La difficile percée d'une modèle alternatif dans les rapports Nord-Sud: Le cas de Songha( Télécharger le fichier original )par Sophie Lavigne Université du Québec à Montréal - Maîtrise 2005 |
CHAPITRE ILE MODÈLE DOMINANT ET LES NOUVEAUX MODÈLES DE DÉVELOPPEMENTL'amalgame et les confusions dans les discours et les théories du développement et de la coopération n'aident pas à la compréhension des rapports Nord-Sud. Gabas nous faisait part dans son ouvrage Nord-Sud : l'impossible coopération (2002), que le « faire ensemble » et le partage qui en résulte seraient les principaux éléments d'une coopération au sens réel du terme ; et encore plus, la coopération consisterait à « créer une dépendance réciproque », une dépendance qui serait organisée pour « mieux vivre ensemble ». Ce « mieux vivre ensemble » s'effectuerait à l'aide du dialogue, de la négociation et du partage des ressources. Pour mieux cerner les bases philosophiques des modèles actuels qui sont utilisés dans les rapports Nord-Sud, il est pertinent de faire un bref rappel du contexte historique dans lequel ces modèles se sont mis en place.
1.1 Naissance et évolution des modèles de développementAprès la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont élaboré le plan Marshall pour reconstruire l'Europe, et parallèlement, les Nations Unies ont développé toute une pensée sur l'aide aux pays sous-développés. Ce qui sera retenu dans le travail de théorisation du processus de développement des Nations Unies sera la partie économique et le rôle primordial des bailleurs de fonds. Ce modèle de développement, dit libéral et associé aux travaux de l'économiste américain W. W. Rostow, s'appuie sur le postulat que les pays sous-développés sont « en retard » par rapport aux « pays avancés » qui eux, ont une trajectoire et une transformation sociale croissantes. La logique marchande, l'accumulation du capital et l'industrialisation n'ont pas encore eu lieu historiquement dans les pays dits « en retard » et n'ont donc pas permis l'enrichissement de ceux-ci. Ce qui sous-entend que les pays sous-développés doivent obligatoirement emprunter ce trajet pour enclencher leur développement. 1.1.1 Le modèle dominantLe modèle de développement libéral qui a été mis en place et favorisé par les institutions de Bretton Woods est un modèle qui s'inscrit dans une logique capitaliste où l'urbanisation, l'industrialisation et l'économie de marché sont les moteurs actifs du développement. Cependant, ce capitalisme industriel et urbain s'est construit non seulement sur des échanges commerciaux et technologiques, mais aussi sur la conquête armée de marchés, sur la colonisation ainsi que sur la destruction environnementale (Fall, Favreau, Larose. 2004, p.13). Nul besoin d'ajouter que ce modèle de développement a connu des ratés puisque l'urbanisation des pays sous-développés ne s'est pas accompagnée d'une industrialisation. Une des erreurs dans l'entreprise du développement des pays du Sud est d'avoir utilisé le plan Marshall, plan qui avait été conçu pour reconstruire une Europe déjà industrialisée. Les rapports de pouvoir sont donc restés verticaux, les pays dits développés décidaient des plans de développement et des fonds à octroyer aux pays non développés. Même après la décolonisation le rapport est resté le même, car les gouvernements mis en place étaient souvent soutenus par le pays colonisateur. Mieux, la corruption et le détournement de fonds des programmes de développement étaient devenus pratique courante au vue et au su des bailleurs de fonds, l'aide étant plutôt une alliance entre les États. Au cours des années 1960-1970, une multitude d'évaluations critiques se sont faites. Entre autres, les travaux de Simon Kuznets 1(*)démontraient que la croissance du PIB d'un pays en développement s'accompagnait toujours d'une aggravation des inégalités sociales. De ces travaux découle l'idée de la satisfaction des besoins fondamentaux par des programmes ciblés (développement par projet) plutôt que l'attente des retombées de la croissance qui financeraient les