Section 2 : La théorie des attentes de Vroom et la
théorie des incitations
Parce que les intérêts des employés et des
employeurs ne sont pas toujours alignés, certaines grandes
littératures théoriques ont montré comment les firmes
concevaient les contrats de compensation pour inciter les employés
à agir dans l'intérêt de la firme. Ces littératures
ont été appliquées dans plusieurs secteurs de compensation
et se sont dirigées vers une multitude de différents
mécanismes (salaire à la pièce, bonus
discrétionnaires, salaires d'efficience, etc.) qui peuvent être
utilisés pour inciter les salariés à agir dans
l'intérêt de leurs
15 Robbins, S., Judge, T. et Gabilliet, P. [2006],
Comportements Organisationnels, 12e édition, Pearson
Education France, Paris, p. 249.
16 Meye, H. H. [1975], « The Pay-For-Performance
Dilemma », Compensation and Benefits Review, vol. 7, n° 55,
p. 55.
17 L'auteur souligne.
18 L'auteur souligne.
employeurs, c'est-à-dire la maximisation du profit de
la firme. Les incitations monétaires sont fréquemment
considérées comme une méthode pour aligner les
intérêts des employés avec ceux de leurs employeurs.
Théoriquement, les incitations monétaires fonctionnent par
l'augmentation de l'effort qui, à tour de rôle, mène aux
augmentations de la performance [Bonner et Sprinkle, 2002]. Ainsi, l'objectif
de cette section est d'offrir le cadre théorique pour comprendre les
effets des incitations monétaires sur l'effort des individus et leur
performance. Selon Covin et Boswell [2007], le développement des
systèmes de compensation incitative repose sur les deux piliers
théoriques importants qui détaillent les mécanismes par
lesquels les incitations monétaires sont présumées aboutir
aux augmentations de l'effort. Ces théories sont la théorie des
attentes et la théorie des incitations en particulier le modèle
Principal-Agent.
Avant de présenter les deux théories qui sont
les médiateurs de la relation incitation - effort et qui vont expliquer
comment les incitations monétaires entraînent une augmentation de
l'effort, il est utile d'expliquer d'abord la construction de l'effort. Bonner
et Sprinkle [2002] ont proposé quatre éléments qui
décomposent l'effort : direction, durée, intensité et
développement stratégique. En empruntant leurs travaux, nous
allons expliquer chaque élément brièvement.
Premièrement, la direction d'effort renvoie à la
tâche ou à l'activité dans laquelle l'individu choisit de
s'engager (i.e. ce que l'individu fait). Théoriquement, les incitations
monétaires devraient conduire à l'effort qui est orienté
vers la tâche ou l'activité récompensée quand les
avantages prévus fournis par les incitations monétaires sont
supérieurs aux coûts de réalisation de cette tâche ou
activité.
Deuxièmement, la durée d'effort renvoie à
la durée où un individu consacre les ressources cognitives et
physiques à une tâche particulière, c'est-à-dire le
temps de travail d'une personne. On peut dire que les incitations
monétaires peuvent faire augmenter la durée de l'effort, par
exemple, les employés peuvent prendre peu de pauses ou travailler des
heures supplémentaires.
Troisièmement, l'intensité d'effort renvoie
à la qualité d'attention qu'un individu consacre à une
tâche pendant une période de temps fixe, c'est-à-dire si
une personne travaille, dur ou non. Analogues à la direction et à
la durée d'effort, les incitations monétaires ont
théoriquement des effets positifs sur l'intensité d'effort si les
individus croient qu'une augmentation à court terme des ressources
cognitives déployées dans la tâche suscitera un
accroissement de mesure de la performance monétairement
récompensée.
Enfin, en ce qui concerne le développement
stratégique, les incitations monétaires peuvent motiver des
individus à faire l'effort d'acquérir les qualifications requises
pour accomplir une tâche afin que la performance et les
récompenses futures soient plus élevées qu'elles ne le
seraient (i.e. l'apprentissage). Cette notion d'effort accru
(développement stratégique) consiste en la résolution des
problèmes conscients, de la planification, ou de l'innovation de la part
de l'individu accomplissant la tâche.
