Section 2 : Les incitations monétaires avec la
performance non vérifiable
Dans la section précédente, nous avons
étudié le problème d'incitation qui commence par
l'hypothèse que l'effort de l'agent est inobservable ou
invérifiable mais son output ou sa performance peut être
observable et mesurable. Par contre, cette section 2 considère
l'individualisation de la rémunération lorsque
la performance de l'individu n'est pas facilement mesurable, par exemple parce
que la performance dépend d'un effort collectif ou parce que l'individu
doit effectuer plusieurs tâches et que certaines sont plus faciles
à mesurer que d'autres. Nous allons ensuite aborder également les
analyses théoriques considérées comme les solutions
possibles pour ces situations.
1- Le travail en équipe et la situation
multi-tâches 1-1- Le travail en équipe
Supposons que l'organisation considérée est
composée d'un ensemble d'agents qui forme une équipe
définie par Alchian et Demsetz [1972] comme la production38.
Selon ces auteurs, avec la production en équipe, il est difficile, en
observant seulement l'output total, de définir ou de déterminer
la contribution de chaque individu à la production des inputs qui
coopèrent. Par définition, l'output total, fruit de la
coopération au sein de l'équipe, est produit par une
équipe, et ce n'est pas la somme des outputs séparés de
chacun des ses membres puisque, par un effet de synergie, la production de
l'équipe est supérieure à la somme des contributions
individuelles de ses membres. Dans ces conditions, le principe de la
rémunération à la productivité marginale pour
fournir aux travailleurs la meilleure incitation possible à l'effort
productif est inapplicable et, par conséquent, l'intensité
maximum du travail n'est pas garantie.
Il y a deux conséquences liées à cet
état de fait : d'une part, il faudra rechercher une méthode
permettant d'évaluer la contribution individuelle de chacun des membres
de l'équipe à la production collective afin de les inciter
à travailler efficacement. Mais la détection des performances
individuelles comportera nécessairement un coût. D'autre part,
l'impossibilité d'observation directe des contributions individuelles
incite chaque membre de l'équipe à se comporter en passager
clandestin (free-rider) en réduisant son niveau d'effort. La
conséquence est une réduction de l'output total, mais les
resquilleurs ne supporteront qu'une partie seulement des conséquences
d'une moindre activité parce que leur rémunération n'est
pas reliée à leur productivité individuelle, mais aux
efforts issus de l'ensemble du groupe. Donc, la moindre valeur est à
partager pour l'ensemble des membres de l'équipe.
38 La production en équipe, selon Alchian et
Demsetz [1972, p. 779], est une forme de production dans laquelle « (i)
plusieurs types de ressources sont utilisés, (ii) le produit n'est pas
la somme des outputs séparables de chaque ressource participant à
la coopération [...], (iii) toutes les ressources utilisées dans
la production en équipe n'appartiennent pas à la même
personne ».
La solution proposée par Alchian et Demsetz [1972]
à ce problème consiste à modifier l'organisation de cette
production en équipe en introduisant un agent supplémentaire dont
la seule fonction est la surveillance (monitoring) des membres de
l'équipe. Les efforts individuels ne sont alors plus
évalués à partir du résultat global mais à
partir du contrôle des comportements. Cette solution n'est pas a
priori très pertinente. En effet, qui va se charger d'effectuer le
contrôle des inputs ? Et comment s'assurer que cette fonction sera
remplie efficacement, c'est-à-dire qui contrôlera le comportement
du contrôleur ? Ce problème est résolu par Alchian et
Demsetz grâce à l'introduction d'incitations appropriées
pour le contrôleur qui est un membre de l'équipe se
spécialisant dans cette tâche. Pour inciter le contrôleur
à ne pas se dérober, il suffit de le rétribuer par les
gains nets de l'équipe, c'est-àdire nets de la
rémunération des autres inputs. En d'autres termes, plus le
contrôleur est efficace, plus le résultat de l'équipe sera
important, et donc plus le résidu, ce qui reste après paiement
des autres membres de l'équipe, sera élevé. Dans ce cas,
le contrôleur devient alors le créancier résiduel des
résultats de l'équipe. De plus, selon Alchian et Demsetz [1972],
le contrôleur doit posséder un certain nombre de droits
nécessaires pour rendre crédible sa fonction de
surveillance39. L'organisation ainsi définie s'apparente
à ce qu'ils appellent capitaliste entrepreneuriale.
Par conséquent, grâce au mécanisme
d'incitation monétaire, le contrôleur, le créancier
résiduel, est incité à ne pas se dérober, il va
contrôler efficacement le comportement des membres de l'équipe, et
le résultat de l'équipe sera donc important. Cependant,
l'attribution de la totalité du résidu au contrôleur est
une solution coûteuse. Nous pouvons trouver des alternatives moins
coûteuses qui se présenteront dans la sous-section 2 du
chapitre.
Dans ce qui suit, nous présentons une autre situation qui
pose aussi le problème d'incitation dans la firme. Il s'agit d'une
situation multi-tâches.
