PREMIERE PARTIE
La place du pronom personnel de la troisième
personne
Contrairement à la langue latine où
l'ordre des mots avait une valeur expressive, le français définit
une place bien précise pour chaque mot de la phrase suivant la fonction
qu'il y occupe.
Cette régularité de construction a
commencé au cours de l'ancien français. Et sur le plan
syntaxique, elle est venue jouer le rôle qu'avaient les six cas de la
déclinaison latine qui ont été réduits à
deux à cette période.
Dés lors, la place du mot dans la phrase
aide à déterminer sa fonction et selon A.
Dauzat : « l'ordre des mots (...) a
pris peu à peu une valeur logique pour exprimer des rapports et
suppléer à la défaillance des
réflexions. » 8
Alors, quelle que soit sa fonction sujet ou
complément, le pronom personnel du français moderne occupe des
places respectives dans la phrase. Cette exigence a été plus
stabilisée par les grammairiens classiques car en ancien et moyen
français, les pronoms, étant toujours accentués,
étaient encore indépendants du verbe. Cependant, comme le
précise Nyrop :
« l'évolution s'est faite lentement, et, dans
quelques cas ils ont gardé leur valeur tonique jusque dans le XVIIe
siècle.» 9
En effet, malgré les règles établies, la
langue classique notamment celle du XVIe siècle a gardé quelques
caractéristiques de la vieille langue, qui n'ont d'ailleurs pas
survécu jusqu'à la fin du XVIIe siècle.
(8) Dauzat (Albert), Historique de la langue
française, Paris, Payot, 1930, p. 425
(9) Nyrop (Kr.), Grammaire Historique de la langue
française, TV, Paris, Picard et fils 1925 p. 212
CHAPITRE I :
Le pronom personnel en fonction sujet
Avant d'étudier la place qu'occupe le pronom personnel
de la troisième personne en fonction sujet par rapport à son
syntagme verbal, il faut d'abord préciser le fait, qu'à part les
formes atones il (s),
elle (s) et
on qui servent exclusivement de sujet, il existe des pronoms
accentués lui, elle et
eux qui peuvent remplir cette fonction en
français. Ils sont souvent renforcés par les adverbes
seul et même et sont
très indépendants du fait de leur accentuation. Tandis que le
pronom personnel atone est généralement en liaison très
étroite avec le verbe.
Dans une construction directe, ce dernier, se place
régulièrement devant le verbe et est défini par
Georges et Robert Lebidois « Comme
une préflexion
nécessaire. »10
« Comme
elle gardait la même attitude,
il fit plusieurs tours de droite et de gauche
pour dissimuler sa manoeuvre, puis il se planta tout
prêt de son ombrelle, posée contre le bans, et
il affectait d'observer une chaloupe sur la
rivière. »
(Flaubert, Ed.
sent.- p.7)
(10) Lebidois (Georges et Robert), Syntaxe du
français moderne, ses fondements Historiques et psychologiques,
Tome I, Paris, Picard, 1935..P.127
Comme le montre cet exemple du français
moderne, le verbe vient juste après le pronom personnel sujet et
ils ne peuvent être ni éloignés, ni séparés
par un autre mot de la phrase. Cette règle est tout aussi valable en
français classique, tel que nous l'avons trouvé dans les textes
de cette époque.
« Mon père est d'une humeur à
consentir à tout,
Mais il met peu de
poids aux choses qu'il résout ;
Il a reçu du ciel une
bonté d'âme... »
(Molière, Fem.sav.v.205-7)
«
Il parut alors une beauté à la cour,
qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit
croire que c'était une beauté parfaite,
puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu
où l'on était accoutumé à
voir de belles personnes. »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.136)
La position du pronom personnel sujet par rapport au syntagme
verbal n'a pas changé entre la langue classique de la fin du XVIIe
siècle et la langue moderne. Cette absence d'écart entre ces deux
périodes est due au fait que les écrivains de cette
première époque ont eu le temps d'adopter la règle
d'emplacement du pronom personnel sujet. En effet, elle a été
fixée, bien avant le français classique, après que
celui-ci est devenu atone.
