avec lequel il collabore. Il doit éviter toute
discrimination raciale, sexuelle ou religieuse, et faire preuve de
tolérance et d'ouverture d'esprit. Il doit aussi veiller à
l'assurance de l'égalité des chances au niveau des emplois. A un
niveau un peu plus personnel, le salarié est tenu, en ce qui concerne
les tâches qu'il est chargé d'exécuter, de préserver
la confidentialité des informations qu'il traite et de ne pas les
dévoiler à des collègues non concernés, encore
moins à des gens extérieurs à l'entreprise. Il doit
protéger le patrimoine de son entreprise et ne pas le détourner
à des fins personnelles.
En externe, un salarié, dans le cadre de son travail,
ne doit exploiter aucune décision pour son intérêt
personnel au détriment de celui de l'entreprise. Il ne peut
spéculer sur les titres au nom de l'entreprise, et n'a aucun droit
d'utiliser les informations confidentielles de l'entreprise à des fins
privées, ni le nom de cette dernière pour défendre
implicitement une cause en son nom.
D'autre part, un salarié a, envers lui-même et sa
famille, l'obligation sociale de réclamer auprès de son employeur
ses droits de repos et de congés payés afin de jouir d'un
meilleur épanouissement et d'atteindre une meilleure efficacité
dans son travail.
I.3.e Les différentes visions des pays
vis-à-vis de l'éthique
Les pratiques organisationnelles ainsi que la vision
vis-à-vis de l'éthique et de la responsabilité sociale de
l'entreprise varient selon les pays. Geert Hofstede, psychologue
néerlandais spécialisée dans le culturalisme, montre dans
une enquête statistique, publiée en 1980 et menée dans 72
filiales IBM partout dans le monde, que, contrairement aux apparences, aucune
convergence des cultures n'est observée dans le sillage de la
mondialisation, et que cette dernière est donc loin d'être
uniformisante. La culture, la valeur et les moeurs initient les comportements
humains, mais la nature du marché et du commerce peut également
jouer un rôle dans le choix de l'éthique. Dans ce qui suit, nous
exposons brièvement la situation éthique aux Etats-Unis, berceau
de l'éthique des affaires, de la sphère asiatique (Japon et
Chine), de l'Europe et du monde musulman. Dans les trois premiers cas, nous
sommes en présence de territoires économiques et commerciaux
géants, où la main d'oeuvre est sujette à de fortes
contraintes dues aux mutations technologiques.
A) - Business ethics à
l'américaine
Aux Etats-Unis, 90% des grandes entreprises ont
déjà formalisé une politique éthique individuelle.
En 1950, 15 à 30% de ces grandes entreprises possédaient
déjà un code éthique. Actuellement, les Etats-Unis sont le
pays qui regroupe le plus grand nombre de codes éthiques dans le
monde.
Depuis le début des années 1970,
l'éthique est une spécialisation formalisée et
indépendante aux Etats-Unis, et ce après avoir été
bien auparavant partie intégrante dans plusieurs cursus
d'économie et de gestion.
La vision américaine de l'éthique est souvent
jugée utilitariste. Selon cette vision, « Ethics is good business
», c'est-à-dire que l'éthique n'est pas mise au service d'un
idéal qui aille au-delà du profit, mais simplement au service de
la matière et de l'extraction de la plus grande plus-value possible pour
l'image de l'entreprise. L'éthique est conçue
parce qu'elle est nécessaire à la
réussite commerciale de l'entreprise et à sa survie face à
la concurrence internationale, et non parce qu'elle est
considérée comme une exigence morale absolue, au-delà des
considérations matérielles. Les codes éthiques
américains sont très managériaux. Ils consistent
essentiellement à cerner les droits et responsabilités de chacun,
à véhiculer des règles générales de conduite
et à entretenir la loyauté du personnel. Les entreprises
américaines ont souvent eu recours à des codes éthiques
pour responsabiliser juridiquement tout salarié à comportement
douteux, voire illégal, et dont le contrat de travail était, de
ce fait, en risque de résiliation.
En 1977, les Etats-Unis ont formalisé le Foreign
Corrupt Practices Act (FCPA) suite à des affaires illégales
commises par des entreprises américaines à l'étranger.
Cette loi rend les citoyens américains passibles de poursuites
pénales en cas de tout abus envers un fonctionnaire étranger,
leur imposant de fortes amendes et éventuellement des peines de prison.
En conséquence, le FCPA impose aux entreprises un contrôle
éthique interne très serré. Toutefois, cette loi a un
caractère plutôt préventif que rectificatif, ce qui a
permis à un bon nombre d'entreprises, par le seul fait d'avoir fait
preuve de l'existence d'un programme de prévention au moment de leur
implication dans des affaires illicites, d'échapper au versement d'une
grande partie des amendes, jusqu'à 95% dans quelques cas. Cet
état de fait un peu laxiste a motivé les entreprises à
développer leurs propres normes éthiques et à
contrôler leur application avec plus d'exigence. Ainsi, une plus grande
marge de manoeuvre revenait aux dirigeants, qui pouvaient alors manipuler les
termes du contrat du travail selon la gravité de la faute commise.