1-2- Les activités multi-tâches
Quand l'agent a des tâches multiples, ou une tâche
a beaucoup de dimensions, un autre problème surgit dans la firme. Dans
une situation où l'agent doit effectuer plusieurs tâches, le
contrat doit en plus allouer l'attention (limitée) de l'agent entre les
différentes tâches. Nous prenons un simple exemple de
Holmström et Milgrom [1991], les ouvriers de fabrication
39 Ces droits sont au nombre de cinq : (i) le droit
de s'approprier le résidu de l'équipe, (ii) le droit d'observer
le comportement des membres de l'équipe, (iii) le droit d'être la
partie centrale commune à l'ensemble des contrats passés avec les
différents inputs, (iv) le droit de modifier la composition de
l'équipe, (v) le droit de vendre les quatre droits
précédents.
peuvent être responsables de la production de l'output
avec un volume élevé et de bonne
qualité, ou ils peuvent être requis de produire l'output et
de prendre soin des machines qu'ils utilisent40. Intuitivement, si
nous souhaitons que le salarié conduise ces tâches
assignées, il faut faire en sorte que le mécanisme d'incitation
balance les incitations de ces activités. Holmström et Milgrom
[1991] indiquent que les incitations dirigent l'allocation de l'effort entre
les tâches, en plus d'attribuer le risque et d'induire l'effort. Les
incitations fortes sur une certaine tâche mèneraient à la
distorsion dans l'allocation d'effort parmi des tâches. Si une certaine
tâche est très difficile à mesurer, la récompense
d'autres tâches mène à une concentration d'effort sur la
tâche récompensée et aucun effort n'est mis dans l'autre
tâche.
Dans le premier cas, s'il est facile à mesurer le
volume de l'output mais que la qualité ne l'est pas, le système
des salaires à la pièce pour l'output peut mener des agents
à augmenter le volume de l'output aux dépens de la
qualité. Ou bien, si la qualité peut être assurée
par un système de la surveillance, les salaires à la pièce
peuvent mener des agents à abuser de l'équipement partagé.
En général, quand il y a des tâches multiples, la
rémunération incitative sert non seulement à assigner des
risques et à motiver les salariés à travailler dur, il
sert également à diriger l'attribution de l'attention des agents
parmi leurs diverses fonctions. Ceci distingue donc la théorie
multi-dimensionnelle de modèle principal-agent de la dimension
unique41. Afin d'induire l'agent à attribuer le temps
à toutes les tâches assignées, les mêmes incitations
doivent être offertes sur toutes les tâches. Les agents
réattribuent des efforts entre les activités quand les efforts
sur des tâches sont substituts ou compléments. Par exemple, si le
temps est limité, plus de temps sur une tâche mène
probablement à moins sur d'autres. De telles opportunités de
substitution contraignent la capacité de la firme à offrir le
salaire à la pièce42. Si le principal souhaite que
l'agent alloue un montant strictement positif de son temps aux tâches
assignées, il doit égaliser les bénéfices
marginaux; autrement dits les bonus devront être égaux
[Holmström et Milgrom, 1991]. Dans le cas contraire, l'allocation du temps
disponible de l'agent va en priorité à la tâche qui a le
rendement marginal le plus important.
Selon Holmström et Milgrom [1991], il est parfois optimal
de fournir des incitations nulles pour toutes les tâches qui sont en
concurrence alors même que l'on dispose de mesures de performance pour
certaines tâches. Alors, lorsque plusieurs activités entrent en
compétition
40 Les auteurs soulignent.
41 Homström, B. et Milgrom, P. [1991], «
Multitask Principal-Agent Analyses: Incentive Contracts, Asset Ownership, and
Job Design », Journal of Law, Economics and Organization, vol. 7,
Special Issue, p. 25.
42 Prendergast, C. [1999], « The Provision of
Incentives in Firms », Journal of Economic Literature, vol. 37,
n° 1, p. 23.
dans l'allocation de l'effort de l'agent, qu'il est impossible
ou très coûteux de mesurer la performance pour une des
tâches, il est optimal de ne pas fournir d'incitation pour l'ensemble des
tâches. L'agent sera alors payé à une
rémunération fixe. Plus généralement, les auteurs
suggèrent que si le principal souhaite récompenser une
activité, il peut le faire de deux manières : soit en augmentant
la rémunération qui récompense un effort plus important
pour cette activité, soit en réduisant le coût marginal
d'opportunité de l'effort pour la tâche qu'il souhaite encourager
par la suppression ou réduction des incitations pour l'ensemble des
activités qui lui sont concurrentes.
Il y a d'autres auteurs comme Baker, Gibbons et Murphy [1994]
qui proposent d'utiliser les évaluations subjectives pour
résoudre le problème de mesure de la performance dans la
situation multi-tâches. Nous allons revenir sur ce point en détail
dans la sous-section suivante. D'ailleurs, Fehr et Schmidt [2004] ont
réalisé une expérimentation qui confirme que les
incitations explicites fortes sur seulement quelques tâches dont la
performance est facilement mesurée peuvent être nuisibles dans un
environnement de multi-tâches. Une solution possible à ce
problème est un contrat de bonus discrétionnaire où le
principal peut récompenser l'agent en basant son évaluation sur
des performances subjectives qui offre une image plus holistique des efforts de
l'agent. Avec cette solution dans l'expérience, de nombreux agents
choisissent l'effort élevé sur toutes les tâches.
En résumé, dans le modèle de travail en
équipe où les employés (les membres de l'équipe)
choisissent simultanément leurs niveaux d'effort, chacun aura tendance
à exercer un effort trop faible (le comportement de passager clandestin)
en comptant sur les contributions des autres puisque les contributions
individuelles à l'output total ne peuvent pas être facilement
identifiables. En outre, dans la situation multi-tâches, lorsque les
mesures observables de performance existantes ne reflètent que l'effort
dans une des tâches à effectuer, l'employé dont la
rémunération est incitative exercera un effort trop important
pour cette tâche au détriment des autres. L'allocation de l'effort
présentera une distorsion. Pour régler ces deux problèmes
importants, outre la solution proposée par les auteurs au-dessus, il y a
d'autres solutions des analyses théoriques en s'appuyant sur les
incitations monétaires.