En ancien et moyen français,
il était accentué et pouvait se mettre
à l'écart. Mais au cours du temps, il a fini par perdre son
accent et s'est ainsi rapproché du verbe. Selon Nyrop,
« l'usage médiéval est
représenté par le passage suivant :
« Et
il qui mout estoit soutils (Joinville
? 583).»11
(11) Nyrop (Kr.), Grammaire Historique de la langue
française, TV, Paris, Picard et fils 1925, .P.212
Ce que le français moderne aurait rendu
par : Et lui qui était très
subtil en remplaçant le il
devenu atone dès lors, par la forme forte
lui qui convient actuellement
Ce type de construction ne s'est pas limité
à cette période car il continue jusqu'au XVIe siècle,
période transitoire entre la langue médiévale et la langue
classique, où on observe des cas d'emploi où le pronom personnel
sujet n'était pas encore tout à fait faible et restait
éloigné du verbe. Mais ils ne sont qu'une pure imitation de la
langue de l'époque précédente car par la suite on ne les
retrouve que dans quelques tournures archaïques chez certains auteurs
classiques. Cependant, ils n'ont pas totalement disparu du moderne qui en a
gardé une survivance avec le pronom personnel de la première
personne je dans la formule administrative
Je soussigné...
Ainsi, malgré quelques exceptions, l'usage
classique a fini par admettre que le pronom
sujet il était devenu
complètement faible.
En ce sens, il ne diffère pas de la langue
moderne qui a hérité des normes du XVIIe.
Il, pronom faible, ne pouvait donc plus être
employé à la place de la forme forte
lui. Sa place était alors fixée devant
le verbe auquel il était étroitement lié.
Mais cette règle n'est valable que dans les
constructions directes (sujet + verbe), c'est-à-dire dans les phrases
affirmatives, car dans tout autre cas, le pronom personnel sujet peut occuper
une autre place que celle qui lui est généralement
attribuée.
I- Le pronom personnel sujet
séparé du verbe :
Nous avons dit que le pronom sujet, dans une construction
directe, se plaçait régulièrement juste devant le verbe,
et était comme « une
préflexion ». Ceci n'est pas tout à
fait vrai cependant dans les cas où :
- Le verbe est à la forme négative
- Le verbe est précédé d'un pronom
personnel complément
1-1- Le pronom personnel sujet suivi d'une
négation :
Lorsque le pronom personnel sujet se construit avec le verbe
à la forme négative, ce dernier s'accompagne des locutions
adverbiales ne...pas,
ne...plus,
ne...guère,
ne...point,
ne...rien.
Celles-ci se mettent de part et d'autre du verbe
dans la formule ne + verbe + pas
(plus, point,
etc....)
La particule négative ne
vient après le sujet et le sépare alors du verbe. Ceci est
applicable aussi bien en français classique qu'en français
moderne puisqu'il en est ainsi depuis l'ancien français.
En effet, A. Dauzat, situant le groupe
négatif dans la phrase précise qu'
« avec les temps personnels, la place n'a pas
changé depuis le XVIIe siècle : ne
précède le verbe, et la particule de renforcement
(mie, point,
pas) suit le temps simple et s'intercale entre l'auxiliaire
et le participe. »12
« Vous savez que de bien
il n'a pas
l'abondance. »
(Molière. Fem.sav.
v403)
(12) Dauzat (A), Historique de la langue
française, Paris, Payot, 1930, .P.433
« Il ne prit pas seulement
le soin de chercher des prétextes pour rompre avec elles ;
il ne put se donner la patience d'écouter
leurs plaintes et de répondre à leurs
reproches. »
(La
fayette, Pr. de Clèves, p.162)
« Mais au souvenir de Madame Arnoux,
son chagrin s'évanouit.
Il
ne parla pas d'elle, retenu par une
pudeur. »
(Flaubert, Ed .sent . p.18)
Ne fonctionne
dans ces exemples comme un proclitique et rompt le lien qui unissait le pronom
personnel sujet atone au verbe. Mais, il n'est pas seul à avoir cette
possibilité, car il peut être suivi d'un pronom
complément.
« Du nom
de philosophe elle fait grand mystère,
Mais elle
n'en est pas pour cela moins
colère.»
