5.2 La troisième
voie
La mission de Songhaï s'inscrit dans un modèle de
développement particulier qui se formule comme suit dans sa
charte :
Songhaï est une organisation destinée à
créer un vivier socio-économique viable et son action porte sur
le développement des capacités intérieures de l'Homme dans
toutes ses dimensions culturelle, sociale, technique, organisationnelle,
économique... pour que chacun retrouve une identité culturelle
propre, afin de devenir acteur à part entière. Le
développement de l'entrepreneuriat basé sur l'agriculture, en
relation étroite avec un développement plus large touchant
l'Industrie et le Commerce (Charte de Songhaï).
La mission de Songhaï parvient à se mettre en
pratique d'après une définition du développement qui passe
elle-même par un processus de prise en main que le fondateur exprime par
le développement de la « troisième voie ».
Troisième voie, c'est notre voie. Elle commence
à même un terrain que tu maîtrises avec la
préoccupation de la population, mais sans fermer la fenêtre
à des gens comme vous, des collaborateurs du Nord que l'on fait venir
pour apporter la technique parce qu'il y a plusieurs paramètres. Mais
cela doit se refaire à la seule condition que sur le terrain, les gens,
les Africains soient déjà dans une logique de promotion... sinon
ce serait l'érosion. Si la communauté n'est pas dans une logique
de vision, de promotion, elle ne sera pas en marche et tous les apports
extérieurs ne serviront à rien. Moi je sais ça
(Entrevue Nzamujo, 2004).
La «troisième voie» dont Nzamujo nous parle
s'inscrit dans le modèle de solidarité internationale où
l'organisation des localités et la mise en place de structures
communautaires et coopératives se font à même les
collectivités et de leurs propres initiatives, avec l'aide de
partenariats au Nord et au Sud. (Favreau, Larose et Fall, 2004, p. 17).
Toutefois, la « troisième voie » de Songhaï
emprunte aussi au modèle de coopération internationale en faisant
appel aux expertises des professionnels du Nord afin de développer une
technologie adaptée aux conditions et aux besoins des
communautés. De plus, la « troisième voie »
ne ferme pas la porte au réseau sectoriel gouvernemental, elle s'en
accommode, car tous les appuis sont bons s'ils servent la cause de
Songhaï.
On retrouve dans la charte de Songhaï cette même
idée de « troisième voie » ou le
modèle de développement solidaire :
SONGHAÏ valorise toutes les ressources en:
· puisant dans l'héritage culturel et de
l'Afrique
· empruntant au monde occidental ses
ressources
· combinant les deux pour inventer de nouvelles
valeurs convenant à l'Afrique
· en développant une vision de l'avenir et en
renforçant ses propres capacités pour générer des
ressources à articuler avec le reste du monde, pour être
connecté à la force productrice mondiale (Charte de
Songhaï).
La « troisième voie», celle
favorisée par le mouvement Songhaï représente à la
fois une définition unique de la façon de faire du
développement et la « philosophie » de Songhaï,
son modèle de développement. C'est donc le point central de ce
projet et il se définit sous plusieurs aspects. À
l'intérieur même de Songhaï, il s'apparente au processus
d'empowerment, d'entrepreneuriat, de
réseautage et d'absorption sélective. L'absorption
sélective serait de faire un tri, de sélectionner des techniques
ou des programmes qui répondent aux besoins de l'Afrique et dans ce cas,
au projet Songhaï, aux fermiers et aux populations qui sont dans un
processus d'autopromotion. On prend ce qui est à l'extérieur et
on le transforme pour qu'il soit adapté aux réalités
locales.
La durabilité consiste en une communauté
déjà en marche et qui a une capacité d'absorption
sélective. C'est-à-dire, absorber à l'extérieur,
mais sélectivement. Absorber des idées, mais sélectivement
en fonction des programmes. Ça c'est important et c'est crucial... Donc,
voilà ce que nous faisons, Songhaï fait ce qu'on appelle la
troisième voie, la voie où tout le monde se rencontre sur un
nouveau terrain, qui n'est ni l'Europe, ni l'Amérique, mais plutôt
un terrain des Africains qui cherchent une nouvelle vie. Un terrain basé
sur les réalités africaines ( Entrevue Nzamujo, 2004).
La « troisième voie » s'oppose
à d'autres voies dont se distingue Songhaï.
