CHAPITRE II.
Le pronom
personnel objet / complément :
Comme nous l'avons vu antérieurement, les pronoms
personnels objets atones le, la,
les, se, leur et
lui (non précédés d'une
proposition) sont généralement antéposés au verbe
sauf quand celui-ci est à l'impératif. Parmi ces pronoms
personnels objets de la troisième personne, il existe ceux qui sont
directs et ceux qui sont indirects, et leurs emplacements ont été
essentiellement fixés dès l'origine. Selon A.
Dauzat : « Lorsque deux personnels
atones se suivent, l'un au régime direct, l'autre indirect, l'ancien
français plaçait toujours le premier en
tête. »20
« Il la
vangera
Se Damedex le li
consant »21
Et concernant les adverbes
en et y, il ajoute que
s'ils « se trouvent en présence d'un pronom
personnel, celui-ci occupe le premier rang car il
s'élide. »22
« Et quant il ot
reconté son songe, si prie le preudome qu'il l'en die la
senefiance. »23
(20), (22) Dauzat (A), Historique de la langue
française, Paris, Payot, 1930, p 429
(21), (23) Exemples cités par Lucien Foulet,
Petite syntaxe de l'ancien français, 3e ed. Paris,
Champion, 1982, pp. 147 et 157
Ces règles très tôt établies dans
la langue, ont été conservées dans l'usage jusqu'en
français moderne.
Mais la langue classique a tenu à faire
précéder le pronom personnel objet indirect de la première
et de la deuxième personne de celui direct de la troisième
personne comme l'exige Vaugelas qui, parlant des pronoms
le, la,
les transposés veut que l'on
dise : « je vous le
promet et non je le vous promet, comme le disent tous
les anciens écrivains et plusieurs modernes
encore. »24
En effet, plusieurs classiques ont tenu à
conserver la tournure ancienne objet direct suivi de
objet indirect. Spillebout le
confirme ainsi : « on trouve encore dans la
première partie du XVIIe siècle l'ordre ancien
complément direct troisième
personne + objet secondaire deuxième
personne », et donne l'exemple
suivant : « Dieu qui nous l'a donné
le nous peut
conserver. »25
Montchrestien, Hector,
101 (1604)
En dehors de ces emplois, qui ont fini par
disparaître dans l'usage à la fin du XVIIe siècle --
puisqu'ils étaient quasiment inexistants dans Les femmes
savantes (texte très illustratif des traits de la langue
classique.) - il n'y a pas eu de changement entre la fin de l'époque
classique et le français moderne concernant la place d'un ou de deux
pronoms personnels objets auprès du verbe.
Néanmoins, l'ordre dans lequel se place le
(ou les) pronom (s) personnel (s) objets par rapport au verbe dans la
construction phrastique présente des divergences entre la langue
classique et la langue moderne, du fait de la mobilité de
celui-là dans cette première époque.
(24) Vaugelas (C.F), 1647, Remarques sur la langue
française, Edition Champs libres, 1981, P.58
(25) Spillebout (Gabriel), Grammaire de la langue
française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985, .P.406
I. Le pronom personnel objet employé avec
deux verbes successifs :
Lorsque le pronom personnel objet est construit
avec deux verbes qui se suivent, le second étant à l'infinitif,
il est le complément de ce dernier. Et dès l'ancien
français, il s'est placé devant les deux verbes. En effet, pour
Marcel Galliot : « l'ancienne
langue considère alors le groupe (auxillaire + infinitif) comme un
groupe verbal indissociable (verbe : venir accoster, falloir entre aider)
et place normalement le pronom objet avant le groupe
entier. »26
Jusqu'au XVIIe siècle, la règle
exigeait qu'il se mit devant les deux verbes dans la formule : pronom
personnel objet + verbe conjugué + verbe à l'infinitif.