(Molière, Fem. sav. v 667.8)
« Elle
ne se flatta plus de
l'espérance de ne le pas aimer ; elle songea à ne lui en
donner jamais aucune marque. »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.194)
1-2- Le pronom personnel sujet suivi d'un
pronom personnel complément :
Lorsque les pronoms personnels
compléments me, te,
se, le,
la, les,
leur viennent seconder le pronom personnel
sujet, ils se placent entre celui-ci et le
verbe dont ils sont compléments. Il en est ainsi
depuis la période de l'ancien français car ils sont des pronoms
atones qui suivaient généralement le verbe en latin. Mais, en
français ils ont toujours fonctionné comme des proclitiques (sauf
parfois à l'impératif où ils peuvent suivre le verbe).
Ainsi, au XVIIe siècle, Vaugelas exige qu'ils soient
mis auprès du verbe dont ils sont compléments.
« Il
me le dit, ma soeur, et,
pour moi, je le crois. »
(Molière, Fem. sav. v.113)
Les pronoms personnels nous et
vous ainsi que le personnel
lui, peuvent aussi se mettre entre le pronom
personnel sujet et le verbe et dans ce cas, ils deviennent des proclitiques
atones.
« Et d'un coeur qu'on
vous jette, on vous voit
toute fière.»
(Id. ib. v. 191)
« Cette
fermeté d'âme à vous si singulière
Mérite qu'on
lui donne une illustre
matière »
(Id. ib v. 1554)
« Je
lui ai ouï dire plusieurs fois dire qu'elle
était née le jour que Diane de Poitiers avait été
mariée ; »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.158)
Et en français moderne :
« Mme Arnoux s'était avancée l'antichambre.
Dittmer et Hussonet la saluaient, elle leur tendit
la main ; elle la tendit également
à Frédéric ; ... »
(Flaubert, Educ. sent.
p.58)
Il en est de même avec les adverbiaux
en et y
qui ont pris la valeur de pronom personnel complément depuis
l'ancien français.
«
Il est vrai que l'on sue à souffrir ses discours. Elle
y met Vaugelas en pièce tous les
jours ; »
(Molière, Fem. sav.
v. 521-2)
« ...il
aimait Mme de Tournon, il en était aimé
et ne le verra jamais ; »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.186)
Concernant ces constructions (avec la
négation ne et les pronoms personnels
compléments), il n'y a pas eu de différence entre le
français classique et le français moderne parce que les
règles ont été mises en place depuis l'origine.
Dans tous ces cas, le pronom personnel sujet bien
qu'étant séparé du verbe, se plaçait toujours
devant. Cependant, il peut être placé après le verbe.
II- Le pronom sujet dans une construction
inversive :
Dans la construction inversive, le pronom sujet est
transposé derrière le verbe. Il en est ainsi dans deux cas
typiques.
2-1 Le pronom dans une tournure
interrogative :
La tournure interrogative :
verbe + pronom personnel
sujet est très usitée en langue classique car elle
était encore très à la mode. En effet, selon
Dauzat :
« Le type verbe-
sujet -complément s'est spécialisé dans
le Moyen Age au tour interrogatif. »13
Cet emploi a eu beaucoup de succès au XVIIe siècle : dans
Les Femmes Savantes de Molière nous avons
constaté que près de 40% des tours interrogatifs présents
dans l'oeuvre ont été construits sous la forme d'une simple
inversion du genre verbe +
sujet.
« Ah ! Ce oui se peut-il
supporter ?
Et sans un mal de coeur
saurait-on
l'écouter ? »
(v.5 - 6)
« _ Votre
visée au moins n'est pas à Clitandre ?
Et par quelle raison n'y
serait-elle pas ?
_Manque-t-il de mérite ? Est-ce un choix
qui soit bas ? »
(v.88-9 - 90)
Cette tournure est d'autant plus employée
qu'on la met parfois même après le pronom interrogatif pour mieux
marquer l'interrogation.
« Je ne crois pas en effet qu'elle le puisse
être, (...) ; et quand il serait possible qu'elle le fût, par
où l'aurait-on
pu savoir ? »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.257)
« En
quel estime est-il, mon frère, auprès
de vous ? »
(Molière, Fem.
sav.v.338)
« Mais quelle fantaisie
a-t-elle donc pu
prendre ? »
(Id., ib.v.1430)
« Quel malheur
digne de nous troubler pourrait-on nous
écrire ? »
(Id., ib.v.1693)
(13) Dauzat (A), Historique de la langue
française, Paris, Payot, 1930, .P.434
Cette tournure inversive très fréquente en
langue classique, reste encore valable en français moderne même si
l'interrogation y est autant construite avec l'aide des pronoms interrogatifs
(suivie d'une inversion du pronom sujet ou pas).