2- Les solutions possibles des problèmes de
travail en équipe et de situation multi-tâches
Dans la sous-section précédente, nous avons
présenté le problème posé par la théorie des
incitations standard à savoir la difficulté à obtenir des
mesures objectives de la performance de l'employé. Cela pose encore le
problème d'incitation au sein de la firme : le
problème de passager clandestin dans le cas de
production en équipe et celui de l'allocation de l'effort de
l'employé dans le cas de situation multi-tâches. Dans cette
sous-section, nous avons quatre modèles pertinents pour résoudre
efficacement ces problèmes. Ils sont la pression du groupe, le
modèle des tournois, le modèle du salaire d'efficience et
l'évaluation subjective de la performance.
2-1- La pression des pairs
La pression des pairs (peer pressure) se
définit comme l'ensemble des mécanismes de contrôle mais
aussi de sanction mis en place par les membres de l'équipe
eux-mêmes afin de discipliner leurs pairs [Masclet, 2003 ; 2004;
Prendergast, 1999]. Le modèle de la pression des pairs a
été modélisé initialement par Kandel et Lazear
[1992]. Selon Masclet [2004], lorsque le travail est organisé en
équipe de production et que les performances sont
interdépendantes, il devient de plus en plus difficile de
contrôler les performances individuelles. Comme la mesure de la
contribution individuelle est difficile, voire impossible, si une incitation
financière est envisagée, elle ne peut l'être que sur la
base du groupe [Milgrom et Roberts, 1997; Prendergast, 1999]. L'augmentation de
l'intensité incitative dans la récompense du groupe accroît
l'effort des membres du groupe, et donc la performance globale est
également élevée [Zenger et Marshall, 2000].
Néanmoins, ce caractère incitatif est souvent remis en cause dans
la mesure où chaque salarié doit partager le rendement de son
effort avec tous les autres salariés de l'entreprise. Chaque
salarié est alors incité à se comporter comme un
resquilleur en se reposant sur les efforts de ses collègues. En effet,
les pratiques de partage des profits peuvent conduire les membres du groupe
à tirer avantage de leur appartenance au groupe sans toutefois
participer totalement à la génération du profit. Alors,
comment résoudre le problème de passager clandestin au sein d'une
équipe de production avec partage de profits ?
Toutefois, si un schéma de rémunération,
fondé sur le partage des profits, fournit aux agents des incitations
fortes à adopter un comportement opportuniste, il peut également
les inciter à se contrôler mutuellement dans la mesure où
un tel comportement affecte l'ensemble de l'équipe. En effet, si un
agent adopte un comportement opportuniste, il réduit la
rémunération des autres membres de l'équipe puisque la
rémunération de chaque membre du groupe dépend non
seulement de son propre effort mais également de celui des autres
membres de l'équipe [Masclet, 2003 ; 2004]. Dès lors, les membres
de l'équipe peuvent être incités sous certaines conditions
à exercer une pression sur leurs pairs afin de les inciter à
coopérer davantage, à encourager chacun à
fournir des efforts, à se comporter convenablement et donc à
accroître la rémunération de chaque membre du groupe. Ces
mécanismes sont alors, du point de vue de l'incitation des
salariés à l'effort, toujours aussi efficaces que ceux
basés sur une rémunération de la performance individuelle
[Richard, 2001]. Dans ce cas, la présence d'un agent
spécialisé dans la fonction de contrôle n'est plus
nécessaire lorsque les agents se contrôlent mutuellement et sont
incités à le faire du fait de l'existence d'un système de
partage des profits.
Masclet [2003] suggère que la pression des pairs doit
reposer sur trois conditions essentielles pour être efficace.
Premièrement, la pression des pairs doit reposer sur un système
de partage des profits. Quand les profits sont partagés entre les
membres de l'équipe, la rémunération de chaque membre du
groupe dépend non seulement de son propre effort mais également
de l'effort des autres membres de l'équipe. De ce fait, ce
système de rémunération incitative incite les agents
à se contrôler mutuellement. Le partage des profits, un
mécanisme incitatif monétaire43, est donc une
condition nécessaire de la pression des pairs. Deuxièmement, pour
que la pression des pairs soit efficace, il faut également que les
sanctions imposées par les pairs affectent suffisamment les
comportements des membres. Kandel et Lazear [1992] indiquent que
l'efficacité de la pression des pairs est étroitement liée
à la notion d'empathie. En effet, lorsque les membres du groupe sont des
amis ou des parents, l'empathie est forte et toute déviation suscite
alors des sentiments de honte et de culpabilité plus forts que si le
groupe était constitué d'individus ne se connaissant pas. Les
cercles de qualité japonais s'appuient également sur cette notion
d'empathie [Masclet, 2003]. Les entreprises japonaises n'hésitent alors
pas à investir des sommes colossales afin de créer un esprit
d'équipe reposant sur l'empathie. Cet esprit d'équipe canalise
les comportements et peut réduire les comportements opportunistes
puisque chaque membre de l'équipe doit être loyal envers l'autre
et ne pas se comporter comme passager clandestin. Troisièmement,
l'efficacité de la pression des pairs dépend étroitement
de la taille de l'équipe. Lorsque la taille de l'équipe
s'accroît, les relations deviennent plus impersonnelles et il devient
dès lors plus difficile de contrôler les autres membres de
l'équipe [Kandel et Lazear, 1992; Zenger et Marshall, 2000].