services publics. En 1975 les travaux de Bernard Lecomte pour le Centre de développement de l'OCDE faisaient la critique du développement par projet en en soulevant les problèmes de continuation et de financement. C'est ce dernier qui renforcera l'idée que le développement sectoriel est plus efficace, et influencera les années 80, années où une rupture marque l'histoire de l'aide internationale : la plupart des pays en développement sont dans une crise financière, les modèles fordiste et providentialiste, de régulation de l'économie, ont atteint leurs limites. C'est à ce moment que le Nord met un terme à ses investissements au Sud , c'est maintenant l'ère du rééquilibrage des finances publiques par les programmes d'ajustement structurel qui seront mis en place par le « consensus de Washington ». Ce consensus qui s'est cristallisé dans les années 1980 et dont l'expression fut utilisée pour la première fois par l'économiste John Williamson, fait référence à un jeu d'idées politiques au sein du Trésor américain, de la Réserve fédérale, du FMI et de la Banque Mondiale qui favorisait des politiques de commerce et d'investissement orientées vers l'extérieur avec une inflation basse, des budgets équilibrés, des taux de change bas, la privatisation, la déréglementation et une protection accrue de la propriété privée (Sogge, 2003). Plus que jamais le Nord impose au Sud des politiques de privatisation, de libéralisation et de déréglementation et favorise l'aide par programme (sectoriel) plutôt que celle par projet (local). L'aide par programme qui favorise des politiques d'État, devait agir sur l'ensemble de la société en augmentant le Produit national brut (PNB). Pourtant, les projets locaux qui agissent au coeur des communautés et favorisent l'Indice de Développement Humain (IDH), parce qu'ils sont plus adaptés aux réalités des communautés, répondent de façon plus pragmatique aux besoins. Cela étant dit, ce sont ceux qui mettent de l'avant les mesures de développement, qu'elles soient sectorielles, par programme ou par projet, qui tablent sur un des indicateurs de développement plutôt que sur l'autre tout dépendamment de l'approche dans laquelle il se situe. Cependant, un autre modèle de développement s'oppose au modèle dominant libéral, c'est le modèle « dépendantiste » marxiste. Ce modèle dénonçait les rapports inégaux entre les États du Nord et du Sud tels que le colonialisme, les échanges marchands irréguliers, l'endettement du Sud face au Nord ainsi que le développement des couches dirigeantes du Sud s'acoquinant avec les dirigeants du nord au détriment de leurs populations. Ce sont les théories de Samir Amin « centre-périphérie » où le Sud « périphérie » est dépendant du Nord « centre » à la fois d'un point de vue commercial, technologique et financier. Pourtant, le modèle « dépendantiste » s'effondre avec la chute du mur de Berlin et du « bloc socialiste », et c'est avec la montée des droits de l'homme que le modèle d'aide humanitaire prendra le pas sur les l'ensemble des modèles (Fall, Favreau, Larose, 2004, p.15). Pourtant, ce sont les théories inspirées du modèle « dépendantiste » qui avaient diagnostiqué de façon juste les effets pervers du modèle libéral, modèle qui aujourd'hui encore, gouverne les relations Nord-Sud. À l'heure de la mondialisation, le développement doit être pris en compte au niveau local, national et insérer dans ses modèles la reconstruction des États sociaux. De plus, la constitution de nouveaux modes de gouvernance mondiale, de dispositifs de régulation économique et politique, sont au coeur du développement tout comme la mobilisation des ressources à l'intérieur des sociétés (Fall, Favreau, Larose, 2004, p.16). Le besoin pressant de nouveaux modèles de développement se fait sentir partout et la solidarité, qui s'incarne au plan international dans l'altermondialisme, est en train de remanier les façons de faire du développement. * 1 http://psteger.free.fr/kuznets.htm, consulté entre le 20/10/2003 et le 20/04/2004 |
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