Selon l'explication de construction de l'effort ci-dessus, on
peut conclure que la direction, la durée et l'intensité d'effort
orientées vers la performance courante peuvent conduire à une
augmentation immédiate de la performance alors que l'effort
orienté au développement stratégique peut
générer une hausse retardée de la performance. Par
conséquent, l'augmentation de l'effort orienté au
développement stratégique est moins spontanée que la
direction, la durée et l'intensité d'effort et exerce
probablement un effet négatif sur la performance à court terme,
mais un effet positif sur la performance à long terme. Ainsi, lorsque
les mécanismes plus spontanés ne sont pas suffisants pour
atteindre les niveaux désirés de performance et de
récompense, les incitations seront utilisées à favoriser
l'effort orienté vers le développement de stratégie.
Dans ce qui suit, nous présenterons les deux
théories qui expliquent les mécanismes par lesquels les
incitations monétaires influencent l'effort individuel. Tout d'abord,
nous exposerons la théorie des attentes et ensuite la théorie des
incitations en précisant le modèle du Principal-Agent.
1- La théorie des attentes de Vroom
Les modèles de motivation développés dans
la littérature psychologique d'organisation sont
généralement divisés en deux catégories : l'une se
concentre sur les attributs internes d'un individu (théories du contenu)
et l'autre se focalise sur les interactions de l'individu avec l'environnement
(théories du processus) [Sloof et van Praag, 2005]. La théorie
des attentes, comme d'abord développée en 1964 par Vroom, est une
théorie de processus de motivation. Cette théorie propose que les
individus agissent de façon à maximiser la satisfaction attendue
avec des résultats. Ainsi, le concept de la théorie des attentes
est qu'un individu dépend de l'attente de réussite par rapport
aux efforts fournis, du résultat effectif obtenu et de
l'attractivité de ce résultat [Robbins et al., 2006]. Cela montre
que Vroom met en relation les efforts individuels, la performance à
laquelle ils aboutissent, la récompense attachée à cette
performance, et le lien entre cette récompense et les attentes
individuelles. Cette théorie établit pour principe
que la motivation d'un individu dans une situation particulière est une
fonction de trois facteurs (Voir Figure 1) :
Le premier de ces facteurs, attente (expectation) effort -
performance (E-P), indique la corrélation positive effort-performance
que l'individu perçoit. C'est ce que chacun se croit capable de faire,
ce qu'il attend comme résultat probable de ses efforts19. Par
conséquent, plus cette attente E-P est élevée, plus
l'individu est motivé à faire des efforts.
Figure 1 : La théorie des attentes de
Vroom20
Récompenses intrinsèques
Aptitudes et personnalité
Valence
Performance
Effort
Perception Récompenses extrinsèques
des rôles
Instrumentalité
Satisfaction
Le deuxième facteur est l'attente performance -
résultat (P-R), également désigné sous le nom d'
« instrumentalité ». Il concerne l'attente ou l'expectation
d'un individu de l'attachement étroit entre sa
rémunération et son niveau de performance. Il s'agit de la
perception de la probabilité que la performance permettra
d'accéder à la récompense [Alexandre-Bailley et al.,
2006]. Parallèlement, selon Lévy-Leboyer [1993], le travail est
« instrumental » lorsqu'il représente clairement, aux yeux de
celui qui le fait, un moyen efficace d'obtenir le résultat
recherché - par exemple, un salaire.
Le troisième facteur s'appelle la valence
(attractivité) des résultats. La valence est une mesure du
degré auquel un individu évalue une récompense
particulière. Selon les individus, les résultats
éventuellement obtenus pour un niveau de performance atteint ont des
attraits
19 Lévy-Leboyer, C. [1993], La crise des
motivations, 3e édition, Presses Universitaires de
France, Paris, p. 59.
20 Ce schéma de Vroom a été
complété par Porter et Lawer. Il donne une vision globale du
processus de motivation. Ce schéma est tiré à partir d'un
ouvrage d'Allexandre-Bailley et al. [2006], Comportements humains et
management, 2e édition, Pearson Education France, Paris,
p. 166.
différents. En effet, la valeur d'un résultat
dépend pour un individu de ses besoins et de ses propres perceptions.
L'employé considère que les résultats sont attractifs,
c'est-à-dire qu'ils ont une valeur positive pour lui. Ainsi, Soof et van
Praag [2005] suggèrent que plus ce facteur est élevé, plus
l'individu est motivé.
La théorie des attentes se dirige ainsi avec trois
instruments que l'employeur peut utiliser pour renforcer la motivation des
employés en augmentant les expectations subjectives qu'un effort plus
fort produira les niveaux de la performance (E) plus élevés, en
renforçant le lien perçu entre la performance et les
récompenses (I), et en s'assurant que les employés
évaluent les récompenses données pour la performance
élevée (V). Ces trois facteurs s'appellent les facteurs de
VIE.