Spillebout, dans sa Grammaire de la langue
française du XVIIe
siècle, écrit :
« quand un infinitif est
précédé d'un verbe qui le régit, le pronom
complément de l'infinitif se place devant le premier verbe et non devant
l'infinitif. »27
Mais au cours de l'époque classique, cette
règle s'est peu à peu modifiée,
car « c'est seulement au XVIIe siècle, sans
doute après l'usage populaire et pour rapprocher la particule du verbe
dont elle dépend que celle-ci s'introduit entre les deux
verbes... »28
C'est pourquoi dans la langue classique du XVIIe
siècle, nous avons trouver les deux emplois ; celui où le
pronom personnel complément de l'infinitif se mettait devant le verbe
régisseur et celui où il se plaçait entre les deux verbes
afin de rapprocher du verbe dont il est le complément. Enfin, dans les
textes classiques les deux emplois sont en concurrence.
(26) Galliot (M), Etudes d'ancien français,
moyen. Age et XVIe siècle, Paris, 4 et 6 de la Sorbonne1967
(corrigés de textes du moy.Age et du XVIe siècle), p.338
(27) Spillebout (G), Grammaire de la langue
française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985, p.407
(28) Dauzat (A), Historique de la langue
française, Paris, Payot, 1930, P. 429
« Ah ce oui
se peut il supporter ?
Et sans un mal au coeur saurait -on
l'écouter »
(Molière, Fem.sav
v.5-6)
« Quand
sur une personne on prétend se régler,
C'est par les beaux
côtés qu'il lui faut ressembler ».
(Id. ib. v.73-74)
Mais avec un plus grand penchant pour la tournure ancienne
car les auteurs classiques se sont plus inspirés de la vieille langue
que des règles de leur époque. C'est ainsi que nous avons
trouvé des exemples avec tous les pronoms personnels objets.
« Que vous
importe-t-il qu'on y puisse prétendre.
(Id. ib. v.100)
« Si
vos yeux sur moi le pouvait ramasser,
Ils prendraient
aisément le soin de se
baisser.
(Id. ib. v.193-4)
« Nous verrons qui sur elle aura plus de pouvoir
Et si je la saurai réduire
à son devoir. »
(Id. ib. v.1415-6)
« Mais si la bouche vient à
s'en vouloir mêler.
Pour jamais de ma vie il vous
faut exiler. »
(Id. ib. v.285-6)
« M. de
Clèves ne voyait que trop combien elle était
éloignée d'avoir pour lui des sentiments qui le pouvaient
satisfaire »
(La fayette, Pr. de
Clèves. p.150)
« Elle était si préoccupée de
ce qui se venait de passer qu'à peine pouvait-elle cacher la
distraction de son esprit. »
(Id. ib.
p.193)
« Tout le monde l'alla voir ; j'y allai comme
les autre, mais sans lui dire qui j'étais, »
(Id. ib. p.196)
Cette règle qui s'est instaurée au
cours du XVIIe siècle et qui exigeait que le pronom personnel
complément soit rapproché de l'infinitif dont il est le
complément, est devenu plus effective dans les siècle suivants
car en français moderne, il ne se place plus devant le verbe
régisseur du groupe, mais devant l'infinitif. Cette transposition vers
l'intérieur a pour but de rapprocher le verbe de son
complément.
George et Robert Lebidois le
confirment dans leur Syntaxe du français
moderne : « Quand l'infinitif est
régi par un autre verbe (...) ce n'est pas devant le groupe verbal tout
entier que se place le personnel régime, mais à
l'intérieur du groupe, devant l'infinitif.
»29
« La petite fille jouait
autour de lui. Frédéric voulut la
baiser.
