DEUXIEME PARTIE
La référence du pronom personnel de la 3e
personne
Les formes du pronom personnel de la troisième personne
sont issues, à l'exception de se et
soi, du démonstratif latin
ille qui désigne une personne, une chose ou un
événement éloigné dont on parle. De ce fait,
il et ses variantes allomorphiques possèdent
les mêmes propriétés syntaxiques que ce
démonstratif. Ils ont, contrairement aux autres pronoms personnels de la
première et de la deuxième personne, la capacité de
référer à une personne ou une chose présente dans
l'énoncé mais non protagoniste de l'acte d'énonciation.
C'est pourquoi, dans un texte, ils ont le rôle syntaxique de
représentants et sont considérés comme
des « signes
incomplets » ayant toujours une
référence.
CHAPITRE I :
Qu'est ce que la référence d'un
pronom ?
Selon une définition du Robert
36, le mot
référence est emprunté à
l'anglais reference, substantif du verbe
to refer qui lui-même provient du latin
referre signifiant
reporter,
rapporter, viser. Le
re marquant le mouvement en arrière et
ferre ayant le sens de
porter. La référence désigne
alors, en linguistique, la fonction par laquelle un signe renvoie à
quelque chose parfois nommé référent. D'un point de vue
grammatical, le Pr. NGuissaly Sarré explique dans son
cours de C.S de grammaire intitulé la
référence des démonstratifs
que : « Le référent d'une
unité linguistique (mot, syntagme,
proposition ou phrase) est la
réalité extra linguistique
(être, objet,
propriété,
procès,
évènement) que cette unité
linguistique permet de désigner par l'intermédiaire d'un acte
d'énonciation. »37
Le pronom personnel de la troisième personne
désigne un référent en servant de substitut à un
mot ou expression de référence appelée
antécédent. Pour expliquer le phénomène de
référence pronominale, Corblin tente de
schématiser ainsi la relation entre le pronom et le mot qu'il
représente c'est-à-dire son antécédent :
« il y a interprétation par reprise si un
terme, b, exige pour être
interprété l'emprunt à un terme proche
a d'un élément qui fixe
(36) Robert (Paul), Dictionnaire historique de la
langue française, Paris, Le Robert, 1998
(37) Sarré Nguissaly (Professeur) Cours de CS
de grammaire : La référence des pronoms
démonstratifs
l'interprétation de b :
cela s'applique par exemple aux couples dont le second terme est un
pronom. »38 Cette théorie prend
son sens lorsque par les
termes interprétation par
reprise et les lettres a, b nous
entendons respectivement référence
pronominale et antécédent,
pronom.
Ce qui veut dire que pour avoir une valeur
sémantique, le pronom représentant a besoin d'un
antécédent dans l'énoncé. Cet
antécédent n'est pas seulement le mot qui donne au pronom une
signification c'est-à-dire sa charge sémantique, mais aussi, dans
le cas des pronoms personnels de la troisième personne, il
confère au pronom son aspect morphologie à travers les marques de
genre et de nombre. Cette notion, l'antécédent est appelée
aussi
« source »39
chez Louis Tesnière, et elle ne prend son sens que
lorsque le pronom a la valeur d'un représentant dans le texte.
Les pronoms personnels de la troisième
personne qui ont la propriété de reprendre un terme nommé
dans le texte, participent à la cohérence de
l'énoncé en assurant sa continuité. Et en ce sens, ils se
différencient des autres pronoms personnels de la première et de
la deuxième personne singulière et plurielle. Je
et tu ainsi que leurs variantes,
prennent leur signification dans l'acte d'énonciation. Ils n'ont besoin
d'aucun autre terme pour être interprété car ils
désignent respectivement la personne qui parle, qui agit : le
locuteur, et celui avec qui je parle c'est-à-dire l'interlocuteur.
Nous et vous que l'on
considère comme les pluriels de je
et tu représentent :
- Le premier : je + une ou
plusieurs autres personnes.
