La classification
référentielle du pronom personnel de la troisième
personne et les écarts qu'elle pose entre le français classique
et le français moderne :
Si on se fonde sur l'appellation pronom
personnel, on serait tenté de croire que il
et ses variantes allomorphiques ne représentent que des
noms de personne. Cependant, comme nous l'avons déjà vu, ils
n'ont eu ce nom que par référence aux autres pronoms personnels
de la première et de la deuxième personne qui ne remplacent que
des humains. Les pronoms de la troisième personne ont alors une classe
de référence beaucoup plus vaste que ceux de même
catégorie en français classique et en français moderne.
Ils ont la propriété de référer à un
antécédent qui peut être un groupe nominal (humain ou
chose), un groupe verbal, un adjectif, une proposition, un
énoncé.
En ancien et en moyen français les emplois
étaient plus libres qu'en français classique. En effet, c'est
à cette période que les grammairiens ont établi des
règles qui sélectionnaient, pour chacune des formes du pronom
personnel de la troisième personne, une classe de
référents possible. Cette classification
référentielle, faite à cette période est celle qui
prévaut jusque dans la norme du français moderne.
Bien qu'ils partagent la même valeur de
représentant dans le texte, les pronoms il
(s), elle (s),
on, le,
la, les,
lui, leur,
eux, se,
soi, en et y
sont différenciés les uns les autres par la
catégorisation de leur référence. Cependant, en dehors du
pronom indéfini on à valeur
générale, ces pronoms ont une propriété qu'ils
partagent tous, ces celle d'anaphoriser un groupe nominal (déterminant +
nom).
I. La représentation d'un groupe nominal,
d'un adjectif, d'un verbe ou d'un énoncé :
A l'exception des pronoms adverbiaux
en et y et du pronom neutre
le, en français moderne, tous les pronoms
personnels de la troisième personne sont spécifiquement
réservés à la représentation d'un groupe nominal ou
d'un nom propre. Cette norme qui date de l'époque classique n'a pas
toujours été adoptée par l'usage. Nous allons ainsi
étudier les capacités référentielles du pronom
personnel et plus particulièrement les emplois qui différencient
l'usage de ces pronoms en français classique par rapport en
français moderne.
1.1. Les pronoms sujets il et
elle :
D'après la spécialisation qui s'est
effectuée sur la référence des pronoms en français
classique, il (s) et elle
(s) servent désormais exclusivement à la
représentation d'un groupe nominal ou d'un nom propre.
« Et si vos
yeux sur moi le pouvaient ramasser
Ils prendraient
aisément le soin de se baisser »
(Molière, Fem. sav.
V.193-4)
Les anaphorise vos
yeux.
« Mme de Clèves
s'était bien doutée que ce prince s'était aperçu de
la sensibilité qu'elle avait eue pour lui et
ses paroles lui firent voir qu'elle ne s'était
pas trompée. »
(La
Fayette, Pr. de Clèves, p.209)
« Elle (la
vie) fut charmante, grâce à la beauté de leur jeunesse
Deslauriers, n'ayant parlé d'aucune convention
pécuniaire, Frédéric n'en parla pas.
Il subvenait à
toutes les dépenses. »
(Flaubert, Educ.sent. p.63)
Il reprend
Frédéric.
« Non !
rien ! rien ! balbutia le jeune homme, cherchant un
prétexte à sa visite. Enfin il
dit qu'il était venu savoir de ses nouvelles,
car il le croyait en
Allemagne »
(Id. ib. p. 75)
Ces exemples du français classique et du
français moderne rendent compte de la classification dans l'emploi des
pronoms il et elle. Ils ne
peuvent anaphoriser un énoncé que lorsque celui-ci sert à
paraphraser un groupe nominal.
« De
répondre à l'amour que l'on vous fait paraître
Sans le congé de ceux qui vous ont
donné l'être.
Sachez... qu'ils ont sur
votre coeur l'autorité suprême. »
(Molière, Fem. sav v.163-4-7)
En dépit de cette classification, on remarque
dans la langue classique l'emploi du pronom personnel
il référent à un
énoncé, à la manière des pronoms
démonstratifs neutres ce,
ceci, cela qui ont
généralement une valeur résumante.
1-1-1- Le
pronom il anaphorisant un énoncé :
Les emplois du pronom il
neutre résumant un énoncé précédent sont
récurrents dans le texte des Femmes savantes.
Dans ces cas, il accompagne souvent le verbe impersonnel qui n'avait pas de
sujet dans l'ancienne langue.
Ariste : «- Parlons à votre femme, et
voyons à la rendre favorable...
Chrysale : - Il suffit je
l'accepte pour gendre. »
(Molière, Fem. sav v.407-8)
Au lieu de dire cela ou
ça suffit comme il
convient en français moderne, le pronom il est
employé pour résumer l'idée de la phrase
précédente. Il en est de même dans :
« -ce n'est pas mon fait que les choses
d'esprit
-il n'importe. »
(Id. ib. v.730-1)
« Et, pourvu que j'obtienne un
bonheur si charmant
Pourvu que je vous aie, il
n'importe comment. »
(Id. ib. v.1535-6)
Il reprend le fait exprimé
dans la proposition précédente dans ces exemples.
Ces tournures ne sont plus admises en
français moderne où le pronom démonstratif neutre a pris
la place du il dans ces emplois. Cependant la
concurrence du pronom il et les démonstratif
subsistent dans l'usage, en français classique et dans certains emplois
jusque dans la langue actuelle.