Beaucoup de gens fréquentent et savent tout ce que
les bailleurs de fonds, font en aval... tout est bien, on n'est rien, c'est
vous, on va vous suivre sur vos projets. Donc, on n'a plus de repères
nous même. J'appelle ça de la politique de pâturage.
Pâturage comme des moutons... On va pâturer c'est le
propriétaire de moutons qui dit : « Va pâturer
là-bas ». C'est le pâturage du projet de cyber, du
projet de femmes, du projet contre la pauvreté. On court après
les projets pour avoir de l'argent. C'est ça qui est le plus fort et qui
me dérange. Projet sectoriel Voilà (Entrevue Nzamujo,
2004)!
Cette autre définition du développement
contribue à dresser le portrait de Songhaï, à nous faire
saisir son modèle de développement et sa perception du
développement. Songhaï se démarque par sa volonté de
faire du développement à partir des besoins de ses populations.
Lors de notre discussion avec le chercheur M. Dalohoun, il en est ressorti un
exemple. Des organismes, comme OXFAM-Québec, demandent d'intégrer
les femmes aux différents projets et Songhaï avait par le
passé sélectionné plusieurs femmes pour la formation
agricole. Malheureusement, ces femmes abandonnaient les cours après
quelques semaines. Elles n'étaient pas intéressées
à travailler aux champs ou à élever des animaux pour
différentes raisons. Songhaï, suite à cette
expérience, a introduit la transformation des aliments (biscuits, jus,
confitures...) ce qui répondait plus adéquatement aux aspirations
et aux réalités des femmes.
Les gens à la formation une année ils ont
fait ça... c'est comme s'ils allaient dans les campagnes et dire aux
filles venez, venez... et ils ne prennent pas en compte qu'une femme qui fait
la formation, si elle ne trouve pas un mari agriculteur ou fermier comme elle,
eh bien, après sa formation elle n'exercera pas. Il y a aussi ça,
parce qu'après, si elle prend un mari qui est un agent de l'état
un fonctionnaire, il va vivre en ville. Et le mari lui dit :
« Tu veux faire ça ou tu me suis ». Donc, toutes les
femmes, si elles n'épousent pas un fermier elles n'exercent pas, sauf un
ou deux cas exceptionnels. Par ailleurs, il n'y a pas que le travail de la
houe, il y a la transformation. Donc, Songhaï a dit pour cela nous allons
vous orienter sauf si vous ne voulez pas, vers la transformation, car en ville
vous pouvez faire la transformation. Ainsi, bien que les femmes doivent
recevoir la formation de base, elles peuvent s'orienter dans la transformation,
la fabrication des biscuits, des jus, et ainsi de suite (Entrevue
Daniel Dalohoun, 2004).
Aujourd'hui les femmes sont plus nombreuses à
Songhaï, que ce soit pour la transformation des produits, la restauration
ou les télécommunications. Elles trouvent leurs places, mais
elles ne représentent pas encore la moitié des
élèves du Centre. Songhaï s'est associé au Projet de
Promotion des Activités Économiques des Femmes dans le
Département de l'Ouémé (PAEFO), un projet pilote
initié par le gouvernement de la République du Bénin avec
le soutien financier du Fonds africain de Développement. Songhaï
participe donc à un projet sectoriel qui s'inscrit dans les politiques
gouvernementales du Bénin et fait partie d'un plan de réduction
de la pauvreté. Songhaï s'ajuste ainsi aux réalités
de la coopération internationale ainsi qu'à celles des femmes et
intègre différentes façons de les aider, en utilisant tous
les leviers de financement et de réseautage existant. C'est un
exemple concret d'absorption sélective qui prend les ressources
là où elles sont, tout en les adaptant aux besoins.
D'une durée de trois mois pour les filles et d'un
mois pour les femmes adultes en régime d'internat, cette formation,
sanctionnée par une attestation de fin de formation, s'est tenue au
Centre Songhaï dans la période allant d'avril 2001 à janvier
2002. Elle a permis de former 220 femmes et filles dont 45 jeunes filles et 175
dames dans les domaines de l'artisanat (Élevage de poulets locaux, de
poules pondeuses, de dindons, de canards et d'escargots,) de la transformation
agro-industrielle (pâtisserie, transformation de manioc en gari,
transformation de noix de palme en huile, fabrication de sirop, de jus de
fruits, de yaourt, de lait à base de soja, de confiture de fruits et
bien d'autres boissons (L'Aigle de Songhaï, femmes, 2002, no 49).