L'efficacité de contrôle mutuel devrait donc demeurer
étroitement liée à la taille du groupe. En outre, à
mesure que la taille du groupe augmente, les gains inhérents à
l'exercice de la pression des pairs, en termes d'augmentation de l'output, se
diluent également, ce qui risque de faire émerger un
problème de passager clandestin et donc le
43 Nous soulignons.
niveau d'effort diminue. On peut dire, dans ce cas, que la
diminution des incitations monétaires entraîne une baisse du
niveau d'effort des membres de l'équipe. Il existerait donc une taille
optimale du groupe au-delà de laquelle la pression des pairs est moins
efficace et où les sanctions sont difficiles à mettre en
place44.
Dans l'article de Masclet [2004], les résultats
expérimentaux montrent que les membres de l'équipe
n'hésitent pas à sanctionner les comportements opportunistes et
que l'exercice de la pression des pairs accroît considérablement
le niveau de coopération au sein des équipes de travail. Enfin,
on peut conclure que les incitations monétaires jouent un rôle
vital dans la mise en oeuvre de la pression des pairs. En effet, grâce
à la rémunération incitative (ici, le partage des
profits), les agents se contrôlent mutuellement au sein du groupe car si
un agent adopte un comportement opportuniste, il va réduire la
rémunération des autres membres de l'équipe. Par
conséquent, les agents vont augmenter leur effort au travail, ce qui
entraîne une augmentation de la rémunération de l'ensemble
de groupe, et donc la rémunération individuelle va
également accroître.
Dans ce qui suit, nous étudierons la mesure de la
performance relative, qui est une solution alternative au problème
d'incitation dans la situation où la performance absolue des individus
est difficile, voire impossible, à mesurer ou quantifier. Il s'agit du
modèle des tournois.
2-2- Le modèle des tournois
La littérature sur le problème «
principal-agent » s'est penchée sur la nature des contrats optimaux
quand il y a difficulté à contrôler tous les aspects de la
performance d'un agent [Malcomson, 1984]. Le modèle de base, qui
correspond à un mécanisme incitatif simple souvent utilisé
dans la réalité, supposait la capacité de mesurer les
contributions des agents, par exemple le nombre de pièces produites.
Lorsque la mesure de la performance absolue est impossible, ou trop
coûteuse, une alternative consiste à se reporter sur une mesure
relative, fondée sur la comparaison. Dans le cas de la production en
équipe d'Alchian et Demsetz [1972], un arrangement de paiement
basé directement sur une mesure de la performance individuelle est
inapplicable, et si un autre genre d'arrangement incitatif n'est pas
disponible, le principal ne pourra pas obtenir la performance minimum attendue
de l'agent dans sa tâche. Dans un article où le contexte d'un
principal employant beaucoup d'agents était décrit, se
44 Kandel, E. et Lazear, E. P. [1992], « Peer
Pressure and Partnerships », Journal of Political Economy, vol.
100, n° 4, p. 815.
présentait la solution d'un contrat avec le paiement
basé sur le rang de la performance des employés. Il s'agit tout
simplement de l'esprit des tournois de Lazear et Rosen en 1981. Ce contrat peut
être utilisé en tant que moyen d'incitations de la performance
même sous l'asymétrie informationnelle [Malcomson, 1984].
Le premier rapport des incitations basées sur la
performance relative, appelé la théorie des tournois, est
réalisé par Lazear et Rosen [1981] qui indique l'existence d'une
relation positive entre la dispersion salariale intra-firme et le niveau
d'effort fourni par les travailleurs. L'idée directrice de modèle
des tournois est de payer certains agents plus que d'autres en raison de leurs
performances relatives. Les concurrents sont classés selon un ordre de
mérite et c'est uniquement leur rang dans ce classement qui va
déterminer l'obtention ou non des récompenses mises en
jeu45. Celui qui a la meilleure performance reçoit un salaire
supérieur ou une prime, alors que celui qui a une performance moindre
reçoit un salaire moindre. Par conséquent, l'essentiel de la
théorie des tournois est que des individus peuvent être
motivés simplement par comparaison avec leurs pairs ou par comparaison
à une certaine norme, et la compensation (le bonus ou la promotion) dans
ce cas est fixée à l'avance et dépend de la position
relative de quelqu'un dans la firme. Le résultat expérimental de
van Dijk et al. [2000] montre que les arrangements de paiement relatif (ou les
tournois) génère un effort élevé en moyenne. En
principe, l'accroissement de l'écart entre le prix de gagnant et de
perdant devrait augmenter la puissance du mécanisme incitatif des
travailleurs [Lazear, 1986; 2000a; Ménard, 2004]. Supposons que le prix
en argent se compose de 500 000 dollars. Les prix peuvent être
dédoublés également de sorte que le gagnant obtienne 250
000 dollars et le perdant obtienne 250 000 dollars. Dans ces circonstances, ni
l'un ni l'autre joueur ne sera particulièrement tenté de
remporter, et pas beaucoup d'effort sera consacré à
l'activité. Si, cependant, le gagnant touche 500 000 dollars, et le
perdant obtient zéro, beaucoup d'efforts de la part des salariés
seront mis dans l'activité46. Ainsi, plus l'écart est
important, plus les incitations des agents au travail sont grandes pour
remporter le prix dans le tournoi. L'écart optimal incite les
travailleurs à se déplacer au point où le coût
marginal d'effort est exactement égal à son
bénéfice marginal [Lazear, 1986].
Comme dans les tournois de golf ou de tennis, le montant
qu'une personne reçoit pour une victoire dépend seulement du
niveau de ses adversaires et non d'une mesure absolue de performance [Milgrom
et Roberts, 1997] et est tenté d'inciter les agents à exercer
l'effort productif [Harbring et Irlenbusch, 2003; 2004]. Ce dispositif
présente évidemment un intérêt
45 Lanfranchi, J. [1992], « Tournois et
carrières », Travail et emploi, n° 54, p. 73.