Elle se cacha derrière sa
bonne ; »
(Flaubert, Ed. sent. p.10)
« Elle (la négresse de Mme
Arnoux) devait y venir comme les autres ;
toutes les fois qu'il traversait les Tuileries, son coeur battait
espérant la
rencontrer. »
(Id. Ibid. p. 28)
(29) Lebidois (G et R), Syntaxe du français
moderne, ses fondements Historiques et psychologiques, Tome I, Paris,
Picard, 1935, p.157
« Arnoux paraissait
l'estimer infiniment. Il dit un jour à
Frédéric :
- celui
là en sait long, allez ! C'est un homme
fort ! »
(Id. Ibid. p. 47)
« A la nouvelle du départ d'Arnoux, une joie
l'avait saisi. Il pouvait se présenter
là bas tout à son aise sans crainte d'être interrompu
dans ses visites. »
(Id. Ibid. p. 74)
Dans ces exemples, le pronom objet a cessé de
se mettre devant le premier verbe, comme l'aurait permis la langue classique,
pour se mettre devant l'infinitif dont il est le complément. Ainsi,
selon J.C. Chevalier et alii :
« L'antéposition du pronom complément
d'un infinitif devant le verbe auxiliaire était courante aux
siècles classiques. Elle n'est plus aujourd'hui qu'une
élégance facile qui a eu un certain succès il y'a quelques
décennies. »30
Cependant, il existe des exceptions à cette
règle d'emplacement du pronom personnel objet car en français
classique comme en français moderne, ce dernier est resté devant
le groupe verbal tout entier dans certains cas :
* Lorsque l'infinitif est régi par les verbes
faire, voir,
entendre, laisser,
emmener, amener, le pronom
se met impérativement devant le groupe. Et dans ce cas, il n'est plus
complément de l'infinitif mais celui du verbe régisseur qui peut
être conjugué ou pas.
« Ah ! Je leur
ferai voir si, pour donner la loi
Il est dans ma maison d'autre maître que
moi. »
(Molière Fem. sav. v.1443-4)
(30) Chevalier (J.C.) et alii, v Grammaire du
français contemporain, Larousse Bordas, 1997. P.239
« Elle (la
maréchale) se laissa renverser sur le divan et
continuait à rire sous ses baisers.
Ils passèrent
l'après-midi à regarder, de leur fenêtre, le peuple dans
la rue. Puis il l'emmena dîner aux Trois
Frères- Provençaux. »
(Flaubert, Ed. sent. p.330)
* Lorsqu'il est régi par les verbes
envoyer et falloir dans
certains emplois. En effet avec ceux-ci, le pronom change de place selon
qu'il est complément du verbe régisseur ou de l'infinitif.
« Il (Arnoux)
« avait besoin » de manger une omelette ou des pommes
cuites ; et, les comestibles ne se trouvant jamais dans
l'établissement, il les envoyait
chercher. »
(Flaubert, Ed. sent. p.201-2)
« Il lui
fallait compter son linge et subir le concierge, rustre à tournure
d'infirmier, qui venait le matin retaper son lit en sentant l'alcool et en
grommelant. »
(Id. Ibid. p. 26)
« Il fallait
en inventer aussi pour Rosanette. Elle ne comprenait
pas à quoi il employait toutes ses soirées ; et, quand on
envoyait chez lui, il n'y était jamais !
(Id. Ibid. p. 454)
Dans les deux premiers phrases les pronoms
personnels objets les
et lui sont respectivement
compléments des verbes envoyait
et fallait, raison pour laquelle ils sont
placés devant les groupes verbaux que forment ces auxiliaires.
Il en est de même lorsque le personnel objet
est employé avec des verbes conjugués aux temps
composés : il se place alors devant le groupe auxiliaire +
participe. Cependant dans le 3e exemple, le pronom en s'intercale
entre le verbe régisseur et l'infinitif parce qu'il est
complément de ce dernier.
En ce sens, le français classique et le
français moderne s'accordent parfaitement concernant ces exceptions
car lorsque les verbes faire,
voir, entendre,
laisser, emmener,
amener sont auxiliaires d'un groupe verbal, le pronom
personnel complément ne peut se mettre entre deux verbes sauf si le
premier est à l'impératif. En effet dans ce cas le pronom
complément se met derrière l'impératif et sépare
ainsi le groupe verbal.
« Faites-la sortir, quoi qu'on
die ;... »
(Molière, Fem. sav. v.782)
II. Le pronom personnel objet
employé avec l'impératif.