1-1-2- Le pronom il
impersonnel en concurrence avec le démonstratif ce :
Employés comme sujet du verbe
être + un adjectif, le pronom
il a représenté une proposition. Au XVIIe
siècle, les grammairiens ont commencé à fixer des
règles dans son emploi. Brunot qui étudie ce
cas à travers les emplois en français classique, trouve que le
pronom il convient lorsqu'un adjectif suit le verbe
comme dans l'expression il est bon de, ou encore
lorsqu'un nom de temps suit le verbe être comme
dans il est temps.
Cependant il émet quelques réserves
quant à cette règle et expose ainsi l'incertitude de certains
grammairiens classiques. En effet, il écrit à propos de
il devant le verbe être et un
adjectif que : «Furetière se
demande s'il est mieux de dire il ou
cela devant le verbe
être : «Est-il vray
que cet homme fait tant de dépenses ?
Faut-il répondre : il est vray ou
cela est vray ? » Il croit que les
deux expressions sont bonnes. »59 Cette
incertitude dans l'emploi de ces deux pronoms de classes
différentes ne répond pas au principe de netteté qui
prévalait dans la norme du français classique. La règle
reste imprécise et dans la plupart des cas les grammairiens
préfèrent les pronoms neutres ce et
cela à la place de
il. En effet dans la norme des restrictions sont
faites dans l'emploi de il + verbe
être + adjectif.
L'Académie propose le pronom ce ou
cela à la place de
il lorsque l'antécédent est
antéposé. Cependant, l'usage des écrivains de cette
époque n'a pas tenu compte de cette règle. Et on peut ainsi
relever dans nos textes classiques divers emplois qui ont gardé l'usage
de il résumant un énoncé précédent :
« Vous
moquez vous ? Il n'est pas
nécessaire. »
(Molière, Fem. sav v.411)
« -De ma douceur elle a trop
profité
-Il est
vrai. »
(Id. ib. v.701-2)
« Madame, et cet hymen dont je
vois qu'on m'honore.
Me met ... Tout beau, monsieur
il n'est pas fait
encore. »
(Id. ib. V.1081)
« Vous
m'étonnez, reprit Mme de Clèves, et je vous ai ouï dire
plusieurs fois qu'il n'y avait point de femme à la cour que vous
estimassiez davantage.
-Il est vrai,
répondit-il, »
(La Fayette, Pr. de Clèves, p.174)
(59) Brunot (F), Histoire de langue
française. T. IV, Paris, Armand Colin, 1966. p. 859
« Je
souffre en apparence sans peine, l'attachement du roi pour la duchesse de
Valentinois ; mais il m'est
insupportable. »
(Id. ib.
p.221)
Dans ces exemples, le pronom
il suit l'énoncé qui lui sert
d'antécédent. Ces emplois ne sont pas en accord avec la
règle en français classique, et ils ne sont pas admis en
français moderne où il serait
remplacé par les pronoms ce ou
cela. En effet Haase soutient que
« le pronom neutre il
inconnu à la plus ancienne période de la langue, gagne de plus
en plus du terrain et tient souvent la place du démonstratif
cela et ce, tandis que le
français moderne ne l'emploi que dans les incises comme :
il est vrai »60
Le pronom il n'a donc
survécu en français moderne dans les tournures de ce genre
qu'avec quelques expressions qui servent à introduire une proposition
infinitive ou une complétive. Et dans ces cas le pronom
il a son antécédent postposé car
dans le cas contraire il convient de mettre le démonstratif neutre.
Il est vrai qu'il doit
partir.
Il doit partir, c'est
vrai.
Pour toutes ces raisons les emplois du
il neutre, anaphorisant un énoncé, sont
plus fréquents dans la langue classique que dans la langue moderne
où on ne le retrouve plus que dans les expressions comme : il
est temps, il est mieux, il est bon, il est
nécessaire, il est possible, il est probable,
il est + adjectif etc....introduisant une complétive
ou une proposition infinitive.
« Il était
impossible de la connaître, de savoir,
par exemple, si elle aimait
Arnoux, »
(Flaubert, Educ. sent. p. 175)
(60) Haase (A), Syntaxe française du XVIIe
siècle, éd. traduite et remaniée par Monsieur Obert,
Paris, Delagrave,1971 p.2.
« Il serait
temps, peut être, d'aller instruire les
populations. »
(Id. ib p.343)
L'emploi du pronom il dans ces
exemples convient parfaitement à la syntaxe du français moderne.
Alors que la plupart des emplois du français classique sont aujourd'hui
incorrects.
« Sachez
que le devoir vous soumet à leurs lois,
Qu'il ne vous est permis
d'aimer que par leur
Qu'ils ont sur votre coeur
l'autorité suprême,
Et qu'il est criminel
d'en disposer vous-même.»
(Molière, Fem. sav. v.165-8)
L'Académie française s'en est pris à cet
exemple, et signale qu' « il est
criminel » pour dire c'est une chose
criminelle a été blâmé par
plusieurs »61. En effet la
règle exigeait que l'on emploie le pronom neutre
ce à la place de il
lorsque le verbe être était suivi d'un
groupe nominal au lieu d'un adjectif.