46 C'est un exemple de Lazear, E. P [1995],
Personnel Economics, The MIT Press, Cambridge, p. 26 - 27.
particulier lorsqu'on ne peut obtenir une mesure absolue des
performances, ou bien lorsque la mesure de ces performances serait trop
coûteuse alors que le simple classement suffit ; ou encore lorsqu'une
incertitude forte affecte les résultats, de sorte qu'on ne peut en faire
dépendre la récompense47.
D'après Lazear [1986], il y a deux avantages à
l'utilisation de la théorie des tournois. En premier lieu, les tournois
requièrent seulement la comparaison relative. La seule information
relative à la performance nécessaire dans un tournoi est donc
l'information ordinale concernant celui qui a fait le mieux et non
l'information absolue, cardinale, concernant l'écart entre la
performance du salarié et un quelconque standard absolu. En beaucoup de
circonstances, seule une information relative est disponible à un
coût raisonnable [Milgrom et Roberts, 1997]. Il peut être tout
à fait facile de déterminer qui, dans un groupe, accomplit le
meilleur travail. Alors, les tournois peuvent être une méthode
efficace pour fournir des incitations aux salariés dont la performance
est difficile à mesurer de manière absolue. En second lieu, la
compensation par le rang fait disparaître les éléments
communs à l'incertitude (un état de nature) qui affecte la
relation entre le choix du niveau d'effort des individus et leur performance
mesurée [Lazear, 1986; Milgrom et Roberts, 1997]. Par exemple, les
ventes peuvent être faibles puisque l'économie est en crise, ce
qui interrompt la relation entre l'effort des travailleurs et leur performance.
Cet évènement aléatoire échappe au contrôle
des individus. En revanche, comme cet effondrement affecte également
tous les agents en compétition, les comparaisons relatives ne sont pas
affectées. Observer la performance relative peut permettre de mieux
apprécier qui a le mieux travaillé. Ceci permet en retour
d'offrir les mêmes incitations avec un moindre risque à ceux qui
sont motivés. Le meilleur travailleur produit toujours davantage
même si tous les individus produisent un peu.
En fait, le modèle des tournois est souvent
appliqué dans une firme afin de fournir des incitations en promouvant
les plus performants vers des postes mieux rémunérés par
l'évaluation sur la base de la performance comparative par rapport
à ses collègues [Milgrom et Roberts, 1997; Lazear, 2000a].
Intuitivement, la perspective d'une promotion à un poste situé
à un échelon hiérarchique supérieur, assorti d'un
salaire supérieur, peut avoir les mêmes capacités
d'incitation qu'un niveau de rémunération, et donc avoir les
caractéristiques d'une récompense dans un système
fondé sur l'évaluation ordinale de la performance.
Par conséquent, le modèle des tournois qui est
un type de formalisation fondée sur la récompense des plus
méritants fonctionne comme un système d'incitation efficace dans
le
47 Ménard, C. [2004], Economie des
organisations, Editions La Découverte, Paris, Coll. Repères,
p. 64.
cadre d'un contrat liant employeur et employés sur la
base de la rémunération de la performance relative48.
Alors, grâce aux incitations monétaires qui sont fixées
à l'avance pour le gagnant et le perdant, les salariés entrent en
compétition et offrent l'effort maximalement productif au travail.
Même en cas de promotion, les salariés font le tournoi pour
être promus puisque quand le vainqueur est promu, il va être mieux
rémunéré et avoir le statut supérieur. Ainsi, les
incitations monétaires ont encore pour fonction essentielle de pousser
les salariés à augmenter leur effort productif afin
d'accroître leur productivité.
Toutefois, le modèle des tournois apportent aussi
certains désavantages. Un inconvénient potentiel de ce
modèle apparaît lorsqu'il y a des opportunités de collusion
entre employés. Si les primes dépendent seulement de la
performance relative, alors les profits attendus de chaque individus sont les
mêmes si tout le monde tire au flanc ou si tout le monde travaille dur.
Bien sûr, tirer au flanc épargne aux travailleurs le coût de
l'effort et représente une possibilité tentante [Milgrom et
Roberts, 1997; Harbring et Irlenbusch, 2003]. Le deuxième
inconvénient est que les travailleurs augmentent la probabilité
de victoire, non seulement en faisant bien eux-mêmes, mais
également en sabotant la performance de leurs opposants par des
activités destructives [Lazear, 1986; 1995; Milgrom et Roberts, 1997;
Winter-Ebmer et Zweimüller, 1999; van Dijk et al., 2000; Harbring et
Irlenbusch, 2003; 2004; Grund et Westergaard-Nielsen, 2005]. Dans les
organisations, une telle activité de sabotage peut prendre n'importe
quelle forme pour bloquer la coopération telle que conserver activement
l'information viable, transférer l'information fausse ou dégrader
les outils de travail utilisés par d'autres. Ceci génère
évidemment de l'inefficience.
Il existe trois solutions possibles pour atténuer les
activités de sabotage dans le modèle des tournois. La
première solution pour réduire la motivation au sabotage est de
baisser l'incitation de tournoi en diminuant la différence entre le
paiement obtenu par les gagnants et le paiement reçu par les perdants
[Lazear, 1986; 1995; Harbring et Irlenbusch, 2004]. Malheureusement, la
compression des salaires abaisse également l'incitation de
l'employé pour exercer des activités productives49.
Alternativement, le renforcement des activités de contrôle peut
diminuer des activités de sabotage mais ceci peut générer
des coûts potentiellement élevés. Toutefois, selon
l'équité réciproque, la dernière solution, peut
également diminuer des activités de sabotage. Si nous supposons
que des employés sont motivés par une préférence
pour la justice réciproque, des activités de sabotage sont
48 Lanfranchi, J. [1992], « Tournois et
carrières », Travail et emploi, n° 54, p. 73.