- Le second : tu + une ou
plusieurs autres personnes.
Ces pronoms sont déictiques puisqu'ils
désignent des personnes présentes au moment de la
communication. Grevisse le dit clairement :
« C'est
(38) Corblin (F), Les formes de reprises dans le
discours. Anaphores et chaîne de référence,
édition, paris. P 112.
(39) Tesnière (Louis), cf. Corblin (F), Les
formes de reprises dans le discours. Anaphores et chaîne de
référence, édition, paris. P 112.
seulement à la troisième personne que le pronom
personnel représente, remplace un nom déjà
exprimé. »40 Et ce nom n'est pas
nécessairement une personne ; le pronom de la troisième
personne est donc faussement appelé pronom personnel, il n'a eu ce nom
que par référence aux autres pronoms.
La référence du pronom personnel de
la troisième personne a longtemps constitué un problème
pour les écrivains de la langue française à cause des
ambiguïtés sur les valeurs sémantiques que posait la
référence pronominale chez les auteurs classiques. Elle a
était spécialement étudiée et
régularisée par des grammairiens et remarqueurs de cette
époque comme : Vaugelas, le Père
Bouhours qui ont « assaini » la
langue française en exigeant plus de clarté et de netteté
dans l'usage.
Ferdinand Brunot qui étudie
les traits de la langue classique explique dans un chapitre intitulé
les pronoms et la représentation que :
«visiblement on s'efforce de toute façon à
régler la représentation des mots qu'on ne peut pas
répéter, on la veut régulière et claire, qui
satisfasse la grammaire et qui jette aucune ombre sur le sens. Dés le
XVIIe siècle, sans être coordonnés, les efforts sont si
nombreux, si nettement dirigés vers un but que les grammairiens (...)
témoignent sur ce point des soucis les plus louables et de clairvoyance
parfois extrême. »41 Malgré
ces efforts qui ont été consenti par les grammairiens afin de
parfaire le français, la langue a parfois manqué de concision
dans la représentation du pronom personnel.
C'est pourquoi, on observe en comparant la langue du
XVIIe siècle à celle du français moderne, une nette
différence concernant l'application des règles de
référenciation instaurées pourtant en période
classique.
Mais avant d'étudier les problèmes
que pose l'interprétation du pronom
(40) Grevisse (Maurice), Précis de grammaire
française, 28e ed. Paris, Duculot, 1969. .P.112
(41) Brunot (F), Histoire de la langue française,
T.IV, Paris, Armand Colin, 1966..P. 876
personnel de la troisième personne, ses rapports avec
le mot auquel il renvoi, et la classe référentielle qu'il est
censé représenter, il nous faut d'abord étudier les
différents modes de référence qu'il peut
avoir dans l'énoncé en français classique et en
français moderne.
I/ Les modes de références
du pronom personnel de la troisième personne :
Pour définir quel est le mode de
référence que vise le pronom personnel dans un emploi
donné, il faut tout d'abord procéder à la
localisation de son référent : dans le
texte ou dans l'univers du locuteur.
Nous avons vu que, il et
ses variantes allomorphiques ont presque toujours la valeur de
représentant, qu'ils sont employés pour reprendre un
élément présent dans l'énoncé. C'est
pourquoi on les désigne essentiellement sous le terme de pronoms
personnels anaphoriques ces derniers sont très utiles pour éviter
les répétitions et assurer la cohérence et la
clarté d'un texte. Ils permettent d'avoir des phrases précises et
concises en renvoyant à un substantif, une partie de phrase ou
même des phrases entiers qui leur servent alors
d'antécédents.
Cependant, il peut arriver que le pronom personnel
de la troisième personne ne fasse appel à aucun mot du texte pour
son interprétation et dans ce cas il n'est plus un représentant.