La situation des femmes et des jeunes
déscolarisés est précaire, car ces personnes
représentent une grande portion de la population, souvent en situation
de pauvreté. Le Centre, que ce soit par les projets de transformation
agro-industrielle ou par une formation « sur le tas »
adaptée aux jeunes, veut permettre à ces personnes non seulement
d'améliorer leur situation, mais aussi de participer à la
revitalisation de leur société et économie. Ce que vise
Songhaï est la prise en main de la population, l'empowerment
individuel et collectif est un facteur qui participe au déploiement du
mouvement.
5.2.1 Le rôle de
l'empowerment dans la «troisième voie»
Pour Nzamujo, le Fondateur de Songhaï, la population doit
s'approprier son travail, son milieu et ses façons de faire. Le
développement vient de l'intérieur et il va chercher à
l'extérieur, de façon sélective, les techniques et les
savoir-faire qui sont adéquats aux milieux et aux réalités
des populations.
Donc, il faut que la population s'approprie... D'abord, il
faut qu'elle commence à bouger et à voir qu'elle peut rencontrer
des limites, limites techniques, limites organisationnelles, et là, la
population fait un appel. Mais, elle fait ce qu'on appelle une absorption
sélective (Entrevue Nzamujo, 2004).
Un article de L'Aigle de Songhaï va dans le
même sens et démontre qu'il y a une réflexion sur le sujet,
que le processus d'appropriation passe par un regard sur soi afin de
transformer sa réalité.
Cette phase se traduit aussi par un mode de gestion, assez
spécifique et original, érigé en règle d'or :
« l'empowerment » (qui se traduit si mal en français
« monté en capacité humaine »), qui met un
accent beaucoup plus sur la responsabilisation, le sens du devoir, la culture
du travail bien fait, la rigueur dans la discipline et l'épanouissement
de tous. Cela a permis de créer un vivier de volontaires,
déterminés à dépasser les contraintes sociales afin
de les transformer en ressources pour apporter une solution à
l'amélioration progressive des conditions de vie. C'est ce cadre
normalement non institutionnel qui est à la base de la dynamique interne
du système Songhaï (L'Aigle de Songhaï, administration,
2000, no 40-41).
Les bailleurs de fonds rejoignent la définition du
concept d'empowerment de Songhaï et appuient la démarche.
L'approche principale d'OXFAM-Québec dans le développement
international est d'accroître l'empowerment des individus et des
collectivités afin que le développement des communautés ou
des localités soit durable.
Dans la promotion du droit à la dignité
humaine à l'époque de la mondialisation, notre approche est
centrée sur l'« empowerment » des gens qui vivent
dans la pauvreté. Notre approche repose sur le principe que les gens
sont responsables d'assurer leurs droits et les droits des autres, et qu'ils
doivent s'affranchir des effets d'une mondialisation qui leur est
étrangère. Nous considérons que la valeur éthique
qui doit servir de fondement à la citoyenneté mondiale est
inscrite dans l'idée contemporaine que la prospérité des
uns ne peut pas avoir pour cause la pauvreté des autres et selon
laquelle nul ne peut être libre sans l'autre
(http://www.oxfam.qc.ca).
USAID dans l'un de ses accords signés avec Songhaï
avait comme objectif la création d'une formation qui permettrait
d'accroître l'empowerment.
Create a formation of a cadre of elite, ambitious,
motivated practical people, who have a clear vision for the socio-economic
development of society, who will be called to serve as catalysts in the heart
of the decentralized communities. ln addition to having mastered the technical
knowledge, these leaders will also be able to mobilize people and bring them
together in the process of producing wealth. Put in place infrastructures,
organizations and the extension support to create an enabling and empowering
environment (i.e., an arena that is meant to generate not just knowledge but
transfer it into action that will produce wealth (Centre
Songhaï-USAID, 2002).
L'empowerment est un des fers de lance du
développement de Songhaï qui est appuyé par les bailleurs de
fonds internationaux. De plus, l'empowerment façonne la mission
de Songhaï qui est de changer les mentalités parce qu'il contribue
à former des leaders qui assureront un développement durable. Un
autre facteur important va favoriser l'autopromotion individuelle et sociale,
c'est l'entrepreneuriat.
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