49 Le résultat de l'étude de
Winter-Ebmer et Zweimüller [1999], utilisant un panel d'entreprises
autrichiennes durant 1975-1991, supporte cette idée, surtout pour les
cols bleus.
susceptibles d'être réduites par une action
amicale50 de l'employeur [Harbring et Irlenbusch, 2004].
Une intention qui est perçue comme amicale peut être
répondue par une action aimable en retour. L'offre d'un employeur de
salaires élevés pourrait être perçue comme amical et
on pourrait supposer que les employés répondent à un tel
comportement avec un effort productif élevé et que les
activités de sabotage se réduisent ou soient
éliminées. Par conséquent, les incitations à
réduire le sabotage résulte vraisemblablement de
l'équité réciproque, ce qui ouvre bien la voie à la
coopération des salariés. Alors, cette dernière solution
correspond bien à la théorie du salaire d'efficience qui peut
aussi régler les problèmes d'incitation en cas de
difficulté pour mesurer la performance individuelle comme dans la
situation de la production en équipe et multi-tâches.
2-3- La théorie du salaire
d'efficience
Le salaire peut avoir un effet positif sur la
productivité du travail lorsque la rémunération influence
positivement l'effort productif consenti par le travailleur51. La
théorie du salaire d'efficience (efficiency wage) prédit
que les employeurs peuvent avoir intérêt à accroître
les salaires au-delà de leur niveau concurrentiel pour améliorer
la productivité du travail [Cahuc, 2001]. Dans cette théorie, le
résultat de production dépend du niveau de salaire qui
conditionne le niveau d'effort individuel [Leclercq, 1999; Lemistre et Tahar,
2004]. Si l'entreprise tente de diminuer le salaire, dans l'optique soit
d'être plus profitable, soit d'embaucher plus, l'effort des travailleurs
déjà en place se dégradera et leur productivité
diminuera52.
Dans le modèle du salaire d'efficience formalisé
par Shapiro et Stiglitz [1984], on suppose que la performance n'est pas
vérifiable et qu'aucun contrat incitatif n'est possible. Le salaire est
alors le même pour tous les employés ayant les mêmes
qualifications, et est fixe. La seule solution pour l'employeur est d'offrir un
salaire supérieur au niveau de réservation de l'individu pour que
le poste soit attractif et précieux, ce qui ne l'incite pas à
tirer au flanc puisque si les travailleurs sont aperçus à tirer
au flanc, ils risquent de perdre leur emploi, c'est-à-dire qu'ils seront
mis au chômage [Prendergast, 1999; Redor, 1999; Leclercq, 1999; Aubert et
Aubert-Monpeyssen, 2005].
50 Les auteurs soulignent.
51 Mouime, M. [2001], « Salaire d'efficience et
alignement des salaires sur les prix », Document de travail n° 66,
Direction de la Politique Economique Générale, p. 1.
52 Salais, R. [1989], « L'analyse
économique des conventions du travail », Revue
économique, vol. 40, n° 2, p. 211.
A la fin de chaque période, la firme contrôle les
résultats de l'effort de chaque salarié. Les travailleurs qui
n'ont pas été contrôlés, ou ceux qui n'ont
effectivement pas tiré au flanc, sont maintenus dans l'entreprise. En
revanche, les individus tire-au-flanc, qui ont été
contrôlés, sont licenciés, tout en recevant cependant leur
salaire sur la période où ils ont été
employés [Redor, 1999]. L'incitation à l'effort provient donc de
la perspective de conserver son emploi, avec un salaire élevé, et
la pénalité en cas d'échec est la mise au chômage.
Si les incitations sont restaurées, malgré un salaire fixe, par
l'aspect dynamique de la relation, il est à noter que le degré de
risque est généralement plus élevé que dans un
contrat qui spécifie des différentiels de
rémunération en fonction de la performance, puisque c'est ici un
risque de chômage qui doit être supporté par
l'employé. Le problème de risque moral est donc traité.
Par ailleurs, il convient de mentionner brièvement une
version sociologique de justification du salaire d'efficience : celles qui ont
été proposées par Akerlof en 1982 et qui relèvent
d'une logique différente, faisant place à des
considérations d'ordre collectif. Il s'agit d'une idée de don
contre-don qui met en évidence le rôle central joué dans
certaines entreprises par des obligations croisées entre donner,
recevoir et donner en échange53. La firme fait ici un don au
salarié en versant un salaire supérieur à celui du
marché et en fixant une norme d'effort faible, et en échange, les
travailleurs se sentant bien traités fournissent un effort au dessus de
la norme de travail en vigueur54 [Gazier, 1992; Redor, 1999;
Lemistre et Tahar, 2004]. La norme est fixée en fonction de la
performance moyenne du groupe et des compensations s'opèrent entre les
plus performants et les autres. De plus, chaque agent ayant le sentiment
d'être bien traité adoptera une stratégie
coopérative, ce qui peut réduire ou éliminer les
activités de sabotage entre les concurrents présentées
dans le modèle des tournois précédemment
étudié.
La théorie du salaire d'efficience peut résoudre
non seulement le problème du risque moral, mais également le
problème de sélection adverse. Lorsqu'un employeur a une
connaissance imparfaite des capacités productives des personnes qui se
présentent à l'embauche, il risque de faire une erreur en
embauchant des personnes dont les capacités sont relativement faibles.