Alors la localisation du référent devra se faire du hors du
texte. En effet, il existe d'autres zones de références où
le pronom il et ses variantes allomorphiques
peuvent trouver leur antécédent. Il peut s'agir de la
situation de la communication car le texte ne peut se faire
indépendamment du contexte d'énonciation qui
constitue le repère des événements contenus dans le texte.
Dans le cas où la référence est faite à partir de
données situationnelles, le pronom personnel de la troisième
personne prend la valeur d'un pronom personnel déictique comme
je et tu .C'est le cas
dans la phrase il arrive (dite en montrant du
doigt le professeur que les élèves attendaient et qu'ils peuvent
désigner du doigt)
Lorsque le référent ne se trouve ni
dans l'énoncé, ni dans le contexte, le pronom fait appel à
une interprétation générique : c'est la
référence absolue. On trouve ce mode de référence
avec le pronom personnel sujet on et parfois,
spécialement en langue classique, avec le pronom personnel pluriel
ils. Ces deux pronoms peuvent poser un
problème d'indétermination lorsqu'ils établissent une zone
de référence sans limite.
1-1- La référence hors du
texte :
Le pronom personnel de la troisième personne est
considéré parmi tous ceux de même nature comme le seul qui
est habilité à faire la reprise d'un terme présent dans
l'énoncé. Il a donc, dans la plupart de ses emplois, une valeur
de représentant. Cependant, cela n'exclut pas qu'il puisse avoir
d'autres zones de référence.
1-1-1- La référence
déictique du pronom personnel de la troisième
personne :
Lorsque le pronom personnel de la troisième
personne à l'exception de il impersonnel,
on et ils (qui peut parfois
avoir une référence indéterminée), ne
réfère pas à un être ou une chose
désigné dans le texte, la localisation du
référent doit alors s'effectuer dans la situation de
communication. Si le référent se trouve dans le contexte
d'émission de l'énoncé, le pronom personnel est en emploi
déictique.
Du grec
« déiktikos » qui signifie
démonstratif c'est-à-dire qui sert
à montrer, à désigner un objet singulier.
« Les déictiques dépendent de
l'instance du discours » selon le
Robert .Le pronom personnel peut alors dans ce cas pointer du doigt
celui ou ce dont on parle. Ce mode de référence, bien que peu
fréquent avec les pronoms personnels de la troisième personne,
reste encore valable dans certain emplois jusqu'en français moderne.
Mais, il apparaît plus souvent dans la langue orale que dans la langue
écrite. Ce phénomène s'explique par le fait que ce mode de
référence donne au pronom sa signification dans l'acte de parole
même. Il est actuel et s'accompagne parfois d'un geste
désignateur. Raison pour laquelle on retrouve la référence
déictique avec les pronoms personnels dans les phrases du type
il arrive (ci-dessus), mais aussi avec les pronoms
démonstratifs accompagnés des particules
ci et là.
Celui là est mon père.
* Le pronom personnel de la troisième
personne devient un déictique lorsqu'il sert à désigner
ce/celui à qui on
pense ou ce/celui dont
on parle dans les cas où une tierce personne se joint à la
situation de communication. On peut le retrouver dans ce type d'exemple :
Nafi et Khady tapent à une porte fermée, elles insistent sans
réponse. Elles décident de repartir quand un bruit se fait
entendre. L'une d'elles dit alors :
« il ouvre
enfin ».
Dans cet exemple il ne
renvoie à aucun mot du texte, mais si on se réfère au
contexte, on suppose que il représente une
personne de sexe masculin qu'elles (Nafi, et Khady)
étaient venues voir. Le référent de
il ne peut être identifiable que dans le
moment et désigne une personne présente dans la
mémoire immédiate du locuteur et de son interlocuteur.
Dans la comédie de Molière Les
femmes savantes, ont retrouve ce mode de référence
puisqu'il s'agit d'une pièce de théâtre, donc
essentiellement constituée de dialogues et qui met en scène
plusieurs personnages c'est ainsi qu'on retrouve dans le passage suivant
quelques pronoms personnels en emploi déictique.