Le pronom personnel objet atone a toujours
précédé le verbe dont il est complément, sauf
lorsque celui-ci est conjugué au mode impératif. Dans ce cas le
pronom atone de la troisième personne est transposé après
le verbe et porte ainsi l'accent du groupe, car avec les pronoms personnels
objets de la première et de la deuxième personne, ce sont les
formes accentués moi et
toi qui sont employés dans la transposition.
Cependant, la postposition du pronom atone au verbe n'est vraie que dans les
cas où la phrase impérative est à la forme affirmative
Cet usage, qui constitue la norme en français moderne,
n'était pas toujours valable dans la langue classique où l'on
constate que le pronom personnel complément de l'impératif se
place avant le verbe dans beaucoup d'exemples. En ce sens, selon Brunot
et Bruneau : « En ancien
français, quand la proposition impérative commence par un adverbe
(ou même par la conjonction et), le pronom complément de
l'impératif conserve sa place devant le
verbe. »31
Cette règle de la langue primitive a eu des
reflets dans la langue littéraire classique et à ce propos,
Spillebout écrit qu'
« au XVIe s. le pronom personnel complément
de l'impératif est régulièrement
antéposé ; »32 L'usage
s'est poursuivi tout au long de cette période jusqu'au XVIIe
siècle où il a commencé à se mettre
nécessairement derrière
« ...Clitandre, expliquez votre coeur,
Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre
Qui de nous à vos voeux est en droit de
prétendre. »
(Molière, Fem. sav. v.782)
« Allons, prenez sa main et passer devant nous,
Menez-la dans sa chambre. Ah ! les douces
caresses ! »
(Id. ib v.1117)
Dans ces exemples tirés de la langue
littéraire classique, les pronoms compléments sont placés,
comme le veut la norme du français classique et moderne, derrière
l'impératif.
(31) Brunot (F) et Bruneau (CH), Précis de
grammaire historique de la langue française, 4e ed.
.Paris, Masson et Cie 1956. P.272
(32) Spillebout (G), Grammaire de la langue
française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985, P.146
Mais, il n'en demeure pas moins que, toujours dans
la langue du XVIIe siècle, la vieille règle subsiste lorsque deux
propositions impératives sont coordonnées. En effet, dans ce cas,
si l'impératif de la seconde proposition coordonnée est
accompagné d'un pronom personnel complément, celui-ci garde son
antéposition au verbe. Cette construction est essentiellement
illustrée par les écrivains classiques.
« Touchez à Monsieur dans la main,
Et le
considérez désormais dans votre
âme.»
(Molière, Fem. sav. v.1101-2)
« Dites-lui ma
pensée et l'avertissez bien
Qu'elle ne vienne pas m'échauffer les
oreilles. »
(Id. ib v.1112-3)
« Reportez tout
cela sur l'heure à votre maître
Et lui dites qu'afin de lui
faire connaître
Quel grand état je fais de ses nobles
avis... »
(Id. ib
v.1401-3)
On constate alors dans tous ces exemples que le pronom
personnel d'objet, qui précède l'impératif, s'appuie sur
la conjonction de coordination et, et rappelle ainsi
la règle de l'ancien français.
Cependant, cet emploi très usité
était devenu très vieux, et allait disparaître de la langue
littéraire vers la fin de l'époque classique, car les auteurs
commençaient à respecter les règle du XVIIe siècle
concernant la place du pronom personnel complément de
l'impératif.
C'est pourquoi, on ne retrouve plus ces tournures
anciennes dans la langue actuelle. En effet, en français moderne, le
pronom personnel objet se positionne derrière le verbe lorsque celui-ci
est à l'impératif que ce soit avec une seule ou deux propositions
coordonnées.
-Avec une seule proposition :
(La maréchale ordonne à
Delphine) :
« - Ah !