« Ce lui était une grande
douleur de voir qu'elle n'était plus maîtresse de cacher ses
sentiments et de les avoir laissés paraître au chevalier de
Guise. »
(La fayette,
Pr. de Clèves, p.209)
Cependant malgré la distinction faite par la norme, en
français classique l'usage a parfois enfreint cette règle en
employant il à la place de
ce.
« J'ai
laissé tomber cette lettre dont je parlais hier ;
il m'est d'une conséquence extrême que
personne ne sache qu'elle s'adresse à
moi. »
(Id. ib.
p.216)
(61) Brunot (F), Histoire de la langue
française, T VI éd. Paris Armand Colin 1966 p 1644
« Depuis
qu'elle l'aimait, il ne s'était point passé de jour qu'elle
n'eût craint ou espéré de le rencontrer et elle trouva une
grande peine à penser qu'il n'était
plus au pouvoir du hasard de faire qu'elle le
rencontrât. »
(Id. ib.
p.278)
Ces emplois irréguliers montrent l'écart qu'il y
a entre d'une part l'usage et d'autre part la norme en cours, surtout en ce qui
concerne cette règle. En effet, même les grammairiens ont
été, pour la plupart, indécis dans leurs suggestions pour
l'emploi du pronom neutre il ou du
démonstratif résumant suivi du verbe être
et d'un adjectif. C'est pourquoi, les écrivains
classiques ont gardé les tournures qui étaient d'usage dans le
siècle précédent.
1-2- Les pronoms personnels
compléments :
Les pronoms compléments le,
la, les représentent
un groupe nominal ou un nom propre en français classique et en
français moderne.
« Et je
le (Trissotin) connaissais avant que l'avoir
vu »
(Molière, Fem. sav. v.250)
« Parlons à votre
femme, et voyons à la rendre
favorable »
(Id. ib v.407-8)
Il en est de même pour les autres pronoms personnels
compléments lui,
leur, eux ainsi que
se et soi (qui assurent la
réflexion des pronoms sujets il et
elle ou un groupe nominal équivalent)
Cependant, le pronom personnel le
neutre (ou l' lorsqu'il est élidé
devant une voyelle) a des capacités de référence plus
grandes car il peut anaphoriser un adjectif, un verbe, une idée ou un
énoncé en français classique et moderne.
1-2-1-
Le pronom le
référant à une idée, un
énoncé ou un groupe
verbal :
« Croyez-vous
pour vos yeux sa passion bien forte,
Et qu'en son coeur pour moi toute flamme soit morte
-Il me le dit, ma soeur, et,
pour moi, je le croi.»
(Molière, Fem.sav.
V.111-3)
Le refére dans cet exemple
à une idée, celle de la réponse d'Henriette qui n'est pas
textuellement formulée : le = que sa
passion est bien forte et qu'en son coeur pour toi toute flamme est morte.
« (...) le maréchal de
Saint-André, quoique audacieux et soutenu de la faveur du roi,
était touché de sa beauté, sans oser
le lui faire paraître que par des soins et des
devoirs. »
(La
Fayette, Pr. de Clèves, p.152)
Le pronom le anaphorise dans cet
exemple l'énoncé précédent. Il a alors une valeur
d'anaphore résumante.
« Et faites
le contrat ainsi que je l'ai
dit. »
(Molière, Fem. sav. V. 1778)
Le pronom le reprend le
verbe faire : faites le contrat
ainsi que j'ai dit de faire
1-2-2- Le pronom
le représentant un adjectif ou ayant la fonction d'un
attribut :
« Ma tante, et bel esprit, il
ne l'est pas qui
veut. »
(Id. ib V.822)
« Que peu
philosophe est ce qu'il vient de faire
Je ne me vante point de
l'être, mais
enfin »
(Id. ib. V.1728-9)
« - L'on ne
peut être plus surprise que je le suis, dit
alors Mme de Clèves, et je croyais Mme de Tournon incapable
d'amour et de tromperie. »
(La
Fayette, Pr. de Clèves, p.186)
« Elle
était si belle, ce jour-là, qu'il en serait devenu amoureux quand
il ne l'aurait pas
été. »
(Id. ib.
p.202)
Le
(l') anaphorise dans
ces exemples un adjectif ou un nom qui a la valeur d'un adjectif.
L'a la fonction d'un attribut parce qu'il accompagne
le verbe être.
Dans ces emplois le pronom
le est neutre, et selon la norme établie
en français classique, il ne peut pas varier en genre et en nombre, ni
lorsqu'il reprend une idée ou un énoncé, ni lorsqu'il
reprend un verbe. Cependant le, employé en
fonction attributive, n'a commencé à devenir invariable
qu'à partir du français classique.
1-2-3- Les pronoms
la, les à la place du pronom
neutre le :
Avant la période classique,
le attribut prenait la marque du féminin
la et
du pluriel les suivant que le sujet
qu'il déterminait était du genre féminin ou du nombre
pluriel.
Au XVIIe siècle, Vaugelas condamne
l'accord dans l'exemple « Etes-vous
malade, Madame ? Je la suis » et assimile l'emploi
du pronom la à
« cette faute que font presque toutes les femmes et
de Paris et de la cour. »62
Mais malgré l'interdiction, l'emploi de
la et les à la place
du pronom le neutre continue chez les
écrivains. En effet, Haase trouve que
« le pronom le, attribut
du verbe être, s'accorde avec son sujet au XVIIe siècle
et les formes la, les
remplacent le neutre le dans la langue
actuelle. »63 Et il nous donne ces
quelques exemples pris dans des textes de Corneille et de Molière.
