CHAPITRE II
LE BÉNIN DANS LES
RAPPORTS NORD-SUD
Le problème du « mal
développement » dans les pays du Sud, et plus
particulièrement dans les pays du continent africain se pose d'une
façon frappante dans le contexte actuel de la mondialisation. Cette
mondialisation est souvent synonyme de la dépendance du Sud face aux
structures du Nord :
dépendance financière et monétaire,
principe d'endettement et de désarticulation ; dépendance
industrielle et technologique, principe d'économie et de
sous-traitance ; dépendance commerciale, principe de
l'échange inégal ; dépendance alimentaire, principe
de pénurie et de famine. Ajoutez à toutes ces sujétions
l'extraversion et la subordination des élites politiques et
économiques à des intérêts transnationaux, et vous
avez la raison des inégalités dans le monde
d'aujourd'hui (Gélinas, 2000, p.228).
Cette définition de Gélinas est la critique du
modèle « dépendantiste » qui est souvent
faite au modèle libéral. Dans le cas concret du Bénin,
cette perspective est aussi vraie puisque sous le régime socialiste du
« tout à l'État », suivi de la
démocratie et des ajustements structurels, la précarité
sociale et économique s'est aggravée. L'histoire du Bénin
nous permettra de mieux comprendre les tenants et les aboutissants du processus
de développement de cette région et des modèles qui l'ont
façonné.
Dès le 14e siècle, l'ex royaume du Dahomey, qui
est aujourd'hui devenu le Bénin, est le principal comptoir de la traite
des esclaves et dans les années 1890, le Bénin deviendra une
colonie française après que l'armée du roi
Béhanzin ait été défaite par
la France, et le roi lui-même déporté en Martinique.
L'indépendance du Dahomey aura lieu seulement en 1960, et il deviendra
la République Populaire du Bénin en 1975. Après une suite
de coups d'État, le général Mathieu Kérékou
prend le pouvoir de 1972 à 1990 et installe un régime
marxiste-léniniste. Ce n'est que dans les années 1990 qu'un
régime démocratique voit le jour, à travers une transition
pacifique, avec la nomination d'un premier ministre, Nicéphore Soglo.
Celui-ci, élu à la tête du pays un an plus tard, gouvernera
jusqu'en 1996, année où il perdra les élections face
à son prédécesseur et adversaire Mathieu
Kérékou. Aujourd'hui encore, Mathieu Kérékou est le
président du Bénin pour un dernier mandat qui prendra fin en
2006. Mais voyons de plus près chacune des périodes de l'histoire
du Bénin sous un aspect économique et social à partir de
la période coloniale.
2.1 Les
périodes pré-coloniale et coloniale
Cette période a débuté avec la traite
négrière sur les côtes même du Dahomey et a introduit
le marché capitaliste en commercialisant des humains ; elle a
lancé une économie de traite pour satisfaire les besoins de main
d'oeuvre de l'Amérique et des Caraïbes. Hountondji ajoute :
L'impact de ce commerce sur la vie politique,
économique et sociale du pays est considérable. L'expansionnisme
d'Agadja, roi du Dahomey, qui s'empare du royaume d'Allada en 1724 et peu
après, du royaume de Savi et du port de Ouidah, n'a pas d'autre motif,
en dernière analyse que la volonté de contrôler directement
ce commerce florissant, sans besoin d'intermédiaires (Hountondji,
2000, p.189).
Après l'interdiction du commerce des esclaves par les
Britanniques, l'économie dahoméenne se convertit à une
économie de transformation d'huile de palme sous le règne du roi
Ghézo de 1818 à 1858. Le pouvoir d'État
pré-colonial s'est adapté aux conjonctures économiques
toujours dans une même logique : celle de substituer un produit
à un autre avec l'objectif de rentabilité. C'est dans cette
perspective marchande que la colonisation du Bénin et de l'Afrique s'est
effectuée.
La colonisation avait pour but ultime l'approvisionnement des
industries de la métropole, en l'occurrence Paris, en matières
premières agricoles. L'administration coloniale avait
élaboré sa politique agricole dans les années 1906 dans la
sous- région du Dahomey en créant le Service de l'agriculture et
des forêts de la colonie du Dahomey. Ce Service devait mettre en valeur
les ressources naturelles du Dahomey de façon à attirer les
fermiers européens. Le Service développa des cultures
d'exportation comme l'huile de palme, le cacao, le café, le coton et le
tabac. Chaque type de culture était identifié à une zone
et des techniciens spécialisés étaient affectés
à chaque zone. De plus, on forma du personnel
« indigène » vers 1913, pour assister les colons
fermiers. Les régions ou zones agricoles ne coïncidaient pas avec
les régions administratives, ce qui entraîna des conflits entre
les administrateurs des régions. Effectivement, les régions
administratives ne pouvaient contrôler les « chefs »
des régions agricoles, qui traitaient directement avec le Service de
l'agriculture et des forêts de la colonie du Dahomey, sans passer par
leur autorité, et cela rendait difficile l'administration du territoire.
De plus, les colons européens ne sont pas venus en très grand
nombre et le Service agricole a dû favoriser les cultures locales des
« indigènes » pour approvisionner la
métropole. Ce qui ne fut pas un succès puisque l'agriculture
indigène était peu performante selon les colonies qui
décidaient d'envoyer des « commandants »,
c'est-à-dire des militaires gestionnaires qui appuieraient les
techniciens européens afin d'assurer le bon déroulement du
Service dans chaque région. Mongbo nous dira que cette période
donnera sa couleur au système agricole jusqu'à nos
jours :
En effet, cette option a probablement enclenché la
bureaucratisation du service au lieu que soit privilégié le
raffermissement de ses bases techniques. Ceci sera confirmé à
partir de 1952 lorsque les Sociétés Indigènes de
Prévoyance (SIP) qui étaient supposées constituer des
mutuelles d'assistance réciproque entre paysans finirent, à
l'issue de maintes réformes et acrobaties de l'administration et du
pouvoir colonial par se confondre, en 1975 avec les Secteurs de
développement rural, entièrement contrôlés par
l'État et se situant essentiellement a l'échelle des
arrondissements et sous-préfectures (Mongbo, 2000, p.81).
À ce stade, le Service ne servait plus de soutien
technique aux paysans, il était devenu une partie intégrante de
l'administration en dictant des corvées à tous. Or, au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe manquait de tout et les industries
européennes voulaient s'approvisionner en matières
premières agricoles. L'administration coloniale avait encouragé
les regroupements coopératifs et mutualistes de façon à
approvisionner la métropole. Cette même administration, afin de
réduire ses charges salariales auprès des colonies et de
réponde aux revendications d'autonomie des territoires africains, a
facilité, par des moyens techniques et financiers, la mise en place de
coopératives agricoles (Mongbo, 2000). Il faut comprendre que la SIP
(Société Indigène de Prévoyance) et autres
coopératives comme la SOPA (Société de production agricole
d'Abomey), UMAS, UMAD (Union des mutuelles agricoles de Savè et de
Dassa), rendaient leurs adhésions obligatoires auprès des paysans
qui devaient travailler bénévolement dès 1946, sur des
champs collectifs de cultures de rentes qui étaient supposées
servir à la collectivité, mais qui était souvent
envoyées vers la métropole.
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