Quel embêtement ! Flanque-la
dehors ! »
(Flaubert, Ed. sent. p
157)
(La maréchale à
Frédéric) :
« Priez-le donc de venir, pas devant son
épouse, bien entendu. »
(Id. ib p 496)
-Avec deux propositions coordonnée :
(Mademoiselle Roque à
Frédéric) :
« Viens demain soir,
comme par hasard, et profites-en pour me demander
en mariage. »
(Id. ib p 408)
Ici le pronom personnel
objet en se serait placé avant le
verbe en français classique ; mais cette tournure n'a pas
survécu jusque dans la langue actuelle. Selon Jean Claude
Chevalier et alii :
« L'antéposition du pronom devant un impératif
coordonné est un
archaïsme. »33
Certains écrivains modernes ne l'utilisent dans les textes
(surtout dans les poésies) que pour pasticher la vieille langue.
(33) Chevalier (J.C) et alii, Grammaire du
français contemporain, Larousse Bordas, 1997, p.239
Cependant la règle ne diffère pas
entre le français classique et le français moderne lorsqu'
intervient une négation. En effet, si l'impératif est
négatif, le pronom personnel complément de l'impératif se
place entre la particule négatif
ne et le verbe. Il garde alors sa
position devant ce dernier.
« Tout beau, monsieur !
Il n'est pas fait encore !
Ne vous pressez pas
tout. »
(Molière, Fem. sav. v.1082-3)
Le pronom personnel
complément vous s'est placé
ici devant le verbe puisque la négation accompagne l'impératif.
Cette construction n'a pas changé en français moderne.
En définitive, que ce soit avec deux verbes
successifs ou avec l'impératif, le pronom personnel complément,
placé avant ou après le verbe, a toujours gardé sa place
auprès de celui-ci : sans aucun mot entre eux. Cependant il peut
arriver qu'ils soient séparés dans la construction phrastique.
I. le pronom personnel objet séparé
du verbe.
Nous avons vu que les pronoms personnels objets atones se
plaçaient régulièrement auprès du verbe et
fonctionnaient comme des proclitiques ou des enclitiques lorsqu'ils
étaient complément de l'impératif. Mais ils n'en est pas
de même pour les pronoms personnels objets accentués
lui, elle, eux,
soi. Généralement, ils se placent
derrière le verbe et sont toujours précédés de
prépositions à,
de, avec,
sur... qui les séparent
obligatoirement de ce dernier.
Très éloignés parfois du verbe du fait de
leur accentuation, ils sont très indépendants et peuvent, en
fonction de complément circonstanciel, être placés avant
où après.
« Entre elle
et moi, Clitandre, explique votre
coeur ;... »
(Molière, Fem. sav. v.122)
« Vous me voyez, ma soeur,
chargé par lui
D'en faire la demande à son père
aujourd'hui »
(Id. ib v.361-2)
«Et, dans
l'excès de son émotion, Arnoux voulait courir chez
elle. »
(Flaubert, Educ.sent. p 198)
En français moderne, les formes accentuées sont
parmi les pronoms personnels objets, les seules qui peuvent se mettre à
l'écart du verbe qu'elles accompagnent. Et cela, parce qu'ils sont
restés accentués, ils sont ainsi indépendants par rapport
au reste de la phrase.
* Les pronoms personnels objets atones n'ont pas
cette même souplesse mais la langue littéraire classique les a,
eux aussi, séparés du verbe dans certains types d'emploi. En
effet, à cette période, on constate que lorsque le pronom
personnel objet atone est complément d'un infinitif accompagné
d'un adverbe monosyllabe comme mieux,
rien, tout,
trop, bien... il est
placé devant la combinaison adverbe +
infinitif, et se trouve ainsi séparé de
son verbe. Cette tournure archaïque a été employée
par les écrivains classiques par référence à
l'ancien français où ces adverbes étaient
considérés comme des proclitiques encore moins faibles que les
pronoms personnels atones.
« Il faut !