« Peut-être valait-il mieux
courir droit au but, déclarer son
amour. »
(Flaubert, Educ.sent. p. 28)
Ou encore avec un pronom interrogatif :
« Arnoux
prêt de se coucher, défaisait sa redingote.
Eh bien, comment
va-t-elle ?
Oh mieux dit
Frédéric. Cela se passera. »
Id.
ib. p.197)
2-2- Le pronom dans une tournure
explicative :
Les tournures explicatives, du genre
dit-il, sont utilisées pour indiquer l'auteur
des prises de paroles, ou des discours directs rapportés dans les textes
littéraires.
Ce genre d'emploi est presque absent dans le texte des
Femmes savantes car il s'agit là d'une
pièce de théâtre et il n'y a pas de discours
rapporté. C'est pourquoi on ne pourrait y trouver cette tournure avec
les pronoms personnels de la troisième personne.
Cependant, il n'en est pas moins que cet emploi existait et
était très utilisé par les auteurs classiques.
« Des
chimères - là vous devez vous défaire.
Ah !
Chimères ? Ce sont des chimères,
dit-on ?»
(Molière, Fem. sav v. 392-3)
« Je
sais mon bonheur ; laissez m'en jouir, et cessez de me rendre malheureux.
Est- il possible, reprenait-il, que je sois
aimé de Mme de Clèves et que je sois
malheureux ? »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.285)
« Je ne
vous apprends, lui répondit-elle, en souriant,
que ce que vous ne saviez déjà que
trop. »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.303)
Cette tournure inversive reste employée jusqu'en
français moderne et elle est très fréquente dans les
textes à dialogue.
« - Qu'est-ce donc ?
dit-elle, tu trembles ?
-Je n'ai rien !
répliqua Frédéric. »
(Flaubert, Ed.sent
p109)
« A Marmars, on entendit
sonner une heure et un quart. - C'est donc aujourd'hui,
pensa-t-il, aujourd'hui même,
tantôt. »
(Id. ib. p 122)
En plus de ces deux cas on peut trouver l'emploi
inversif du pronom personnel sujet auprès de certains adverbes comme
aussi, ainsi,
donc etc....
Il n'est pas très fréquent, ni en
français classique, ni en français moderne. Mais
néanmoins, il reste utilisé comme dans ces exemples tirés
de nos textes classiques.
« Aussi fais-je
Oui ma femme avec raison vous
chasse. »
(Molière, Fem.sav. v.443)
« Aussi ne se pouvait-elle
défendre d'en avoir, mais cette pitié ne la conduisait pas
à d'autres sentiments »
(La fayette, Pr. de Clèves, p.150)
Dans la construction inversive, le pronom personnel sujet fait
corps avec le verbe et devient enclitique « Dans ces
inversions, le personnel n'est pas moins partie intégrante du verbe que
dans la construction directe, il est là comme une flexion
d'arrière, qui rend en somme le même service que rendait autrefois
la désinence du verbe : il indique la personne et le
nombre. »14
En plus, dans la transposition du pronom personnel de la
troisième personne, il peut arriver que celui-ci soit
séparé du verbe. En effet, quand ce dernier n'est pas
terminé par les occlusives t et
d (prononcé t dans
la liaison avec il, elle ou
on) il se glisse alors un t
graphique entre le verbe et le pronom personnel sujet de la
troisième personne. Ce phénomène linguistique est tout
aussi utilisé en français classique qu'en français
moderne.
En plus de ces sujets atones
il, elle et
on il y a des pronoms lui,
elle (s) et
eux qui, outre leur fonction de
complément, ont parfois celle de sujet. Et contrairement aux autres
pronoms personnels sujets, ils ont gardé leur nature forte et peuvent en
langue classique être éloignés du verbe comme le faisait
l'ancien et le moyen français. Et dans ce cas, ils sont souvent
renforcés par les adverbes seul,
même, aussi...