Ainsi, Motivation d'un individu = [E--'P] x [(P--'R) (V)] ou
[Valence x Instrumentalité x Expectation]. Cela fonctionne comme un
produit: il suffit qu'un des termes soit nul pour que le produit soit nul.
Prenons un exemple dans un ouvrage de Michel [1989], « si
je me sens incapable de suivre un cours de mathématiques
appliquées, je ne serai pas motivé à m'inscrire même
si ce stage permet d'être promu cadre et que cette promotion
représente beaucoup pour moi. Je peux aussi me sentir capable de le
suivre mais douter fortement qu'il soit la bonne solution pour être
promu. Je peux enfin me sentir capable de le suivre et être
persuadé que c'est la bonne manière d'être promu cadre mais
cette promotion peut me laisser tellement indifférent que je ne
m'inscrirai pas plus que dans les autres cas » [p. 27].
Selon Bonner et Sprinkle [2002], l'effet des incitations
monétaires sur l'effort dans une conceptualisation de la théorie
des attentes est double. D'abord, le résultat d'intérêt est
la récompense financière. L'argent peut avoir la valence pour une
variété de raisons. La conception initiale de Vroom de la valence
de l'argent est que l'argent est instrumental en permettant d'obtenir des
choses que les individus désirent tel que des biens matériels. En
outre, l'argent a une valeur symbolique due à son rapport perçu
avec le prestige, le statut, et d'autres facteurs. Les incitations
monétaires ont clairement une valence plus élevée que le
cas sans salaire et peuvent également avoir une valence plus
élevée que les incitations non- contingentes. De plus, sous un
système de salaire fixe pur, il n'y a aucun lien entre la performance et
le résultat [Cadsby et al., 2005]. Deuxièmement, les attentes
devraient également être, et se sont avérées, plus
élevées sous forme d'incitations monétaires que sous forme
d'aucun salaire ou des incitations non-contingentes en raison de liens plus
forts parmi l'effort, la performance et le salaire.
En conséquence, selon la théorie des attentes,
la motivation d'un individu et l'effort suivant sont sensiblement plus
élevés quand la compensation est basée sur la performance,
due à une attente accrue au sujet de la relation
effort-performance-résultat et à une plus grande valence de
résultat. Dans ces circonstances, Cadsby et al. [2005] soutiennent que
le salaire élevé contingent à une performance devrait
inciter des salariés à travailler dur.
Dans la sous-section suivante, nous décrirons une autre
théorie qui présente le concept des incitations des
salariés à l'effort dans le travail lorsqu'il y a des
problèmes d'asymétrie informationnelle au sein d'une firme. Il
s'agit d'une théorie des incitations avec le modèle
Principal-Agent.
2- La théorie des incitations : le modèle
du Principal-Agent
Le développement de la théorie des incitations a
été une avance importante en économie pendant plus de
trente années. Par économie des contrats, nous entendons les
trois grandes approches théoriques dans le champ de l'économie
contractuelle renvoyant conventionnellement à la théorie des
incitations, la théorie des coûts de transaction et la
théorie des contrats incomplets [Brousseau et Glachant, 2000].
La théorie des incitations se caractérise par
deux hypothèses principales. En premier lieu, dans l'ensemble des
théories contractuelles, la théorie des incitations est
probablement celle qui se rapproche le plus, dans ses fondements, du
modèle néoclassique [Dubrion, 2004], parce que la théorie
des incitations suppose que les agents soient dotés d'une
rationalité économique substantive identique à celle de
l'homo oeconomicus de la théorie néoclassique [Baudry,
2003]. Ils disposent d'une capacité de calcul illimitée, ainsi
que d'une information complète qui leur permet de connaître dans
tous les cas la structure des problèmes auxquels ils sont
confrontés. L'information de ces agents est complète au sens
où, même s'ils ne peuvent pas anticiper avec exactitude un avenir
qui reste aléatoire, les agents connaissent la structure de tous les
problèmes auxquels ils pourraient faire face. Ce qu'ils peuvent ne pas
connaître, le cas échéant, c'est la liste des
problèmes qui vont effectivement survenir et leur enchaînement.