« _Votre
sincère aveu ne l'a pas peu surprise.
_Elle
mérite assez une telle franchise. »
(v.199-200)
Dans ces vers les locuteurs désignent
directement Armande par les pronoms l' et
elle sans que celle-ci soit nommée dans les
vers précédents. Ceci s'explique par les faits qu'Armande
était présente dans la scène d'avant et que les locuteurs
pensaient conventionnellement à elle lorsqu'ils ont employé les
pronoms personnels l' et elle
.C'est encore le cas dans La Princesse de
Clèves
« _Il
est vrai, répondit Mme la Dauphine ; mais je n'aurai pas
pour elle la complaisance que j'ai accoutumé
d'avoir. »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.254)
Le pronom elle désigne Mme de
Clèves présente au moment de l'énonciation
* En plus, comme cela s'applique
aux pronoms démonstratifs, on peut avoir des pronom personnels
compléments le, la,
les en emploi déictique,
lorsqu'ils sont renforcés par les particules
présentatifs voici et
voilà. Alors ils deviennent
impérativement des indicateurs.
« La
voici qui conduit le notaire avec
elle »
(Molière, Fem.sav.v.1598)
« La
voilà Monsieur ; Henriette est son
nom »
(Id. ib v.1620)
« Le voilà
lui-même, et je veux lui demander ce qui en
est. »
(La
Fayette, Pr. de Clèves, p.254)
Dans ces deux exemples les pronoms personnels sont
avant tout anaphoriques car ils représentent des noms déjà
exprimés. Dans le premier exemple la
remplace ma femme du vers
précédent, dans le second, le pronom reprend la
cadette nommée dans le vers précédent dans
la troisième le renvoie à M. de Nemours
dont le locuteur parlait. Mais en plus de cela les particules déictiques
voici et voila viennent
s'appuyer sur eux pour désigner du doigt l'être ou l'objet
représenté. Il confère ainsi aux pronoms
représentants une portée déictique. Ces derniers
deviennent alors à la fois anaphoriques et situationnels.
* Le pronom
il ou elle peut être
en emploi déictique lorsqu'il désigne l'interlocuteur qui est
régulièrement pronominalisé par
tu ou vous (de politesse). En effet,
à l'époque classique, dans le langage aristocratique, pour
formuler une demande il était d'usage que l'on nomme son interlocuteur
à la troisième personne si ce dernier est une personne
supérieure, gradée ou importante. Cette tournure est une marque
de respect ou une formule de politesse envers celui à qui on parle.
C'est pourquoi, on la trouve plus souvent dans le langage de la cour lorsque
les gens s'adressent par exemple au roi.
« _Au moins, Sire, lui
dit-il, si je m embarque dans une entreprise chimérique par le conseil
et pour le service de Votre Majesté, je
la supplie
de me garder le secret jusqu'à ce que le succès me justifie vers
le public, »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.136)
« ...et je
jure à votre majesté, avec tout le respect que je
lui dois, que je n'ai d'attachement pour aucune femme
de la cour. »
(Id. ib. p.220)
On peut aussi avoir ce type d'emploi lorsqu'un
employé de maison, comme le majordome qui est une personne respectueuse
et cultivée parle à son maître. Brunot qui
parle à ce sujet écrit ceci :
« la politesse a amené un changement assez
singulier dans l'emploi des personnes. Depuis le XVIIe siècle, s'est
répandu l'usage que les serviteurs parlassent à leurs
maîtres à la troisième personne au lieu d'employer la
deuxième. Sur le modèle des formes : Sa majesté
veut-elle ? (...) Aujourd'hui la bourgeoise a fait de cette
troisième personne une règle obligatoire pour les
domestiques »42 . L'emploi s'est donc
conservé jusqu'en français moderne où on peut le trouver
dans les textes où il est question de bourgeoisie ou de noblesse. En
effet dans le texte de Flaubert, on constate que
l'employé de maison s'adresse à Frédéric en ces
termes :
« Madame priait Monsieur de revenir, et, craignant
qu'il n'eut froid, elle lui envoyait son
manteau »
(Educ.sent. p 19)
Dans cet exemple le pronom
il désigne l'interlocuteur et a la valeur d'un
pronom déictique comme les personnels tu et
vous.