(14) Lebidois (G. et R.), Syntaxe du français
moderne, ses fondements Historiques et psychologiques, Tome I, Paris,
Picard, 1935. .P127
« Lui
seul des vers aisés possède le
talent ! »
(Molière, Fem.sav. v 766)
En français moderne cependant, ce sont les
formes faibles qui sont généralement utilisées en
fonction- sujet. En effet, il peut arriver, comme le disent Georges et
Robert Lebidois : « Que ces formes
inaccentuées paraissent trop peu frappantes pour satisfaire l'esprit,
pour le saisir avec force de la désignation de personne ; aussi
a-t-on recours aux formes fortes. »15 On
retrouve alors toujours le pronom personnel tonique en fonction sujet dans la
langue moderne, mais il est dans ce cas en emploi emphatique, il est alors
repris par un autre sujet.
« Martinon ne comprit rien à ses lamentations
sur l'existence. Lui, il
allait tous les matins à
l'école... »
(Flaubert,
l'Educ. sent. p.27)
Le pronom tonique lui est
secondé ici par le pronom atone il pour mieux
insister sur le sujet Martinon
« ...et,
quinze jours plus tard, Arnoux
lui-même les vendait
à un espagnol, pour deux mille francs ».
(Id. ib. p
50)
Il y a ici la forme tonique, renforcée par l'adverbe
même elle est employée pour insister sur
le nom Arnoux afin de mieux
l'identifier.
Il peut aussi apparaître comme sujet de
l'impératif dans les constructions du genre :
« Lui, qu'il
vienne. »
Dans tous ces cas le pronom personnel
accentué se rapproche beaucoup plus du verbe qu'en français
classique où ce pronom avait plus d'autonomie.
(15) Lebidois (G. et R.) Syntaxe du français
moderne, ses fondements Historiques et psychologiques, Tome I, Paris,
Picard, 1935. .P129
En plus en français moderne, il n'est pas parfois un
véritable sujet car il fonctionne comme un cercle
antécédent, comme c'est le cas avec la forme emphatique
c'est lui suivi du pronom relatif
qui + le verbe. Cette tournure
était également utilisée en langue classique mais,
là aussi, le pronom lui pouvait être
plus éloigné du verbe.
« C'est lui qui dans des
vers vous a tympanisé »
(Molière, Fem. sav. v.611)
Donc, en ce qui concerne l'étude de la place
du pronom personnel sujet il n'y a pas d'écart notable entre le
français moderne et la langue littéraire classique (exception
faite cependant des pronoms sujets accentués qui pouvaient être
employés seuls,tout en étant éloignés du verbe).
En effet, les règles de l'emplacement du
pronom personnel sujet ont été fixées bien avant le
XVIIe siècle, et elles étaient respectées par les
écrivains classiques qui étaient plus inspirés par la
langue française des siècles précédents. Mais, s'il
y a un fait concernant le pronom personnel sujet qui présente des zones
de divergences entre la langue classique et la langue moderne : c'est son
omission devant le verbe.
2-3- L'absence du pronom
personnel sujet :
La suppression du pronom personnel sujet est un
phénomène fréquent chez les premiers écrivains
classique qui ont tenté d'imiter la vieille langue, en usant de cette
tournure archaïque. En effet, nous avons vu que l'emploi du pronom
personnel sujet n'était pas partout obligatoire en ancien
français. Ce fait
a beaucoup suscité l'intérêt des
grammairiens et il était, dans certains cas, condamné par les
grammairiens et les théoriciens de la langue française du XVIIe
siècle. En ce sens, Brunot, dans Histoire
de la langue française, explique que les pronoms
personnels « étaient devenus des particules
de conjugaison et comme tels avaient été déclarés
nécessaires. La règle faite à la période
précédente était universellement admise. Tout verbe sans
sujet substantif devait être accompagné d'un pronom
sujet. » 16 Il nous rapporte aussi dans
le Tome VI du même ouvrage, une déclaration faite par
l'Académie Française en 1704 :
« Il n'est presque jamais permis de supprimer les
pronoms personnels devant les verbes quoiqu'ils ayent été
exprimé dans le premier membre de la
période. » Il ajoute à la suite que
« cette phrase résume tout l'effort des
grammairiens du XVIIe siècle comme il annonce ce qui va
suivre ».
Dans la même lancée, Wagner et
Pinchon, parlant des pronoms personnels sujets,
disent : « Ils sont devenus indispensables
depuis que les désinences verbales, au mode personnel, ne
présentent plus de différences sensibles à l'oreille et
qu'elles se confondent parfois dans
l'écriture ».17
Suite à ces remarques des grammairiens,
l'omission du personnel sujet devant les verbes disparaît petit à
petit de la langue classique. Et elle ne subsiste que dans quelques
formulations archaïsantes comme les maximes.
