I.2.b PIE XII : Allocution au 9ème Congrès
de l'UNIA PAC (Rome, 7 mai 1949)
Dans cette allocution à l'Union Internationale des
Associations Patronales Catholiques (UNIAPAC), Pie XII adresse un message
à tous les patrons du monde. Après
avoir remercié l'audience d'avoir accueilli à
bras ouverts les principes de la doctrine sociale chrétienne, il
précise qu'il leur faut soigneusement circonscrire leur marge de
manoeuvre entre les limites du droit public et leurs aspirations personnelles.
A l'intérieur de cet espace, les patrons doivent rester maîtres de
leurs décisions, tout en évitant le despotisme.
Réaffirmant l'enseignement de son prédécesseur, il
déclare que l'établissement d'un statut de droit public pour
l'économie sociale serait la manière la plus directe pour
établir un ordre économique juste. Il est tout à fait
légitime que les pourvoyeurs de capitaux bénéficient d'une
partie majeure du fruit de l'activité, mais ils sont tenus, en revanche,
de participer plus fortement que leurs subordonnés à la
revitalisation de la santé économique globale en finançant
des activités qui bénéficieraient davantage à la
communauté qu'à leurs intérêts privés. Pie
XII ne nie pas l'importance de la nationalisation des entreprises au cas
où le capitalisme privé menace la santé publique à
travers une aliénation déraisonnable du personnel, mais cette
mesure publique, accommodant provisoirement le privé, ne doit viser que
la création d'un contexte plus favorable pour donner un nouvel essor
à la libre initiative des individus. Une relance vigoureuse et efficace
de l'activité économique implique donc que le concept de la libre
initiative économique soit étendu aux hiérarchies
inférieures afin qu'elles puissent participer plus énergiquement
à fructifier le capital national. Pour un dirigeant, l'enjeu de son
engagement chrétien est la réconciliation entre la
primordialité de ses décisions et l'inaliénable
liberté d'initiative de ses collaborateurs.
I.2.c PIE XII : Allocution au
1er Congrès national italien de la petite
entreprise (Rome, 20 janvier 1956)
Ce congrès a réuni tous les partisans de la
libre entreprise ainsi que ceux qui se félicitent du
développement notable du « micro-tissu industriel »,
essentiellement sur les cinquante dernières années. Selon Pie
XII, la constitution d'une micro-entreprise ne doit nullement être
perçue comme un moyen de recherche d'intérêts purement
privés. Bien au contraire, il souligne que les 70000 entreprises
industrielles italiennes de l'époque (ce nombre a probablement
doublé depuis) ont un potentiel économique considérable,
notamment à travers la main d'oeuvre spécialisée et
polyvalente capable de répondre à une multitude de besoins pour
la société. Cette polyvalence ne va pas de soi. Elle exige
des qualités techniques et humaines du chef
d'entreprise et une collaboration sincère et
délibérée des travailleurs avec la direction,
collaboration d'autant plus directe que le nombre de participants est
restreint. De plus, le nombre limité de chefs assistants à
fonctions diverses responsabilise davantage les cadres d'entreprise et permet
d'éclore plus facilement leurs qualités intellectuelles et
techniques ainsi que leur générosité et leur esprit
d'ouverture et de patience pour gérer simultanément tous les
détails problématiques dans l'entreprise. Leur capacité de
réussir la gérance de l'entreprise dépendra avant tout de
leur aspiration intense au vrai progrès social et de l'absence en eux de
tout éventuel caprice personnel pouvant entraver les conditions de vie
des travailleurs. A partir du moment où ces derniers remarquent la
priorité de l'intérêt collectif sur celui du pouvoir
personnel, leur sentiment d'aliénation disparaîtra et, confiants
en leur patron et en ses aspirations saines envers leurs carrières et
leurs familles, ils deviendront plus volontaires, mobilisateurs, preneurs
d'initiative et générateurs d'idées nouvelles. Ils seront
prêts à investir leurs efforts et leurs compétences dans
une communauté constructive qui donne sens à leur activité
et qui s'engage dans une mission de développement sur le double plan des
produits matériels et des capacités humaines.