(42) Brunot (Ferdinand) La pensée et la langue,
3ème édition revue, Paris, Masson &Cie 1936,
p. 273
Cette tournure, bien qu'étant admise dans la
norme du français moderne tend à disparaître avec
l'évolution de la langue. Elle est considérée à
présent comme un archaïsme et ne subsiste que dans des cas
très rares lorsqu'on s'adresse à des personnes qu'on
désigne par les titres tels que Son
Excellence. Et même dans ces cas le pronom
vous (de politesse) prend souvent la place du pronom
de la troisième personne en emploi déictique.
Ces trois sortes d'emploi du pronom personnel de la
troisième personne montrent que celui-ci peu avoir dans la langue
parlée d'autres propriétés syntaxiques que celui de
représentant.
1.1.2 La référence indéfinie
du pronom personnel de la troisième personne : on et
ils :
Le pronom sujet on est
à l'origine un infini à valeur générale. Provenant
du nominatif latin homo qui donne à
l'accusatif hominem (qui signifie
homme), on est
exclusivement réservé à la référence
humaine. Il est considéré comme un pronom personnel de la
troisième personne parce que son emploi est entré en concurrence
avec celui du pronom ils avec lequel il partage
parfois la même valeur indéfinie.
- Le pronom personnel
ils
Le pronom pluriel ils a longtemps
été employé dans la langue là où en
français moderne on est employé. En
effet, « l'ancien français comme le latin, emploie
ils avec une valeur indéfinie. Il n'existait
pas en latin de pronom personnel indéfini, le latin employait la
troisième personne du
pluriel. »43
(43) Brunot (F) et Bruneau (Ch.), Précis de
grammaire historique de la langue française 4e ed. .Paris,
Masson et Cie .1956 p.272
On trouve cet emploi en français jusqu'au XVIe
siècle, et même au XVIIe siècle mais de manière
moins constante (parce qu'inexistant dans le texte des
Femmes savantes). Ainsi, l'exemple que l'on trouve
à ce sujet est celui qu'en ont donné la plupart des manuels de
grammaire du français classique.
« Madame, ils ne
vous croiront pas ;
Ils sauront récuser
l'injustice stratagème
D'un témoin irrité
qui s'accuse lui-même »
(Racine, Britannicus, v.854-6 )
Ici le pronom il a une valeur
générale puisqu'il réfère à des gens
inconnus et d'un nombre indéterminé, il équivaut
à tout le monde. Cet emploi, bien
qu'étant non illustré dans notre texte classique, était
encore présent dans l'usage à cette période. En effet,
« Vaugelas mêle
on et ils sans aucun scrupule et
emploie souvent l'expression qu'ils appellent
après un substantif, avec le sens de « ainsi
appelé »44
En français moderne, l'emploi de
ils avec une référence indéfinie
a beaucoup diminué car il a été supplanté par celui
du pronom personnel on. Toutefois
ils continue à être employé avec
une valeur générale, mais à titre exceptionnel.
