3.2 Le modèle
de développement de Songhaï
Le fondateur Nzamujo mise fortement sur les relations entre
différents axes ou facettes du monde socio-économique, de
l'agriculture, du politique et même du spirituel. Le système
holistique est privilégié et il passe par les institutions
sociales ou spirituelles, qui produisent des valeurs, celle du travail ou du
bien commun par exemple, et cette synergie permettra au système
économique de devenir plus performant. L'être et l'avoir ne
s'opposent pas, mais doivent s'enrichir mutuellement pour créer
richesse personnelle et conscience collective. D'ailleurs, selon Nzamujo,
Une grande part de la pauvreté de l'Afrique vient
de ce que les valeurs du bien commun ne sont pas solidement
ancrées : chacun cherche son intérêt individuel. Si le
bien commun était central, il fournirait le cadre de la dynamique
économique collective, du véritable développement au
service de chacun et de tous. C'est là un défi que veut relever
Songhaï : associer la dynamique de marché à la
dynamique culturelle et sociale, car les valeurs économiques et
éthiques sont liées et ne peuvent aller les unes sans les autres
(Nzamujo, 2002, p.55).
Les valeurs du bien commun doivent aussi transparaître
dans la relation entre le Nord et le Sud. Il est crucial pour Nzamujo qu'un
véritable partenariat s'établisse pour que puisse se
rétablir un équilibre essentiel au bon fonctionnement de la
communauté internationale et pour ce faire les pays
industrialisés devraient accroître leur aide aux pays en
développement afin de leur permettre de faire face à leurs
engagements financiers. De plus, si des capitaux sont investis au Sud et que
des partenariats sont établis entre les pôles certains
problèmes au Nord, comme le chômage, pourront trouver des
solutions avec le partage des expertises et des technologies.
Mais le processus de l'évaluation du projet
Songhaï est une préoccupation plus immédiate. Il est
nécessaire pour le projet Songhaï, comme tout projet qui veut
s'épanouir, d'avoir une évaluation constante des
« façons de faire » et des acteurs qui participent
au projet pour que « l'excellence », devise de
Songhaï, ne soit pas un simple slogan. Par ailleurs, le problème
est que les outils traditionnels d'évaluation sont souvent
inadéquats, car le projet Songhaï est imbriqué dans la
culture locale et africaine et un évaluateur externe qui ne tient pas
compte de ce paramètre risque de passer à côté de la
réalité.
surtout quand l'évaluateur joue à
l'inquisiteur soupçonneux croyant être le défenseur des
intérêts des bailleurs de fonds. L'évaluation - dont le but
est normalement de progresser ensemble -, devient alors un
élément de destruction plutôt que de construction. Dans ce
cas, elle est non seulement inutile mais un mécanisme d'agression et
induit de la fraude, du mensonge (idem, p.77).
Songhaï met l'accent sur les processus et non les
résultats ; c'est le trajet suivi et les potentialités
éveillées qui sont les vrais fruits du travail. C'est le
développement des capacités à faire face aux
problèmes et à les résoudre qui est
privilégié afin de relever des défis toujours plus
importants. Les variables de l'économie, du social et des valeurs
spirituelles doivent faire partie de l'évaluation. Cette
évaluation globale doit permettre à chaque personne de se situer
elle-même dans le projet. Les qualités tels que le leadership, la
participation à la recherche du bien commun, le sens du devoir,
où des qualités telles que les savoirs comptables et
agricoles sont aussi importants et doivent faire partie de l'évaluation.
Pourtant, l'évaluation n'est pas chose facile, car en tenant compte des
paramètres culturels la communication n'est pas toujours claire. Nzamujo
décrit clairement cette difficulté de communication et l'explique
par le fait que, quand on n'a pas l'habitude de se dire la vérité
en face, de se regarder, de porter un jugement les relations interpersonnelles
deviennent plus délicates. Et pourtant, reconnaît - il on ne peut
que travailler dans ce contexte de codépendance. Il reste donc à
faire passer aux formateurs et aux responsables l'étape de respect
du contrat moral qui lie chaque membre à la mission.
Ce contexte interne s'observe au plan international, dans la
relation Nord-Sud. L'évaluation par les bailleurs de fonds est aussi un
des aspects centraux selon Nzamujo, afin que le partenariat soit clair et
efficace.
Mais ce qui préoccupe encore davantage Nzamujo c'est
comment le projet Songhaï pourrait passer du micro au macro. Songhaï
est un projet de développement qui a des résultats enviables et
qui opère des transformations locales. Mais peut-il transformer toute
l'Afrique à partir du Bénin? Comment aller plus loin que le
lancement d'un lieu expérimental, se demande-t-on déjà
à Songhaï. En effet, le défi du développement
aujourd'hui se trouve à ce niveau : il faut pouvoir passer des
exceptions à la généralisation des réussites
locales, pour que les efforts servent véritablement à changer les
choses. C'est une urgence en Afrique aux dires du Fondateur.
Nzamujo se préoccupe d'un ensemble de facteurs qui sont
tous imbriqués les uns dans les autres. On ne peut soustraire le
modèle de développement de Songhaï de son financement et de
son évaluation. Ce modèle de développement est directement
lié à un projet plus large que celui du développement
local, c'est le développement de l'Afrique dont il est question pour
l'auteur. Ce développement aura besoin d'un appui majeur en financement
et en évaluation, mais surtout en dialogue pour que chaque acteur,
population, gouvernement et bailleur de fonds, soit à même de
prendre une direction commune malgré leurs intérêts
divergents.
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