Cependant, devant le second verbe de deux
propositions coordonnées ou juxtaposées, elle subsiste dans
l'usage jusqu'à la fin de l'époque classique, et même, dans
certains cas, en français moderne.
« -Et croyez, quand il dit qu'il me quitte et vous
aime.
Qu'il n'y songe pas bien et se trompe
lui-même. »
(Molière,
Fem.sav. v. 115-6)
(16) Brunot (F), Histoire de la langue
française, T.IV et VI, Paris, Colin, 1966.pp 837 et 1624
(17) Wagner (R.L.) et Pinchon (J), Grammaire du
français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962.p.172
Ainsi des grammairiens comme
Vaugelas admettent quelques tournures d'omission du pronom
sujet et en condamnent d'autres. En effet, il note, après avoir
donné l'exemple : « Nous avons
passé les rivières les plus rapide et des places que l'on
croyait imprenables, et n'aurions pas fait tant de belles actions, si nous
étions demeurés oisifs ... », qu'il
est bien plus élégant de
dire : « Et n'aurions pas fait de belles
actions » que si l'on disait
« Et nous n'aurions pas
fait... » Il ajoute :
« qu'il en est de même de tous les autres
pronoms personnels de la seconde et de la troisième personne
singulière et plurielle... »
« Je le laisse à quelque autre et vous jure
entre nous
Que je renonce au bien de vous
voir mon époux. »
(Molière,
Fem.sav. v. 211)
Le pronom je dans cette proposition
coordonnée peut ne pas être repris en français classique,
car cette dernière est une continuité de la première
proposition. En effet, la reprise n'est nécessaire que quand les deux
propositions s'opposent du point de vue thématique et syntaxique. C'est
pourquoi Vaugelas condamne son exemple :
« Nous ne sommes pas contents de nous informer du
fond de celui qui emprunte, mais fouillons jusque dans sa
cuisine » et nous suggère :
« il faut dire, « mais
nous fouillons » parce que
cette particule mais fait une séparation qui
rompt le lien de la construction précédente et en demande une
nouvelle. »18
Cependant, les auteurs classiques n'ont pas su
distinguer, dans leur imitation de la langue ancienne, les formules en usage de
celles qui sont hors usage. C'est ainsi que Molière
écrit :
(18) Vaugelas (Claude F.), 1647, Remarques sur la
langue française, Edition Champs libres, 1981 p.58
« Et j'ai des serviteurs et ne suis point
servi »
(Molière, Fem. sav v.602)
Ici la négation crée une opposition
entre la première et la deuxième proposition. En plus le
et de coordination a la valeur de
mais. C'est pourquoi le pronom personnel sujet devait
être repris dans la proposition coordonnée.
En français moderne, l'omission du pronom sujet dans
une coordonnée est régularisée. La reprise du sujet n'est
pas obligatoire, cependant elle est usuelle lorsque les verbes s'opposent
par :
- les conjonctions du genre mais, or...
- la négation.
L'omission est admise lorsque l'on a une
série d'actions qui se succèdent dans la phrase.
« Lui, il allait tous
les matins à l'école, se promène ensuite dans le
Luxembourg, prenait le soir sa demie tasse au
café, et, avec quinze cents francs par an et l'amour ouvrière,
il se trouvait parfaitement
heureux. »
(Flaubert, Ed.sent.p.27)
Dans cet exemple, le sujet n'est pas repris dans la liaison
continue des actions, puisque cela n'est pas nécessaire. Cependant, dans
la dernière proposition, le pronom il est
repris parce que le verbe se trouver exprime un
état et s'oppose aux verbes d'actions précédents. Dans ce
cas la répétition du pronom sujet est aussi obligatoire.
En guise de conclusion, nous citons Jean
Claude Chevalier et alii qui disent que :
« Le pronom n'est généralement pas
répété dans une série de verbes coordonnés
de valeur identique, il reparaît pourtant dès qu'intervient une
raison d'opposer les verbes (contraste d'affirmation, de négation,
détachement stylistique
...) ».19
(19) Chevalier (J.C), Benveniste (C.B), Arrivé (M,
Peytard (J), Grammaire du français contemporain, Larousse
Bordas, 1997. p. 231
|