Wagner et Pinchon considèrent que
« dans la langue familière,
ils s'emploie avec une valeur ironique ou
méprisante pour symboliser des gens qu'on ne veut pas désigner
d'une façon explicite. »45
- Le pronom on à
référence générale ou
indéfinie :
Contrairement aux autres pronoms personnels du
même rang qui
(44) Vaugelas (C. F), Remarques cf. Haase (A),
Syntaxe du français du XVIIe siècle éd. Traduite et
remaniée par Monsieur Obert, Paris, Delagrave, p.4
(45) Wagner (R.L) Pinchon (J.), Grammaire du
français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962, p.169
représentent un antécédent bien
précis, le pronom on a essentiellement une
valeur indéfinie surtout en français moderne. Lorsque ce pronom
désigne des personnes inconnues, non précisées dans le
texte il a une référence dite absolue puisqu'il
n'établit pas une zone de référence
déterminée et dans ce cas, il équivaut aux locutions
n'importe qui, tout le
monde, les gens, etc.
« Vous avez notre
mère en exemple à vos yeux
Que du nom de savante on
honore en tous lieux ; »
(Molière, Fem.sav. V.37-8)
On équivaut à
tout le monde
« Elle la pria, non
pas comme sa mère, mais comme son amie, de lui faire confidence de
toutes les galanteries qu'on lui
dirait, »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.143)
On représente les gens de la
cour
« Le chef d'orchestre, debout,
battait la mesure d'une façon automatique. On
était tassé, on
s'amusait, les brides dénoués des chapeaux effleuraient les
cravates ».
(Flaubert, Ed. sent. p.84)
On = les gens (hommes et femmes) qui
se trouvaient là
Cependant, dans la langue du XVIIe siècle, en
dehors de sa référence générale le pronom personnel
indéfini on pouvait être
l'équivalant de toutes les autres formes du pronom personnel.
- Le pronom on
à référence individuelle :
En français classique, le pronom personnel
on a eu différentes valeurs, ce qui rendait
difficile son interprétation dans un texte. Il pouvait, au sens
figuré, se substituer à tous les autres pronoms personnels pour
exprimer des valeurs stylistiques.
« Hé !
Qui vous dit, monsieur que l'on ait cette envie,
Et que de vous enfin si fort on se
soucie ? »
(V. 155-6)
Ici on représente je c'est à dire la
personne qui parle
Lorsqu'il représente les autres
pronoms, on peut avoir aussi bien une valeur
anaphorique que déictique suivant que
la personne qu'il remplace dans le texte est présente ou non dans l'acte
d'énonciation.
Le pronom on peut s'identifier
à la première personne je qui est un
pronom déictique. Selon Brunot,
« pour éviter de se mettre en avant, au
nominal personnel, les raffinés se substituaient fort souvent
l'indéterminé on, qui étant plus
vague, ne choque pas. »46 Dans les textes
classiques ce pronom qui a généralement en français
moderne une valeur indéfinie a souvent représenté la
personne qui parle.
« Il suffit que
l'on est contente du détour
Dont s'est adroitement avisé votre
amour » (Bélise)
(Molière,
Fem .sav. v 313-14)
(46) Brunot (F.), La pensée et la langue, Paris,
Masson et Cie, 3e ed. 1936, p.196
« On est faite d'un air je
pense à pouvoir dire
Qu'on a pas pour un coeur soumis à son
empire » (Bélise)
(Id. ib. v. 375-6)
« Je
résolus de vous écrire des lettres tièdes et languissantes
pour jeter dans l'esprit de celle à qui vous les donniez que
l'on cessait de vous
aimer. » (Je)
(La fayette, Pr. de Clèves, p.211)
Dans ces exemples le pronom
on est déictique parce qu'il s'identifie au
je parlant. En plus l'accord du participe ou de
l'adjectif attribut de on dans les passages
l'on est contente et on est
faite, montre son assimilation totale de ce pronom à la
personne qu'il désigne.
Molière donne l'explication
suivante à propos de on :
« on peut remplacer, dans la
langue familière, un pronom personnel de l'une des trois personnes, mais
il donne à la phrase une nuance tantôt ironique tantôt
affectueuse.»47 Ces emplois sont très
fréquents en langue classique :
« Dès le lendemain, ce prince fit parler
à Mme de Chartres; elle reçut la proposition
qu'on lui faisait et ne craignit point de donner
à sa fille un mari qu'elle ne pût aimer en lui donnant le prince
de Clèves. »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.149)
On représente le prince
de Clèves
Le pronom on est
également déictique lorsqu'il représente la
deuxième personne tu ou
vous pour exprimer la distance entre le locuteur
et son interlocuteur.