«Vous
êtes satisfaite, et je ne la suis
pas »
(Corneille, Pompée v.2)
«
Infidèles terrain du feu mal allumé, soyez
les de ma honte »
(Id., Galeries. du Palais. III, 10)
«Je veux
être mère parce que je la suis et ce
serait en vain que je ne voudrais pas
être »
(Molière, Les amants magnifiques
I, 2)
Ces emplois n'existent plus dans l'usage en
français moderne où l'on n'emploie que le pronom neutre dans ces
cas, que ce soit avec un sujet féminin ou pluriel. En effet, dans la
langue moderne, les pronoms compléments variables comme
la, les,
lui etc. ne peuvent pas anaphoriser un adjectif ou
autre chose qu'un groupe nominal déterminé.
(62) Vaugelas (C. Fabre de) 1647, Remarques sur la
langue française, Paris, Ed. Champs Libres 1987
(63) Haase (A), Syntaxe française du XVIIe
siècle, éd. traduite et remaniée par Monsieur Obert,
Paris, Delagrave, 1971. p 11
En dehors du pronom neutre le, seuls les pronoms
en et y peuvent
représenter en plus du groupe nominal, d'autres termes qui composent
l'énoncé.
1-2-4- Les pronoms adverbiaux en et
y :
En et
y ont des emplois plus libres que les autres pronoms
personnels de la troisième personne. Ils peuvent représenter un
groupe nominal en le faisant précéder de la proposition
de (en) et à (y).
*Avec en :
« Le
défaut des auteurs dans leurs productions
C'est
d'en tyranniser les
conversations »
(Molière, Fem. sav v.
955-6)
Le pronom en anaphorise
leurs productions : c'est de tyranniser
les conversation de leurs productions.
« (...)
elle avait été élevée à la cour de France,
elle en avait pris toute la politesse, et elle
était née avec tant de dispositions pour toutes les belles choses
que, malgré sa grande jeunesse, elle les aimait et s'y connaissait mieux
que personne. »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.130)
En représente la
cour
*Avec y :
« Ces
paroles firent rougir Mme de Clèves, et elle y
trouva un certain rapport avec l'état où elle
était,... »
(Id. ib. p.181)
Y refére à
ces paroles
« C'et
obligeant amour a de quoi me confondre
Et j'ai regret, monsieur, de
n'y pouvoir
répondre »
Y = à cet obligeant
amour
En français classique ces pronoms ont eu
différentes valeurs qui ont pour la plupart survécu dans la
langue moderne. Et tout comme le pronom neutre le,
les adverbiaux en et y, ont
la possibilité d'anaphoriser un énoncé, un groupe verbal
ou de reprendre une idée en français classique et en
français moderne.
*Avec y :
« Faites-vous sur mes voeux un pouvoir légitime
Et ne donnez moyen de vous aimer sans crime
-J'y vais de tous mes soins
travailler hautement »
(Molière, Fem. sav. v.175-7)
« (...) Mme
de Chartres lui dit qu'il y avait tant de grandeur et de bonnes qualités
dans M. de Clèves et qu'il faisait paraître tant de sagesse pour
son âge que, si elle sentait son inclination portée à
l'épouser, elle y consentirait avec
joie. »
(La fayette, Pr. de
Clèves, p.130)
Dans ces exemples le pronom y
résume l'idée de la proposition précédente et peut
être remplacé par à cela.
*Avec en :
« Par un prompt
désespoir souvent on se marie
Qu'on s'en reprend
après tout le temps de sa vie »
(Id. ib v.1775-6)
En anaphorise le groupe
verbal se marie : Qu'on se reprend de
s'être marié.
De même :
« (...)
elle avait fait une forte résolution de s'empêcher de le voir et
d'en éviter toutes les occasions qui
dépendrait d'elle. »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.174)
En reprenant un énoncé le pronom
en peut marquer la cause.
« Ce
prince était galant, bien fait et amoureux ; quoique sa passion
pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y
a plus de vingt ans, elle n'en était pas moins
violente, »
(Id. ib. p.130)
« Ce
prince vit bien qu'elle le fuyait, et en fut
sensiblement touché. »
(Id. ib. p.195)
« Le corps avec l'esprit fait
figure, mon frère
Mais, si vous en croyez
tout le monde savant, »
(Id. ib v.544-5)
Le pronom en a dans ces exemples la
valeur sémantique de à cause de
cela.
De même en français moderne :
« Son
amitié pour Frédéric était morte, et il
en éprouvait de la
joie »
(Flaubert,
Educ.sent. p. 216-7)
Les pronoms adverbiaux en et
y ont eu des emplois très libres en
français classique et la plupart de ceux là ont été
conservés dans la syntaxe du français moderne.
Cependant, le pronom en
a des emplois qui le particularisent par rapport aux autres pronoms de la
troisième personne. Il peut en effet dans la représentation
anaphorique, modifier la charge sémantique de son
antécédent.