Ils se représentent alors l'avenir à partir de lois de
probabilité. Ceci renvoie à un univers probabilisable, les agents
imaginent les solutions les plus efficaces en fonction des différents
états possibles de la nature et calculent des espérances de
résultats. De tels calculs
sont réalisables parce que les agents disposent de
compétences illimitées en la matière, c'està-dire
que calculer ne leur coûte rien, ni en temps ni en
ressources21.
En second lieu, contrairement à la théorie
néoclassique, les agents ne partagent pas la même information sur
les variables qui déterminent leur choix - hypothèse
d'asymétrie d'information. Certains individus, les « principaux
», sont sous-informés par rapport à ceux qui vont agir pour
eux, les « agents ». Comme chez Williamson, les individus sont
supposés opportunistes, c'est-à-dire qu'ils sont prêts
à tricher pour satisfaire au mieux leur intérêt personnel.
Puisque l'agent est supposé posséder des informations qui ne sont
pas connues du principal, le problème à résoudre consiste
à expliciter comment le principal (l'employeur) peut concevoir un
système de rémunération (un contrat) qui incite un autre
individu, son agent (l'employé), à agir dans
l'intérêt du principal. Mettant clairement en avant l'importance
des incitations entre les agents économiques, cette conceptualisation
nous semble directement imprégnée de la conception de
l'organisation interne de firme défendue par Alchian et Demsetz
[1972].
L'article de 1972 d'Alchian et Demsetz est à l'origine
du courant qui considère la firme comme un « noeud de contrats
». Cet article a ensuite été prolongé en 1976 par
Jensen et Meckling, véritables fondateurs de la conception de la firme
comme noeud de contrats. La théorie des incitations constitue le support
théorique principal de cette conception22. Selon Jensen et
Meckling [1976], la firme abrite l'ensemble des contrats bilatéraux
conclus entre elle-même et ses fournisseurs, ses salariés, ses
managers, ses investisseurs, ses clients. Mais dans notre recherche, on
étudie seulement la relation entre l'employeur et les salariés.
En revanche, tous ces contrats prennent la forme d'une relation dite d'agence.
Une relation d'agence apparaît chaque fois qu'un individu, le principal
(l'employeur) engage une autre personne, l'agent (l'employé) pour
exécuter une tâche dans son intérêt, et ce en
situation d'asymétrie d'information. La théorie des incitations
constitue le cadre adéquat pour traiter de telles relations d'agence. En
effet, selon Brousseau et Glachant [2000], cette théorie raisonne
à partir d'une situation canonique dans laquelle une partie
sous-informée - dénommée le principal - met au point un
schéma d'incitation pour conduire la partie informée - l'agent -
soit à révéler son information privée
(modèle d'anti-sélection ou sélection adverse), soit
à adopter un comportement conforme à l'intérêt du
principal (modèle du risque moral ou aléa moral), (voir
encadré). Le schéma d'incitation repose, pour eux, sur une
rémunération
21 Brousseau, E. et Glachant, J,-M [2000], «
Economie des contrats et renouvellements de l'analyse économique »,
Revue d'économie industrielle, vol. 92, n° 1, p. 28
22 Baudry, B. [2003], Economie de la firme,
La Découverte, Paris, p. 14 - 15.
conditionnelle à des « signaux »
résultant du comportement de l'agent (comme le choix d'une option sur
une liste de propositions qualifiée de « menu » de contrats ;
ou comme le résultat apparent de son effort lorsque cet effort
lui-même n'est pas observable). L'existence d'un tel schéma
d'incitation repose sur deux hypothèses importantes23.
Premièrement, bien que le principal soit
sous-informé, puisqu'il ne sait pas quelle est la valeur réelle
de la variable cachée, il connaît à la fois la loi de
probabilité qui affecte cette variable et la fonction de
préférence de l'agent. Le principal peut donc se mettre à
la place de ce dernier pour anticiper ses réactions aux
différents schémas de rémunérations concevables, et
sélectionner le schéma qu'il préfère parmi les
schémas acceptables par l'agent.
Deuxièmement, il existe un cadre institutionnel
dissimulé, mais compétent et bienveillant, assurant le respect
des engagements pris par le principal. Ainsi toute proposition formulée
par le principal est crédible pour l'agent. D'autre part, le
schéma de rémunération proposé repose sur une
information dite vérifiable, c'est-à-dire observable par un
tiers.