(47) Molière, Les Femmes Savantes,
édition Larousse (classiques), 1672. p.41.cf note de bas de
page n.6
« Ce monsieur
Trissotin dont on nous fait crime
Et qui n'a pas l'honneur
d'être à votre estime »
(Id. ib v.631-2)
Ici on représente Chrysale
qui est l'interlocuteur.
On est cependant
anaphorique lorsqu'il prend la place du pronom personnel de la troisième
personne dans un texte.
« Elle entra
aisément dans l'opinion qu'il ne fallait pas aller chez un homme dont
on était
aimée, »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.166)
On et elle
désigne la même personne
« Quelque important que soit ce
qu'on veut que je lis,
Apprenez mon ami, que c'est une
sottise... »
(Molière, Fem. sav.v.1389-90)
Dans cet exemple le pronom on
anaphorise le savant nommé
précédemment dans le texte.
Ces emplois individualisants du pronom personnel
on ont disparu petit à petit de la langue
à la fin de l'époque classique. Toutefois, il reste des
survivances en français moderne dans le langage familier lorsqu'on
s'adresse à un ami par exemple, au lieu de
dire tu, on peut employer : On se
repose ?
La langue moderne conserve également un
emploi très courant du pronom on avec une
valeur collective pour dire nous.
« On
n'avait fait cinq kilomètres, tout au
plus »
(Flaubert, Educ. sent.
p.12)
1-2- La
référence au texte :
Le pronom personnel de la troisième personne
est employé pour ses capacités à reprendre un nom, une
phrase ou une idée qu'on ne veut pas répéter dans
l'immédiat. Il assure la continuité de l'énoncé
tout en évitant les occurrences des mots déjà
présents. En ce sens Wagner et Pinchon
explique : « La troisième personne, au
singulier comme au pluriel désigne la ou les personnes, la ou les choses
dont on parle et représente un terme déjà exprimé.
Il en résulte pour la clarté du style que ces pronoms doivent
sans équivoque possible renvoyer à ce
terme. »48 Cette pensée
résume l'essentiel de la représentation du pronom de la
troisième personne.
Sur le plan linguistique, lorsque le pronom assure
la répétition d'un mot ou d'un groupe de mots dans le discours,
il est en emploi anaphorique. L'anaphore est une figure de style qui exprime la
redondance.
Cependant, dans la référence au texte
si le pronom représentant est annoncé avant
l'antécédent, en d'autres termes, lorsque le pronom personnel de
la troisième personne renvoie à un élément
postérieur de l'énoncé, l'emploi est dit cataphorique.
1.2.1. L'anaphore par le pronom personnel de la
3e personne.
Etymologiquement, le substantif
anaphore (du latin
anaphora) provient de la combinaison de leurs mots
grecs ana et pherein qui
signifient respectivement de bas en haut,
en arrière et
porter l'anaphore désigne alors ce
(48) Wagner (R.L.) et Pinchon (J.) Grammaire du
français classique et moderne, éd. revue et corrigée,
Paris, Hachette, 1962 .P. 169
qui porte vers le haut, ce qui renvoie à
l'arrière. Elle est « La reprise du
signifié d'un mot par le moyen d'un autre signe (pronom
etc.). »
Le pronom personnel de la troisième personne
a essentiellement une valeur anaphorique et ceci depuis l'origine de langue.
