3.3 L'évolution
de Songhaï
Nzamujo nous décrit Songhaï comme étant son
acte de foi en la valeur du travail et de la discipline. Songhaï est un
projet de société qui doit englober toutes les sphères de
la vie humaine telles le social, l'économique, et le spirituel, car
pour le fondateur, la vie en société repose sur ces trois
piliers. Celui-ci disait aussi que dans la sphère de l'agriculture la
synergie doit primer.
Songhaï a, dès le début de son
existence, mis l'accent sur les grandes relations systémiques. Son
existence elle-même résulte de la construction d'un système
où des activités traditionnellement séparées sont
mises en relation. Songhaï est le résultat d'un système
« énergie-agriculture-élevage » que nous
appelons « système intégré de
Songhaï ». Ce système a été mis en place
dès 1985 (Nzamujo, 2002, p.54).
En effet, Songhaï est né modestement, en 1985,
avec dix hectares de terrain à Ouando en banlieue de Porto-Novo,
donné par le gouvernement béninois et une équipe de six
jeunes déscolarisés. Après
avoir défrichés le terrain et construits six bassins
piscicoles, ce sont des amis, nommés le support group, qui ont
financé l'achat de 32 oeufs de cailles, 12 canards, 100 poulets, 10
truies et 20 ovins et caprins. Ces animaux donnèrent un bon rendement et
un an plus tard ils permirent à Songhaï, d'après les
résultats obtenus sur le terrain, d'obtenir un premier engagement
financier avec l'ADF (Africain Development Foundation). Ces fonds permirent la
construction de 84 bassins de pisciculture et celle d'une porcherie.
C'est en 1987 que, pour la première fois, Songhaï
accueillit 28 étudiants. Avec autant de personnes qui travaillent en
apprenant, le projet Songhaï prend de l'expansion et donne des
récoltes très abondantes ; ce sont ces récoltes qui
mirent sur pied un système de vente et de livraison afin de ne pas
perdre les denrées. Le volet formation devint de plus en plus important
et structuré en donnant des promotions de 15 étudiants tous les
six mois. C'est en 1988, lors de la remise des premiers diplômes que de
nouveaux partenaires vinrent collaborer et renforcer l'équipe de
Songhaï.
Par la suite, en 1989, un second centre, le Centre de
Tchi-Ahomadegbé, fut construit dans la région du Mono sur un
terrain, beaucoup plus vaste que le précédent. C'est à ce
moment que l'expérience dut s'adapter selon un nouveau contexte ;
celui d'un village qui préexistait sur les 125 hectares. Des jeunes
allèrent s'y installer pour construire les bassins de pisciculture et
les infrastructures et peu à peu d'autres jeunes du village
demandèrent à être formés et à participer au
projet Songhaï. De cette expérience sept coopératives se
constituèrent sur le site et le FED (Fonds européen pour le
développement) se joignit au projet par son financement.
En 1989, un premier colloque fut organisé à
Ouando pour faire connaître la philosophie, ce qu'on nomme comme le
modèle de développement de Songhaï, et la théologie
du mouvement Songhaï. Ce colloque permit la rencontre entre les
praticiens, les théologiens, les élèves, les intellectuels
et les gens du Nord et du Sud. La conception du développement de
Songhaï était maintenant connue et avait de plus en plus de support
des populations et des bailleurs de fonds.
Par la suite, Songhaï ouvre un magasin de vente de ses
produits à Cotonou en 1991. L'année qui suit, des
activités de transformation agricoles vont débuter avec la mise
sur pied d'une charcuterie, d'une industrie de jus, de confiture et de farine
de manioc. Un restaurant et une formation en restauration et
en hôtellerie suivirent en 1993, et tout cela était pour
mettre en valeur les produits agrobiologiques de la ferme de Ouando. De plus,
un atelier de mécanique, un abattoir et une unité de
réfrigération sont mis en place la même année.