II. La représentation non
coréférentiel d'un nom ou d'un groupe nominal par le pronom
personnel de la troisième personne
2-1- L'anaphore non coréférentielle
d'un nom à déterminant zéro en français
classique :
En français classique,
il et ses variantes allomorphiques sont
classifiés pour représenter un groupe nominal qu'ils reproduisent
fidèlement. En français, cette règle demeure toujours et
ces pronoms ne peuvent pratiquer une anaphore non coréférentielle
c'est-à-dire dans laquelle le mot représenté et le pronom
représentant, ne désigne pas la même chose. C'est pour
cette raison, que les pronoms personnels de la troisième personne qui
servent à reprendre un nom déterminé à l'aide d'un
article ou d'un équivalent, ne peuvent plus représenter
un nom à déterminant zéro, sauf si
celui-ci est en emploi extensionnel comme les noms propres. En
effet, si un pronom personnel reprend un nom à déterminant
zéro en emploi intentionnel comme ceux qui se trouvent
dans les locutions verbales du genre : prendre
soin, rendre justice, tenir
rigueur, prendre partie etc.,
il dote ce dernier d'une extension. Cette extension n'est rien d'autre que la
détermination qui donne au mot sa valeur référentielle.
Mais, il arrive aussi qu'il maintienne l'emploi intentionnel et dans ce cas le
nom n'est anaphorisé que pour ses propriétés
sémantiques.
Ce changement qui s'opère dans la
représentation, crée un décalage entre le mot
représenté et le pronom. Ce genre d'anaphore non
coréférentielle était encore présent dans la langue
classique malgré l'intervention des remarqueurs comme
Vaugelas qui s'y opposait.
« Il
serait beau vraiment qu'on le vit aujourd'hui
Prendre loi de qui doit la
recevoir de lui » 64
(Molière, L'école des
femmes. v 1690-1)
« J'offenserais le Roi qui
m'a promis justice.
Vous savez qu'elle marche
avec tant de langueur »65
(Corneille, Cid 882.3)
Les pronoms la et
elle dans ces exemples reprennent respectivement les
mots loi et justice qui
n'ont de sens dans leurs emplois que lorsqu'ils sont accompagnés de leur
noyau verbal que sont successivement prendre et
promettre (a promis). En faisant reprendre
les termes non accompagnés de déterminants que sont ici les mots
loi et justice par les
pronoms la et elle, on
crée un décalage entre le sens des antécédents et
celui de la représentation qu'en font les pronoms. En effet, ces
antécédents, dans les locutions verbales prendre
loi et a promis justice expriment
l'acte, le fait. Ils différent ainsi de la signification que leur donne
le mot accompagné de déterminant dans la
loi et la justice qui ici sont
référentiels, représentant des institutions.
De même, le pronom personnel ne peut pas reprendre
en français moderne un groupe nominal déterminé en en
ôtant son extension, il y aurait alors anaphore non
coréférentiels.
64-65 Exemples citée par Spillebout (G),
Grammaire de la langue française du XVIIe siècle,
Paris, Picard 1985. p 142
« De son
bon goût, monsieur, nous voyons des effets
-où voyez-vous, monsieur,
qu'elle l'ait si
mauvais. »
(Molière, Fem. sav.
v. 1347-8)
Dans cet exemple, le mot goût
dans le groupe nominal son bon goût est repris
dans le second vers par le pronom personnel élidé
l' pour rendre l'expression verbale avoir
mauvais goût dans laquelle le mot
goût n'est pas déterminé.
Avec la classification qui opérée sur
les pronoms personnels à l'époque classique, ces emplois non
coréférentiels ont été condamnés par les
grammairiens. Et par conséquent, ils n'ont pas survécu en
français moderne. En ce sens, Brunot explique qu'
« en f .m, un nom pour être
représenté, a besoin d'être accompagné de l'article
ou d'un de ses équivalents. Cela veut dire qu'une expression verbale ou
nominale une fois composée, on ne peut en détacher un
élément, pour porter sur lui la
pensée. »66
L'anaphore d'un nom à déterminant
zéro est cependant restée un emploi fréquent dans la
langue classique mais on le retrouve surtout avec les pronoms
en et y qui ont de grandes
capacités référentielles aussi bien en français
classique qu'en français moderne.
« Ayez pitié de moi,
Madame, lui dit-il, j'en suis digne
... »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.241)
« - Au nom de
Dieu, lui dit-elle, laissez-moi en repos !
- Hélas
Madame, répondit-il, je ne vous y laisse que
trop ; de quoi pouvez-vous vous plaindre ?
(Id. ib. p.250)
(66) Brunot (F), La pensée et la
langue, Paris Masson et Cie 3ème éd. 1936. P
173
Dans ces exemples les pronoms en et
y anaphorisent des noms à déterminant
zéro de manière coréférentielle en
référant à un mot sans déterminant tout en le
maintenant en emploi intentionnel dans une expression verbale :
je ne vous y lisse que trop = je ne vous
laisse que trop en repos. Il y a donc
une saisie purement notionnelle du mot repos
qui n'est pris que pour ses propriétés sémantiques
et non pour une quelconque valeur référentielle.
Cependant le pronom en
est aussi apte à faire une anaphore non coréférentielle
sur un groupe nominal lorsqu'il reprend un nom déterminé en
ôtant sa détermination ou lorsqu'il reprend un nom à
déterminant zéro en le dotant d'une extension.
« (...) il
feignit une grande passion pour la chasse et il en
faisait des parties les mêmes jours qu'il y avait des assemblées
chez les reines. »
(Id. ib. p.194)
Le pronom en refére au groupe
nominal la chasse en ôtant l'extension du mot
dans l'expression : parties de chasse.
« Si
j'avais le courroux dont on veut m'accuser,
Je trouverais assez de quoi l'autoriser.