Pour éviter une mauvaise sélection, l'employeur peut avoir
intérêt à accroître le salaire de façon
à attirer les individus qui ont les meilleures capacités [Cahuc
et Zylberberg, 1996; Redor, 1999; Lemistre et Tahar, 2004]. L'argument est que,
avant d'être embauché, les salariés ont un salaire de
réservation au dessous duquel ils ne souhaitent pas travailler. Ce
niveau de salaire est une fonction croissante des compétences
individuelles.
53 Gazier, B. [1992], Economie du travail et de
l'emploi, 2e édition, Editions Dalloz, Paris, p. 241.
54 Le résultat de l'expérience
réalisée par Falk et al. [1999] supporte également cette
idée.
Ainsi, les salariés les plus performants auront
également les salaires de réservation les plus
élevés et l'employeur ne sera pas incité à
embaucher les moins performants [Lemistre et Tahar, 2004].
En résumé, dans le modèle du salaire
d'efficience, le niveau des salaires supérieur à celui de
marché du travail peut inciter les travailleurs à faire des
efforts dans le travail puisque si un individu est découvert à se
dérober, il risque de perdre son emploi avec un salaire très
élevé. Alors, le tire-au-flanc est très coûteux pour
les travailleurs lorsqu'un tel comportement est détecté. Dans le
sens sociologique, ce salaire élevé offert par l'employeur est
considéré comme un don, et en retour de ce don, les travailleurs
décident collectivement de travailler dur pour augmenter les
productivités globales de la firme. En outre, le problème
d'antisélection peut être également résolu par ce
modèle dans lequel le versement de salaires relativement
élevés permet de trier les individus.
Cependant, même si le modèle du salaire
d'efficience permet d'inciter les travailleurs à offrir l'effort
productif au travail, il présente néanmoins un risque très
élevé pour les travailleurs déloyaux, qui peuvent
être mis au chômage. Une individualisation des
rémunérations en fonction d'une certaine variable de performance
vérifiable aurait permis d'éviter ce risque important. Mais si
cette variable de performance vérifiable n'existe pas, outre la
théorie du salaire d'efficience, l'employeur peut choisir une
rémunération basée sur une évaluation subjective de
la performance. Nous considérons cette dernière solution ci-
dessous.
2-4- L'évaluation subjective de la
performance
Dans le modèle du Principal-Agent, si le niveau
d'effort de l'agent n'est pas observable par le principal, le contrat optimal
doit dépendre de mesure vérifiable de la performance, à
savoir l'output du travail exécuté par l'agent. Alors, le salaire
de l'agent va être en fonction croissante de son output. Les contrats qui
attachent la compensation à la performance peuvent atténuer le
problème d'incitation55. En fait, le système de
paiement à la performance peut être basé sur des mesures
objectives comme des ventes ou des mesures subjectives telles que la valeur
estimée de l'employé à l'organisation56. Tandis
que certains emplois, tels que des ventes, se prêtent à la mesure
objective, la performance dans la plupart
55 Levin, J. [2003], « Relational Incentive
Contracts », American Economic Review, vol. 93, n° 3, p.
835.
56 Baker, G et al. [1988], « Compensation and
Incentives: Practice vs. Theory », Journal of Finance, vol. 43,
n° 3, p. 597.
des emplois ne peut pas être mesurée
objectivement en raison de la production en équipe et des
activités multi-tâches. Ainsi, les firmes préfèrent
employer des mesures subjectives, où le salaire est à la
discrétion des impressions d'un supérieur57,
c'est-à-dire que le bonus des employés dépend d'une
évaluation subjective de leur performance par le principal (leur
employeur). L'attraction de tels modes de paiement est qu'ils offrent une vue
plus holistique de la performance. Lincoln Electric, le fabricant dominant
d'équipements de soudure à l'arc voltaïque et de fonderie,
est bien connu pour pratiquer depuis longtemps des formes de salaires à
la pièce qui attachent le salaire de travailleur à son output,
mais environ la moitié de la compensation d'un ouvrier est un bonus
basé sur l'évaluation subjective du supérieur sur la
coopération, l'innovation, la fiabilité, et d'autres aspects
subjectifs de la performance de l'ouvrier [Baker et al., 1994; Gibbons,
1998].
Par conséquent, bien que la contribution des
employés à la valeur de la firme ne soit pas typiquement et
objectivement mesurable, il peut être souvent évalué
subjectivement par les managers ou les surveillants qui sont bien placés
pour observer les subtilités du comportement et des occasions des
employés. Même si de telles évaluations subjectives de la
contribution des employés à la valeur de la firme sont
imparfaites, elles peuvent compléter ou améliorer les mesures
objectives disponibles. Ainsi, un contrat implicite basé sur des
évaluations subjectives de la performance peut augmenter ou remplacer un
contrat explicite basé sur des mesures objectives de la performance
[Baker et al., 1994].
Cependant, les psychologues et les behavioristes ont fourni
une explication pour le manque de systèmes d'évaluation
subjective de la performance dans la pratique. Ils concluent que les plans de
salaire basés sur des critères subjectifs ont peu de chance de
succès parce que les employés ne font pas
confiance58 (trust) à leurs
supérieurs pour évaluer correctement leur
performance59. Plus la mesure est subjective, plus le degré
de confiance demandé est haut, parce que, sans confiance
élevée, il y a peu de chance pour l'employé de croire que
son salaire soit vraiment et équitablement basé sur la
performance. Il est conforme à l'idée de MacLeod [2003] sur le
fait que la possibilité pour le principal de récompenser l'agent
en fonction d'une évaluation subjective dépende du degré
d'acceptation de l'agent sur ces évaluations. Quand les
évaluations subjectives du principal et de l'agent s'entendent, alors on
peut mettre en application le contrat optimal, exactement comme si les
évaluations étaient objectives et
57 Prendergast, C. [1999], « The Provision of
Incentives in Firms », Journal of Economic Literature, vol. 37,
n° 1, p. 29.