Songhaï ne fait pas que créer des projets il est
aussi appelé à en soutenir et c'est dans cet esprit qu'un
réseau de fermiers fut mis en place dès 1995. Ce
réseau servait avant tout à donner de l'assistance technique, de
la formation et du crédit afin de stimuler le milieu. Par la suite, un
point de vente Songhaï fut créé à Lakossa pour
permettre au réseau des fermiers de commercialiser leurs produits.
En 1996 Songhaï se retire du centre de
Tchi-Ahomadegbé tout en restant une équipe-conseil. Songhaï
confiera la ferme-école à une coopérative villageoise qui
poursuivra ce qui a été commencé et qui obtiendra le prix
de la productivité de la CEDEAO (Communauté économique des
États de l'Afrique de l'Ouest) en 1999. Le gouvernement du Bénin
avait demandé à Songhaï de faire de nouveaux projets plus au
Nord, à Savalou et à Parakou. Ces projets furent
réalisés sur deux années à cause des travaux
d'aménagement très importants.
Parallèlement, l'IFED (Institut de formation des
entrepreneurs en développement) fut créé en 1997 pour
assurer une formation continue aux anciens élèves, mais aussi
pour organiser des colloques et des séminaires. De plus, un autre
atelier de mécanique s'est mis sur pied pour fabriquer des machines
agricoles adaptées aux besoins des sols, et des cultures.
C'est en 1999 que l'USAID (United States Aid for International
Development) s'est joint au projet Songhaï pour développer un
réseau de télé-services communautaires et financer en
partie les centres de Savalou et Parakou. Pour ce qui est du réseau de
télé-services, il permit à la population et aux fermiers
d'avoir accès aux nouvelles technologies de l'information. Le premier
télécentre a été construit à Porto-Novo et
il peut accueillir une centaine de personnes par jour ; les
télécentres de Savalou, Parakou et Lakossa sont aussi
opérationnels, mais offrant un peu moins de services que celui de
Porto-Novo. De plus, un système de communication par radio relie les
centres de Ouando, Parakou et Savalou de façon à ce que les
informations en tout genre soient toujours disponibles aux populations et aux
fermiers. Les centres de Parakou et de Savalou furent inaugurés cette
même année et un centre de réfugiés à
Kpomassè fut confié à Songhaï afin d'y faire une
ferme agropastorale en lien avec la ferme et la coopérative de Ouando.
Cette dernière initiative ayant eu un grand succès, permit le
réinvestissement des surplus des activités agricoles dans la
création d'une route, d'une clinique et d'une école pour les
réfugiés et la population locale.
L'USAID répond à un nouveau projet en chantier
depuis 2002, celui d'un réseau de vente par filières qui
allierait les fermiers de Songhaï à des partenaires privés
pour le transport des marchandises ou la transformation des produits.
Songhaï est toujours en mouvement et permet l'innovation et l'adaptation
à tous les contextes. Songhaï n'est pas une structure rigide, c'est
un vaste mouvement chapeauté par un modèle de
développement où le travail et l'entrepreneuriat sont au
rendez-vous et la synergie est un élément clé comme le dit
si bien Nzamujo :
Un développement social seul n'apporte rien. Un
développement économique seul n'apporte rien, pourtant on a
beaucoup travaillé dans ce sens - hélas !- oubliant les
autres dimensions de la vie. Pour promouvoir le développement d'une
société, il est nécessaire que le social,
l'économique et le spirituel travaillent ensemble. La crise en Afrique
est une crise morale et spirituelle plus qu'économique au sens strict.
Dans ces trois domaines- social, économique et spirituel-, qui est
valorisé. C'est l'effet de synergie qui explique le succès des
économies asiatiques car elles reposent sur de solides valeurs
culturelles et sociales qui permettent à l'économie d'atteindre
des performances supérieures à ce que peut atteindre l'Occident
(Nzamujo, 2002, p.55).
Songhaï est selon son fondateur, le résultat d'une
dynamique économique et institutionnelle, mais aussi d'une dynamique
interpersonnelle, car ce sont les membres de Songhaï, les formateurs
et les formés, qui font de Songhaï ce qu'il est maintenant.
|