Vous en seriez trop
digne, »
(Molière, Fem.
sav. v.1167-9)
En reprend le courroux
en ôtant son extension dans la locution adjectivale
digne de courroux. Il en est de même en français
moderne
« Vous
m'avez l'air d'un fameux garde national ! (...)_ Je n'en
suis pas ! »
(Flaubert, Educ. sent. p.63)
En reprend
garde national sans la détermination.
Dans ces exemples il y a anaphore non
coréférentielle. Il en est ainsi dans cet autre exemple
« Enfin une
partie de la nuit était passée devant que M. de Nemours
songeât à le laisser en repos.
Mme de Clèves n'était
pas en état d'en
trouver... »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.310)
Le pronom en reprend
le mot repos employé dans une
locution verbale en le dotant d'une extension à l'aide du partitif
du (Madame de Clèves n'était pas en
état de trouver du repos)
Le pronom en peut
également en français classique comme en français moderne
anaphoriser un groupe nominal en modifiant sa détermination.
2-2- L'anaphore non coréférentielle
d'un nom déterminé par le pronom en en
français classique et moderne.
Lorsque le pronom adverbial
en représente un nom déterminé,
il a la capacité d'en changer la détermination en passant du
général au particulier en changeant le nombre du
déterminant ou en passant d'un déterminant massif à un
déterminant comptable et vice versa. Et dans ces cas
l'antécédent et le pronom anaphorique ne représentent plus
la même chose : Ils sont non coréférentiels
2-2-1 Le passage du
général au particulier :
On obtient en général cet emploi lorsque le
pronom en suivi de l'article
un, reprend un groupe nominal.
« Il me tarde de
voir notre assemblée ouverte
Et de nous signaler par quelque découverte
(...) pour moi sans me flatter,
j'en ai déjà fait
une ».
(Molière,
Fem.sav.v.885-9)
Dans cet exemple en
représente quelque découverte. Si on se
limite à cela, on constate que le pronom est
coréférentiel à l'antécédent. Cependant
avec l'adjonction de l'article une, la
détermination change et la représentation devient non
coréférentielle.
Il en est de même :
« Quel malheur
Digne de nous troubler pourrait-on nous
écrire ?
Cette lettre en contient un
que vous pouvez lire »
(Id. ib. v. 1692-4)
« Mme de
Chartres admirait la sincérité de sa fille, et elle l'admirait
avec raison, car jamais personne n'en eu une si
grande et si naturelle. »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.150)
« Un jour,
entre autre, on se mit à parler de la confiance. Je dis qu'il n'y avait
personne en qui j'en eusse une
entière; »
(Id. ib. p.217)
2.2.2 Le passage du singulier au
pluriel :
Lorsque le pronom en
reprend un groupe nominal singulier en ajoutant à sa suite un
déterminant massif ou pluriel, on obtient également une
représentation non coréférentielle.
« Le moindre solécisme en parlant
vous irrite
Mais vous en faites vous,
d'étranges en conduite »
(Molière, Fem. sav.
v.553-60)
Dans cet exemple, en
reprend le mot solécisme en changeant son
article le singulier par de, article indéfini
pluriel que l'on emploie devant un adjectif + nom à la place de
l'article des.
« Il me tarde de voire notre assemblée
ouverte
Et de nous signaler par quelque découverte
On en attend
beaucoup de vos vives clartés »
(Molière, Fem. sav. v.
885-7)
Ici le pronom indéfini massif
beaucoup s'ajoute au pronom représentant en
pour modifier la détermination de l'antécédent
quelque découverte. Et ainsi d'un nom
singulier on passe à un nom pluriel.
De même en français moderne :
« Tu as une bonne
tête, ma parole !
-Elle en a fait tourner quelques
unes, repris le jeune magistrat, d'un air à la fois convaincu et
vexé ».
(Flaubert, Ed. sent. p.191)
En anaphorise le mot
tête en changeant l'article
une qui l'accompagne en adjectif indéfini
pluriel quelques-unes. Il opère alors une
représentation non coréférentielle sur
l'antécédent.
2.2.3 - Le passage du pluriel au
singulier :
De la même manière que le pronom
en peut faire d'un nom singulier une représentation
plurielle, il peut aussi reprendre un nom pluriel par un groupe nominal
singulier comme en témoigne l'usage en français classique comme
en français moderne dans ces exemples.
« Ce prince n'avait pas
une fidélité exacte pour ses maîtresses ; il y
en avait toujours une qui
avait le titre et les honneurs ;
mais les dames que l'on
appelait de la petite bande le partageaient tour à tour.
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.158)
Le pronom en refére à
ses maîtresses en changeant la
détermination en une.
« Elle interpella Frédéric pour
savoir quelles jeunes personnes lui avaient plu. Il
n'en avait remarqué
aucune, et préférait, d'ailleurs, les
femmes de trente ans. »
(Flaubert, Ed. sent. p.130)
Dans cette anaphore non coréférentielle du
mot personnes par le pronom en, le déterminant
singulier aucune ne se substitue au
déterminant pluriel quelles.
Ces emplois non coréférentiels du pronom
en sont très nombreux dans l'usage en
français moderne où ce pronom bénéficie d'une
très grande liberté par rapport aux autres pronoms personnels de
la troisième personne. En effet, à partir du français
classique, ces derniers ont commencé à connaître des
emplois plus restreints.