Là aussi les critiques se sont multipliées, car un pourcentage
élevé de dirigeants avait abusé des possibilités de
la loi pour comprimer le nombre d'employés. D'autres lois ont
été alors promulguées pour légitimer une
surveillance directe des entreprises par le gouvernement américain.
B) - L'éthique communautaire asiatique (Japon et
Chine)
L'éthique des affaires au Japon s'est inspirée
des valeurs traditionnelles issues des principaux courants religieux qui ont
façonné le peuple japonais : le confucianisme, le bouddhisme et
le shintoïsme. Le premier légitime l'existence de la
hiérarchie et des
obligations de dévouement et de loyauté à
cette hiérarchie. Le second, à travers l'enseignement du zen,
considère le travail comme une action sacrée dont la culture
japonaise a pour vocation d'améliorer continuellement les
méthodes, les stratégies et les processus de décision et
d'exécution. Le shintoïsme, quant à lui, met l'accent sur le
primat des rapports interindividuels, sur la réputation, et sur le
regard de la société et des autres. En somme, une éthique
japonaise d'entreprise prône, avant tout, un sentiment d'appartenance au
groupe et une identité sociale de l'employé, et c'est cela qui
inspire le comportement éthique des individus.
Les codes éthiques, formalisés par 40% des
entreprises japonaises, sont peu indicatifs et stratégiques. Ils
comprennent plutôt des préceptes philosophiques véhiculant
des normes de conduite allant au-delà du monde des transactions
matérielles. Ces normes recommandent aux anciens d'apporter aide,
attention et accompagnement aux plus jeunes salariés en vue de
transmettre les valeurs traditionnelles et de les incarner dans les nouveaux
processus de production. Toute entreprise doit avoir comme vocation
première l'intérêt de la collectivité, et exister
pour la nation et son développement. L'abnégation individuelle
est nécessaire pour le bien-être collectif, ce qui explique le
service clientèle tant admiré dans les entreprises japonaises
ainsi que la confiance aveugle entre clients et fournisseurs. Ceci dit, les
plus grands vices éthiques dont souffre le business japonais sont la
discrimination sexuelle, bien loin d'avoir disparu, et l'aliénation des
salariés. La dimension collective du groupe a aussi des incidences
négatives lorsque l'individu se sent personnellement
déresponsabilisé de toute charge qui, à la base, lui
incombe. En bref, l'originalité de l'éthique japonaise
résulte de la combinaison entre les valeurs humaines traditionnelles,
parfois archaïques, et une économie florissante, dynamisée
au niveau international par une production high-tech à la pointe du
progrès. Le Japon est un géant de la production économique
mondiale, mais qui a consenti une place privilégiée à sa
propre éthique (dont par exemple « les cercles de qualité
») inspirée d'une tradition multiséculaire : un
véritable paradoxe qui surprend tout l'Occident.
La Chine, actuellement en expansion encore plus rapide que celle
du Japon, a des valeurs éthiques similaires dans le monde des affaires.
Mais, contrairement aux emplois
japonais plutôt stables, réalisés au
détriment de la dimension individuelle, les entreprises chinoises, qui
sont leaders mondiales, ont un taux de turnover de la main d'oeuvre avoisinant
les 20%, et une bonne gestion de leurs ressources humines se fait en assurant
à chacun une polyvalence dans la formation et l'expérience
professionnelles, engendrant un parcours de travail plus mitigé et des
perspectives de carrières plus prometteuses. Ce qu'exige principalement
un salarié chinois de son entreprise est qu'elle lui assure un plan de
carrière suffisamment valorisateur, avec accès à la
promotion au moment où le marché du travail s'échauffe.
Lui importent aussi la réputation de l'entreprise et l'équilibre
en son sein entre vie professionnelle et vie privée. Tout comme les
entreprises japonaises, les entreprises chinoises se distinguent par leur
maîtrise du commerce international, tout en veillant à ce que la
tradition se perpétue dans les nouveaux processus de gestion, et ce en
vue de souder les équipes et d'assurer une coopération efficace
entre les partenaires de l'entreprise.
C) - L'éthique au sein de la communauté
européenne
L'éthique des affaires en Europe a été
importée des Etats-Unis à travers les filiales américaines
qui se sont implantées en Europe et qui avaient pour mission de
poursuivre les mêmes stratégies éthiques que la
société-mère là où elles opéraient
dans le monde. De ce fait, les pays européens ont tendance à
régler leurs problèmes éthiques à
l'intérieur de leurs noyaux de négociations plutôt qu'au
niveau national et communautaire. L'unification politico-économique n'a
pas encore unifié les traditions. La formalisation de l'éthique a
commencé dans les pays germanophones et les pays nordiques bien avant
les pays du sud de l'Europe. Les allemands ont établi des codes
éthiques par branche professionnelle. En France, l'éthique a
plutôt un cachet philosophique et religieux, et l'inspiration
chrétienne y est prépondérante. L'éthique
française de l'entreprise reste donc axée sur la personne, et
s'applique selon la foi et les convictions de chaque chef d'entreprise. Bien
que près de la moitié des entreprises françaises ont
formalisé des codes éthiques assez universels, elles sont loin de
se ranger sur la tradition américaine. Les pays européens ont
tous un tronc commun : celui de l'héritage chrétien, ce qui rend
les stratégies humaines des affaires assez homogènes et en
atténue les tensions. Cela ne signifie pas pour autant
que la coordination des enseignements éthiques est devenue commune et
évidente entre les membres de l'Union. Les commissions formelles pour
parrainer l'éthique des affaires à l'échelle
européenne se multiplient, mais concrètement les codes
éthiques ne se ressemblent que peu. Il semble bien qu'il existe une
certaine « dépendance du sentier » suivi historiquement et
traditionnellement par chaque nation, et cette spécificité n'a
pas pu être bouleversée jusqu'à présent par la
suppression des barrières et l'ouverture des frontières.