Cependant il a commencé à être étudié de
manière beaucoup plus régulière à partir de
l'époque classique. En effet, avant cette période l'usage du
pronom personnel anaphorique ne facilitait pas toujours la compréhension
du texte. Son interprétation posait souvent un problème à
cause de certaines difficultés à identifier
« la source ». Ces
dernières étaient dues soit à la construction de
la phrase, soit à la morphosyntaxe des pronoms personnels
anaphoriques.
Les grammairiens du XVIIe siècle se sont alors
intéressés à l'étude de ces pronoms et ont
exigé plus de netteté dans leur emploi. C'est pourquoi, en
français classique l'usage a commencé à devenir plus
régulier et on trouve dans les textes de cette époque de plus en
plus d'emplois anaphoriques où l'antécédent est clairement
indentifiable.
« Quand
sur une personne on prétend se régler,
C'est par les beaux cotés qu'il
lui faut ressembler
Et ce n'est point du tout
la prendre pour modèle
Ma Soeur que de tousser et de cracher comme
elle »
(Molière,
Fem.sav. v.73-6)
Dans ce passage les pronoms
lui, la et
elle reprennent le substantif d'une personne au
premier vers pour ne pas qu'il soit répété. De ce fait,
ces pronoms assurent les occurrences de ce mot dans la suite de
l'énoncé et s'accordent en genre et en nombre avec celui-ci.
Ainsi dans l'exemple :
« Mon père est d'une humeur
à consentir à tout
Mais il
met peu de poids aux choses qu'il résout
Il a reçu du ciel
certaine bonté d'âme
Qui le soumet d'abord
à ce que veut sa femme
C'est elle qui gouverne et
d'un ton absolu
Elle dicte pour la loi ce
que qu'elle a
résolu. »
(Id. ib. V.205-210)
Les pronoms personnels masculins
anaphorisent mon père alors que
les pronoms féminins reprennent sa
femme. De même :
« Il (M. de Nemours)
était inconsolable de lui (Mme de
Clèves) avoir dit des choses sur cette aventure qui, bien que galantes
par
elles mêmes, lui paraissaient, dans ce moment,
grossières et peu polies, puisqu'elles avaient
fait entendre à Mme de Clèves qu'il
n'ignorait pas qu'elle était cette femme qui
avait cette passion violente et qu'il était celui pour
qui elle l'avait. »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.263)
Dans cet exemple, les pronoms anaphoriques indiquent par leurs
morphologies les mots qu'ils représentent.
L'accord du pronom anaphorique est donc un moyen de
repérage du mot auquel il renvoie. Il permet aussi de
démontrer que l'antécédent et le pronom
représentent la même chose, qu'ils sont
coréférentiels. En effet, dans la
représentation anaphorique, le pronom personnel de la troisième
personne doit être coréférent à la chose
représentée.
Dans ces exemples d'anaphores précités,
l'antécédent est clairement identifiable puisqu'il n'y a aucune
équivoque possible. Employé de cette manière, comme l'ont
exigé les grammairiens et remarqueurs de l'époque classique, il
n'y a pas
d'écart entre la langue française du XVIIe
siècle et celle du français moderne. En effet les
écrivains de cette dernière période se sont
inspirés de manière essentielle des règles d'usage, qui
ont été établies par les grammairiens de la langue
française du XVIe siècle et du XVIIe siècle.
« La
petite fille jouait autour de lui. Frédéric
voulut
la baiser. Elle se
cacha derrière sa bonne, sa mère la
gronda de n'être pas
aimable pour le monsieur qui aurait sauvé son
chat. »
(Flaubert. Educ. sent. p.10)
Les pronoms personnels la et
elle anaphorisent la petite fille nommé
précédemment. De même :
« Arnoux
rentra, et par l'autre portière, Madame Arnoux parut. Comme
elle se trouvait enveloppée d'ombre,
il ne distingua d'abord que sa
tête. Elle avait une robe de velours
noir »
(Id. ib p. )
Le pronom féminin elle
anaphorise Madame Arnoux et le pronom masculin
il est mis pour reprendre Arnoux.
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