I.2.d Pie XII : Lettre à la
43ème Semaine Sociale de France sur les exigences
humaines de l'expansion économique (Marseille, 17-22 juillet 1956)
« La productivité n'est pas une fin en
soi », dit Pie XII dans cette lettre. La classe laborieuse doit
être bénéficiaire du différentiel de gain qu'elle
engendre. La machine a certes réduit le temps de travail, mais ce gain
de temps devrait se traduire par un gain de capacité à participer
davantage à l'expansion économique et au développement
culturel et social de la nation. Dieu a invité l'homme à
exploiter son univers et les richesses que la terre lui a offertes. La science
n'a pas manqué de respecter cette mission dans la mesure où elle
a servi la réalisation du mieux-être des peuples et estimé
que l'intelligence de l'homme va bien au-delà de celle de la machine. Le
bon progrès technique est donc celui qui est apte à mobiliser des
sommes colossales pour investir dans la recherche scientifique et la formation
des individus afin de les initier aux compétences industrielles
requises. L'Eglise se doit alors de rappeler, notamment aux pays
industrialisés, que tout progrès économique est invalide
et dévastateur s'il mène la classe ouvrière et leurs
familles à la misère et dans la rue, car la
décadence de la santé sociale ne tarderait pas à
réabsorber toutes les richesses que la science s'est appliquée
à engendrer.
I.2.e Paul VI : Lettre aux Assises Nationales du
CFPC sur le chef d'entreprise et l'avenir de la société
industrielle (Lille, 27 avril 1970)
« Ne craignez pas l'interpellation de l 'Evangile au
coeur de vos soucis », conseille Paul VI dans cette lettre aux
assises nationales du CFPC. Le Saint-Père a tenu à soutenir les
chefs d'entreprise dans les périodes industrielles difficiles en leur
rappelant que seul leur foi chrétienne a pu et pourra les
éclairer sur la bonne décision à prendre au carrefour des
exigences techniques, financières et humaines d'une entreprise. Le
souffle humain doit traverser les fonctions et modes de gestion de toute
entreprise. On comprend pourquoi Paul VI insiste sur le primat du dialogue
social et de la coopération. La capacité d'un chef d'entreprise
à développer des relations contractuelles avec ses
employés est une innovation en elle-même et un progrès dont
le fruit servira à tous. La collaboration et la délégation
des tâches enrichira l'avenir mais relâchera aussi les anciennes
tensions professionnelles. Pour réaliser tout cela, Paul VI conseille
aux chefs d'entreprise de veiller avec bienveillance au bon déroulement
des contacts humains dans leurs sociétés et d'ouvrir le dialogue
social à d'autres entités économiques pour accroître
les possibilités de partage au sein de la communauté et
progresser dans la réalisation du mieux-être de tous, du plus haut
cadre au plus petit ouvrier.
I.2.f Jean-Paul II : Discours lors de sa rencontre
avec le monde du travail (Barcelone, 7 novembre 1982)
« L'entreprise est pour l'homme et non l'homme pour
l'entreprise », proclame le Pape Jean-Paul II dans ce discours,
prolongeant ainsi une autre affirmation capitale de l'encyclique Laborem
exercens : « Il faut souligner et mettre en relief le primat de
l'homme dans le processus de production, le primat de l'homme par rapport
aux choses. Tout ce qui est contenu dans le concept de «capital»,
au sens restreint du terme, est seulement un ensemble de choses. Comme sujet du
travail, et quel que soit le travail qu'il
accomplit, l'homme, et lui seul, est une personne. Cette
vérité contient en elle-même des conséquences
importantes et décisives. »9
Face aux difficultés économiques actuelles qui
s'étendent à tous les secteurs de l'économie mondiale, les
patrons sont appelés à poursuivre leur mission, à
embaucher, à prendre des risques, et encouragés à inviter
leurs subordonnés à prendre ces risques avec eux et à
supporter la charge de toutes ces avancées, quitte à en partager
proportionnellement les bénéfices. Il ne faut surtout pas que le
chef renie tout ce qu'il a déjà accompli quand «ça va
mal » pour aller se blottir dans une fonction comportant moins
d'engagements. S'il le faisait, il ne pourrait plus rien offrir au
développement du bien commun et abandonnerait ainsi sa vocation
suprême, celle d'innover et d'investir pour ouvrir de nouvelles
possibilités de travail et éloigner le spectre du chômage
de masse et de la misère. Il faut que la communauté de vie que
l'entrepreneur a bâtie soit constamment promue en vue du perfectionnement
du personnel, condition indispensable pour une production efficace et
profitable. C'est en ces moments de crise que le patron sera
éclairé par sa foi chrétienne sur le fait qu'il ne doit
point abandonner les plus démunis de ses employés, notamment les
immigrés. C'est alors qu'il doit se rappeler que le « capital
doit être au service du travail et non le travail au service du capital
».10 Jean- Paul II fait entre autres appel à la
solidarité constructive de la communauté espagnole afin que le
chômage ne soit jamais un sort inéluctable, mais un défi
que la société est toujours tenue de relever, sans jamais y
succomber.