D) - L'éthique dans les pays islamiques
Les principes de base de l'éthique des affaires
conçue par l'islam reposent, à l'instar des visions «
laïques » et chrétiennes, sur la primauté de la
dignité de l'homme au travail, sur le juste salaire, et sur la
protection de l'environnement. Toutefois, on note une grande
hétérogénéité dans les différents
pays islamiques face à la discrimination sexuelle à l'embauche et
aux conditions de travail. La ségrégation des secteurs et des
métiers y est remarquable, notamment en Arabie Saoudite et en
Afghanistan. Malgré cette distinction sexuelle au niveau de
l'éducation et du travail dans les pays appliquant à la lettre
les commandements de la Shari 'a Mouallimat (la loi sacrée
enseignante), le modèle de management islamique s'appuie sur la
responsabilité individuelle et sur la promotion des capacités des
travailleurs. Le travail y est considéré comme une
réalisation de soi. Adhérer à une organisation et
respecter des normes spécifiques forme l'homme et l'oriente sur la bonne
voie divine à travers son autodiscipline, sa patience, sa diligence, sa
gratitude, sa modestie et son abnégation. Il est difficile d'isoler la
religion du monde des affaires dans ces pays. Peu d'études ont
été entreprises sur les spécificités musulmanes
dans la gestion des ressources humaines, mais nous passerons en revue
quelques-unes d'entre-elles : l'Iran (1997), la Malaisie (1995) et les pays du
Moyen-Orient (1980).
En Iran, le manager est un leader qui a la tutelle de ses
subordonnés, notamment des plus jeunes, et auxquels il doit une
formation continue tout au long de leur parcours professionnel. Former la
prochaine génération de managers est sa vocation principale pour
servir sa société. Les femmes sont actives et accèdent
à des niveaux éducatifs
souvent plus élevés que ceux des hommes, selon
les formations et les secteurs d'activité. Les femmes sont très
souvent voilées dans les postes de direction, mais interagissent de
manière très occidentale avec leur entourage et leurs
collaborateurs étrangers quand il s'agit de business au niveau
international.
En Malaisie, la situation est très particulière.
Assez traditionnels, les Malaisiens ont manifestement transposé leurs
coutumes religieuses dans leurs rythmes, horaires et cadres de travail. Si la
personne a une formation initiale en management, elle est recrutée
beaucoup plus aisément si elle a par ailleurs une formation sur les
valeurs de l'Islam. Les Malaisiens sont constamment entraînés
à faire apparaître leur foi et leurs moeurs religieuses dans leur
travail.
Dans les pays arabes du Moyen-Orient, l'organigramme d'une
entreprise à cachet musulman est assez pyramidal. La prise de
décision est restreinte à la personne ou au micro-comité
dirigeant. La consultation des parties prenantes est assez rare. Les fonctions
sont déléguées à des subordonnés, mais le
dialogue social reste assez faible. L'idée de comité d'entreprise
est presque inconnue, et le travail d'équipe est lui-même
très hiérarchisé.
En bref, on peut constater que les moeurs islamiques ne
peuvent aller de pair avec les nouvelles logiques industrielles si elles ne
sont pas « flexibilisées » lors de leur intégration
dans les nouveaux processus de production. L'éthique islamique des
affaires se distingue le plus nettement par sa propre spécificité
au niveau du secteur bancaire. Selon la pensée islamique, les richesses
appartiennent à Dieu, et l'homme a la tutelle de préserver et de
faire fructifier ces richesses pour que le surplus engendré serve la
collectivité et non les intérêts personnels. La
rentabilité du capital par l'entremise des intérêts ainsi
que la spéculation sont donc prohibées. De plus, le dirigeant n'a
pas le droit d'investir ses plus-values dans la production de biens interdits
par la religion, tels que l'alcool, la pornographie et le porc. Un
comité de Shari 'a est chargé de surveiller la
conformité des comportements des dirigeants aux préceptes
islamiques et de contrôler que les bénéfices ne soient pas
colossaux et trop douteux. On enseigne aux débutants en
études financières les Souloukiyat (les
conduites) afin de les orienter sur la bonne voie et la bonne utilisation des
ressources matérielles. Les banques islamiques s'engagent
également dans des oeuvres charitables à travers les caisses de
la Zakat (aumône), et ce en vue de partager une partie des
actifs liquides avec les démunis.
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