58 Les auteurs soulignent.
59 Baker, G et al. [1988], « Compensation and
Incentives: Practice vs. Theory », Journal of Finance, vol. 43,
n° 3, p. 598.
vérifiables60. Par conséquent, la
confiance entre les employés et les surveillants ou les
supérieurs est essentielle dans l'application efficace des
systèmes d'évaluations subjectives de la performance.
Pour que l'employeur puisse utiliser une mesure subjective de
façon crédible, il est nécessaire d'introduire un objectif
de réputation : l'employeur ne doit pas avoir intérêt
à renier ses engagements implicites, sachant que s'il le fait, sa
réputation sera modifiée et les employés ne fourniront
aucun effort en cas de contrat implicite dans le futur [Baker et al., 1994;
Gibbons, 1998; Kambe, 2005]. Dans ce modèle, la capacité de
s'engager peut provenir à la fois de la répétition de la
relation [Levin, 2003], et d'un souci de réputation de l'employeur.
D'abord, le principal et l'agent avouent un contrat qui indique les salaires en
fonction des classements du principal à l'évaluation. À
l'évaluation, les différents « principaux » peuvent
donner différents classements et l'agent met à jour ainsi sa
croyance basée sur le classement reçu. Après que le
classement ait été donné, il y a une autre transaction
entre eux. Lorsque l'agent pense que le niveau d'honnêteté et de
fidélité du principal sur le système d'évaluation,
est élevé, l'agent exerce plus d'effort dans la deuxième
transaction et l'avantage du principal est ainsi plus élevé. Au
contraire, si l'agent perçoit que le principal n'est pas fidèle,
c'est-à-dire que l'évaluation subjective du principal sur la
performance de l'agent tombe au-dessous d'un seuil pour éviter le
salaire élevé, l'agent effectuera les actions inefficaces pendant
plusieurs périodes, ce qui punit en effet le principal. En raison de ces
effets, le principal sera incité à donner un juste jugement sur
la performance de l'agent. Ainsi, la réputation est un dispositif
à induire l'évaluation honnête du principal et à
rendre le modèle d'évaluation subjective de la performance
efficace [Kambe, 2005]. Dans ce cas, le contrat implicite devient un contrat
auto-exécutoire (self-enforcing) car le respect de ce contrat
n'est pas obligé par un tiers (le tribunal), mais par le souci de la
firme pour sa réputation sur le marché du travail [Baker et al.
1994].
D'après Van den Steen [2005], la mesure subjective de
la performance peut être une solution optimale au problème «
principal-agent » lorsque l'agent refuse d'obéir au principal. En
effet, si le bonus de l'agent est accordé en fonction d'une mesure
subjective, l'agent devra évaluer ses actions et ses résultats
conformément à la volonté du principal. Cet alignement de
croyance incitera l'agent à faire ce que le principal veut qu'il fasse,
en éliminant des inversions coûteuses. D'ailleurs, le
résultat de son étude prouve également que
l'évaluation
60 MacLeod, W. B. [2003], « Optimal
Contracting with Subjective Evaluation », American Economic
Review, vol. 93, n° 1, p. 216. Selon Lemistre [2000a], un contrat
incitatif explicite ou implicite n'est efficace que si les salaries
concernés reconnaiseent comme légitime les modes
d'évaluation. Dans le cas contraire, l'évaluation est
évidemment jugée trop subjective.
subjective de la performance peut être réellement
optimale, même quand la vraie performance est parfaitement mesurable.
Tant que l'évaluation n'est pas purement
aléatoire, elle contient de l'information sur l'effort du
salarié, malgré sa subjectivité, et peut donc être
utilisée pour inciter à l'effort. La corrélation entre
l'évaluation subjective du supérieur et l'effort fourni par
l'employé permet toujours d'obtenir une amélioration par rapport
à un salaire fixe. Si cette corrélation est parfaite,
l'évaluation subjective de la performance fonctionne exactement comme la
mesure objective de la performance et donc peut résoudre le
problème « principal-agent » en incitant les employés
à offrir l'effort maximal au travail.
En conclusion, afin de régler le problème de
passager clandestin dans la production en équipe, Alchian et Demsetz
proposent d'introduire un contrôleur pour contrôler le comportement
des individus dans l'équipe en lui offrant un revenu résiduel et
certains droits pour l'inciter à ne pas se dérober comme les
membres de l'équipe. En outre, dans la situation multi-tâches, il
y a une distorsion dans l'allocation d'effort parmi les tâches.
Holmström et Milgrom proposent d'égaliser les incitations pour
toutes les tâches, ou bien de fournir des incitations nulles pour toutes
les tâches. Outre les solutions proposées par Alchian et Demsetz,
et Holmström et Milgrom, il y a d'autres solutions que des analyses
théoriques proposent, en s'appuyant encore sur les incitations
monétaires. Celles-ci sont la pression des pairs dans laquelle le
système de partage des profits incite les individus à se
contrôler mutuellement; le modèle des tournois dans lequel les
incitations sont basées sur la performance relative ; la théorie
du salaire d'efficience dans laquelle la firme offre un salaire très
supérieur à celui de marché du travail pour inciter les
salariés à travailler dur ; et enfin l'évaluation
subjective de la performance dans laquelle les récompenses sont
payées à la performance qui est évaluée
subjectivement par le supérieur et qui peut atténuer le
problème d'incitation.
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