L'asymétrie d'information
Asymétrie d'information : cette
propriété est caractéristique des situations dans
lesquelles plusieurs agents, ayant à conclure un contrat, disposent sur
l'objet du contrat d'informations différentes et incomplètes,
voire fausses. Ce peut être le cas d'un contrat de travail : l'employeur
n'est pas à même de connaître parfaitement la personne qu'il
va recruter. Par exemple, un CV ne donnant pas d'information fiable sur le
caractère, la capacité de travail ou l'honnêteté
d'une personne ; de même les conditions réelles d'exercice du
travail ne sont que rarement spécifiées dans le détail.
L'asymétrie d'information engendre souvent des comportements
opportunistes de la part des individus concernés [Filleau et
Marques-Ripoull, 1999]. Williamson [1994] définie l'opportunisme comme
l'absence d'honnêteté dans les transactions, la recherche de
l'intérêt personnel stratégique par le moyen de la
tromperie, de la ruse, de la divulgation d'informations incomplètes ou
dénaturées. L'opportunisme est responsable des asymétries
d'informations qui compliquent le fonctionnement de l'organisation. Williamson
distingue deux types d'opportunisme : un opportunisme ex ante
correspondant à l'anti-sélection et un opportunisme ex
post correspondant à l'aléa moral.
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23 Ces deux hypothèses sont tirées de
l'article de Brousseau et Blachant [2000], intitulé « Economie des
contrats et renouvellements de l'analyse économique »,
publié dans la revue d'économie industrielle, vol. 92,
n° 1, p.29.
L'anti-sélection : ce
phénomène apparaît lorsqu'il est difficile, voire
impossible, d'apprécier les caractéristiques exactes des biens ou
des services qui font l'objet d'un contrat. En prenant l'exemple de la relation
employeur-employé, l'anti-sélection renvoie à
l'incertitude d'un employeur sur la compétence de la personne qu'il
embauche. C'est ainsi qu'au cours des négociations d'un contrat de
travail, les salariés qui désirent être embauchés
connaissent mieux que l'employeur leur capacité exacte de travail. Sauf
s'il engage des coûts importants de recherche d'informations, l'employeur
est incapable de distinguer, parmi les candidats à un emploi, ceux qui
ont une productivité élevée de ceux dont la
productivité est faible [Koenig, 1998]. S'il fixe un salaire identique
pour tous, il n'attire que les agents dont la productivité correspond
à cette rémunération ou à un montant
inférieur. Il risque ainsi d'engager des salariés ayant une
productivité très faible et n'obtenir aucun salarié
très productif.
L'aléa moral : ce type de risque se
présente lorsque l'un des partenaires se trouve dans
l'impossibilité de vérifier le respect des engagements qui ont
été pris vis-à-vis de lui lors de la signature du contrat.
Ainsi, une fois le contrat de travail signé, un employeur ne peut pas
complètement s'assurer que son salarié effectue correctement et
en totalité le travail pour lequel il a été engagé.
D'une façon générale, on parle d'aléa moral lorsque
les agents profitent du fait que le contrôle de leurs comportements soit
jugé trop onéreux, pour ne pas respecter leurs engagements
contractuels. C'est le cas des contrats de travail non respectés par les
salariés qui tirent au flanc. S'il est impossible de mesurer la
contribution de chaque agent à la réalisation du gain d'une
activité régie par un contrat, il est probable que chaque
participant essaie de s'attribuer la part la plus importante possible de ce
gain.
Jensen et Meckling [1976] sont les principaux auteurs à
avoir développé la notion de relation d'agence. En fait, cette
relation d'agence est très générale et couvre l'ensemble
des relations entre deux individus, par exemple, la situation de l'un
dépend de l'action de l'autre. Dans notre recherche, comme
précédemment indiqué, on n'étudie que la relation
entre l'employeur et les salariés au sein de la firme. Les deux auteurs
ont encore ajouté que si les deux parties s'engageant dans la relation
ont tendance à maximiser leurs propres utilités (utility
maximizers), il y a de bonne raison de croire que l'agent n'agira pas
toujours dans les meilleurs intérêts du principal (Voir Figure 2).
En d'autres termes, l'agent en tant que
rationaliste de l'intérêt personnel tirera profit de
l'incapacité du principal à surveiller tous les aspects de
comportement de l'agent, qui pourra se dérober des obligations
contractées24.