Se trop peiner pour avoir
l'esprit. »
(Molière, Fem. sav. v.1056)
« Il sait que, Dieu merci, je me
mêle d'écrire,
Et jamais il ne m'a prié de lui
rien lire. »
(Id. ib v.1138)
« Je veux, je veux apprendre
à vivre à votre mère ;
Et, pour la
mieux braver, voilà, malgré ses
dents,
Martine que j'amène et rétablis
céans. »
(Id.
ib v.1566-8)
« (...) c'est une chose agréable pour
l'amant, que sa maîtresse le voie le maître d'un lieu où est
toute la cour, et qu » elle le voie se bien
acquitter d'en faire les honneurs. »
(La fayette, Pr. de
Clèves, p.166)
Par contre le français moderne ne sépare pas le
pronom personnel objet atone de son verbe, il place, alors dans ces cas-ci,
l'adverbe avant le pronom.
* Il en est de même lorsque le pronom
complément de l'infinitif est accompagné d'une négation.
Dans ce cas, les locutions négatives ne...pas,
ne...plus, ne...point etc. ; ne se
mettent plus de part et d'autres du groupe pronom +
verbe mais elles se réunissent devant celui-ci. Cette
transposition du groupe négatif entier devant l'infinitif s'est
effectuée depuis l'ancien français.
Cependant jusqu'en français classique on
constate que certains écrivains sont tentés de placer le second
élément du groupe négatif entre le pronom personnel objet
et l'infinitif.
« Non ; mais je sais fort bien
Qu'à ne le point flatter son sonnet ne vaut
rien. »
(Molière, Fem. sav
v.991-2)
Ce procédé n'est plus possible en
langue moderne et selon Dauzat :
« Depuis la fin du XVIIe siècle, les deux
éléments (affaiblis) de la négation (...) se
réunissent devant le pronom. »
34
La langue classique n'avait gardé ses tournures que
pour avoir un style élégant, car à cette époque le
pronom personnel complément était déjà
inséparable de son verbe. Raison pour la quelle elles n'ont pas
survécues en français moderne où l'adverbe et le groupe
négatif, dans ces cas précités, viennent avant le groupe
pronom personnel objet infinitif.
Enfin, en guise de conclusion dans cette
étude concernant la place du pronom personnel de la troisième
personne en français classique et en français moderne, nous avons
retenu que ces deux périodes partagent un certain nombre similitudes.
Ceci parce que, la règle de l'emplacement des pronoms a
été, en grande partie, régularisée et
codifiée à une époque préclassique. Et il n'y a pas
eu de changement jusqu'à nos jours. Il s'agit par exemple de la place du
pronom sujet atone dont la règle n'a pas changé depuis le moyen
français. Toutefois il y'a des écarts entre la langue
littéraire classique et la langue moderne (surtout en ce qui concerne le
pronom personnel complément), puisque les écrivains de cette
première période sont restés fidèles à
certaines normes de l'ancien et du moyen français, qui ont
été revues et changées par les grammairiens du XVIe et du
XVIIe siècle, dans un but de restaurer et de réhabiliter la
langue. Le français classique, cependant, malgré l'intervention
de ces grammairiens, se caractérise
(34) Dauzat (A), Historique de la langue
française, Paris, Payot, 1930, P.431
par une très grande liberté s'agissant de la
place du pronom personnel par rapport au verbe. C'est le cas par exemple du
pronom personnel objet atone éloigné parfois de l'infinitif dont
il est le complément.
Il y'a donc eu ces écarts parce que la langue
moderne s'est inspiré, non pas des écrivains classiques, mais des
normes de la langue du XVIIe siècle. La langue actuelle veut,
contrairement à celle classique que les pronoms personnels s'appuient
sur le verbe dont ils sont sujets ou complément, du fait de leur manque
d'autonomie. En effet, selon Lucien Foulet
« qu'elle précède ou
exceptionnellement suive le verbe ; une forme faible de pronom personnel
ne peut être séparé de son verbe que par une autre forme
faible de pronom personnel, ou par les adverbe
en, i, qui
ont la même valeur. Les formes pleines ont une accentuation
indépendante et par conséquent, plus de souplesse et de
mobilité, elles s'emploient tout particulièrement après
les prépositions. »35
(35) Foulet (Lucien), Petite syntaxe de l'ancien
français, 3e ed. Paris, Champion, 1982, P.107-8
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