Outre leur classification dans l'anaphore d'un nom,
d'un adjectif ou d'un énoncé, les pronoms personnels sont aussi
catégorisés dans leur aptitude à représenter soit
un nom de personne ou de chose.
III. La représentation des
personnes et des choses par le pronom personnel de la troisième
personne :
Le pronom personnel il et
ses variantes allomorphiques sont essentiellement employés pour
représenter un nom de personne ou un animé. Cependant, ils sont
aussi aptes à anaphoriser des noms de chose. En français moderne,
on peut les classer en trois catégories suivant leur aptitude à
reprendre ces noms de personne ou de chose.
* Les pronoms
il(s),
elle(s) ainsi que les
compléments le, la,
les, leur,
se, soi et le pronom
lui en position atone peuvent, selon leur emploi,
représenter des humains ou des objets.
* Les pronoms accentués lui,
elle et eux appuyés
sur une préposition sont spécialisés dans la
représentation humaine. Il en est de même lorsqu'ils sont en
emploi emphatique. En ce sens, Brunot affirme, en parlant du
pronom personnel elle, que selon
Bouhours « au
nominatif, elle convient aux personnes et aux choses,
aux cas obliques, il n'en est pas de même, on dit pas d'un homme qui aime
la philosophie : il s'attache à
elle. »67 Cette
restriction concerne également les pronoms lui
et eux.
* La troisième catégorie que composent
les pronoms en et y fait
spécifiquement référence aux choses et aux animaux. Ils
sont employés là où ces derniers ne peuvent être
repris par le pronom lui,
elle, eux
précédés d'une préposition.
(67) Brunot (F.), Histoire de la langue
française, T. IV, Paris, Armand Colin, 1966.p.880
« Mon coeur sur vos
leçons veut régler sa conduite »
Et pour vous faire voir ma soeur,
que j'en profite.
Clitandre, prenez soin d'appuyer
votre amour... »
(Molière Fem.
sav. v.171-3)
Le pronom en fait
référence à vos leçons qui ne peut être
repris par le pronom lui (de lui).
Ce classement rigoureux en français moderne a
un peu diminué les capacités référentielles du
pronom personnel de la troisième personne. En effet, en français
classique, bien que ces spécialisations aient étés
déjà recommandés par les grammairiens et les remarqueurs,
ces pronoms personnels ont été employés de manière
beaucoup plus libre. C'est pourquoi en étudiant la langue classique
à travers les textes des écrivains de cette période, on a
pu remarquer des emplois où des pronoms à référent
humain se rapportaient à des antécédents non humains et
vice versa.
3-1. Les pronoms soi, en et
y représentant des noms de personnes :
En français classique comme en
français moderne, le problème ne se pose pas avec les pronoms
atones, il, elle, le, la,
les, se, leur qui peuvent
anaphoriser aussi bien les noms de personne que des noms de chose.
Quant aux pronoms personnels
lui, elle,
eux, soi
précédés d'une préposition et les pronoms
adverbiaux en et y, ils
sont à l'origine de certains écarts dans l'emploi entre la langue
classique et la langue moderne.
3-1-1 - Le pronom soi à la place de
lui :
Le pronom soi était
employé en ancien français pour assurer la réflexion du
pronom personnel sujet de la troisième personne ou d'un groupe nominal
équivalent. Il a servi dans beaucoup de cas où l'on trouve
aujourd'hui le pronom réfléchi atone se
comme en témoigne l'expression figée soi
disant.
En moyen français, l'emploi de
soi est petit à petit concurrencé par celui des
pronoms.
Au début de la période classique, la
spécialisation s'est faite dans son emploi. Il continue à
être employé cependant pour la représentation des personnes
et des objets mais de manière plus restreinte. En effet, le pronom
soi est désormais, majoritairement
réservé aux noms de chose et il continue à faire
référence aux humains seulement dans les cas où
l'antécédent est un pronom indéfini (on, chacun, nul,
quiconque...) ou un groupe nominal indéfini.
-Soi référant à
une chose
« Qu'à donc le mariage
en soi qui vous oblige ? »
(Molière, Fem. sav. V.7)
« Le savoir garde en
soi son mérite imminent »
(Id. ib. v.1303)
-Soi référant à
une personne
« Qu'est ce qu'à mon
âge on a de mieux à faire
Que d'attacher à
soi, par le titre d'époux
Un homme qui vous aime et soit armé de
vous »
(Id. ib. V.20-1)
Le pronom soi qui a connu des
restrictions dans la référence humaine à partir du
XVIIe siècle, reprend dans cet exemple le pronom
indéfini on.
Dans les cas où l'antécédent
humain est défini, ce sont les pronoms lui,
elle, eux (précédé d'une
préposition) qui assurent la réflexion du mot.
« Il (le sage) se met au
dessus de ces sortes d'affaires
Et n'a garde de prendre aucune ombre d'ennui
De tout ce qui n'est pas pour dépendre
de lui. »
(Id. ib.