Figure 2 : Modèle Principal-Agent
Asymétrie d'information
emploie
P A
Intérêt personnel
Intérêt personnel
P : Principal A : Agent
exécute
D'une manière générale, le conflit
d'intérêt entre les deux parties porte sur le niveau d'effort: le
principal souhaite que l'agent fournisse un effort important alors que ce
dernier, si l'effort est coûteux et qu'il n'est pas
récompensé en conséquence, a intérêt à
fournir un effort minimal [Raynaud, 2005]. Afin d'éviter le
problème de tire-au-flanc, le principal doit soit investir dans la
surveillance (monitoring) de comportement, soit créer un
contrat qui récompense l'agent en se basant sur des résultats.
Comme la surveillance est souvent coûteuse et de plus en plus difficile
pour le travail qui implique un degré élevé d'incertitude
et de comportement discrétionnaire, le modèle standard
principal-agent propose que le principal (c'est-à-dire l'employeur) a
généralement intérêt à proposer un contrat
qui propose une rémunération variable pour l'agent
(l'employé) en fonction du résultat réalisé.
Dans ce modèle, il est difficile pour le principal de
prouver aux yeux d'un tiers (en particulier un tribunal) que l'agent n'a pas
respecté ses engagements même si initialement le principal est
capable de décrire précisément ce qu'il attend de l'agent
et que ce dernier a
24 Colvin, A. J. S. et Boswell, W. R. [2007], «
The Problem of Action and Interest Alignment: Beyond Job Requirements and
Incentive Compensation », Human Resource Management Review, vol.
17, n° 1, p. 44.
accepté la proposition [Raynaud, 2005]. Il est donc
impossible d'inclure le niveau d'effort souhaité par le principal dans
un contrat écrit. Puisque l'effort de l'agent n'est pas observable par
le principal, le contrat doit inciter l'agent à fournir le niveau
d'effort souhaité par le principal (contrainte d'incitation) et doit lui
procurer un niveau d'utilité au moins égal à son
utilité sans contrat (contrainte de participation)25. Si le
principal offre un contrat avec une rémunération fixe
indépendante de l'état de la nature, l'agent fournira le niveau
d'effort le moins coûteux pour lui, en général le niveau
d'effort le plus faible. Si le principal souhaite que l'agent fournisse un
niveau d'effort plus élevé et plus coûteux pour ce dernier,
le contrat proposé à l'agent devra maximiser son utilité
espérée lorsqu'il choisit le niveau d'effort souhaité par
le principal.
Dans la théorie du principal-agent, il y a certaines
hypothèses : le principal est neutre au risque alors que l'agent est
averse au risque, le coût de l'effort est croissant, l'information est
asymétrique et ainsi de suite. Sous ces hypothèses, on montre
qu'à l'optimum les deux contraintes sont saturées [Keser et
Willinger, 2000]. Dans la résolution économique standard du
problème principal-agent, les systèmes de compensation
remplissent la fonction duelle d'assigner des risques et de récompenser
le travail productif. Une tension entre ces deux fonctions surgit quand l'agent
a de l'aversion au risque. Car cela force souvent l'agent à soutenir le
risque non désiré26.
La théorie du principal-agent suggère que les
incitations monétaires jouent un rôle très fondamental dans
la motivation et le contrôle de la performance. Divers mécanismes
monétaires peuvent être utilisés pour aligner les
intérêts de l'agent avec ceux du principal, tels que le salaire
à la performance, le modèle à paiement
différé... que nous allons aborder dans le chapitre suivant.
En résumé, la théorie des attentes et la
théorie des incitations avec le modèle Principal- Agent mettent
en lumière clairement les problèmes d'incitations des
salariés au travail au sein de la firme et puis donnent les
mécanismes par lesquels les incitations monétaires sont
supposées générer l'augmentation de l'effort des
salariés. En effet, les incitations monétaires affectent
l'attractivité ou l'utilité de divers résultats et
l'effort affecte la probabilité de réaliser ces résultats.
Ainsi, les incitations monétaires augmentent le désir d'un
individu d'accroitre la performance et le salaire concomitant. Alternativement,
ce désir motive les individus à
25 Keser, C. et Willinger, M. [2000], « La
théorie des contrats dans un contexte expérimental: un survol des
expériences sur les relations « principal-agent » »,
Revue d'économie industrielle, vol. 92, n° 1, p. 237.
26 Holmström, B. et Milgrom, P. [1991], «
Multitask Principal-Agent Analyses: Incentive Contracts, Asset Ownership, and
Job Design », Journal of Law, Economics and Organization, vol. 7,
Special Issue, p. 24.
exercer l'effort coûteux parce que les augmentations de
l'effort sont présumées mener directement aux augmentations de la
performance prévue.
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