I.2.g Jean-Paul II : Discours aux ouvriers et
dirigeants de l'usine Lancia - Auto (Chivasso, 19 mars 1990)
Jean-Paul II a personnellement visité les secteurs de
cette usine et observé comment le progrès technique a
affecté l'organisation du travail. Il est certain, observe-t- il, que la
technique et l'automatisation du circuit productif sont des alliées de
l'homme et qu'elles lui facilitent le travail en le perfectionnant et en
l'augmentant, mais elles ne doivent en aucun cas restreindre le champ de
l'organisation du travail. Il faut une
9 Jean Paul II, Laborem exercens, n. 12.
10 Jean Paul II, Laborem exercens, n. 23.
solidarité absolue à l'intérieur de
l'entreprise pour que tous les membres supportent de manière
égale les séquelles de la restructuration. La défense de
la dignité humaine doit être assumée par une voix syndicale
tenace qui limite l'élimination des postes de travail ou promeut leur
augmentation. Jean-Paul II affirme aussi que la société Lancia
s'est étendue au marché international grâce à sa
demande extérieure, et qu'elle se doit donc de réserver une place
non seulement aux travailleurs italiens mais à la main d'oeuvre
immigrée qui a tant contribué au rayonnement de l'industrie
italienne.
I.2.h Benoît XVI : Discours aux membres de
l'Union chrétienne des chefs d'entreprises (UCID) (Rome, 4 mars 2006)
Dans ce discours, Benoît XVI s'adresse aux chefs
d'entreprises de l'UCID, les félicitant de s'être orientés
« vers une éthique qui aille au-delà de la simple
déontologie professionnelle ». Les chefs d'entreprise sont
également complimentés pour leur esprit de justice guidé
par l'amour et s'élevant jusqu'à la charité et la
gratuité, ce qui révèle leur vrai « engagement
social chrétien ». Leur participation efficace à la vie
sociale par l'entremise de leurs apports personnels les détache de la
matière et donne à leur organisation une
crédibilité sociale particulière. Benoît XVI incite
les chefs d'entreprise à se ressourcer régulièrement dans
le Compendium de la Doctrine sociale de l'Eglise pour se faire éclairer
dans leurs parcours professionnels. Leur « solide inspiration
sociale » doit être constamment « nourrie et
renouvelée ». La DSE est un « point de
référence » pour la recherche de solutions
inhérentes au monde du travail dont ils ont la charge. Le
Saint-Père n'a pas oublié de saluer l'UCID pour sa « Charte
des valeurs », pour les jeunes de l'UCID, pour son engagement pratique
attesté par des actions sur le terrain et surtout pour l'importance
qu'elle reconnaît à la famille, cellule vitale d'une
société harmonieuse.
I.2.i Benoît XVI : Discours aux dirigeants
des associations chrétiennes des travailleurs italiens (ACLI) (Rome, 27
janvier 2006)
Ce discours est adressé à l'occasion du
60ème anniversaire de l'ACLI, fondée par le Pape Pie
XII en 1945 à la Saint Joseph, patron dont le pape se sert comme
symbole
pour introduire l'idée d'humaniser le monde du travail
en cette ère économique actuelle très complexe, en
perpétuelle mutation et trop souvent en rupture avec la conscience
humaine. Il rappelle aux membres de l'ACLI les « consignes » de base
qu'ils se sont engagés à respecter depuis la création de
leur association : la dignité du travail et l'importance du repos, la
priorité du travail sur le capital, la charité chrétienne,
la priorité de l'être sur l'avoir. Le pape invite également
l'audience à se servir de la technologie pour améliorer
l'existence humaine et non pour la ruiner irréversiblement, à
utiliser la justice au service de la démocratie, à respecter le
partage du bien commun en sauvegardant les droits des plus démunis,
à être activement présents dans la vie sociale et à
y « élargir les frontières de leur action sociale
».
* * *
De 1891 jusqu'à nos jours, les papes n'ont jamais
cessé de porter la plus grande attention à la mutation des
marchés. Léon XIII a commencé par la question
ouvrière, soulignant les devoirs de l'Etat et du capital envers les
travailleurs. Pie XI a ensuite ouvert le débat sur le salaire, qui doit
aller bien au-delà du salaire de subsistance. Jean- Paul II, quant
à lui, a dès l'apparition du chômage de masse
insisté sur l'importance de la conversion des profits en nouveaux
emplois, surtout au moment où la mondialisation a multiplié le
nombre d'employeurs. Dans Sollicitudo rei socialis, il prône la
solidarité entre les peuples, l'importance de leur diversité et
le respect de la créativité individuelle. Dans Centesimus
annus, il affirme qu'il faut responsabiliser les personnes tout en les
protégeant par un cadre juridique afin de stimuler l'initiative
privée. Il faut aussi instituer un ordre social qui co-responsabilise
les gens envers le bien commun de manière à préserver la
famille et l'environnement. Dans ses premières interventions,
Benoît XVI enseigne aux patrons la charité et exige que la
technologie soit au service de l'homme et non la cause de son
aliénation.
I.3 L'éthique d'entreprise
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