V.1546-8)
« L'on ne
peut exprimer la douleur qu'elle sentit de connaître, par ce que lui
venait de dire sa mère, l'intérêt qu'elle prenait à
M. de Nemours : elle n'avait encore osé se l'avouer à
elle même. »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.169)
« Il
était debout dans sa chambre, avec le visage furieux, marchant et
s'arrêtant comme s'il eût été hors de
lui-même. »
(Id.
ib. p.182)
Les pronoms personnels fortes lui
et elle sont ici employés pour assurer la
réflexion des sujets déterminés
à référence humaine
A ce propos, Brunot confirme
l'emploi restreint de soi en émettant ces
remarques : « Au pluriel d'abord,
dès le commencement du XVIIe siècle,
soi est hors d'usage. Au singulier avec un nom de
personne, quand cette personne est indéterminée, la langue
classique penche peu à peu vers le personnel : cet
homme pense à lui plutôt que cet homme
pense à soi. »68
(68) Brunot (F) La pensée et la langue,
Paris, Masson et Cie1936. p.329
De même Bouhours remarque :
« soi s'emploie en parlant
de personnes, quand on parle d'une manière générale sans
marquer une personne qui soit le nominatif du
verbe. »69 Ce cas se justifie dans les
exemples :
« Ce sont choses de soi qui sont
belles et bonnes. »
(Molière, Fem. sav. V. 1278)
« (...) mais
elle lui faisait voir combien il était difficile de conserver cette
vertu que par une extrême défiance de
soi-même. »
(La fayette,
Pr. de Clèves, p.169)
Ici le pronom soi n'identifie aucun
sujet comme étant son antécédent. Cependant, malgré
les restrictions faites sur l'emploi de ce pronom réfléchi, on
constate que dans les textes classiques, l'emploi de
soi est resté, en concurrence avec celui des
pronoms lui et elle qui,
comme le font les pronoms de la première et de la deuxième
personne moi et toi,
assurent la réflexion de l'antécédent humain.
« Cet indolent état de
confiance extrême
Qui le (Trissotin) rend en tout temps si content de
soi-même »
(Id. ib. V. 255-7)
Soi renvoie ici à un
référent humain bien déterminé, là où
le pronom personnel lui est plus indiqué selon
la règle de cette époque.
De même :
« Il n'est
pour le vrai sage aucun revers funeste ;
Et, perdant toute chose, à soi
même il se reste. »
(Molière, Fem. sav. V.1707-8)
(69) Bouhours (Père Dominique) Remarques sur la
langue française p287-8, cf. Brunot (F), Histoire de la langue
française, T.IV, Paris, Armand Colin, 1966. p 861
Le pronom soi dans cet exemple
serait aussi remplacé en français moderne par
lui qui s'applique régulièrement
à la représentation humaine dans des emplois de ce genre.
Cependant, si la règle en français,
classique et en français moderne ne tolère pas l'usage du
réfléchi soi à la place des personnels
lui et elle, elle le
recommande par ailleurs dans les cas où, selon
Bouhours70, il pourrait y avoir équivoque.
En français moderne, soi
est obligatoire « pour renvoyer
à un sujet défini (...) toutes les fois que la forme non
réfléchie serait équivoque : un homme de bien ne
saurait empêcher par toute sa modestie qu'on ne dise de
lui ce qu'un malhonnête sait dire de
soi (La Bruyère). »71
En effet, ici, l'emploi de deux pronoms lui
successifs non coréférentiels créerait une
ambiguïté.
En dehors du pronom réfléchi
soi qui reprend mal en français classique un
antécédent défini humain, les pronoms adverbiaux
en et y, que nous avons
classé comme étant de préférence
réservés aux objets et aux animaux en français moderne,
ont eu une capacité de référence beaucoup plus
élargie dans l'usage aux XVIIe siècle. Ils ont, eux
aussi, malgré leur catégorisation, concurrencé avec les
pronoms lui et elle dans la
représentation des noms de personnes.
3-1-2- Les pronoms en et
y avec un référent humain
Dans l'ancienne langue, les pronoms adverbiaux
s'employaient pour les humains et les objets. Au XVIIe
siècle, la spécialisation les a réduits à la
représentation des choses, des animaux. Ce qui conduit les grammairiens
et remarqueurs à blâmer les anciens emplois.
(70) Bouhours, Remarques, cf. Brunot (F)
Histoire de la langue française, T.IV, Paris, Armand Colin, 1966.
p. 862
(71) Wagner (R.L.) et Pinchon (J). Grammaire du
français classique .et moderne,. Paris édition Hachette 1962
p183
Selon la règle établie, à ce
sujet, le pronom lui doit être pour les
personnes et les adverbiaux en,
y pour les choses : Cet homme est dangereux, il
faut vous éloigner de lui ; mais ; ce terrain est dangereux,
il faut vous en éloigner, il ne faut jamais y jouer.
Cependant, à cet époque, les emplois de
en et y avec une
référence humaine restent présents dans les textes de tous
auteurs classiques.
* Le pronom
en :
En français classique, ce pronom s'est
référé à un antécédent humain pour
exprimer la possession.
« Et
je lui veux faire aujourd'hui connaître
Que ma fille est ma fille, et que j'en suis le
maître »
(Molière, Fem. sav. V. 703-4)
Le pronom en anaphorise le groupe
nominal humain ma fille (je suis le
maître de ma fille). Cette tournure n'est plus admise dans
la syntaxe du français moderne où la représentation
d'appartenance se fait au moyen des pronoms possessifs. Haase
rapporte en ce sens que « Bouhours, qui seul se
prononce sur ce point, exige son etc., lorsqu'il s'agit de personnes,
et en lorsqu'il s'agit de choses. »72
C'est le cas dans :
« Je
soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur ;
Et ma grande raison, c'est que
j'en suis l'auteur. »
(Molière, Fem. sav. V. 999-1000)
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